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Date : 20230203


Dossier : T‐1176‐20

Référence : 2023 CF 164

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 février 2023

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

WARNER BROS. ENTERTAINMENT INC.

AMAZON CONTENT SERVICES LLC

BELL MEDIA INC.

COLUMBIA PICTURES INDUSTRIES, INC.

DISNEY ENTERPRISES, INC.

NETFLIX STUDIOS, LLC

NETFLIX WORLDWIDE ENTERTAINMENT, LLC

PARAMOUNT PICTURES CORPORATION

SONY PICTURES TELEVISION INC.

UNIVERSAL CITY STUDIOS PRODUCTIONS, LLLP

demanderesses

et

TYLER WHITE faisant affaire sous le nom de BEAST IPTV

COLIN WRIGHT, faisant affaire sous le nom de BEAST IPTV

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de la présente requête

[1] Le défendeur, Tyler White, demande à la Cour l’autorisation de vendre certains actifs en vertu d’une ordonnance d’injonction rendue antérieurement contre lui. M. White prétend que la vente de ces actifs est nécessaire pour lui permettre de payer ses frais de subsistance et ses frais juridiques courants.

[2] Les demanderesses contestent cette requête. Elles prétendent que M. White cherche à rouvrir, à modifier et à dissoudre l’ordonnance d’injonction pour mettre ses actifs hors de leur portée. Les demanderesses soutiennent que le fait d’accueillir cette requête permettra à M. White de contrecarrer tout jugement ultérieurement obtenu sur le fond de l’action sous‐jacente.

II. Faits

[3] Les demanderesses sont des sociétés de divertissement qui, directement ou indirectement, créent, produisent et distribuent certaines œuvres télévisuelles et cinématographiques disponibles au Canada et qui en contrôlent les droits de licence.

[4] Le 2 octobre 2020, les demanderesses ont intenté une action contre M. White et le codéfendeur de l’époque, Colin Wright. Les demanderesses allèguent que les défendeurs ont diffusé illégalement les œuvres des demanderesses par l’entremise de leur société de service de diffusion en continu par abonnement, le « service Beast IPTV ».

[5] Le même jour, les demanderesses ont déposé une requête ex parte pour obtenir des injonctions provisoires visant à interdire à M. White et M. Wright de poursuivre leurs activités commerciales, à divulguer des renseignements concernant leurs actifs financiers et à interdire la dissimulation ou le retrait de leurs actifs à l’extérieur du Canada.

[6] Le 17 novembre 2020, la Cour a accueilli la requête des demanderesses et a rendu des ordonnances provisoires (ordonnance provisoire) en vertu de l’article 374 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‐10 [RCF]. Plus précisément, l’ordonnance provisoire interdisait aux défendeurs de créer, d’exploiter, d’entretenir et de promouvoir des abonnements pour le service Beast IPTV ou tout autre service semblable, de fournir un soutien connexe, de vendre ces abonnements ou d’autoriser quiconque à vendre ces abonnements. Les défendeurs ont également été condamnés à transférer la garde de certains aspects de leur entreprise à un avocat superviseur indépendant et à communiquer des renseignements concernant leurs actifs financiers et ceux du service Beast IPTV.

[7] Le paragraphe 2M) de l’ordonnance provisoire interdisait à M. White de dissimuler ou de retirer des actifs en dehors du ressort de la Cour. Premièrement, l’ordonnance empêchait M. White de vendre, de céder, de transférer ses actifs, ou par ailleurs d’en disposer, directement ou indirectement, de quelque façon que ce soit, sauf pour le paiement de frais de subsistance normaux engagés au cours des procédures. Deuxièmement, l’ordonnance ne lui permettait pas de retirer ses actifs canadiens, ou de contribuer à leur retrait, sans l’autorisation de la Cour. Troisièmement, M. White s’est vu interdire de convertir ses actifs en devises étrangères ou en formats anonymes, chiffrés et non traçables. Le texte intégral du paragraphe 2M) est le suivant :

[traduction]

M) Enjoindre au défendeur Tyler White, par lui‐même ou par l’entremise d’une société, d’une société en nom collectif, d’une fiducie, d’une entité, à laquelle il est associé ou affilié, ou d’une personne sous son autorité ou son contrôle, de ne pas, directement ou indirectement :

i. vendre, céder, aliéner ou transférer ses actifs, ou par ailleurs en disposer, de quelque façon que ce soit, y compris la résidence située au [CAVIARDÉ], sauf pour le paiement des frais de subsistance engagés au cours de la présente instance;

ii. retirer ou contribuer au retrait de ses actifs du Canada, ou de poser un acte ayant pour effet un tel retrait, sans l’autorisation de la Cour;

iii. convertir ses actifs en devises étrangères ou les convertir en formats anonymes, chiffrés ou non traçables (p. ex. cryptomonnaie);

[8] Les demanderesses ont signé l’ordonnance provisoire le 24 novembre 2020. L’ordonnance provisoire devait être valide pour une période maximale de quatorze (14) jours, pendant laquelle les demanderesses étaient tenues de présenter une requête en vue de réviser l’exécution de l’ordonnance, et d’examiner toute demande visant à convertir la mesure provisoire en ordonnance interlocutoire. À la suite d’une demande de l’avocat des deux défendeurs d’ajourner la requête en révision afin de mieux se préparer, celle‐ci a finalement été entendue le 18 décembre 2020.

[9] Le 14 janvier 2021, à la suite de la requête en révision, la Cour a rendu un jugement accueillant la demande d’injonctions interlocutoires (ordonnance interlocutoire) des demanderesses contre les deux défendeurs et délivrant des ordonnances de justifier (voir : Warner Bros. Entertainment Inc. c White (Beast IPTV), 2021 CF 53 [ordonnance du 14 janvier)]. La Cour a prorogé l’ordonnance provisoire en vertu de l’article 373 des RCF. Sur entente entre les parties, la Cour a modifié une disposition de l’ordonnance interlocutoire contre M. White pour tenir compte des frais, honoraires et débours juridiques raisonnables engagés pour se défendre et répondre à tous les aspects de l’instance :

[traduction]

VII. Modification de l’ordonnance interlocutoire afin de permettre le paiement des frais, honoraires et débours juridiques raisonnables

[134] Les parties ont convenu, à l’audience tenue le 18 décembre 2020 dans la présente affaire, que les alinéas 2M)i. et 2N)i. de l’injonction devraient, si celle‐ci était prolongée, tenir compte de la remise, pour le passé et l’avenir, de tout paiement et avance au titre des frais, honoraires et débours juridiques raisonnables se rapportant à la contestation de tous les aspects des réclamations formulées par les demanderesses. Les alinéas 2M)i. et 2N)i. de l’injonction interlocutoire sont donc modifiés en conséquence. Ces modifications figurent dans l’ordonnance officielle ci‐jointe.

[10] Par conséquent, le paragraphe 2M est modifié comme suit par l’ordonnance interlocutoire officielle :

[traduction]

4. Les dispositions suivantes des ordonnances provisoires, comportant les modifications indiquées ci‐dessous, sont transformées et prolongées en ordonnances interlocutoires et demeurent en vigueur jusqu’au règlement définitif de la présente instance sur le fond :

...

b. le paragraphe 2M), ainsi modifié :

M) Enjoindre au défendeur Tyler White, par lui‐même ou par l’entremise d’une société, d’une société en nom collectif, d’une fiducie, d’une entité, à laquelle il est associé ou affilié, ou d’une personne sous son autorité ou son contrôle, de ne pas, directement ou indirectement :

i. disposer, notamment par vente, cession, aliénation ou transfert, de ses biens, de quelque façon que ce soit, y compris sa résidence située au [CAVIARDÉ], sauf pour le paiement de ses frais de subsistance normaux, pendant toute la durée de la présente instance, aucune disposition de la présente ordonnance n’empêchant, pour le passé ou l’avenir, le versement d’une avance ou le paiement d’une autre somme au titre des frais, honoraires et débours juridiques raisonnables relatifs à la contestation de toute réclamation formulée par les demanderesses au cours de la présente instance jusqu’au règlement définitif de celle‐ci, y compris tout appel;

[Non souligné dans l’original.]

[11] La Cour a également rendu des ordonnances de justifier contre les défendeurs en vertu de l’article 467 des RCF, les obligeant à se présenter à une audience sur l’outrage au tribunal pour avoir prétendument enfreint les conditions de l’ordonnance provisoire.

