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Dossier : T-1688-22

Référence : 2023 CF 179

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto, (Ontario), le 7 février 2023

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

MASTER SADDLES INC.

demanderesse

et

MOFFAT & CO.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La présente demande consiste en un appel, interjeté au titre l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 [la LMC], de la décision rendue le 17 juin 2022 par le registraire des marques de commerce [le registraire] concernant des procédures engagées en application de l’article 45 de la LMC, aux termes desquelles deux enregistrements de marque de commerce au nom de la demanderesse spécifiant des produits et des services identiques ont été modifiés de manière à supprimer tous les produits et certains services, hormis les services suivants : a) vente de harnais, nommément de selles, de colliers, de têtières et de fontes; et b) vente de mallettes.

I. Contexte

[2] Le 3 juillet 2013, la marque de commerce « MASTER SADDLES CANADA » [les mots servant de marque] a été enregistrée au Canada au nom de la demanderesse sous le no LMC854432.

[3] Le 3 juillet 2013, la marque de commerce représentant une forme ovale dans laquelle figure un cheval ainsi que des motifs de type western et les mots « Master Saddles Canada », reproduite ci-dessous, [le dessin-marque] a été enregistrée au Canada au nom de la demanderesse sous le no LMC854433 :

[4] Les mots servant de marque et le dessin-marque sont collectivement appelés ci-après les marques en cause.

[5] Les marques en causes ont été enregistrées pour emploi en liaison avec les produits suivants :

[6] Les marques en cause ont aussi été enregistrées pour emploi en liaison avec les services suivants :

  1. Importation, exportation, achat, vente et commerce de harnais, nommément de selles, de couvertures de selle, d’étriers, de brides, de licous, de rênes, de mors, de harnachements, de martingales, de bricoles, de colliers, de têtières et de fontes.

  2. b.Importation, exportation, achat, vente et commerce de vêtements et d’articles vestimentaires, nommément de chapeaux, de mouchoirs, de vestes, de gilets, de chemises, de cravates, de gants, de ceintures, de pantalons, de shorts, de protège-pantalons, de chaussettes, de bottes et de chaussures ainsi que de mallettes.

[7] Le 1er février 2021, le registraire a donné à la demanderesse un avis au titre de l’article 45 de la LMC, lui enjoignant de fournir, dans les trois mois suivant la date de l’avis, un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant, à l’égard de chacun des produits ou de chacun des services que spécifie l’enregistrement, si les mots servant de marque ont été employés au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis et, dans la négative, la date où ils ont été ainsi employés en dernier et la raison pour laquelle ils ne l’ont pas été depuis cette date. La période pertinente de trois ans pour les mots servant de marque s’étendait du 1er février 2018 au 1er février 2021.

[8] Le 2 février 2021, le registraire a donné un avis similaire en application de l’article 45 de la LMC relativement au dessin-marque. La période pertinente de trois ans pour le dessin-marque s’étendait du 2 février 2018 au 2 février 2021.

[9] Le 6 avril 2021, la demanderesse a produit l’affidavit de Cassio Salerno, fondateur et propriétaire de Master Saddles Inc., souscrit le 24 mars 2021, en réponse aux deux avis donnés en application de l’article 45.

[10] Le 27 juillet 2021, la partie requérante (la défenderesse en l’espèce) a déposé ses observations écrites.

[11] La demanderesse n’a présenté aucune observation écrite et aucune audience n’a eu lieu.

[12] Le 17 juin 2022, le registraire a rendu sa décision, dans laquelle il a conclu que les enregistrements des mots servant de marque et du dessin-marque seraient modifiés afin de supprimer l’état déclaratif des produits dans son intégralité et de supprimer des services de l’état déclaratif des services de manière à ce qu’il soit libellé comme suit :

[13] Le 17 août 2022, la demanderesse a déposé la présente demande par laquelle elle interjette appel de la décision du registraire et sollicite uniquement la réinscription au registre des mots servant de marque et du dessin-marque en relation avec certains produits et services, ce qui a donné lieu à une demande d’enregistrement des mots servant de marque et du dessin-marque en liaison avec les produits et services suivants (les produits et services qu’on propose de réinscrire au registre étant soulignés) :

[14] À l’appui de la demande, la demanderesse a produit un deuxième affidavit de M. Salerno, souscrit le 16 septembre 2022, qui a fourni une preuve additionnelle de l’emploi des marques.

[15] La défenderesse s’abstient de prendre position relativement à la demande.

II. L’analyse

[16] Selon le paragraphe 56(5) de la LMC, lors d’un appel à l’encontre d’une décision rendue par le registraire, la Cour peut examiner une preuve en plus de celle qui avait été fournie devant le registraire, et la Cour peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi. Dans le cadre de la procédure prévue à l’article 45, lorsque de nouveaux éléments de preuve sont déposés en appel et que ceux-ci auraient eu une incidence importante sur les conclusions de fait tirées par le registraire ou l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte et la Cour doit tirer ses propres conclusions et trancher la question de novo en tenant compte de toute la preuve qui lui est soumise [voir Caterpillar Inc c Puma SE, 2021 CF 974 au para 32].

[17] Pour être considérés comme « pertinents », les nouveaux éléments de preuve doivent être suffisamment importants et de valeur probante [voir Clorox Company of Canada, Ltd c Chloretec SEC, 2020 CAF 76 au para 21].

