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Date : 20060531

Dossier : IMM-6684-05

Référence : 2006 CF 669

Vancouver (Colombie-Britannique), le 31 mai 2006

En présence de Monsieur le juge Martineau

ENTRE :

KIRPAL SINGH

Partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

Partie défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur conteste la légalité d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 5 octobre 2005, qui statue qu'il n'a pas le statut de « réfugié au sens de la Convention » , ni la qualité de « personne à protéger » au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l'Immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27.

DEMANDE D'ASILE

[2]                Le demandeur est un citoyen de l'Inde. Dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), il dit être membre de l'association All India Sikh Student Federation (AISSF) depuis le mois d'avril 2001. Il aurait participé à diverses manifestations et aussi parlé contre la police, ce qui aurait attiré l'attention des policiers. Ceci étant dit, les incidents qui ont provoqué son départ de l'Inde remontent à l'été 2003. Ainsi, le demandeur allègue avoir reçu à cette époque la visite du mari de sa cousine, un dénommé Rasal Singh. Ce dernier a rendu visite au demandeur à sept ou huit reprises au cours des dix années précédentes. Il semble que Rasal qui se cache depuis 2002 est soupçonné par la police locale d'être associé à des militants. Lors de sa dernière visite, Rasal était accompagné de deux amis; les trois individus étaient armés. Rasal a alors demandé qu'on leur offre le gîte. Le demandeur a refusé mais il a changé d'avis après avoir été menacé par l'un des trois individus.

[3]                Ceci dit, le voisin du demandeur, un policier du nom de Bakshish Singh, aurait aperçu les trois individus à leur arrivée à la ferme du demandeur. Aussi, il s'est empressé d'alerter la police locale. Un raid a suivi, mais les trois individus ont pu prendre la fuite. Le demandeur affirme avoir été interrogé et torturé par la police pendant quelques jours. Le 13 avril 2004, il a été de nouveau arrêté et torturé. Son voisin policier lui alors dit que des militants ont été arrêtés et qu'ils ont avoué avoir caché des armes dans les champs du demandeur, après avoir acheté son silence. Au cours du même interrogatoire, on l'incite à quitter les rangs de l'AISSF. Il est relâché quelques jours plus tard suite au versement d'un pot-de-vin.

[4]                En juillet 2004, le voisin policier du demandeur meurt dans un accident de voiture. La police soupçonne alors le demandeur d'être impliqué dans cet accident mortel. On le torture à nouveau. Par la suite, le demandeur consulte un avocat afin que cessent ces agissements. La police l'intercepte néanmoins quelques jours plus tard. On l'accuse encore une fois d'avoir orchestré la mort de son voisin policier. Il est torturé avant d'être relâché quelques jours plus tard, après avoir encore une fois payé un pot-de-vin.

[5]                Le demandeur allègue également que sa famille a subi les sévices des policiers au mois de janvier 2005. Ceux-ci se sont rendus à la ferme du demandeur alors que ce dernier était absent. La femme et le père du demandeur ont alors été battus. C'est à cette époque que le demandeur a décidé de fuir l'Inde à l'aide de faux papiers.

DÉCISION CONTESTÉE

[6]                Dans la décision contestée, la Commission conclut au manque de crédibilité du demandeur. Celle-ci est d'avis que le demandeur s'est souvent contredit, que son histoire est parfois extraordinaire et qu'elle n'est pas plausible dans son ensemble. En particulier, la Commission ne juge pas plausible le fait que Rasal Singh, un individu soupçonné d'être associé aux militants, aurait choisi de demander le gîte au demandeur dans les circonstances spécifiques du dossier. La Commission fonde cette conclusion sur certains passages contradictoires du témoignage du demandeur portant sur la connaissance qu'aurait eu Rasal Singh de l'identité du voisin policier du demandeur. La Commission est aussi d'avis que le demandeur a inventé l'histoire concernant la mort accidentelle de son voisin. L'incapacité du demandeur à fournir des détails sur les circonstances entourant le décès de ce dernier, un individu qu'il dit avoir craint et dont on l'aurait accusé d'avoir orchestré la mort, affecte sa crédibilité. Enfin, la Commission ne croit pas que le demandeur ait pu devenir un sujet d'intérêt pour la police du seul fait de sa participation à des manifestations organisées par l'AISSF. D'ailleurs, la Commission ne croit pas que le demandeur ait parlé publiquement contre la police. À cet égard, la Commission note qu'il n'est pas question de telles dénonciations dans les notes au point d'entrée.

MOTIFS DE RÉVISION JUDICIAIRE

[7]                Le motif principal de révision dans cette affaire a trait au fait que le demandeur n'a pas pu interroger à l'audience l'agent d'immigration et l'interprète qui, le 31 mars 2005, ont recueilli les déclarations du demandeur à son arrivée au Canada. Or, le fait pour la Commission de se baser sur le contenu des notes au point d'entrée alors que le demandeur n'a pas pu interroger à l'audience les personnes qui y étaient présentes constitue une injustice grave. Subsidiairement, le demandeur affirme que la Commission n'a pas tenu compte des nombreux documents qui viennent appuyer son récit, en particulier le document médical et l'article de journal traitant du décès accidentel de son voisin, l'officier de police Bakshish Singh.

ANALYSE

[8]                Je suis d'avis que les reproches formulés par le demandeur à l'encontre de la décision contestée ne sont pas fondés.