[12] Le 24 février 2021, les défendeurs ont déposé un avis d’appel de l’ordonnance du 14 janvier. M. Wright a abandonné son appel avec le consentement des demanderesses. Le 23 février 2022, l’appel de M. White a été rejeté avec dépens (White (Beast IPTV) c Warner Bros Entertainment Inc., 2022 CAF 34).

[13] Comme il a été mentionné ci‐dessus, l’exécution de l’ordonnance provisoire a également donné lieu à des procédures pour outrage au tribunal. Le 20 septembre 2021, M. White a plaidé coupable aux accusations d’outrage au tribunal portées contre lui (Warner Bros. Entertainment Inc. c White (Beast IPTV), 2021 CF 989).

III. La cause du défendeur

[14] M. White demande l’« autorisation » de vendre son camion Dodge Ram 2022 et ses biens immobiliers qu’il possède personnellement ou qu’il contrôle directement par l’intermédiaire d’une personne morale (collectivement, les actifs White), ou par ailleurs d’en disposer.

[15] Ce que M. White demande à la Cour n’était pas tout à fait clair. Au cours de l’audience, l’avocat de M. White a laissé entendre que, selon les modalités de l’ordonnance interlocutoire, son client n’avait pas besoin d’une « autorisation » pour vendre les actifs White. M. White présente plutôt cette requête « par excès de prudence » afin d’obtenir des conseils sur la possibilité pour son client de disposer de ces actifs dans le respect de l’ordonnance. Son avocat a insisté sur le fait que le redressement demandé ne visait pas à changer ou à modifier les modalités énoncées dans l’ordonnance interlocutoire, mais plutôt à s’y conformer afin d’éviter un procès pour outrage au tribunal. En fin de compte, l’avocat a dû admettre que son client devrait se conformer à la conclusion de la Cour, puisqu’il demande [traduction] « la permission explicite de la Cour de procéder à la vente de certains de ses actifs... » (mémoire des faits et du droit, paragraphe 7).

A. Besoin financier

[16] Dans deux affidavits présentés à l’appui de sa requête, M. White prétend avoir contracté une dette importante depuis novembre 2020. Il affirme que ses besoins financiers découlent du fait qu’il a été en grande partie sans emploi tout au long du litige, qu’il vivait avec un partenaire au chômage, et ce, tout en prenant soin de son fils de 11 ans (affidavit supplémentaire White, paragraphe 13). Aucun renseignement n’est fourni sur les raisons pour lesquelles M. White est resté sans emploi pendant cette longue période. M. White affirme que, bien qu’il reçoive 8 000 $ par mois en revenu de location, ce montant est insuffisant pour payer ses frais de subsistance normaux d’environ 13 000 $ par mois (affidavit supplémentaire White, paragraphe 18). Encore une fois, on ne sait pas trop pourquoi M. White a besoin de plus de 150 000 $ par année, vraisemblablement en ressources nettes, pour couvrir ce qui constituerait des frais de subsistance normaux, surtout s’il est au chômage.

[17] De plus, M. White prétend qu’il n’a pas les fonds nécessaires pour payer les frais juridiques courants liés à l’action sous‐jacente. Bien qu’il ne fournisse pas de détails sur le montant payé à son avocat, mis à part un acompte de 400 000 $ pour les honoraires (mémoire des faits et du droit, paragraphe 21), il prétend que des factures récentes n’ont pas été payées (affidavit White, paragraphe 17).

[18] Enfin, M. White soutient qu’il ne peut pas assumer plus de 80 000 $ de frais juridiques découlant des jugements rendus contre lui par la Cour fédérale (65 836,85 $), la Cour d’appel fédérale (5 000 $) et la Cour des petites créances de la Nouvelle‐Écosse (9 415,86 $) (affidavit White, paragraphes 14 à 18).

B. Redressement demandé

[19] Dans ses documents écrits, M. White demande un redressement sous la forme d’ordonnances que la Cour rendra en vertu du paragraphe 53(1) des RCF. Dans la première ordonnance, M. White demande à la Cour de lui accorder l’« autorisation » de vendre les actifs White, ou par ailleurs d’en disposer, conformément au paragraphe 2M) de l’ordonnance provisoire, ainsi qu’elle est modifiée par l’ordonnance interlocutoire (mémoire de la demanderesse, paragraphe 57). Dans la deuxième ordonnance demandée, M. White demande à la Cour de céder le produit net de la vente des actifs White à un fiduciaire tiers nommé par les avocats de M. White ou à une personne désignée. Il n’y a pas d’instructions particulières à donner au fiduciaire que choisira M. White. En dernier lieu, M. White déclare simplement qu’il [traduction] « donnera toutes les instructions nécessaires pour que le produit net de toute vente ou autre disposition de ses actifs soit envoyé directement à un fiduciaire tiers ou à une autre personne désignée par la Cour qui sera responsable de débourser le produit net aux fins indiquées dans le sous‐alinéa 4b) de l’ordonnance interlocutoire » (mémoire des faits et du droit, paragraphe 7). Comme on peut le constater, M. White propose de disposer de ses actifs, de sorte que le produit de cette vente aille à un fiduciaire non identifié qui, vraisemblablement, déciderait du montant des dépenses de subsistance « normales » du défendeur et de ce qui constitue des frais, honoraires et débours juridiques raisonnables. Aucune condition n’est prévue quant à la façon dont on disposera des actifs et à quel montant, ni en ce qui concerne le nom de l’acheteur. Dans la directive énoncée au paragraphe 26 de son affidavit, il demande simplement à la Cour de mandater ce fiduciaire pour débourser le produit de la fiducie. Il déclare ceci dans ce paragraphe :

[traduction]

Au besoin, je suis disposé à donner des directives concernant les fonds reçus de la vente de l’un de mes actifs afin que la totalité du produit net de toute transaction immobilière et de la disposition du Dodge Ram soit payable directement à un fiduciaire tiers ou à toute personne désignée par la Cour. Je comprends que le fiduciaire tiers ou cette personne utilisera ensuite le produit net de la façon suivante et dans cet ordre, et devra rendre compte à la Cour chaque année :

a. 8 000 $ par mois qui me sont payables pour des dépenses normales de subsistance mensuelles pour moi et ma famille;

b. le paiement de 5 000 $ en dépens, tel qu’ordonné par la Cour d’appel fédérale, exigible sur‐le‐champ;

c. le paiement des dettes énumérées à la pièce E de mon affidavit, qui comprend les dettes liées aux cartes de crédit, le paiement des fenêtres et des portes, et un jugement de la Cour des petites créances de la Nouvelle‐Écosse de 9 415,86 $;

d. le paiement de mes factures impayées et futures pour les frais, honoraires et débours juridiques à mesure qu’ils deviennent exigibles mensuellement relativement à cette poursuite;

e. le paiement en temps opportun des dépens ordonnés par le juge Roy le 18 mai 2021, lesquels comprennent 48 500 $ en frais juridiques et 17 336,85 $ en débours payables « en tout état de cause » que je suis condamné à payer;

f. le paiement de tout autres dépens ou de toute autre amende dans le cadre du présent litige, si et quand ces paiements sont exigibles, sous réserve de tout appel;

g. le paiement de tout montant qui peut être accepté pour le règlement du présent litige;

h. le paiement de tout autre montant ordonné par la Cour conformément au règlement final de la présente affaire, sous réserve de tout appel.

[20] M. White demande à la Cour d’ordonner à ce fiduciaire de fournir un compte des débours à la Cour et aux demanderesses sur une base annuelle en vertu de l’article 151 des RCF. Au cours de l’audience, l’avocat de M. White a admis que le dossier ne contenait pas de renseignements précisant qui pourrait être le fiduciaire et quelles directives il devrait suivre.

IV. Cause des demanderesses

[21] Les demanderesses, Warner Bros. Entertainment Inc. et al. ont été à même de brosser un tableau très différent des allégations générales faites par le défendeur dans le cadre de sa requête. En fait, ils ont eu l’occasion d’examiner de près l’utilisation des ressources financières par M. White à partir du moment où l’ordonnance provisoire lui a été signifiée le 24 novembre 2020.

[22] L’ordonnance provisoire interdisait à M. White de disposer de ses actifs [traduction] « de quelque façon que ce soit, sauf pour le paiement de ses frais de subsistance normaux » (ce n’est que deux mois plus tard qu’une autre exception pour les [traduction] « frais, honoraires et débours raisonnables » a été accordée).

