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Date : 20230130


Dossier : IMM-2415-21

Référence : 2023 CF 137

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2023

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE:

DARLIN MELISSA LAZO DISCUA,

EMELY MONSERRATH MEJIA LAZO

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. APERÇU

[1] Darlin Melissa Lazo Discua, la demanderesse principale, et Emely Monserrath Mejia Lazo, sa fille de huit ans, affirment qu’elles sont des citoyennes du Honduras. Elles ont demandé l’asile au Canada au motif qu’elles couraient un risque de la part de la Mara Salvatrucha (aussi connue sous le nom de MS‑13), un groupe criminel au Honduras. Leurs demandes ont toutefois été rejetées, principalement parce que la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la CISR) a conclu qu’elles n’avaient pas établi leur identité nationale.

[2] Les demanderesses sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Elles affirment que l’assistance de leur avocat devant la SPR était inefficace et que, de toute façon, la décision de la SPR est déraisonnable.

[3] Pour les motifs qui suivent, je suis convaincu que les demanderesses ont démontré que la conduite de leur ancien conseil (un avocat) ne respectait pas la norme de l’assistance et du jugement professionnel raisonnable, et que cela a occasionné une erreur judiciaire. Par conséquent, une nouvelle décision s’impose en ce qui concerne leurs demandes d’asile. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner l’argument subsidiaire des demanderesses selon lequel la décision de la SPR est déraisonnable, hormis à un égard.

II. CONTEXTE

[4] La demanderesse principale affirme qu’elle est née à Comayagua, au Honduras, en octobre 1993. Sa fille est née au Honduras en avril 2014.

[5] Les demanderesses sont entrées au Canada pour la première fois à Fort Erie (Ontario) le 16 mai 2019. Elles ont immédiatement demandé l’asile. Elles se trouvaient aux États-Unis, sans statut juridique, depuis la fin septembre 2018, et avaient quitté leur domicile au Honduras au début du mois. Après avoir été contrôlées par les autorités américaines et brièvement détenues en Arizona, les demanderesses se sont rendues à Kansas City, dans le Missouri, où elles ont séjourné chez une amie de Mme Lazo Discua jusqu’à leur départ pour le Canada.

[6] Lorsque les demanderesses sont entrées au Canada, le mari de la demanderesse principale (et le père de la demanderesse mineure), Ronal Donary Mejia Bonilla, était déjà au pays muni d’un permis de travail. M. Mejia Bonilla travaillait au Canada depuis 2015 en tant qu’ouvrier agricole. Il retournait au Honduras environ un mois chaque année. Son dernier permis de travail, qui avait été délivré en janvier 2018, était valide jusqu’en janvier 2020.

[7] M. Mejia Bonilla et Mme Lazo Discua se sont rencontrés en 2012. Ils se sont officiellement mariés au Honduras en août 2018 après avoir vécu en union de fait pendant plusieurs années.

[8] En mars 2019, M. Mejia Bonilla est revenu au Canada pour la dernière fois, muni de son permis de travail. (Il semble que, pendant que les demanderesses se trouvaient aux États-Unis, M. Mejia Bonilla a été appréhendé par les autorités américaines alors qu’il tentait d’y entrer illégalement depuis le Canada. Il a été renvoyé au Honduras, mais est revenu au Canada environ un mois plus tard.) Les demanderesses ont été jugées admissibles à ce que leur dossier soit déféré à la SPR parce que M. Mejia Bonilla se trouvait au Canada lorsqu’elles ont demandé l’asile au point d’entrée.

[9] À leur arrivée au point d’entrée, les demanderesses se sont présentées en tant que ressortissantes du Honduras. Comme preuve de citoyenneté, Mme Lazo Discua a présenté son certificat de naissance et celui de sa fille. Elle a aussi présenté une copie de son certificat de mariage ainsi qu’une carte d’identité sur laquelle figuraient son nom ainsi qu’une photographie, laquelle avait été délivrée par le centre Westside Community Action Network Center, Inc., à Kansas City. L’Agence des services frontaliers du Canada a par la suite transmis des copies de ces documents à la SPR.

[10] Les demanderesses ont rempli le formulaire Fondement de la demande d’asile ainsi que d’autres formulaires avec l’aide de leur ancien avocat. Dans ces documents, elles se sont de nouveau présentées comme des ressortissantes du Honduras. Cependant, Mme Lazo Discua a déclaré, dans son Formulaire de demande générique pour le Canada, que ni elle ni sa fille n’avait de passeport ou de documents d’identité nationaux. (Plus tard, à l’audience devant la SPR, Mme Lazo Discua a expliqué qu’elle avait déjà eu une carte d’identité nationale, mais qu’elle l’avait remise aux autorités d’immigration aux États-Unis et ne l’avait jamais récupérée.) Dans le formulaire figurant à l’Annexe 12 – Demandeurs d’asile au Canada, où elles devaient inscrire les documents à l’appui dont elles disposaient, les demanderesses ont seulement mentionné leurs certificats de naissance honduriens respectifs, qui étaient authentiques selon elles.

[11] M. Mejia Bonilla a présenté sa propre demande d’asile au Canada en juillet 2019. C’est le même avocat que celui qui avait aidé les demanderesses qui l’a aidé à préparer sa demande. M. Mejia Bonilla a présenté son passeport hondurien valide afin de prouver son identité et sa citoyenneté.

[12] Pendant que les demandes d’asile étaient en instance, l’ancien avocat des demanderesses a reçu, de la part de la SPR, une trousse de divulgation datée du 30 septembre 2020. Cette trousse comprenait des copies des documents que M. Mejia Bonilla avait présentés à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) à l’appui de ses demandes de permis de travail canadien. Parmi ces documents, il y avait une photocopie de la carte d’identité hondurienne de Mme Lazo Discua et une copie d’un document en espagnol confirmant que Mme Lazo Discua était en union civile avec M. Mejia Bonilla. Fait important, une photographie de Mme Lazo Discua figurait sur la carte d’identité nationale.

[13] Dans une lettre d’accompagnement datée du 18 janvier 2021, l’ancien avocat des demanderesses a communiqué des documents à la SPR concernant la demande d’asile de Mme Lazo Discua. La liste de documents de la demanderesse comprenait [traduction] « le formulaire Fondement de la demande d’asile et le passeport international de la demanderesse – au dossier devant la CISR ». Comme nous le verrons plus loin, dans les faits, aucun passeport ne figurait dans le [traduction] « dossier » dont la SPR était saisie, car Mme Lazo Discua n’a jamais eu de passeport.

[14] La SPR a entendu les demandes d’asile des demanderesses (et de M. Mejia Bonilla) par vidéoconférence le 9 février 2021. L’ancien avocat des demanderesses représentait les trois demandeurs lors de l’audience.

[15] Le commissaire de la SPR a interrogé Mme Lazo Discua et M. Mejia Bonilla au sujet de leur expérience au Honduras. Il n’a posé aucune question à M. Mejia Bonilla concernant ses pièces d’identité. En revanche, il a posé plusieurs questions à Mme Lazo Discua à ce sujet.

