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Date : 20230202


Dossier : IMM-5329-21

Référence : 2023 CF 154

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 février 2023

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

EDOGHOGHO DEZI IKPONMWONBA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse est citoyenne du Nigéria et âgée de 38 ans. Après être entrée au Canada à partir des États‑Unis de façon irrégulière le 2 mars 2018, elle a demandé l’asile au motif qu’elle craint des membres de la famille de son conjoint de fait. Elle affirme que ces personnes ont voulu s’en prendre à elle parce qu’elle a refusé de subir la mutilation génitale féminine et d’autres rituels traditionnels lorsqu’elle est devenue enceinte.

[2] La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la CISR) a rejeté la demande d’asile de la demanderesse le 21 novembre 2019. La SPR a conclu que le manque de crédibilité de la demanderesse était déterminant, mais que, en tout état de cause, celle-ci avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable à Abuja ou à Port Harcourt.

[3] La demanderesse a interjeté appel de cette décision devant la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la CISR. Dans une décision du 16 juillet 2021, la SAR a rejeté l’appel et a confirmé la décision de la SPR selon laquelle la demanderesse n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger. La SAR a conclu que le manque de crédibilité de la demanderesse était déterminant. Par conséquent, il n’était pas nécessaire d’examiner la question d’une PRI.

[4] La demanderesse sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) au motif que la décision est déraisonnable. Plus précisément, la demanderesse soutient que la SAR a commis des erreurs susceptibles de contrôle concernant : a) la conclusion déraisonnable selon laquelle les affidavits de la mère et du conjoint de fait de la demanderesse ne corroboraient pas le récit de cette dernière des événements qui sont survenus au Nigéria; b) l’appréciation déraisonnable de la crédibilité de la demanderesse; c) l’appréciation déraisonnable de l’importance du fait que la demanderesse était rentrée à deux occasions au Nigéria après des vacances à l’étranger en dépit de ses craintes alléguées; d) l’appréciation déraisonnable du temps que la demanderesse a pris pour quitter le Nigéria en dépit de ses craintes alléguées.

[5] Je ne puis convenir que la SAR a commis des erreurs susceptibles de contrôle quant à un quelconque de ces éléments. La présente demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée.

[6] Les parties conviennent, et c’est aussi mon avis, que la décision doit être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable.

[7] Une décision raisonnable doit être « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 85). La cour de révision doit faire preuve de déférence à l’égard d’une décision qui possède ces attributs (ibid). Il n’appartient pas à la cour de révision qui applique la norme de la décision raisonnable d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur ou de modifier les conclusions de fait de ce dernier, à moins de circonstances exceptionnelles : voir Vavilov, au para 125. En même temps, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas une « simple formalité »; il demeure un contrôle rigoureux : voir Vavilov, au para 13.

[8] Il incombe au demandeur de démontrer que la décision de la SAR est déraisonnable. Avant de pouvoir infirmer la décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue « qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

[9] Aucun des motifs invoqués par la demanderesse ne justifie l’intervention de la Cour.

[10] En premier lieu, la SAR a examiné minutieusement les affidavits produits par la mère et le conjoint de fait de la demanderesse. Elle a conclu que ces documents n’ajoutaient rien au récit de la demanderesse parce qu’ils ne faisaient que répéter les principales allégations de la demanderesse. Cette conclusion était tout à fait raisonnable. Plus particulièrement, aucun des deux auteurs des affidavits n’a affirmé avoir une connaissance directe des circonstances ayant donné lieu aux craintes alléguées par la demanderesse.

[11] En deuxième lieu, la demanderesse affirme que, dans l’appréciation de sa crédibilité, la SAR a omis de reconnaître qu’elle souffrait d’un trouble de stress post-traumatique (TSPT), insistant plutôt indûment sur le rapport d’une psychologue (déposé par la demanderesse) dans lequel il est simplement indiqué que les symptômes de celle-ci [traduction] « laissent croire » qu’elle souffre d’un TSPT. Ce n’est pas mon avis. La SAR a raisonnablement conclu que la psychologue n’avait pas posé de diagnostic. De plus, la SAR a estimé important le fait que le récit des événements que la demanderesse a donné à la psychologue (et sur lequel la psychologue a fondé son évaluation) contenait au moins une divergence cruciale par rapport au récit qu’elle a présenté à la SPR. En outre, la SAR a conclu que le récit de la demanderesse n’était pas crédible à l’égard de quelques autres éléments. Il n’y a aucun motif justifiant une intervention de la Cour dans la conclusion de la SAR selon laquelle le rapport de la psychologue ne méritait qu’un faible poids. Quoi qu’il en soit, même en supposant, pour les besoins de l’argumentation, que la demanderesse est atteinte d’un TSPT, celle-ci a omis de démontrer en quoi cet élément aurait dû influer sur l’appréciation de la SAR quant à sa crédibilité eu égard aux circonstances particulières de l’espèce.

[12] De plus, la demanderesse soutient que la SAR a omis d’appliquer les Directives numéro 4 du président : Considérations liées au genre dans les procédures devant la CISR de façon raisonnable. Elle n’a toutefois pas fait valoir en quoi la façon dont la SAR avait traité ses éléments de preuve ne respectait pas les lignes directrices énoncées dans ce document.

[13] En troisième lieu, la SAR (comme la SPR) a estimé que le fait que la demanderesse était rentrée deux fois au Nigéria après des vacances aux États-Unis (la première fois en 2015 et l’autre, en 2017) dénotait une absence de crainte subjective. Selon le récit de la demanderesse, elle a commencé à craindre la famille de son conjoint en janvier 2013, lorsqu’elle a été agressée par quelqu’un qui brandissait une tige en acier, agression qui s’est soldée par une fausse-couche et une fracture à l’avant-bras gauche. Il était loisible à la SAR de rejeter les explications données par la demanderesse quant aux raisons pour lesquelles celle-ci était rentrée au Nigéria malgré ses craintes, et de conclure, plutôt, que le comportement de la demanderesse n’était pas compatible avec la crainte subjective qu’elle alléguait. Les observations présentées par la demanderesse contestant la conclusion de la SAR équivalent, en fait, à me demander d’apprécier à nouveau la preuve examinée par la SAR. Ce n’est pas le rôle d’une cour dans un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable.

[14] Enfin, il était également loisible à la SAR de conclure que la longue période écoulée avant que la demanderesse quitte le Nigéria n’était pas compatible avec sa crainte alléguée de la famille de son conjoint. La demanderesse a quitté le Nigéria pour se rendre au Canada (en passant par les États‑Unis) le 28 février 2018. Ici encore, la demanderesse me demande, en fait, d’apprécier à nouveau la preuve et d’arriver à une conclusion différente de celle de la SAR quant à l’importance accordée à la période qui s’est écoulée entre le moment où sa crainte aurait pris forme et celui où elle a fini par quitter le Nigéria. Ce n’est pas mon rôle de le faire.

[15] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[16] Les parties n’ont soulevé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5329-21

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est énoncée.

« John Norris »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5329-21

 

INTITULÉ :

EDOGHOGHO DEZI IKPONMWONBA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 MAI 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 FÉVRIER 2023

 

COMPARUTIONS :

Josephat O. Nwabuokei

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Monmi Goswami

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Blue House Law Professional Corporation

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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