[23] Les demanderesses font référence aux conclusions tirées dans le jugement et les motifs de la Cour du 14 janvier 2021 (2021 CF 53) au sujet de la dissimulation d’actifs par M. White immédiatement après que l’ordonnance provisoire lui a été signifiée. Je reproduis le paragraphe 38 de cette ordonnance :

[traduction]

[38] La dissimulation d’actifs est également discutée durant la conversation téléphonique du 25 novembre avec une tierce partie :

[14 min 43 s]

M. White : ... [voix feutrée] à la banque sorti tout ce que j’ai pu sortir et là, tu sais, ils s’en apercevront, c’est sûr, et ils diront « où c’est tout cela? »... et je répondrai « je ne sais pas. Je l’ai planqué, désolé. J’ai tout fichu en l’air ». De toute façon, c’est une cour civile, et non criminelle... bon... mais j’aurai encore ce que j’ai pu sortir, tu vois ce que je veux dire.

[16 min 15 s]

M. White : Je pense que, si je... si je me tire, tu vois... simplement sortir ce que j’ai, et là on me poursuit pour telle ou telle raison, mais je déclare faillite et je dis que je n’ai plus rien... au moins là je sais alors qu’avec le montant que je peux sortir... je sais que... tu vois... Je suis bon.

... que vont‐ils faire... Je veux dire, le montant me permettra de tenir quelque temps, non?

[21 min 43 s]

La tierce partie : Ahhh... mon vieux... ça va mal....

White : Qu’importe, mon vieux. Comme j’ai dit... scénario du pire, mais bon, je pense que j’ai assez pour subsister un bon moment... tu vois... tu vois ce que je veux dire.

[22 min 46 s]

La tierce partie : Est‐ce qu’on t’a dit de ne pas effacer la preuve et des choses comme... de ne pas commencer à nettoyer? Est‐ce qu’on t’a averti de cela?

M. White : Oui. Ils ont dit de ne pas... oui... dans l’ordonnance, on dit que je ne peux pas vendre... je ne peux pas vendre ma maison, ni rien... je ne peux pas vendre d’actifs... Je ne peux pas déplacer... virer de l’argent ou transférer de l’argent, et je ne peux pas le changer en crypto‐monnaie ni rien de tout cela.

La tierce partie : C’est une ordonnance judiciaire, ou qu’ont‐ils dit?

M. White : Oui, c’est une ordonnance judiciaire... pour 14 jours... l’ordonnance judiciaire dure seulement 14 jours.

Mais comme j’ai dit... oui évidemment c’est une ordonnance judiciaire... mais, même s’ils regardent et disent qu’on n’a pas écouté la Cour... je ne sais pas, je pourrais même m’en sortir... mon père est ici... « dis‐leur que tu es un toxicomane »... je pourrais m’en sortir en disant « désolé mon vieux j’ai pris une bonne cuite »... ce que [voix feutrée] j’ai besoin d’aide... tu vois ce que je veux dire.

[24] L’avocat des demanderesses a travaillé d’arrache‐pied pour tenter d’identifier les actifs financiers qui, selon la preuve recueillie et présentée dans la requête, ont été cachés, transférés ou dissimulés, malgré l’ordonnance prononcée. Selon les demanderesses, M. White [traduction] « semble avoir poursuivi son objectif déclaré de retirer et de cacher le plus d’argent possible » (mémoire des faits et du droit, paragraphe 8). Les demanderesses soutiennent que le fait d’accueillir la requête permettrait à M. White de dissimuler les actifs connus restants. Les demanderesses ne prétendent pas avoir trouvé tous les actifs financiers.

[25] On sait maintenant qu’au moment où l’ordonnance provisoire a été exécutée (24 novembre 2020), M. White détenait dans sept comptes bancaires la somme de 744 000 $. Seulement trois de ces comptes bancaires ont été divulgués et, en ce qui concerne deux de ces comptes, les dossiers d’avril et mai 2021 et d’avril et mai 2022 sont manquants. Les demanderesses prétendent que les relevés de carte de crédit fournis par M. White se limitent à une courte période (de 1 à 3 mois) qui précède immédiatement le dépôt de sa requête. Très peu de transactions figurent sur ces relevés.

[26] Bien que M. White n’ait communiqué que peu d’information quant à ses actifs financiers, les demanderesses ont été en mesure de réunir les éléments suivants :

  • peu après l’exécution de l’ordonnance provisoire, M. White a retiré 10 000 $ (100 billets de 100 $);

  • retraits de 6 000 $, 3 950 $ et 403 $ au guichet automatique;

  • retraits d’espèces ou de pièces de 20 000 $;

  • retrait de 5 000 $ (27 coupures de 100 $ et 46 coupures de 50 $);

  • retrait de 5 000 $.

Ces retraits totalisent plus de 50 000 $ entre le 24 novembre 2020 et janvier 2021.

[27] Il y a également eu des « virements électroniques » de plus de 45 000 $ à des tiers, et des transactions PayPal totalisant 22 000 $ (entre le 24 novembre 2020 et le 31 mars 2021). On a découvert un certain nombre de dépenses qui peuvent difficilement constituer des « frais de subsistance normaux » : 10 000 $ en vêtements et en appareils électroniques. Il y a même un cadeau d’une chirurgie plastique non urgente d’une valeur de plus de 7 000 $. Le montant total atteint 84 000 $.

[28] Sur un total d’actifs financiers d’au moins 744 000 $, quelque 134 000 $ ont été retirés par le défendeur. Certains des transferts effectués par M. White ont été faits à sa conjointe (près de 20 000 $) et à la mère de son enfant qui n’a pas la garde (14 000 $). L’objet de ces transferts n’a pas été communiqué, pas plus évidemment que l’existence de ces transferts.

[29] Les demanderesses font valoir que le défendeur, par sa requête, cherche à se soustraire à l’injonction Mareva imposée dans l’ordonnance provisoire et prorogée par l’ordonnance interlocutoire. Se fondant sur Business Depot Ltd. c Canadian Office Depot Inc., 2000 CanLII 16100, une décision de la Cour d’appel fédérale, elles laissent entendre que, comme il s’agit d’une réparation extraordinaire, le critère auquel doit satisfaire le défendeur pour avoir gain de cause doit être exigeant (aux paragraphes 4 et 6).

[30] Le principal argument des demanderesses est toutefois que, dans sa requête, le demandeur devait établir qu’il ne détient pas d’autres actifs disponibles, avant de disposer des actifs corporels proposés dans sa requête. L’affaire Canadian Imperial Bank of Commerce v Credit Valley Institute of Business and Technology, 2003 CanLII 12916 [CIBC], entendue devant la Cour supérieure de l’Ontario, constitue la ligne directrice que la Cour devrait suivre. En l’espèce, le critère à quatre volets n’a pas été satisfait, compte tenu de l’exigence selon laquelle il doit être [traduction] « établi, au vu de la preuve, que [le défendeur] ne détient pas d’autres actifs disponibles pour payer des dépenses autres que ceux qui sont gelés par l’injonction » (au paragraphe 26). La preuve montre que des revenus annuels de près de 100 000 $ par année ont été générés en revenus de location, lesquels disparaîtraient si le défendeur était autorisé à disposer de ses actifs corporels. Cela n’a pas empêché le défendeur de retirer, de transférer et de dissimuler des sommes importantes. En effet, certains de ces transferts ont été faits à la conjointe du défendeur et à la mère de l’enfant du défendeur (M. White a la garde de l’enfant).

[31] Il y a peu d’éléments de preuve dans ce dossier qui permettent au défendeur de s’acquitter du fardeau qui lui incombe de démontrer qu’il ne détient pas d’autres actifs pour payer des frais de subsistance raisonnables ainsi que des frais, honoraires et débours juridiques raisonnables. Il y a eu un manque de transparence de la part du défendeur quant à ses actifs et à l’utilisation des ressources financières. Il n’y a pas de [traduction] « détails sur les dépenses, l’emploi, les gains, les attentes économiques, entre autres » (Canadian National Railway Company v Holmes et al., 2015 ONSC 1475 au para 14). C’est fatal; en effet, l’absence d’explication quant à l’utilisation de sommes importantes ajoute à l’échec.