[16] Mme Lazo Discua a répondu ce qui suit lorsque le commissaire lui a demandé quels documents elle avait apportés lorsqu’elle a quitté le Honduras : [TRADUCTION] « Ma carte d’identité et le certificat de naissance de ma fille ». Peu de temps après, le commissaire a eu l’échange suivant avec Mme Lazo Discua :

[traduction]

Commissaire : Où est votre passeport hondurien?

Mme Lazo : Je n’ai pas de passeport, je n’ai pas apporté mon passeport, j’ai seulement ma carte d’identité.

Commissaire : Donc, vous n’avez jamais eu de passeport?

Mme Lazo : Non.

Commissaire : Dans les documents relatifs à votre demande d’asile, vous avez dit… vous avez écrit que vous n’aviez pas de passeport ou de carte d’identité nationale valides, n’est-ce pas?

Mme Lazo : Oui, oui, les autorités d’immigration ont pris ma carte d’identité lorsque je suis entrée aux États‑Unis, puis j’ai obtenu une pièce d’identité aux États-Unis juste pour en avoir une.

Commissaire : Mais la pièce d’identité que vous avez obtenue aux États-Unis n’a pas été délivrée par le Honduras, n’est-ce pas?

Mme Lazo : Non.

Commissaire : Donc, vous avez traversé au moins trois pays sans aucun passeport.

Mme Lazo : Oui.

Commissaire : Où est le passeport de votre fille?

Mme Lazo : Elle n’en a pas non plus, j’avais le certificat de naissance de ma fille.

Commissaire : Vous êtes au Canada depuis maintenant près de deux ans. Pourquoi n’avez-vous pas cherché à obtenir des passeports pour vous et votre fille auprès de l’ambassade du Honduras au Canada?

Mme Lazo : Je ne sais pas, je, je ne savais pas que je devais, que je devais en avoir un.

Commissaire : Donc, vous, vous et votre fille, n’avez aucune pièce d’identité avec photo délivrée par le gouvernement du Honduras?

Mme Lazo : Non, ma fille a seulement un certificat de naissance.

Commissaire : D’accord, mais un certificat de naissance n’est pas une pièce d’identité avec photo?

Mme Lazo : Non, avec la photo, non, c’est juste le papier brun qu’ils nous ont donné au Canada.

[17] L’ancien avocat des demanderesses n’a posé aucune question à Mme Lazo Discua au sujet de ses pièces d’identité.

[18] Après que Mme Lazo Discua et M. Mejia Bonilla ont terminé leur témoignage, le commissaire de la SPR a eu l’échange suivant avec leur ancien avocat :

[traduction]

Commissaire : D’accord, donc mes préoccupations sont les suivantes : en ce qui concerne la demanderesse principale, Darlin, et la demanderesse mineure, mes préoccupations portent sur la question de l’identité. J’ai vraiment besoin de vous entendre à ce sujet. En ce qui concerne Ronal, le demandeur d’asile associé, de toute évidence, il y a des incohérences entre son récit et celui de sa femme, et en ce qui concerne la viabilité d’une possibilité de refuge intérieur. J’aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.

Avocat : Je n’ai que peu d’observations à formuler au sujet de ces questions.

Commissaire : (inaudible)

Avocat : En ce qui concerne l’identité de la demanderesse principale et de la demanderesse mineure, je n’ai aucune pièce d’identité sur laquelle je peux me fonder actuellement…

Commissaire : Ouais.

Avocat : … mais je vous demanderais de vous fonder sur l’affirmation du demandeur adulte, qui a identifié les demanderesses comme étant sa femme et sa fille.

Commissaire : D’accord.

Avocat : Dans les circonstances où son identité a été établie, ce que nous savons, c’est que son identité à lui n’est pas en cause et qu’il a identifié la mère (sa femme) et sa fille. Je vous demande d’accepter que cela est suffisant pour établir leur identité. En outre, je demanderais au commissaire d’accorder aux demandeurs la possibilité de présenter des pièces d’identité supplémentaires après l’audience. J’insiste donc sur l’information qui est accessible à l’heure actuelle, c’est-à-dire le témoignage du père, qui a identifié la femme et la fille, et sur le fait que nous sollicitons la possibilité de voir s’ils sont en mesure d’obtenir des documents supplémentaires après l’audience.

[19] Le commissaire a déclaré ce qui suit après avoir entendu l’avocat sur le fond des demandes :

Commissaire : Monsieur l’avocat, je ne suis pas enclin à accepter la communication de documents après l’audience pour les motifs suivants : la LIPR et les règles de la Section de la protection des réfugiés indiquent très clairement que tous les demandeurs d’asile qui comparaissent devant la Commission sont tenus de présenter des documents pour établir, selon la prépondérance des probabilités, leur identité personnelle. En outre, s’ils ne l’ont pas fait, ils doivent déployer des efforts raisonnables pour obtenir ces documents avant l’audience ou donner une explication raisonnable à savoir pourquoi ils ne l’ont pas fait. Et dans l’affaire, dans l’affaire dont je suis saisi, la demanderesse principale a indiqué très clairement qu’elle n’a pas essayé d’obtenir une pièce d’identité avec photo délivrée par le gouvernement, que ce soit un passeport ou une carte d’identité nationale, et, par conséquent, je suis tenu d’évaluer son explication, c’est-à-dire qu’elle ne savait pas que cela était nécessaire. […] Je dois évaluer le caractère raisonnable de cette explication dans le contexte de la demande, vous savez, d’autant plus qu’ils sont représentés par un avocat et que tous les avocats sont présumés compétents et capables de faire leur travail efficacement. Et donc, vous savez, je ne vais pas rendre ma décision aujourd’hui. Je vais examiner vos observations et votre, votre argument selon lequel je peux, vous savez, reconnaître l’identité de la demanderesse mineure et de la demanderesse principale sur la base du témoignage du mari, mais je ne suis pas enclin à accepter une audience postérieure à cet égard, et ce sont là mes motifs.

[20] Par la suite, le commissaire a pris l’affaire en délibéré.

III. DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[21] Dans une décision datée du 9 mars 2021, le commissaire de la SPR a conclu que les demanderesses n’avaient pas établi leur identité personnelle et nationale. Pour cette raison, il avait aussi de sérieuses réserves quant à la crédibilité de la demanderesse principale. Par conséquent, les demandes d’asile ont été rejetées.

[22] La SPR a également rejeté la demande de M. Mejia Bonilla, mais, dans son cas, elle a uniquement soulevé des motifs liés à sa crédibilité (puisque la SPR avait conclu qu’il avait établi son identité à l’aide de son passeport hondurien). Contrairement aux demanderesses, M. Mejia Bonilla avait le droit d’interjeter appel de cette décision devant la Section d’appel des réfugiés de la CISR. Par conséquent, il n’est pas partie à la présente demande.