[9]                En principe, la Commissionne peut pas fonder sa décision sur des faits déterminants dont le demandeur a été empêché à l'audience d'expliquer ou de contester. Ceci irait à l'encontre de l'équité procédurale et de la justice naturelle. Cependant, je m'empresse d'ajouter ici que ce n'est pas le cas en l'espèce. Le renvoi aux notes au point d'entrée porte sur un aspect non déterminant. D'ailleurs, le demandeur a pu fournir des explications, lors de l'audience, concernant le fait que les notes au point d'entrée ne font pas mention du fait que le demandeur aurait dénoncé publiquement des actes de brutalité policière (dossier du tribunal, pp. 355-57). En l'espèce, le caractère manifestement déraisonnable du recours aux notes au point d'entrée n'a pas été démontré à la satisfaction de cette Cour.

[10]            Il appartient exclusivement à la Commission d'accorder ou non une valeur probante aux diverses déclarations du demandeur. En l'espèce, la Commission pouvait dans la décision contestée se référer aux déclarations que le demandeur a pu faire à un agent d'immigration à son arrivée au Canada. En effet, lorsqu'il s'agit d'évaluer la crédibilité d'un demandeur d'asile, la jurisprudence reconnaît que la Commissionpeut tenir compte des contradictions entre le témoignage du demandeur, les documents au point d'entrée et son FRP : voir Mongu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1526 (C.F. 1re inst.) (QL); Sidhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1355 (C.F. 1re inst.) (QL).

[11]            D'autre part, en tant que tribunal indépendant et maître de sa propre procédure, la Commission peut toujours délivrer une citation à comparaître pour qu'un témoin se présente à l'audience afin qu'il y soit interrogé. Dans l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire, la Commission prend en considération tout élément pertinent. D'ailleurs, la règle 39(2) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles) précise :

(2) Pour décider si elle délivre une citation à comparaître, la Section prend en considération tout élément pertinent. Elle examine notamment :

a) la nécessité du témoignage pour l'instruction approfondie de l'affaire;

b) la capacité de la personne de présenter ce témoignage;

c) si la personne a accepté d'être citée à comparaître.

(2) In deciding whether to issue a summons, the Division must consider any relevant factors, including

(a) the necessity of the testimony to a full and proper hearing;

(b) the ability of the person to give that testimony; and

(c) whether the person has agreed to be summoned as a witness.

[12]            Or, un mois avant l'audience, l'ancien procureur du demandeur a déposé une requête auprès de la Commissionen vertu de la règle 38 des Règles, afin que l'agent d'immigration et l'interprète qui ont recueilli les déclarations du demandeur à son arrivée au Canada soient cités à comparaître, à moins que le Ministre ou la Commission ne renoncent à s'appuyer sur les notes au point d'entrée. En l'espèce, le 21 juillet 2005, un coordonnateur de la Commission a refusé d'accorder cette requête car le demandeur n'a pas alors réussi à démontrer la nécessité du témoignage des deux personnes visées. En effet, le coordonnateur a estimé que le demandeur n'avait fourni aucune explication tangible au soutien de sa demande de citation à comparaître. Les questions que le demandeur voulait poser à l'agent de l'immigration et à l'interprète ont alors été jugées trop vagues et non fondées sur le dossier. Ainsi, le demandeur n'a pas su démontrer la nécessité de leur présence à l'audience.

[13]            À mon avis, la présente affaire doit être distinguée de l'affaire Kusi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 523 (C.F. 1re inst.) (QL). Dans Kusi, le demandeur soutenait que les réponses consignées dans les notes de l'agent d'immigration au point d'entrée étaient inexactes. Dans la présente affaire, le demandeur n'a avancé aucun argument quant au contenu inexact de l'interrogatoire au point d'entrée. D'ailleurs, le demandeur ne mentionne aucun élément spécifique découlant de son propre dossier qui lui permettrait d'appuyer ses prétentions. Le seul fait que la requête n'ait pas été accordée par le coordonnateur de la Commission avant l'audition n'est pas, à lui seul, un motif suffisant qui permet de conclure à un manquement à la justice naturelle ou à l'équité procédurale.

[14]            J'estime que le non-respect des règles de justice naturelle ou d'équité procédurale ne se présume pas. Or, les parties ont été avisées avant la tenue de l'audition que les documents d'immigration faisaient partie de la documentation susceptible d'être examinée par la Commission. Ceci inclut bien entendu les notes au point d'entrée. À l'audience, le procureur du demandeur ne s'est pas objecté à ce que le contenu des notes au point d'entrée soit utilisé par la Commission. Faut-il le rappeler, le refus du coordonateur d'émettre une citation à comparaître n'était pas une décision finale. Rien n'empêchait le procureur du demandeur de réitérer à l'audience la même demande. Quoi qu'il en soit, il n'a pas été démontré ici que la présence à l'audition de l'agent d'immigration et de l'interprète étaient nécessaires dans les circonstances.

[15]            L'argument subsidiaire du demandeur m'apparaît également non fondé. La crédibilité et la valeur probante à attribuer à la preuve sont du ressort exclusif de la Commission. À cet égard, la Commission est présumée avoir tenu compte de l'ensemble de la preuve au dossier sans qu'il faille l'obliger à commenter chaque pièce qui s'y trouve : voir Florea c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.) (QL). En tout état de cause, le demandeur n'a pas réussi à démontrer que les conclusions de la Commission sont manifestement déraisonnables.

[16]            La présente demande de contrôle judiciaire doit donc échouer.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question d'importance générale n'a été soulevée et aucune question ne sera certifiée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-6684-05

INTITULÉ :                                        Kirpal Singh c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 24 mai 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                       Le 31 mai 2006

COMPARUTIONS:

Me Jean-François Bertrand

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Evan Liosis

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Bertrand Deslauriers

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

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