[32] De plus, le défendeur n’a pas expliqué comment une dépense de 13 000 $ par mois peut être légitime ou raisonnable. On peut dire la même chose des frais juridiques engagés par le défendeur : il n’y a aucune preuve du caractère raisonnable des frais juridiques. Elles affirment ce qui suit au paragraphe 43 de leur mémoire des faits et du droit :

[traduction] :

43. Ce n’est qu’en contre‐interrogatoire que M. White a reconnu avoir déjà payé un acompte de 400 000 $ à son avocat de la défense dans cette affaire. Mais lorsqu’on lui a demandé le montant de l’acompte nécessaire pour retenir les services de l’avocat, M. White a répondu : « nous n’en avons pas encore parlé. » On ne sait donc pas sur quoi M. White s’est fondé pour calculer le montant des liquidités dont il pourrait avoir besoin.

[33] Enfin, les demanderesses soulignent l’absence totale d’explication pour l’affirmation du défendeur selon laquelle il a été incapable de trouver un emploi stable : la raison pour laquelle il a été incapable de conserver un emploi et les efforts déployés pour trouver un emploi étaient inconnus faute de preuve.

V. Analyse

[34] M. Tyler White se présente devant la Cour pour demander à la Cour fédérale de confirmer qu’il peut procéder en vertu d’un paragraphe qui se trouve dans l’injonction interlocutoire du 14 janvier 2021 qui s’applique à lui.

[35] Pour faciliter la consultation, je reproduis encore une fois le paragraphe en question.

[traduction]

M) Enjoindre au défendeur Tyler White, par lui‐même ou par l’entremise d’une société, d’une société en nom collectif, d’une fiducie, d’une entité, à laquelle il est associé ou affilié, ou d’une personne sous son autorité ou son contrôle, de ne pas, directement ou indirectement :

i. disposer, notamment par vente, cession, aliénation ou transfert, de ses biens, y compris sa résidence située au [CAVIARDÉ], sauf pour le paiement de ses frais de subsistance normaux, pendant toute la durée de la présente instance, aucune disposition de la présente ordonnance n’empêchant, pour le passé ou l’avenir, le versement d’une avance ou le paiement d’une autre somme au titre des frais, honoraires et débours juridiques raisonnables relatifs à la contestation de toute réclamation formulée par les demanderesses au cours de la présente instance jusqu’au règlement définitif de celle‐ci, y compris tout appel;

[Non souligné dans l’original.]

Dans l’injonction provisoire du 17 novembre 2020, la seule réparation en faveur de M. White relativement à l’interdiction de disposer d’actifs concernait le paiement de dépenses de subsistance normales. Un autre élément relatif au paiement de frais juridiques raisonnables a été ajouté dans l’ordonnance interlocutoire, les deux parties ayant accepté cet ajout.

[36] Comme on pouvait s’y attendre, le problème que pose l’alinéa M)i ne concerne pas les paiements versés pour les frais de subsistance et les frais juridiques, mais plutôt ce qui constitue les « frais de subsistance normaux » et les « frais juridiques raisonnables ».

[37] Dans ses observations écrites et à l’audience devant la Cour, M. White a soutenu qu’il n’était pas obligé de présenter sa requête pour vendre ses actifs ou par ailleurs en disposer afin de pouvoir payer les frais de subsistance et les frais juridiques. Comme il l’a indiqué, c’est par excès de prudence qu’il demande la permission explicite de la Cour de procéder à la vente de certains de ses actifs. De toute évidence, cet impératif de prudence pourrait bien découler des critères énoncés dans le paragraphe, puisque les frais de subsistance sont limités du fait qu’il doit s’agir « des frais de subsistance normaux » et que les frais juridiques doivent demeurer « raisonnables ». On a supposé que si les dépenses payées ne s’inscrivent pas dans la portée des qualificatifs « normaux » et « raisonnables », M. White pourrait faire face à d’autres procédures devant la Cour.

[38] Il est devenu de plus en plus clair au cours de l’audition de la requête que M. White présente son cas comme une autorisation lui permettant de vendre quatre actifs :

  • Les résidences situées au 6 et au 8, rue Frances.

  • La résidence située au 13, av. Hartlen.

  • Le terrain vacant situé au 27, promenade Moody Park.

  • Le camion Dodge Ram 2022.

Son avocat a conclu à l’audience que M. White devrait se conformer à la décision de la Cour.

[39] M. White ferait modifier l’ordonnance d’injonction en exigeant que le produit de la vente des actifs, qu’il effectuera sans même proposer de conditions quant au transfert, soit versé par un fiduciaire au titre des frais de subsistance et des frais juridiques. La Cour n’a reçu aucune information concrète quant à la façon de travailler d’un « fiduciaire ». Aucune preuve n’a été présentée à cet égard. En fait, la seule indication donnée par l’avocat était que des demandes informelles ont été présentées à une firme (qui n’a pas été retenue); l’avocat nous dit que le fiduciaire saurait quoi faire.

[40] M. White a très peu parlé de sa situation financière aux fins de la présente requête. Dans le cas d’une requête de cette nature, on s’attend à ce que la personne visée par une telle injonction fasse preuve de transparence au moment de communiquer les actifs visés par l’injonction Mareva. Cela ne s’est pas encore produit.

[41] Ce n’est que grâce à la diligence démontrée par les demanderesses qu’une image de la situation financière du défendeur, bien que floue, a émergé. En effet, M. White détenait des actifs financiers d’au moins 744 000 $ le jour où l’ordonnance d’injonction lui a été signifiée. Il a été possible d’établir que certaines de ces ressources ont été apparemment détournées par le défendeur (retraits de plus de 50 000 $, télévirements de plus de 45 000 $, transactions PayPal de plus de 22 000 $). Toutefois, leur utilisation demeure obscure. En outre, et c’est tout aussi important, il reste encore d’importantes sommes qui n’ont pas été retracées. En supposant que 400 000 $ ont été versés en acompte à l’avocat, cela laisse plusieurs milliers de dollars disponibles pour couvrir les frais de subsistance avant que l’accès à des actifs corporels puisse être envisagé. En effet, rien ne garantit que d’autres ressources financières ne sont pas disponibles.

[42] L’argumentation des demanderesses est la suivante : malgré leurs efforts, il n’a pas été possible de confirmer que M. White était sans ressources financières à ce stade. Il incombait au défendeur d’établir cela, et il a échoué. Comme je vais l’expliquer, la Cour est de cet avis. Avant d’en arriver à cette partie de l’analyse, un examen de la question de la compétence de la Cour s’impose.

A. Compétence de la Cour pour entendre la requête

[43] L’avis de requête vise à obtenir une ordonnance de la Cour en vertu du paragraphe 53(1) des RCF, qui est libellé comme suit :

Conditions des ordonnances

Orders on terms

53 (1) La Cour peut assortir toute ordonnance qu’elle rend en vertu des présentes règles des conditions et des directives qu’elle juge équitables.

53 (1) In making an order under these Rules, the Court may impose such conditions and give such directions as it considers just.

[44] On ne sait pas pourquoi M. White, par l’entremise de son avocat, a insisté à de nombreuses reprises sur le fait qu’il semblait s’être présenté à la Cour par excès de prudence. Cela suppose qu’avant d’examiner la requête, la question préliminaire de la compétence de la Cour pour entendre la requête doit être examinée. S’il y a compétence, le bien‐fondé de la requête peut alors être examiné.

[45] Récemment, la Cour d’appel fédérale, dans Alberta (Procureur général) c Colombie‐Britannique (Procureur général), 2021 CAF 84, [2021] 2 RCF 426, a souligné une fois de plus que la compétence ne découle pas du consentement des parties ni, d’ailleurs, de leur défaut de s’opposer (au para 125). À l’appui de la thèse, la Cour renvoie au paragraphe 109 de l’arrêt Saskatchewan (Procureur général) c. Pasqua First Nation, 2016 CAF 133, [2017] 3 RCF 3 :

[109] La Saskatchewan cherche à annuler son acquiescement à la compétence de la Cour fédérale en affirmant que la compétence ne peut être créée par consentement. Elle cite plusieurs précédents qui appuient cette proposition : l’arrêt Première Nation des Hupacasath c. Canada (Affaires étrangères), 2015 CAF 4, au paragraphe 38; la décision Merck Frosst Canada Inc. c. Apotex Inc., 1997 CanLII 4806 (CAF), [1997] 2 C.F. 561 (C.A.) au paragraphe 10; la décision Armeco Construction Ltd. c. Canada, [1995] A.C.F. no 473 (1re inst.) (QL), au paragraphe 25, conf. par [1995] A.C.F. no 1561 (C.A.) (QL); la décision Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Commission canadienne des transports, 1987 CanLII 8986 (CF), [1988] 2 C.F. 437 (1re inst.), à la page 449. Dans la mesure où cette jurisprudence étaye la thèse selon laquelle a) un consentement des avocats sur une question de droit ne lie pas la Cour; ou b) la compétence sur l’objet du litige ne peut être créée par consentement, je ne la remets pas en question. Toutefois, aucun de ces précédents n’étaye la thèse selon laquelle la compétence sur la personne ne peut découler d’un accord.