[23] La SPR a conclu que Mme Lazo Discua n’avait fait aucune tentative pour obtenir un passeport ou une pièce d’identité avec photo, délivrée par le gouvernement, pour elle-même ou pour sa fille. Mme Lazo Discua a affirmé qu’elle ne savait pas qu’elle devait détenir un passeport ou une pièce d’identité avec photo délivrée par le gouvernement, mais le commissaire a conclu que cette explication n’était pas crédible compte tenu du fait que, pendant toute la période pertinente, les demanderesses étaient représentées par un avocat, présumé compétent, qui aurait dû informer Mme Lazo Discua de l’importance d’obtenir des documents pour établir son identité. Le commissaire a donc tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité globale de Mme Lazo Discua pour ce motif.

[24] Le commissaire a reconnu que Mme Lazo Discua avait présenté des certificats de naissance pour elle-même et pour sa fille, ainsi qu’une carte d’identité avec photo délivrée par le centre Westside Community Action Network. Le commissaire a conclu que, même si les certificats de naissance comprenaient des renseignements compatibles avec l’identité revendiquée par les demanderesses, il ne s’agissait pas d’une pièce d’identité avec photo délivrée par le gouvernement du Honduras. Le commissaire était d’avis que « [n]’importe qui pourrait […] posséder » ces documents. En ce qui concerne la carte d’identité avec photo, il a affirmé qu’« étant donné que la demandeure d’asile principale affirme que sa seule source de pièces d’identité délivrées par le gouvernement a été saisie par les autorités américaines, il est difficile de savoir quelle pièce d’identité délivrée par le gouvernement le Westside Community Action Network Center a utilisée pour vérifier son identité, le cas échéant ».

[25] Le commissaire a fait remarquer que tous les demandeurs d’asile sont tenus de présenter des documents établissant, selon la prépondérance des probabilités, leur identité personnelle et nationale, ou de donner une explication raisonnable pour justifier le fait qu’ils n’ont pas ces documents. Le commissaire a conclu que les demanderesses n’avaient pas présenté de tels documents malgré le fait qu’elles aient été représentées par un avocat pendant près de deux ans.

[26] Le commissaire a aussi fait remarquer que, puisque la demanderesse principale a « traversé plusieurs pays d’Amérique du Sud, dont bon nombre sont bien connus pour produire des documents frauduleux [renvoi omis], il est encore plus important de bien vérifier son identité et celle de sa fille ».

[27] Le commissaire a jugé que l’identification des demanderesses par M. Mejia Bonilla n’était pas une preuve suffisante pour établir leur identité. Selon le commissaire, « la loi est très claire quant à ce qui est nécessaire pour s’acquitter du fardeau qui incombe aux demandeurs d’asile ». Il a conclu que, « comme le témoignage du demandeur d’asile associé est par nature intéressé, il n’a pas la fiabilité et l’impartialité inhérentes qui sont nécessaires pour l’établissement de l’identité d’une personne ».

[28] Enfin, en ce qui concerne le fondement des demandes d’asile, la SPR a conclu que « la demandeure d’asile principale et le demandeur d’asile associé avaient de graves problèmes de crédibilité qui n’ont pas été expliqués adéquatement », ce qui a mené le commissaire à conclure qu’ils « n’étaient de toute façon pas crédibles en tant que témoins, selon la prépondérance des probabilités ».

IV. ANALYSE

A. Assistance inefficace de l’avocat

[29] Le principal motif soulevé par les demanderesses à l’appui de leur demande de contrôle judiciaire contre la décision de la SPR est l’assistance inefficace de leur ancien avocat.

[30] Le cadre régissant l’appréciation d’une allégation d’assistance inefficace de l’avocat dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre de la LIPR est bien établi. Tout d’abord, comme condition préalable à l’examen de la question par la cour de révision, le demandeur doit démontrer que son ancien avocat a eu une possibilité raisonnable de répondre aux allégations. Ensuite, en ce qui concerne le bien‑fondé des allégations, le demandeur doit démontrer que la conduite de son ancien avocat relevait de la négligence ou de l’incompétence (le volet examen du travail de l’avocat) et qu’une erreur judiciaire en a résulté (le volet appréciation du préjudice). Voir, entre autres affaires, les décisions Hamdan c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 643 aux para 36-38; Gombos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 850 au para 17; Satkunanathan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 470 aux para 33-39; Nik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 522 aux para 22-24.

[31] Étant donné que la question de l’assistance inefficace est soulevée pour la première fois dans le cadre du contrôle judiciaire, l’application de ce critère ne fait pas intervenir de norme de contrôle à proprement parler.

[32] Les trois éléments de ce cadre sont en cause en l’espèce. Je les examinerai un à un.

1) Avis à l’ancien avocat

[33] La Cour a adopté un protocole énonçant la procédure à suivre lorsqu’une allégation d’assistance inefficace de l’avocat est considérée comme un motif de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR et, en outre, lorsque ce motif est effectivement avancé. (Le protocole s’applique aussi aux allégations formulées contre un ancien représentant autorisé.)

[34] Dans la présente affaire, lorsque l’allégation contre l’ancien avocat a été soulevée pour la première fois, la procédure à suivre a été énoncée dans le protocole procédural de la Cour fédérale concernant les allégations formulées contre les avocats ou contre d’autres représentants autorisés au cours des instances de la Cour fédérale en matière de citoyenneté, d’immigration et de personnes à protéger (7 mars 2014). Le protocole a depuis été intégré sans modification dans les Lignes directrices consolidées pour les instances d’immigration, de statut de réfugié et de citoyenneté (24 juin 2022) (voir les paragraphes 46-54). Il aide à garantir que tous les renseignements pertinents sont présentés à la Cour lorsqu’une allégation est formulée contre un ancien avocat. Il vise aussi à garantir que l’ancien avocat, dont la compétence est mise en doute et dont la réputation professionnelle est en jeu pour cette raison, a droit à l’équité procédurale.

[35] Le protocole prévoit la transmission d’un avis à l’ancien avocat ainsi que la possibilité pour celui-ci de répondre à l’allégation d’assistance inefficace à trois moments clés. Premièrement, avant de soulever la question devant la Cour, l’avocat actuellement saisi du dossier doit informer, par écrit, l’ancien avocat de l’allégation dont il fait l’objet, l’aviser que la question pourrait être soulevée dans le cadre d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, et lui demander s’il souhaite répondre à l’allégation. Cet avis doit notamment comprendre « suffisamment de détails » au sujet de l’allégation. Deuxièmement, si, après avoir examiné les renseignements accessibles (y compris la réponse de l’ancien avocat), l’avocat actuellement saisi du dossier décide de soulever l’allégation comme motif de contrôle judiciaire, la demande mise en état doit être signifiée à l’ancien avocat et une preuve de cette signification doit être produite devant la Cour. Si l’ancien avocat répond ensuite à l’allégation telle qu’elle a été soulevée dans le dossier de la demande, l’avocat actuellement saisi du dossier doit transmettre cette réponse à la Cour. L’avocat actuellement saisi du dossier doit aussi transmettre des documents en réponse à la réponse de l’ancien avocat. L’ensemble de ces documents sont pris en compte par la Cour lorsqu’elle tranche la demande d’autorisation. Troisièmement, si la Cour accueille la demande de contrôle judiciaire, l’avocat actuellement saisi du dossier doit transmettre à l’ancien avocat une copie de l’ordonnance accordant l’autorisation et fixant la date de l’audience. Ainsi, l’ancien avocat a la possibilité de solliciter l’autorisation d’intervenir dans le contrôle judiciaire s’il le souhaite.