Une explication claire de la règle se trouve dans Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, [2018] 2 RCF 344, où l’on peut lire au paragraphe 39 :

[39] Devant notre Cour, les ministres ne se sont pas opposés à la compétence de la Cour pour entendre ces trois appels. Cependant, la Cour doit toujours s’assurer d’avoir la compétence d’attribution pour trancher les affaires dont elle est saisie : arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Singh, 2016 CAF 300, [2017] 3 R.C.F. 263, au paragraphe 16; arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. BNSF Railway Company, 2016 CAF 284, aux paragraphes 22 et 23. C’est le cas même si les parties ne soulèvent aucune préoccupation d’ordre juridictionnel : arrêt McKittrick Properties Ltd. (Re), 1926 CanLII 408 (ON CA), [1926] 4 D.L.R. 44, (1926), 59 O.L.R. 199 (C.A.); décision Manie v. Ford (Town) (1918), 14 O.W.N. 83 (H.C.), conf. par (1918), 15 O.W.N. 27 (C.A.) Si la Cour n’a pas la compétence d’attribution relativement à un appel, elle ne peut pas le trancher.

[46] À mon avis, la Cour a compétence pour examiner sa propre ordonnance afin d’approfondir les questions soulevées par la requête.

[47] La Cour a la compétence qui lui a été conférée par la loi. Personne ne peut contester le fait qu’elle a compétence pour rendre les ordonnances d’injonction demandées en l’espèce. Toutefois, la Cour n’a pas pour rôle de fournir des conseils juridiques, tactiques ou pratiques à une partie (Abi‐Mansour c Canada (Affaires autochtones), 2014 CAF 272 au para 3; Olumide c Canada, 2016 CAF 287 aux para 14 à 17, citant Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263 aux para 37 à 47). Soit elle peut rendre une ordonnance concernant le gel des actifs au moyen d’une ordonnance qu’il a délivrée, soit elle ne le peut pas. Cependant, la Cour fédérale a pleine compétence pour gérer son propre processus et ses propres procédures.

[48] À l’égard de la présente requête, les défendeurs n’ont pas contesté la compétence de la Cour de statuer sur l’affaire soumise par M. White, et la partie requérante ancre sa requête dans l’article 53 des RCF, qui traite précisément du pouvoir de la Cour d’imposer des conditions et de donner des directives. Dans l’arrêt Dugré c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 8, la Cour d’appel fédérale a de nouveau reconnu l’existence de la pleine compétence des tribunaux dont le pouvoir découle d’une loi. Les pouvoirs nécessaires au bon fonctionnement de ces tribunaux existent toujours. Se reportant à l’arrêt Lee c Canada (Service correctionnel), 2017 CAF 228, la Cour d’appel fédérale déclare au paragraphe 20 que : « [c]omme l’explique la Cour dans Lee, les Cours fédérales, en tant que tribunaux faisant partie de la branche judiciaire du gouvernement, doivent avoir les pouvoirs nécessaires pour gérer leurs propres instances (Lee, par. 8) ». En effet, on peut lire ceci au paragraphe 7 de l’arrêt Lee :

[7] La Cour suprême a reconnu que les Cours fédérales ont de pleins pouvoirs, qu’elle a décrits comme analogues à la compétence inhérente de la cour supérieure de la province d’être maître de ses propres processus et procédures. Voir l’arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, 1998 CanLII 818 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 626, 224 N.R. 241 aux paragraphes 35‐36, l’arrêt de la Cour suprême le plus complet à ce jour sur la nature des pouvoirs des Cours fédérales, arrêt qui demeure fondamental et qui fait autorité.

[49] Plus tard en 2021, la Cour d’appel fédérale a continué de souligner le plein pouvoir nécessaire pour fonctionner comme une cour de justice. Dans l’arrêt Coote c Canada (Commission des droits de la personne), 2021 CAF 150, on peut lire ceci :

[16] Outre le pouvoir qui lui est conféré par l’article 74 des Règles, la Cour a compétence pour gérer et régler les instances dont elle est saisie et, s’il y a lieu, rejeter de façon sommaire un appel en raison de sa plénitude de compétence. Ces pouvoirs ont souvent été utilisés, par exemple, pour rejeter, entre autres, des instances qui sont frivoles ou qui constituent un abus de procédure (Fabrikant c. Canada, 2018 CAF 171, au para. 3). Récemment, dans Dugré c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 8, la Cour s’est exprimée ainsi sur l’origine de ses pouvoirs pléniers et les principes qui les sous‐tendent :

[19] Cette Cour est compétente pour rejeter les appels sommairement. Bien que les Règles des Cours fédérales, DORS/98‐106 (les Règles) ne contiennent pas de disposition spécifique permettant le rejet sommaire d’un appel, elle exerce cette compétence depuis des décennies (David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., 1994 CanLII 3529 (CAF), [1995] 1 C.F. 588 (C.A.), p. 600).

[20] Ce pouvoir émane de la compétence plénière de la Cour (Canada (Revenu national) c. Compagnie d’assurance vie RBC, 2013 CAF 50, 443 N.R. 378, par. 36; Lee c. Canada (Service correctionnel), 2017 CAF 228 [Lee], par. 6). Cette Cour dispose non seulement des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi, mais aussi des pouvoirs nécessaires à son bon fonctionnement (Canada (Commission des droits de l’homme) c. Canadian Liberty Net, 1998 CanLII 818 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 626, 224 N.R. 241; Lee, par. 2 et 7 à 15; Fabrikant c. Canada, 2018 CAF 171, par. 3 et les décisions qui y sont citées). Comme l’explique la Cour dans Lee, les Cours fédérales, en tant que tribunaux faisant partie de la branche judiciaire du gouvernement, doivent avoir les pouvoirs nécessaires pour gérer leurs propres instances (Lee, par. 8).

[21] Ce pouvoir se manifeste aussi dans les Règles par l’effet combiné de la règle 74 (la suppression des procédures engagées sans compétence), de la règle 4 (la règle des lacunes) et de la règle 55 (le pouvoir de modifier une règle, ici la règle 74, dans des « circonstances spéciales »).

Cela semble concorder avec le jugement de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Société Radio‐Canada c. Manitoba, 2021 CSC 33, où l’on peut lire :

[62] Il vaut mieux souligner d’entrée de jeu que la compétence en matière d’appel, comme celle qu’exerce la Cour d’appel dans l’instance inférieure, doit reposer sur la loi (R. c. Smith, 2004 CSC 14, [2004] 1 R.C.S. 385, par. 21). Outre les pouvoirs qui leur sont explicitement conférés, les tribunaux d’origine législative et les cours d’appel ont la maîtrise implicite de leur propre procédure et d’autres pouvoirs qui sont de fait nécessaires à l’exercice du rôle que la loi leur confie (R. c. Cunningham, 2010 CSC 10, [2010] 1 R.C.S. 331, par. 19; Lochner c. Ontario Civilian Police Commission, 2020 ONCA 720, par. 27 (CanLII). Je suis d’accord avec le procureur général de la Colombie‐Britannique pour dire qu’il est peut‐être inutile de qualifier ce pouvoir implicite de [traduction] « compétence inhérente », vu que les pouvoirs en matière d’appel prennent leur source, en définitive, dans la loi (transcription, p. 100‐101).

[Non souligné dans l’original.]