[36] Le défendeur fait valoir que je devrais refuser d’examiner le bien-fondé des allégations portées contre l’ancien avocat des demanderesses parce que leur avocate actuelle ne s’est pas conformée au protocole. Je ne suis pas d’accord. Comme je vais l’expliquer, bien que les efforts de l’avocate actuelle n’aient pas été à la hauteur des pratiques exemplaires, je suis convaincu qu’elle a respecté le protocole sur le fond. Plus important encore, je suis convaincu que les erreurs de l’avocate actuelle n’ont pas porté préjudice à l’ancien avocat ou à la fonction d’appréciation des faits de la Cour.

[37] D’abord, je suis convaincu que la première exigence relative à la transmission d’un avis à l’ancien avocat, telle qu’elle est énoncée dans le protocole, a été remplie. En effet, le défendeur ne soutient pas le contraire.

[38] Avant de mettre en état la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, l’avocate actuellement saisie du dossier a envoyé une lettre à l’ancien avocat le 25 juin 2021. Comme je l’expliquerai plus loin, la principale préoccupation des demanderesses concerne la manière dont leur ancien avocat a abordé la question de leur identité nationale, notamment lorsqu’il a rassemblé et présenté la preuve à l’appui de leur allégation selon laquelle elles sont des citoyennes du Honduras. La lettre du 25 juin 2021 énonçait clairement les préoccupations des demanderesses concernant la manière dont leur ancien avocat avait abordé cette question. La lettre énonçait trois sujets de préoccupation en particulier. (J’y reviendrai plus loin.) La lettre indiquait qu’aucune décision définitive n’avait été prise à savoir s’il convenait de soulever une allégation d’assistance inefficace comme motif de contrôle judiciaire, et que toute réponse présentée par l’ancien avocat serait prise en compte au moment de rendre cette décision.

[39] L’ancien avocat a présenté une lettre, datée du 28 juin 2021, dans laquelle il répondait aux questions qui lui étaient adressées dans la lettre du 25 juin 2021. Les deux lettres sont jointes comme pièces à l’affidavit souscrit par Mme Lazo Discua à l’appui de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. La lettre de l’ancien avocat comprend des extraits de courriels qu’il avait échangés plus tôt avec l’avocate actuellement saisie du dossier concernant les allégations des demanderesses. Par conséquent, il est clair que l’ancien avocat était au courant des allégations avant même de recevoir la lettre du 25 juin 2021.

[40] Le dossier de demande des demanderesses (qui comprenait l’affidavit de Mme Lazo Discua) a été signifié au défendeur et déposé auprès de la Cour le 9 juillet 2021. Comme il ressort de ce dossier, les demanderesses avaient décidé de soulever la question de l’assistance inefficace de leur ancien avocat comme motif de contrôle judiciaire. Le 22 juillet 2021, leur avocate actuelle a envoyé par courriel une copie du dossier de la demande à leur ancien avocat. La preuve relative à la signification du dossier de demande à l’ancien avocat n’a pas été déposée auprès de la Cour. Cependant, comme je l’expliquerai dans un instant, il ne fait aucun doute que l’ancien avocat a reçu le dossier de demande. Par conséquent, je suis convaincu que la deuxième exigence concernant l’avis à l’ancien avocat a aussi été remplie.

[41] L’ancien avocat des demanderesses a écrit à leur avocate actuelle ainsi qu’à l’avocate du défendeur le 27 juillet 2021. Il a confirmé avoir reçu le dossier de demande par courriel le 22 juillet 2021. Il a soulevé plusieurs objections quant à la manière dont l’avocate actuelle des demanderesses a présenté sa position (telle qu’elle est énoncée dans sa lettre du 28 juin 2021) dans ses observations écrites à l’appui de la demande d’autorisation. Néanmoins, il a conclu sa lettre de la façon suivante : [TRADUCTION] « Toutefois, étant donné que ma lettre figure dans les dossiers de la demande à titre de pièce « F », je n’ai pas besoin de faire d’autres déclarations autrement que de laisser ma lettre parler d’elle-même, ainsi que la description de ma lettre par [l’avocate actuelle] [sic] ».

[42] Aux termes du protocole, l’avocate actuelle des demanderesses aurait dû transmettre cette lettre à la Cour avant qu’une décision ne soit rendue concernant la demande d’autorisation. Elle ne l’a pas fait. Or, en l’occurrence, le défendeur ne s’est pas opposé à l’autorisation. (Cette position a été communiquée à la Cour dans une lettre datée du 9 août 2021.) De plus, l’ancien avocat avait clairement indiqué qu’il n’avait rien d’autre à ajouter de plus que ce qui était écrit dans sa lettre du 28 juin 2021. Par conséquent, je suis convaincu que le défaut de l’avocate de se conformer au protocole à cet égard n’a causé aucun préjudice à l’étape de l’autorisation.

[43] L’autorisation de contrôle judiciaire a été accordée dans une ordonnance datée du 15 février 2022. L’audition de la demande a été fixée au 11 mai 2022.

[44] La lettre de l’ancien avocat, datée du 27 juillet 2021, a finalement été présentée à la Cour comme pièce d’un affidavit déposé par le défendeur après que l’autorisation a été accordée. Cette étape n’aurait pas été nécessaire si l’avocate actuelle des demanderesses avait suivi le protocole. Néanmoins, puisque la Cour est saisie de la lettre du 27 juillet 2021, je suis convaincu que l’objectif consistant à garantir que la Cour a pris connaissance de la réponse de l’ancien avocat à l’allégation d’assistance inefficace (telle qu’elle est présentée dans la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire) a été respecté. Quoi qu’il en soit, comme je l’ai déjà souligné, cette réponse n’ajoute rien d’important à la réponse initiale de l’ancien avocat, datée du 25 juin 2021, qui était déjà consignée au dossier.

[45] Le mémoire supplémentaire du défendeur a été signifié et déposé le 20 avril 2022. Dans ce mémoire, le défendeur faisait remarquer que les demanderesses n’avaient présenté aucune preuve démontrant qu’elles avaient transmis l’ordonnance accordant l’autorisation à leur ancien avocat, comme l’exige le protocole. Pour ce motif, le défendeur a soutenu que la Cour ne devrait pas entendre les allégations formulées contre l’ancien avocat.

[46] Le 11 mai 2022, à l’audition de la présente demande, l’avocate des demanderesses a informé la Cour qu’elle avait récemment transmis à l’ancien avocat une copie de l’ordonnance accordant l’autorisation (vraisemblablement en raison de la position adoptée par le défendeur dans son mémoire des arguments). Elle a aussi fait savoir à la Cour que l’ancien avocat lui avait confirmé qu’il ne souhaitait pas participer davantage à la procédure.

[47] Il s’agit du deuxième point où, à mon avis, les actions de l’avocate actuelle n’étaient pas conformes aux pratiques exemplaires. Elle n’aurait pas dû se mettre dans la position embarrassante d’avoir à présenter, à l’audition de la demande, des éléments de preuve concernant la réception, par l’ancien avocat, de l’ordonnance accordant l’autorisation ainsi que sa réponse à cette ordonnance. Il s’agissait d’une question importante et potentiellement litigieuse qui aurait dû être traitée d’une autre manière.

[48] De plus, même si cette partie du protocole n’est peut-être pas libellée aussi précisément qu’elle pourrait l’être, il ne fait aucun doute que la raison pour laquelle une copie de l’ordonnance accordant l’autorisation est transmise à l’ancien avocat est de l’avertir qu’un fait nouveau et important est survenu (l’autorisation a été accordée) ainsi que de lui donner une possibilité raisonnable de décider s’il souhaite demander l’autorisation d’intervenir dans la demande de contrôle judiciaire. Par conséquent, en l’espèce, l’ordonnance accordant l’autorisation aurait dû être transmise à l’ancien avocat le plus tôt possible à la suite de sa réception par les demanderesses. Je ferais aussi remarquer que, même si le protocole ne l’exige pas, le fait de transmettre à la Cour une preuve selon laquelle l’ordonnance a été transmise à l’ancien avocat en temps opportun éliminerait toute préoccupation à savoir si ce dernier savait que l’autorisation avait été accordée, et s’il avait quelque chose à ajouter sur la question relative à sa conduite.

[49] À la lumière du contenu de la lettre envoyée par l’ancien avocat le 27 juillet 2021, il n’était peut-être pas déraisonnable pour l’avocate actuelle des demanderesses de supposer que leur ancien avocat ne souhaitait pas participer davantage à l’affaire même dans le cas où l’autorisation était accordée. Néanmoins, l’ordonnance accordant l’autorisation aurait dû lui être transmise beaucoup plus tôt qu’elle ne l’a été.

[50] Cela étant dit, comme je l’ai indiqué à l’audience, je suis prêt à accepter les observations de l’avocate actuelle des demanderesses à titre d’officière de justice. Par conséquent, je suis convaincu que l’ancien avocat sait que l’autorisation a été accordée. Je suis aussi convaincu qu’il a maintenu sa position selon laquelle il n’avait rien à ajouter à ce qu’il avait déjà déclaré en réponse aux allégations portées contre lui.

[51] Pour ces motifs, bien que le protocole n’ait pas été respecté à la lettre, je suis convaincu qu’il l’a été en substance. Par conséquent, je suis aussi convaincu que la Cour est dûment saisie de la question relative à la conduite de l’ancien avocat, et que celle-ci doit être tranchée sur le fond. (Incidemment, je souligne que, dans la décision Nik, la juge Fuhrer a aussi examiné sur le fond une allégation relative à l’assistance inefficace de l’avocat même si le protocole n’avait pas été entièrement respecté : voir la décision Nik, au para 26.)

2) Volet de l’examen du travail de l’avocat

[52] À ce stade, les demanderesses doivent s’acquitter d’un fardeau à deux volets. Elles doivent établir les faits sur lesquels elles s’appuient pour contester la conduite de leur ancien avocat et démontrer que cette conduite ne respectait pas la norme de l’assistance ou du jugement professionnel raisonnable. Voir R c GDB, [2000] 1 RCS 520 au para 27.

[53] Les demanderesses doivent satisfaire à un critère exigeant pour établir le volet examen du travail de l’avocat dans le cadre de leur allégation d’assistance non effective. En effet, il existe une forte présomption que la conduite de leur ancien avocat se situait à l’intérieur du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable (GDB, au para 27). La cour de révision se gardera bien de remettre en question les décisions tactiques de l’avocat; la sagesse rétrospective n’a pas sa place dans l’évaluation (ibid). De plus, l’expression d’une insatisfaction d’ordre général à l’égard de la conduite de l’ancien avocat est insuffisante; la négligence ou l’incompétence alléguée doit ressortir de la preuve de façon claire et précise (Shirwa c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1re INST), [1994] 2 CF 51 au para 12). Les explications présentées par l’ancien avocat pour justifier sa conduite, le cas échéant, peuvent constituer une partie importante de l’évaluation.

[54] Dans sa lettre du 25 juin 2021, l’avocate actuelle des demanderesses a demandé à leur ancien avocat de répondre à des questions portant sur trois points relatifs à la preuve concernant leur identité. Tout d’abord, elle lui a demandé s’il avait discuté avec Mme Lazo Discua de la nature des documents d’identité personnelle que celle-ci devait rassembler et présenter à la SPR afin d’établir son identité personnelle et celle de sa fille. Deuxièmement, elle lui a demandé s’il avait rencontré Mme Lazo Discua avant l’audition de la demande d’asile pour la préparer à répondre aux questions susceptibles d’être soulevées à l’audience, notamment en ce qui concerne son identité personnelle. Troisièmement, elle lui a posé un certain nombre de questions au sujet de la carte d’identité nationale hondurienne de Mme Lazo Discua. En particulier, elle avait déterminé que la trousse de divulgation que la SPR avait fournie à l’ancien avocat comprenait une copie de la carte d’identité de Mme Lazo Discua ainsi qu’une copie d’un certificat confirmant son union de fait avec M. Mejia Bonilla (voir le paragraphe 12 des présents motifs). Pour cette raison, l’avocate actuelle des demanderesses voulait savoir si l’ancien avocat avait fait traduire ces documents et les avait déposés auprès de la SPR. Elle voulait savoir pourquoi ces documents n’avaient pas été traduits ou déposés auprès de la SPR, le cas échéant.

[55] Comme je l’ai déjà mentionné, l’ancien avocat des demanderesses a répondu à cette lettre dans sa lettre du 28 juin 2021. En résumé, il a répondu de la façon suivante aux questions qui lui étaient posées :

  • Il n’a pas eu de discussion concrète avec Mme Lazo Discua concernant une pièce d’identité principale comme un passeport ou une pièce d’identité nationale. Lorsqu’il a commencé à travailler avec elle, il a [traduction] « présumé que la Commission disposait de sa pièce d’identité principale ».

  • Sa pratique consiste à fournir à ses clients une liste de contrôle qui énonce les documents requis pour présenter une demande d’asile, y compris les documents à l’appui comme les pièces d’identité. La liste de contrôle donne des exemples de documents d’identité principaux et secondaires. Elle précise également ce qui suit : [traduction] « votre demande sera très probablement rejetée si votre identité n’est pas établie de manière satisfaisante ». L’ancien avocat croyait avoir fourni une copie de la liste de contrôle à Mme Lazo Discua en mai 2019. De plus, cette dernière était présente en juillet 2019 lorsqu’il a donné cette même liste de contrôle à son mari, M. Mejia Bonilla.

  • Compte tenu de toutes les rencontres auxquelles elle a assisté et de la liste de contrôle qu’elle a reçue, Mme Lazo Discua [traduction] « connaissait l’importance des pièces d’identité ».