[50] En l’espèce, M. Tyler White, qui fait l’objet d’une injonction l’empêchant expressément de disposer de ses actifs, est néanmoins autorisé, à titre d’exception à l’interdiction générale, à payer ses dépenses de subsistance normales et ses frais juridiques et débours raisonnables. Il demande à la Cour de clarifier ce qui est permis à la lumière des critères énoncés dans l’ordonnance interlocutoire. Lors de l’audition de la requête, son avocat avait admis que M. White devait se conformer à la décision de la Cour. Il ne cherche pas à demander à la Cour de revoir sa décision de prononcer l’injonction, ni même d’ajouter des exceptions à l’interdiction générale de disposer de ses actifs. À mon avis, cela constitue un exemple de l’exercice par la Cour du plein pouvoir d’accomplir le rôle que la loi lui a confié : déterminer si l’ordonnance devrait permettre la vente d’actifs précis dans le but de mettre à disposition des ressources pour payer les dépenses de subsistance normales et les frais, honoraires et débours juridiques raisonnables; les débours pour dépenses raisonnables étant supervisés par un « fiduciaire », qui aurait le pouvoir discrétionnaire exclusif de déterminer ce qui constitue des « frais de subsistance normaux » et des « frais, honoraires et débours juridiques raisonnables ». De plus, la vente des actifs serait laissée au défendeur sans aucune supervision; le « fiduciaire » recevrait ce que le défendeur lui transférerait.

B. Si la Cour accorde l’autorisation

[51] En ce qui concerne le bien‐fondé de la requête dont la Cour est saisie, je ne suis pas disposé, à ce stade‐ci, à l’accepter. À mon avis, Warner Bros. Entertainment Inc. et al. ont présenté des arguments convaincants pour refuser la réparation demandée par M. White.

[52] Il y a de nombreuses raisons de refuser d’appuyer la thèse du défendeur. On peut les résumer en disant que le dossier présenté à la Cour est totalement inadéquat.

[53] Comme l’a souligné la Cour lors de l’audition de la présente requête, et comme l’avocat des demandeurs en a convenu à juste titre, la question n’est pas celle de savoir si le défendeur a droit à des frais de subsistance et de payer les frais juridiques nécessaires pour se défendre contre les actions en justice auxquelles il fait face. Dans la mesure où un dossier approprié assorti de divulgations adéquates est présenté, la réparation prévue au paragraphe 2M) devrait être facilement accessible. Le problème, c’est plutôt que le présent dossier, à ce stade‐ci, ne répond pas aux exigences minimales. En bref, il n’est pas possible de déterminer si la disposition des actifs est nécessaire, compte tenu des actifs financiers en liquidités d’au moins 744 000 $ qui étaient disponibles en novembre 2020, immédiatement après l’exécution de l’ordonnance provisoire. Ces ressources n’ont pas été communiquées par le défendeur et on ne connaît toujours pas l’utilisation faite de ces ressources, le cas échéant. Il s’agit d’une condition préalable pour que la Cour envisage d’accueillir la requête.

[54] À mon avis, les demanderesses ont raison de soutenir que le critère élaboré par la juge Molloy de la Cour supérieure de l’Ontario dans la décision CIBC, précitée, constitue une orientation appropriée en l’espèce. Comme la juge Molloy l’a fait remarquer il y a une vingtaine d’années, [traduction] « il y a étonnamment peu de jurisprudence canadienne sur le critère permettant de déterminer s’il faut autoriser des paiements à partir de comptes ou d’actifs gelés par une injonction interlocutoire Mareva interlocutoire ou une injonction exclusive » (au para 14). Nous avons ici une injonction Mareva typique, et la décision CIBC a effectivement été utile.

[55] Il vaut la peine de se reporter à certains paragraphes de la décision CIBC pour mieux comprendre la genèse du critère à quatre volets :

[traduction]

[16] Une injonction Mareva n’exige pas que le demandeur démontre un droit de propriété sur l’actif visé par l’injonction et n’exige pas que le demandeur établisse un cas de fraude ou de vol. Il s’agit d’une exception reconnue à la règle établie dans Lister v Stubbs (1890), 45 Ch. D. 1, selon laquelle le tribunal n’a pas compétence pour rattacher les actifs d’un débiteur à la protection d’un créancier avant que le créancier obtienne un jugement. En raison de la nature exceptionnelle de la réparation, le critère relatif au bien‐fondé de l’obtention d’une injonction Mareva est plus exigeant que pour les autres mesures injonctives et exige que le demandeur établisse une preuve prima facie solide : Chitel v Rothbart (1983), 1982 CanLII 1956 (ON CA), 39 O.R. (2d) 513, aux pages 522 et 532 (C.A.). En plus des autres exigences d’une injonction, le demandeur doit démontrer que le défendeur prend des mesures pour mettre ses actifs hors de la portée des créanciers, soit en les soustrayant à la compétence du tribunal, soit en les dissimulant ou en disposant de ceux‐ci autrement que dans le cours normal des affaires ou de la vie : Chitel v Rothbart, aux pages 532 et 533.

[17] L’objet de l’injonction Mareva est limité. Elle vise à empêcher un défendeur de prendre des mesures inhabituelles pour mettre ses actifs hors de la portée du demandeur afin de contrecarrer tout jugement que le demandeur pourrait éventuellement obtenir. Elle ne vise pas à donner au demandeur la priorité sur les autres créanciers du défendeur, ni à empêcher le défendeur d’exercer ses activités dans le cours normal des affaires et de payer d’autres créanciers. La nature de l’injonction Mareva est telle qu’elle est habituellement demandée et accordée, en premier lieu, sans avis au défendeur, mais elle est ensuite assujettie à une requête du défendeur visant à modifier l’injonction pour permettre les paiements dans le cours normal des affaires ou de la vie. Comme l’a fait remarquer l’English Queen’s Bench dans Iraq Minister of Defence v Arcepey Shipping Co. S.A., [1980] 2 W.L.R 480 aux pages 485 à 486 :

[...] l’injonction Mareva permet de procéder discrètement afin de prévenir toute action du défendeur visant à mettre ses actifs hors de portée du ressort du tribunal. Pour atteindre ce résultat, l’injonction doit prendre une forme large, car, par exemple, un transfert par le défendeur à un collaborateur dans le pays pourrait mener à un transfert d’actifs à l’étranger par ce collaborateur. Mais il ne s’ensuit pas que, après avoir établi l’injonction, le tribunal ne devrait pas, par la suite, permettre que le défendeur autorise le transfert d’actifs s’il convainc le tribunal qu’il a besoin de l’argent à une fin qui n’entre pas en conflit avec la politique qui sous‐tend le champ d’application de la décision Mareva.

... Pour ma part, je ne crois pas que le champ d’application de la décision Mareva avait pour but de réécrire ainsi le droit anglais de l’insolvabilité. En effet, il est clair d’après les autorités que Mareva n’avait pas pour but d’améliorer la position des demandeurs dans une situation d’insolvabilité, mais d’empêcher l’injustice qui se produirait si un défendeur étranger retirait ses actifs du pays alors que ces actifs auraient pu autrement être disponibles pour satisfaire à un jugement.

[18] Ce principe a été endossé par la Cour suprême du Canada (citant avec approbation la décision Iraqi Ministry of Defence) dans Aetna Financial Services Ltd. c Fegelman (1985), 1985 CanLII 55 (CSC), 15 D.L.R. (4th) 161 à 177. Ainsi, même si l’injonction Mareva peut avoir été accordée à l’origine sous une forme large et générale, on envisage de la modifier ultérieurement pour permettre au défendeur de maintenir son niveau de vie normal et de rembourser les dettes légitimes accumulées dans le cours normal des choses. Il est courant que de telles exemptions comprennent le paiement de frais de subsistance ordinaires et de frais juridiques raisonnables pour assurer la défense dans le cadre de la poursuite : University of British Columbia v Conomos, [1989] B.C.J. N 2269 (B.C.S.C.); Kelly v Brown, [1990] O.J. No 419 (Ont.Ct.Gen.Div.); National Bank of Canada v Melnitzer, [1997] O.J. No 2424 (Ont.Ct.Gen.Div.); Pharma‐Investment Ltd. v Clark, [1997] O.J. No 1334 (Ont.Ct.Gen.Div.); Halifax plc v Chandler, [2001] E.W.J. No 5249 (R.C.J.C.A.).