  • Il a rempli le Formulaire de demande générique pour le Canada pour Mme Lazo Discua. Elle a répondu « non » à la question de savoir si elle avait un passeport ou une carte d’identité nationale. Selon l’ancien avocat, [traduction] « elle a déclaré qu’elle n’avait aucune pièce d’identité ».

  • Il a rencontré Mme Lazo Discua [traduction] « à plusieurs reprises » en préparation de l’audience relative à la demande d’asile. Il a toujours compris qu’elle n’avait pas d’autres pièces d’identité [traduction] « que celles qu’elle lui avait présentées ».

  • Lorsqu’il se préparait en vue de l’audience, il a discuté de l’accessibilité de la preuve documentaire à l’appui de la demande (y compris la preuve relative à l’identité pour les tiers qui présentaient une preuve à l’appui de la demande), mais celle-ci visait [traduction] « essentiellement à établir ce qui lui était arrivé, la PRI ainsi que la protection de l’État ».

  • En ce qui concerne la carte d’identité nationale de Mme Lazo Discua et le certificat d’union de fait, l’ancien avocat a [traduction] « présumé que la CISR en disposait » puisque la CISR avait transmis ces documents.

  • L’ancien avocat a répondu ce qui suit en ce qui concerne son omission de faire référence à la carte d’identité nationale ou au certificat d’union de fait au cours de l’audience (souligné dans l’original) :

[traduction]

Je vous ai informée auparavant – à l’audience, notamment après que plusieurs questions relatives à la crédibilité ont été soulevées – qu’il m’était impossible de faire référence aux documents compte tenu du témoignage de la cliente devant la Commission selon lequel elle n’avait aucune pièce d’identité délivrée par le gouvernement du Honduras ni aucune pièce d’identité avec photo. Ce faisant, j’aurais mis en évidence d’autres problèmes en matière de crédibilité devant la Commission.

[56] J’ouvre une parenthèse pour souligner que l’ancien avocat n’a pas justifié son inclusion du [traduction] « passeport international » de Mme Lazo Discua dans sa liste de documents ou son affirmation selon laquelle le passeport était consigné dans « le dossier » de la CISR (voir le paragraphe 13 des présents motifs). Néanmoins, il semble que l’ancien avocat a simplement commis une erreur puisqu’il savait que Mme Lazo Discua n’avait jamais eu de passeport.

[57] Comme je l’ai déjà mentionné, les préoccupations des demanderesses quant à la conduite de leur ancien avocat vont bien au-delà d’une insatisfaction générale à l’égard de son travail. Elles ont présenté des allégations claires et précises, étayées par des éléments de preuve, quant à la manière dont il a, selon elles, enfreint la norme de l’assistance et du jugement professionnel raisonnable.

[58] Je débute mon évaluation du volet de l’examen du travail de l’avocat relatif à l’allégation d’assistance inefficace des demanderesses en ce qui concerne la question de leur identité personnelle et nationale en soulignant l’importance manifeste, pour le demandeur d’asile, d’établir son identité. L’identité d’un demandeur d’asile est « un élément primordial de toute demande d’asile » (Hassan c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 459 au para 27). Par conséquent, il est essentiel pour toute personne qui demande l’asile de prouver son identité. Sans cette preuve, il ne peut « y avoir de fondement solide permettant de vérifier les allégations de persécution, ou même d’établir la nationalité réelle d’un demandeur » (Jin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 126 au para 26; voir aussi Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 831 au para 18 et Behary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 794 au para 61). Le défaut de prouver l’identité entraînera le rejet de la demande; sans une preuve de l’identité, il n’y a pas lieu de poursuivre l’examen de la preuve ou de la demande : voir Elmi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 773 au para 4; Diallo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 878 au para 3; Liu, au para 18; Ibnmogdad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 321 au para 24; Behary, au para 61.

[59] En bref, le demandeur d’asile doit démontrer qu’il est celui qu’il dit être. À tout le moins, il doit prouver son identité personnelle et sa nationalité (ou son absence de nationalité, selon le cas). À défaut, sa demande d’asile doit également être rejetée.

[60] L’importance, pour le demandeur, d’établir son identité est soulignée à l’article 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 [les Règles] :

11 Le demandeur d’asile transmet des documents acceptables qui permettent d’établir son identité et les autres éléments de sa demande d’asile. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour se procurer de tels documents.

11 The claimant must provide acceptable documents establishing their identity and other elements of the claim. A claimant who does not provide acceptable documents must explain why they did not provide the documents and what steps they took to obtain them.

[61] L’article 106 de la LIPR établit un lien direct entre l’obligation de produire des documents acceptables qui permettent d’établir l’identité (ou d’expliquer pourquoi de tels documents n’ont pas été produits) et la crédibilité du demandeur. Il énonce ce qui suit :

106 La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

106 The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.

[62] La définition de « papiers d’identité acceptables » n’est pas énoncée dans la LIPR ou les Règles; il appartient à la SPR de le déterminer au cas par cas (décision qui peut évidemment faire l’objet d’un appel devant la SAR ou d’une demande de contrôle judiciaire).

[63] Considérés ensemble, l’article 11 des Règles et l’article 106 de la LIPR imposent au demandeur le fardeau de présenter des documents acceptables afin d’établir son identité. De toute évidence, le demandeur doit avoir de tels documents en sa possession pour être en mesure de les présenter. Si le demandeur n’est pas muni de papiers d’identité acceptables, il doit raisonnablement en justifier la raison ou démontrer qu’il a pris les mesures voulues pour s’en procurer : voir Su c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 743 au para 4; Malambu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 763 au para 41; Tesfagaber c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 988 au para 28.

[64] Comme je vais l’expliquer, même si je ne suis pas convaincu que les demanderesses ont établi toutes leurs allégations concernant la façon dont leur ancien avocat a abordé la question de l’identité, je suis convaincu que l’omission de ce dernier d’informer Mme Lazo Discua du fait que les certificats de naissance pourraient s’avérer insuffisants pour établir leur identité, ainsi que de présenter la copie de la carte d’identité nationale hondurienne à la SPR, n’était pas conforme à la norme de l’aide professionnelle et du jugement raisonnable.

[65] Rien n’indique que l’ancien avocat des demanderesses ne saisissait pas l’importance que revêt l’établissement de l’identité personnelle et de l’identité nationale dans le cadre d’une demande d’asile. Les demanderesses soutiennent plutôt (en partie) qu’il les a mal conseillées sur cette question et qu’il a omis de présenter toute la preuve accessible concernant leur identité.

[66] De manière générale, je ne suis pas convaincu que l’ancien avocat a mal conseillé les demanderesses quant à l’importance d’établir leur identité dans leur demande d’asile. En réponse aux allégations initiales des demanderesses, leur ancien avocat a décrit un certain nombre d’occasions au cours desquelles il aurait parlé à Mme Lazo Discua de l’importance d’établir son identité. Il faisait notamment référence à la liste de contrôle qu’il affirme avoir fournie à Mme Lazo Discua et à son mari, ainsi qu’à des discussions qu’ils ont eues lors de diverses rencontres. Mme Lazo Discua ne m’a donné aucun motif permettant de douter de ce récit, du moins sur le plan général. Surtout, elle n’a présenté aucune preuve contredisant l’affirmation de son ancien avocat selon laquelle elle avait reçu la liste de contrôle, ou son compte rendu de leurs discussions générales quant à l’importance de présenter des documents établissant son identité (comme il est indiqué dans sa lettre du 28 juin 2021).

[67] Par contre, je suis convaincu que l’ancien avocat n’a pas informé Mme Lazo Discua du fait que la preuve documentaire sur laquelle elle s’appuyait pour établir son identité nationale et celle de sa fille (leurs certificats de naissance honduriens) pourrait bien être jugée insuffisante, et qu’elle devrait donc chercher d’autres documents susceptibles d’établir son identité. En particulier, l’ancien avocat n’a jamais laissé entendre qu’ils ont eu une telle conversation. D’après son récit, il appert qu’il s’est plutôt concentré sur d’autres aspects de la demande et qu’il ne craignait pas que l’identité des demanderesses ne pose un réel problème. J’accepte le témoignage de Mme Lazo Discua selon lequel elle aurait été capable d’obtenir un certain nombre d’autres documents pour corroborer son affirmation selon laquelle elle est une ressortissante du Honduras si son avocat lui en avait parlé.

[68] En outre, et plus important encore, je suis également convaincu que l’ancien avocat a complètement fait abstraction de la carte d’identité nationale de Mme Lazo Discua dans sa préparation en vue de l’audition de la demande. Je conclus que cette erreur, ainsi que l’omission subséquente de présenter ce document à la SPR, ne respectait pas la norme de l’assistance et du jugement professionnel raisonnable. Je suis arrivé à ces conclusions pour les motifs suivants.

[69] Premièrement, il n’est pas contesté que l’ancien avocat a reçu, de la part de la SPR, une copie de la carte d’identité nationale dans la trousse de divulgation datée du 30 septembre 2020. Je ne peux que conclure qu’il n’en a pas tenu compte. En effet, malgré l’importance manifeste de ce document, rien n’indique que l’avocat en ait discuté avec Mme Lazo Discua. Au contraire, la preuve non contredite de Mme Lazo Discua montre qu’ils n’en ont jamais parlé. Un avocat compétent aurait reconnu l’importance de ce document et en aurait discuté avec Mme Lazo Discua en préparation de l’audience relative à la demande d’asile.

[70] Deuxièmement, un avocat compétent aurait aussi joint ce document (ainsi qu’une traduction certifiée en anglais) à la communication de documents préalable à l’audience devant la SPR (comme le requiert l’article 34 des Règles). Même s’il est vrai que la SPR a transmis le document à l’ancien avocat, rien ne lui permettait de [traduction] « supposer » que celui-ci faisait donc partie du dossier dont la SPR était saisie (d’autant plus que l’ensemble de documents dans lequel il se trouve n’a jamais été désigné comme pièce à l’audience). Dans le même ordre d’idées, rien ne permettait à l’ancien avocat de présumer que le document avait déjà été traduit en anglais. Même s’il avait certainement dû être traduit (étant donné qu’il avait été présenté à IRCC à l’appui d’une demande de permis de travail), un simple examen de la trousse de divulgation du 30 septembre 2020 aurait confirmé qu’il n’existait pas de traduction en anglais (du moins dans la trousse que la SPR avait reçue). En l’absence d’une traduction anglaise certifiée du document, il aurait été impossible pour la SPR de se fonder sur celui-ci de toute façon : voir l’article 32 des Règles de la SPR.

[71] Troisièmement, je ne puis accepter l’explication de l’ancien avocat quant à la raison pour laquelle il n’a pas mentionné la carte d’identité nationale lors de l’audience relative à la demande d’asile (même s’il avait présumé que la SPR en « disposait ». L’ancien avocat soutient que cela aurait mis en lumière un autre problème concernant la crédibilité de Mme Lazo Discua en attirant l’attention sur une incohérence dans son récit, c’est-à-dire son affirmation selon laquelle elle n’avait pas de carte d’identité nationale (voir le paragraphe 55 des présents motifs, notamment la déclaration sur laquelle l’ancien avocat a mis l’accent, qui est citée au dernier point). Toutefois, cette préoccupation alléguée n’était pas fondée. Mme Lazo Discua a toujours maintenu qu’elle avait une carte d’identité nationale du Honduras, mais qu’elle l’avait remise aux autorités américaines en septembre 2018 et qu’elle ne lui avait jamais été retournée. La copie de sa carte d’identité nationale figurant dans le dossier d’IRCC avait été présentée à IRCC bien avant son arrivée aux États-Unis. Le témoignage de la demanderesse selon lequel elle n’a plus sa carte d’identité nationale (parce que les autorités américaines l’ont en leur possession) et que le dossier de son mari devant IRCC comprend une copie de cette carte ne renferme aucune incohérence.

[72] Quatrièmement, compte tenu de la facilité avec laquelle le témoignage de Mme Lazo Discua peut être concilié avec la présence d’une copie de sa carte d’identité nationale dans le dossier d’IRCC, qui a été communiqué à son ancien avocat, je ne puis accepter que l’ancien avocat se soit réellement penché sur la question de savoir s’il devait ou non porter la carte à l’attention de la SPR. Je conclus plutôt que son explication à savoir pourquoi il n’avait pas mentionné la carte constitue une justification présentée après coup. De plus, même si j’avais accepté qu’il se fût penché sur cette question et eût décidé de ne pas porter la copie de la carte à l’attention de la SPR pour des raisons stratégiques, j’aurais conclu que cette décision n’était pas conforme aux limites du jugement professionnel raisonnable (étant donné que le fait de mentionner la carte d’identité nationale ne pouvait en aucun cas porter atteinte à la crédibilité de Mme Lazo Discua ou nuire à sa cause d’une façon ou d’une autre).

[73] En bref, rien ne justifiait que l’avocat ne se fonde pas sur la carte d’identité nationale de Mme Lazo Discua pour établir son identité, et il avait toutes les raisons de le faire. Le fait que l’ancien avocat n’a pas présenté ce document à la SPR afin d’établir l’identité de Mme Lazo Discua (ou, subsidiairement, qu’il n’y a pas fait référence tout en croyant que la SPR en disposait déjà) n’était pas conforme à la norme de l’assistance ou du jugement professionnel raisonnable. Les demanderesses ont donc établi le volet de l’examen du travail de l’avocat de leur allégation d’assistance inefficace.

[74] Par souci d’exhaustivité, je souligne qu’il n’est donc pas nécessaire de déterminer si l’omission de l’ancien avocat d’aborder la question du certificat d’union de fait (qui figurait également dans le dossier d’IRCC) n’était pas conforme à la norme de l’assistance ou du jugement professionnel raisonnable.

3) Volet de l’appréciation du préjudice

[75] À ce stade, les demanderesses doivent démontrer que l’inconduite de leur ancien avocat a entraîné une erreur judiciaire. Les erreurs judiciaires peuvent prendre plusieurs formes dans le contexte d’une assistance non effective de l’avocat (GDB, au para 28). Il s’agit notamment d’affaires où le travail de l’avocat a compromis la fiabilité de l’issue de l’instance antérieure ou nui à l’équité procédurale (ibid).