[19] Les arrêts anglais appliquent un critère préliminaire avant de prendre une mesure de redressement à l’égard d’une injonction Mareva. En vertu de ces pouvoirs, avant qu’une ordonnance ne soit rendue autorisant le paiement de dépenses à partir de fonds gelés par une injonction Mareva, le défendeur doit convaincre le tribunal qu’il ne détient pas d’autres actifs à partir desquels il peut effectuer les paiements : Halifax plc v Chandler, au paragraphe 17; Ostrich Farming Corporation v Ketchell, 10 décembre 1997, English Court of Appeal (Civil Division), selon Roch et Millett LJJ. Même si je n’ai pu trouver aucune autorité canadienne qui adopte explicitement ce critère, je crois qu’il est implicite dans bon nombre des décisions. Il est tout à fait logique qu’il en soit ainsi. Supposons, par exemple, qu’un défendeur a un compte dans le pays contenant 100 000 $ et que ces fonds sont dûment gelés par une injonction Mareva à la demande d’un demandeur qui a une réclamation dépassant ce montant et qui a démontré que le défendeur tente de mettre les fonds hors de la portée du tribunal. S’il s’agissait de la seule source de fonds du défendeur, on peut facilement comprendre pourquoi on permettrait que ses frais de subsistance ordinaires soient payés à même le compte. Cependant, si le défendeur a des millions de dollars dans d’autres comptes qui ne sont pas visés par l’injonction Mareva, il n’est pas raisonnable d’épuiser d’abord les actifs visés par l’injonction avant d’avoir recours aux autres fonds. Par conséquent, j’estime qu’il convient d’appliquer ce critère préliminaire en l’espèce.

[Non souligné dans l’original.]

[56] Ainsi, l’injonction Mareva exige, avant d’autoriser la dépense de ressources pour les frais de subsistance et les frais juridiques, que l’absence d’autres actifs soit établie. Le critère à appliquer se trouve au paragraphe 26 de la décision CIBC :

[traduction]

i) Le défendeur a‐t‐il établi, au vu de la preuve, qu’il ne détient aucun autre actif disponible pour payer ses dépenses que ceux qui sont gelés par l’injonction?

ii) Dans l’affirmative, le défendeur a‐t‐il démontré, au vu de la preuve, qu’il existe des actifs visés par l’injonction qui proviennent d’une source autre que le demandeur, c’est‐à‐dire des actifs visés par une injonction Mareva, mais qui ne constituent pas une revendication d’exclusivité?

iii) Le défendeur a droit à l’utilisation d’actifs non exclusifs gelés par l’injonction Mareva pour payer ses frais de subsistance, ses dettes et ses frais juridiques raisonnables. Ces actifs doivent être épuisés avant que le défendeur ait le droit de se tourner vers les actifs faisant l’objet de la revendication d’exclusivité.

iv) Si le défendeur a satisfait aux trois critères précédents et a quand même besoin de fonds pour couvrir ses frais de subsistance légitimes et pour financer sa défense, le tribunal doit tenir compte des intérêts divergents du demandeur en ne permettant pas au défendeur d’utiliser l’argent du demandeur à ses propres fins et en veillant à ce que le défendeur ait la possibilité de présenter sa défense avant que les biens en son nom ne lui soient retirés sans procès. Pour soupeser les intérêts des parties, il est pertinent que le tribunal tienne compte de la solidité de la preuve du demandeur, ainsi que de la mesure dans laquelle le défendeur a présenté des arguments défendables pour réfuter la demande de règlement du demandeur.

[57] Comme on peut le constater, le premier obstacle consiste pour le défendeur à établir l’absence d’actifs disponibles; le fardeau initial incombe à la personne qui cherche à avoir accès aux ressources. Si le premier volet du critère n’est pas satisfait, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres volets. En toute franchise, nous ne savons pas s’il y a d’autres actifs que les propriétés mentionnées dans la requête. En revanche, les demanderesses ont établi l’existence de ressources financières importantes. J’estime que le fardeau initial n’a pas été satisfait en l’espèce. Avant d’avoir recours à la disposition de propriétés génératrices de revenus, le défendeur devait, à tout le moins, expliquer ce qui est advenu des 744 000 $ et, possiblement, divulguer l’existence d’autres actifs, financiers ou autres. Une autorisation pourrait être accordée pour l’utilisation d’actifs financiers pour couvrir les frais de subsistance et les frais juridiques, une fois définis et communiqués par le défendeur. Ce dernier a négligé de le faire. Le niveau des actifs financiers qui, par définition, peuvent être facilement déplacés, n’a pas été établi. En effet, d’après le travail effectué par l’avocat des demanderesses, une somme d’argent importante (sur les 744 000 $ découverts) n’a toujours pas été retracée. Un tribunal doit avoir une vue d’ensemble avant de pouvoir accorder l’autorisation de disposer d’actifs, comme des biens immobiliers qui génèrent des revenus.

[58] Le critère établi dans la décision CIBC a reçu l’assentiment de la Cour d’appel de l’Ontario dans Waxman v Waxman, 2007 ONCA 326, 42 CPC (6th) 37 [Waxman]. Après avoir fait référence au critère à quatre volets, la Cour d’appel a clairement indiqué que le critère s’applique aux injonctions Mareva et que ce fardeau incombe à la personne qui demande l’accès, et non l’inverse :

[traduction] :

[38] Il est donc évident que peu importe si l’injonction est de nature exclusive ou s’il s’agit d’une injonction Mareva, la première question est toujours la même — le défendeur a‐t‐il établi qu’il ne détient aucun autre actif à partir duquel payer les dépenses? À mon avis, le présent appel porte sur cette question. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de déterminer si la source des fonds en l’espèce a fait l’objet d’une injonction exclusive (comme l’a conclu le juge de la requête) ou d’une injonction Mareva (comme fortement souligné par l’avocat de Chester).

[39] D’après Credit Valley, il est clair qu’il incombe au défendeur de prouver qu’il ne détient pas d’autres actifs que ceux qui sont gelés pour payer ses frais juridiques. Comme il a été mentionné précédemment, le défendeur doit établir « au vu de la preuve » qu’il ne détient pas d’autres actifs : Credit Valley au paragraphe 26. En l’espèce, Chester a tenté de s’acquitter de ce fardeau au moyen de l’affidavit de son fils, Robert Waxman. Dans cet affidavit, Robert a déclaré que « les ressources de Chester pour payer les frais juridiques sont très limitées » (par. 28) et que « depuis janvier [2006], mon père et moi avons travaillé très fort afin de trouver un arrangement pour financer les frais juridiques impayés [...] et les frais susceptibles d’être engagés pendant le reste du renvoi » (par. 29). Robert ajoute qu’en raison du diagnostic récent de cancer à un stade avancé de Chester, « toutes les ressources de notre famille sont conservées pour financer le traitement médical de Chester » (par. 30). Robert déclare qu’il y a « absence de sources de fonds tierces avec lesquelles payer les frais juridiques et professionnels de Chester relativement au renvoi » (par. 32).

[59] La Cour d’appel a souligné que [traduction] « Robert a été contre‐interrogé sur cet affidavit. Il a refusé de répondre à pratiquement toutes les questions concernant les ressources à sa disposition et à celle de son père » (au para 40), justifiant ainsi une inférence défavorable. J’ai lu le contre‐interrogatoire du défendeur sur son affidavit pour cette requête; le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il était réticent à répondre à des questions au sujet de ses actifs. Comme dans l’arrêt Waxman, la seule conclusion qui peut être tirée des faits au dossier est que le défendeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait, afin de disposer des actifs générateurs de revenus. Cela est fatal.

[60] Je suis bien sûr conscient que les ressources financières pourraient fort bien être assujetties à l’injonction Mareva. Le manque de transparence de la part de M. White donne à penser que la totalité du montant n’est peut‐être pas hors de sa portée. Toutefois, avant d’autoriser la disposition de biens immobiliers générant 8 000 $ par mois en revenus de location, il incombe au défendeur de faire preuve de transparence. Qu’est‐il advenu des 744 000 $ dont on savait qu’ils seraient disponibles le 24 novembre 2020? Y a‐t‐il plus d’actifs financiers cachés? Quel protocole a dû être établi pour le paiement des frais juridiques?