[76] En l’espèce, les demanderesses allèguent que la conduite de leur ancien avocat remet en cause la fiabilité de la décision de la SPR. Pour avoir gain de cause sur ce fondement, elles doivent démontrer qu’il existe une probabilité raisonnable que le résultat ait été différent n’eût été l’incompétence de leur ancien avocat (Bisht c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2022 CF 1178 au para 24). Une « probabilité raisonnable » se situe quelque part entre une simple possibilité et une probabilité : voir Satkunanathan, au para 96, adoptant le critère établi dans l’arrêt R v Dunbar, 2003 BCCA 667 au para 26, adoptant le critère établi dans l’arrêt R v Joanisse (1995), 102 CCC (3d) 35 (CA Ont) à la p 64; voir aussi Bi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 293 au para 33 et Corpuz Ledda c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 811 au para 15.

[77] Je suis convaincu que, dans le cas où l’ancien avocat des demanderesses s’était fondé sur la copie de la carte d’identité nationale de Mme Lazo Discua pour établir son identité, il y a une probabilité raisonnable que la SPR n’aurait pas conclu que les demanderesses n’avaient pas établi leur identité. Cependant, la question de savoir s’il existe une probabilité raisonnable que le résultat final ait été différent est plus complexe. Il s’agit d’une affaire délicate, d’autant plus que la SPR a aussi rejeté la demande, étroitement liée, de M. Mejia Bonilla, même si elle a conclu que son identité nationale avait été établie. Néanmoins, compte tenu du rôle central qu’occupe la question de l’identité dans une demande d’asile ainsi que des conclusions défavorables solides et sans équivoque de la SPR quant à la crédibilité de Mme Lazo Discua, lesquelles portaient presque entièrement sur la question de son identité, je suis convaincu qu’il existe une probabilité raisonnable que le résultat ait été différent si la conduite de l’ancien avocat des demanderesses avait été conforme à la norme de l’assistance et du jugement professionnel raisonnable (telle qu’elle est énoncée plus haut).

[78] De plus, et quoi qu’il en soit, je suis aussi convaincu que le défaut de l’ancien avocat de présenter la preuve relative à l’identité de Mme Lazo Discua, dont il disposait effectivement, a compromis l’équité de l’audience des demanderesses. Les actions de leur ancien avocat, qui n’étaient pas conformes à la norme de l’assistance et du jugement professionnel raisonnable, ont fait en sorte que les demanderesses ont présenté une preuve sensiblement moins convaincante, sur la question centrale de l’identité de la demanderesse principale, que celle qui aurait pu être présentée. Par conséquent, l’audience n’était pas équitable. À la lumière de ce qui précède, il n’est pas nécessaire de déterminer si l’équité de la procédure a aussi été compromise par le fait que l’ancien avocat n’a pas conseillé à Mme Lazo Discua d’essayer de trouver des éléments de preuve supplémentaires quant à son identité. Le fait qu’il a omis de produire la preuve hautement probante relative à l’identité de Mme Lazo Discua qu’il avait en sa possession est suffisant.

[79] Par conséquent, je suis convaincu que les demanderesses ont aussi établi le volet appréciation du préjudice de leur allégation d’assistance inefficace. Par conséquent, une nouvelle décision s’impose en ce qui concerne leurs demandes d’asile.

B. Autres motifs de contrôle

[80] Les demanderesses font aussi valoir que la décision de la SPR est déraisonnable à plusieurs égards. Comme je l’ai déjà dit, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres motifs de contrôle soulevés par les demanderesses, sauf l’un d’entre eux.

[81] Comme je l’ai mentionné, le commissaire de la SPR a tiré une conclusion défavorable concernant la crédibilité globale de Mme Lazo Discua au motif qu’elle n’avait pas tenté d’obtenir un passeport hondurien pour elle-même et sa fille après leur arrivée au Canada. La SPR a expressément souligné l’absence « d’excuse crédible pour justifier l’absence d’efforts » lorsqu’elle a tiré cette inférence défavorable. Les demanderesses soutiennent que le traitement réservé à cette question par la SPR est déraisonnable. Je suis d’accord.

[82] Il est bien établi que le fait de demander et d’obtenir un passeport donne lieu à une présomption selon laquelle la personne ayant présenté la demande se contente de se prévaloir de la protection de son pays de nationalité. Par conséquent, le fait pour un réfugié de demander, d’obtenir ou de renouveler un passeport national donne lieu à une présomption selon laquelle il avait l’intention de se réclamer à nouveau de la protection de son pays de nationalité. Cette présomption laisse croire que le réfugié n’a donc pas besoin de la protection de substitution assurée par un autre pays et, par conséquent, qu’il n’est pas un réfugié au sens de la Convention : voir l’alinéa 96a) de la LIPR et le paragraphe 1A(2) de la Convention sur les réfugiés. Cette présomption est réfutable : voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Galindo Camayo, 2022 CAF 50 aux para 62-66; voir aussi le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (réédition de février 2019) au para 121. Toutefois, dans le cas où la présomption est déclenchée et n’est pas réfutée, l’article 108 de la LIPR prévoit que la demande d’asile doit être rejetée. Il énonce aussi que la personne en question n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[83] Compte tenu de ce contexte juridique, il était tout à fait déraisonnable de la part de la SPR de blâmer Mme Lazo Discua parce qu’elle n’avait pas tenté d’obtenir un passeport hondurien une fois au Canada. Si elle l’avait fait, et qu’un passeport hondurien lui avait été délivré, Mme Lazo Discua aurait créé un obstacle important à sa demande d’asile, qu’elle aurait ensuite dû essayer de surmonter. D’ailleurs, le simple fait de présenter une demande de passeport aurait pu soulever de sérieuses questions quant à sa volonté de se réclamer de la protection de son pays de nationalité et, par conséquent, de savoir si elle était une réfugiée au sens de la Convention. En bref, la SPR a reproché à Mme Lazo Discua de ne pas avoir pris une mesure qui aurait pu compliquer considérablement sa tâche au moment d’établir sa demande d’asile. Aucune conclusion défavorable en matière de crédibilité ne peut être tirée pour ce motif. En effet, il était déraisonnable de la part de la SPR de poser les questions qu’elle a posées à cet égard (voir le paragraphe 16 des présents motifs).

V. CONCLUSION

[84] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. La décision rendue par la SPR le 9 mars 2021 au sujet des demanderesses est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision.

[85] Les parties n’ont soulevé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2415-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision rendue par la Section d’appel des réfugiés le 9 mars 2021 est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

  3. Aucune question de portée générale n’est énoncée.

« John Norris »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2415-21

 

INTITULÉ :

DARLIN MELISSA LAZO DISCUA ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATON

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 MAI 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 JANVIER 2023

 

COMPARUTIONS :

Christina M. Gural

POUR LES DEMANDERESSES

Leila Jawando

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Christina M. Gural

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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