[61] J’ajoute à titre de mesure raisonnable que la proposition du défendeur de disposer de ses actifs, sans aucune contrainte énoncée quant à la façon dont il procéderait, puis le transfert à un fiduciaire non identifié du pouvoir de payer les frais de subsistance et les frais juridiques, sans aucun paramètre pour qualifier ce que doivent être des « dépenses de subsistance normales » et des « frais, honoraires et débours juridiques raisonnables », sont tout à fait inadéquats. En effet, le défendeur, dont les conversations interceptées tendent à montrer qu’il dissimulera ses actifs, demande à la Cour un chèque en blanc. À mon avis, il ne s’agit pas d’un exercice approprié de la pleine compétence de la Cour.

[62] Cela suffirait pour disposer de la requête. Toutefois, j’aimerais ajouter deux observations. Le défendeur avait soumis, à titre de pièce B de son affidavit pour cette requête, ce qui est présenté comme ses dépenses et revenus mensuels. D’abord, il est frappant de constater qu’aucun revenu d’emploi n’est enregistré. L’affidavit indique que le défendeur a occupé un emploi pendant six semaines à l’été 2022, avant d’être « congédié » (affidavit du 21 juillet 2022, paragraphe 5). Il n’a fait preuve d’aucune diligence pour obtenir un emploi avant cette période (entre novembre 2020 et juin 2022). Par ailleurs, un affidavit supplémentaire daté du 12 octobre 2022 indique que M. White est entré en fonction en septembre 2022 à un salaire qui n’est pas pris en compte dans les documents fournis à la Cour. Ce salaire réduirait considérablement le manque à gagner qu’il a indiqué dans la pièce B une fois le revenu de location comptabilisé.

[63] Comme on y a déjà fait allusion, cette pièce indique un besoin de 13 000 $ par mois. Il est difficile de comprendre comment on en est arrivé à ce chiffre. Je suis d’accord avec la juge Molloy dans la décision CIBC lorsqu’elle dit qu’un tribunal ne devrait pas examiner de trop près les dépenses d’un défendeur. Cependant, la juge Molloy a pris soin de dire qu’un tribunal ne devrait pas [traduction] « interférer avec le paiement légitime des dépenses par le défendeur » et que « à condition que les dépenses engagées soient véritablement légitimes, il n’est pas, à [son] avis, approprié d’examiner de trop près leur pertinence » (au para 39). Je suis du même avis.

[64] Il est difficile de ne pas remettre en question la légitimité des factures de chauffage, d’électricité, de téléphones cellulaires et d’Internet, qui s’élèvent à 1 100 $ par mois, soit 13 000 $ par année. De même, dans le tableau, 36 000 $ par année sont réservés pour ce qui est présenté comme des « paiements de dettes diverses », sans précision. Je répète : M. White avait le contrôle de 744 000 $ en novembre 2020. On dit que l’épicerie coûte 18 000 $ par année. À mon avis, ce sont des montants qui, avec d’autres, devraient être révisés et justifiés avant la vente de biens immobiliers générant des revenus locatifs. Je partage le commentaire du juge McEwen de la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans la décision Canadian National Railway Company v Holmes et al., 2015 ONSC 1475, qui a non seulement appliqué le critère de la décision CIBC, mais qui a également fait remarquer que [traduction] : « à ce moment‐là, j’ai conclu qu’il était raisonnable de le faire, mais que toute autre requête en vue d’obtenir une autre réparation nécessiterait des détails sur les dépenses, l’emploi, les gains, les attentes économiques, entre autres » (au para 14).

[65] Il est également étonnant de constater que M. White semble avoir acheté un véhicule pendant une période où il était sans emploi et où ses actifs étaient gelés. Il déclare qu’il serait disposé à se départir du Dodge Ram 2022 (affidavit du 21 juillet 2022, paragraphe 21) au moyen d’une vente qui pourrait générer 50 000 $ (moins le prix d’un véhicule moins coûteux). Compte tenu des circonstances, l’achat du véhicule est certainement étonnant, mais il serait pertinent d’en disposer pour sa juste valeur marchande.

VI. Conclusion

[66] La requête en autorisation présentée à la Cour pour la vente ou la disposition des actifs suivants est rejetée :

  • terrain vacant situé au 27, promenade Moody Park, Williamswood (Nouvelle‐Écosse) B3V 1B8;

  • résidences situées au 6 et au 8, rue Frances, Halifax (Nouvelle‐Écosse) B3R 2A3;

  • résidence située au 13, av. Hartlen, Halifax (Nouvelle‐Écosse) B3R 1R5.

[67] La vente du véhicule à moteur Dodge Ram 2022 est par ailleurs autorisée. Le produit net de la vente (valeur du Dodge Ram 2022 — coût d’un véhicule de remplacement modeste) doit être appliqué au paiement des dépenses de subsistance normales.

[68] Le dossier mis à la disposition de la Cour était totalement incomplet. Le défendeur a dû établir, au vu de la preuve, qu’il ne détient pas d’autres actifs, de sorte qu’il doit maintenant vendre des biens immobiliers générant des revenus de location. Il ne l’a pas fait. De plus, sa suggestion de retenir les services d’un « fiduciaire » pour collaborer au versement de l’argent était dénuée de réalisme et ne comportait aucune précision quant au mandat de ce fiduciaire.

[69] La partie requérante de la présente requête n’a pas fait preuve de la transparence requise pour convaincre la Cour que les ressources financières que l’on savait disponibles au défendeur ont été retracées. La même transparence est nécessaire pour s’assurer de l’existence, le cas échéant, d’autres ressources financières. Enfin, il n’y avait pas de protocole pour le paiement des frais juridiques, pas plus qu’il n’y avait de preuve suffisante pour convaincre la Cour que les dépenses mensuelles ou le compte des dépenses de subsistance normales sont vraiment légitimes.

[70] Comme l’ont admis les demanderesses, la question ne porte pas tant sur le fait que le défendeur n’a pas accès à des sommes d’argent suffisantes à partir desquelles une autorisation pourrait être accordée pour payer des frais de subsistance et des frais juridiques raisonnables. Il s’agit plutôt du fait que, selon le dossier présenté à la Cour, cela ne suffit pas pour satisfaire aux exigences de base. Un dossier différent et considérablement remanié pourrait générer un résultat différent, ce que les demanderesses reconnaissent facilement, à juste titre.

[71] Les parties ont été consultées et elles sont d’accord pour que la personne qui obtient gain de cause relativement à la présente requête se voie accorder les dépens sous la forme d’un montant forfaitaire de 7 500 $, taxes et débours compris. Étant donné que les demanderesses ont largement réussi à faire rejeter la requête, les dépens sont adjugés en leur faveur, peu importe l’issue de la cause.

[72] Le défendeur a demandé une ordonnance de confidentialité dans des modalités qui ont été soumises à la Cour. Les demanderesses ne se sont pas opposées à la délivrance d’une telle ordonnance. L’ordonnance est raisonnable. Je remarque que la Cour a cherché à réduire le plus possible, dans ses motifs de jugement, les mentions de renseignements financiers et personnels concernant M. White et sa famille. Toutefois, conformément à l’article 5 de l’ordonnance de confidentialité, certains renseignements devaient être divulgués pour la compréhension des motifs du jugement.


JUGEMENT dans le dossier no T‐1176‐20

LA COUR REND LE JUGEMENT QUI SUIT :

  1. La requête en autorisation de vendre les actifs suivants ou par ailleurs d’en disposer est rejetée :

    • terrain vacant situé au 27, promenade Moody Park, Williamswood (Nouvelle‐Écosse) B3V 1B8;

    • résidences situées au 6 et au 8, rue Frances, Halifax (Nouvelle‐Écosse) B3R 2A3;

    • résidence située au 13, av. Hartlen, Halifax (Nouvelle‐Écosse) B3R 1R5.

  2. La vente du véhicule à moteur Dodge Ram 2022, à sa juste valeur marchande, est autorisée. Le produit de la vente, moins le coût d’un véhicule de remplacement modeste, doit être appliqué au paiement des dépenses de subsistance normales.

  3. Les dépens de 7 500 $, taxes et débours compris, doivent être payés à la partie qui a gain de cause dans le cadre de la présente requête, les demanderesses, peu importe l’issue de la cause.

  4. Une ordonnance de confidentialité est annexée au jugement et aux motifs.

« Yvan Roy »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‐1176‐20

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

WARNER BROS. ENTERTAINMENT INC. ET AL c TYLER WHITE ET AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 octobre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 3 février 2023

 

COMPARUTIONS :

Ryan Evans

Evan Nuttall

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Dino Clarizio

Howard Knopf

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Ridoutt & Maybee LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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