[18] La Cour dispose maintenant du deuxième affidavit de M. Salerno, qui traite directement de la question de l’emploi des marques en cause dans la pratique normale du commerce au cours des périodes pertinentes et qui est beaucoup plus complet que son premier affidavit qui avait été présenté au registraire. Je suis convaincue que cet élément de preuve a une valeur probante et qu’il aurait eu une incidence importante sur les conclusions tirées par le registraire. Par conséquent, la Cour tranchera la présente affaire de novo.

[19] L’article 45 de la LMC prévoit une procédure sommaire et expéditive pour que soient radiés du registre des marques de commerce les enregistrements de marques tombés en désuétude [voir Miller Thompson LLP c Hilton Worldwide Holding LLP, 2020 CAF 134 au para 9]. Dans le cadre de la procédure prévue à l’article 45, le critère à satisfaire pour établir l’« emploi » d’une marque n’est pas contraignant, et il n’est pas nécessaire que le propriétaire inscrit fournisse une preuve surabondante d’usage ou d’utilisation de la marque [voir Vêtement corporatifs Multi‑Formes Inc c Riches, McKenzie & Herbert LLP, 2008 CF 1237 au para 20].

[20] Le propriétaire d’une marque de commerce qui n’est décrite que sous forme de mots (c.‑à‑d. des mots servant de marque) a le droit d’employer les mots qui la composent dans la taille, le style de lettres, la couleur ou le motif de son choix. Par conséquent, l’emploi par la demanderesse du dessin-marque constitue également l’emploi des mots servant de marque [voir FFAUF SA c Industria di Diseno Textil, SA, 2020 CF 521 aux para 54, 57 et 60].

A. L’emploi en liaison avec des produits

[21] Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des produits si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces produits, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les produits mêmes ou sur les emballages dans lesquels ces produits sont distribués, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux produits à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée [voir le paragraphe 4(1) de la LMC].

[22] Même la preuve d’une seule vente effectuée dans la pratique normale du commerce serait suffisante pour que soit maintenu l’enregistrement, à condition qu’elle soit considérée comme une véritable transaction commerciale et qu’elle ne soit pas perçue comme ayant été conçue délibérément pour protéger l’enregistrement de la marque de commerce [voir Vêtement corporatifs Multi‑Formes Inc, précité, au para 22; Attraction Inc c Ethika Inc, 2018 CF 1136 au para 13].

[23] Les étiquettes apposées sur les produits au moment de la vente sont un exemple de la manière dont une marque de commerce peut être liée à des produits de manière à établir l’emploi de la marque au sens de l’article 4 de la LMC [voir Locke c Osler, Hoskin & Harcourt LLP, 2011 CF 1390 aux para 26 et 27].

[24] En l’espèce, la demanderesse affirme que M. Salerno a présenté de nouveaux éléments de preuve démontrant que des produits portant les marques en cause (sur les produits mêmes, sur les emballages dans lesquels ces produits ont été distribués ou sur les factures relatives à la vente de ces produits) ont été expédiés à des clients au Canada et que les clients ont effectivement reçu ces produits.

[25] Après avoir examiné le deuxième affidavit de M. Salerno, je suis convaincue que la preuve établit l’emploi des marques en cause dans la pratique normale du commerce en liaison avec les articles suivants vendus par la demanderesse au cours des périodes pertinentes :

[26] En ce qui concerne les mallettes, la preuve qui a été soumise à la Cour montre que la demanderesse les a offertes en vente pendant la période pertinente (y compris dans son catalogue), mais qu’aucune n’a été vendue, peut-être à cause de la pandémie de COVID-19. En l’absence de toute preuve d’un transfert dans la pratique normale du commerce, je ne suis pas convaincue qu’il existe une preuve d’emploi des marques en cause en liaison avec des mallettes au cours de la période pertinente. Je ne vois donc aucune raison de modifier les enregistrements afin d’inclure les mallettes dans la liste des produits énumérés.

B. L’emploi en liaison avec les services

[27] Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services [voir le paragraphe 4(2) de la LMC].

[28] Après avoir examiné le deuxième affidavit de M. Salerno, je suis convaincue qu’il y a emploi des marques en cause en liaison avec la vente de selles, d’étriers, de brides, de licols, de harnachements, de bricoles, de colliers, de têtières, de fontes et de mallettes pendant les périodes pertinentes, compte tenu de la liste de prix de la demanderesse pour 2018, du catalogue de décembre 2020 de la demanderesse et des factures liées à la vente de ces articles pendant la période pertinente (à l’exception des mallettes).

[29] La demanderesse demande à la Cour d’ordonner la modification des enregistrements pour qu’ils fassent référence non seulement à la vente de ces articles, mais aussi au « commerce » de ces articles. La demanderesse affirme que puisque les mots « commerce » et « vente » sont des synonymes, les mots « vente et commerce » renvoient la même activité et doivent donc tous deux se retrouver dans les enregistrements. À l’audition du présent appel, la demanderesse a admis que la Cour ne disposait d’aucune preuve d’un commerce quelconque des produits en cause (c’est-à-dire des produits en échange de services ou d’autres produits, par opposition à des produits en échange d’argent). En l’absence d’une telle preuve, je ne vois aucune raison de modifier les enregistrements pour y inclure les services de commerce.

[30] Compte tenu des conclusions que j’ai tirées précédemment, je suis convaincue que l’appel doit être accueilli en partie et que les enregistrements des marques en cause doivent être modifiés comme l’a demandé la demanderesse, sauf en ce qui concerne les mallettes et les services de commerce.

[31] Comme la défenderesse ne s’est pas opposée à la demande, la demanderesse ne sollicite pas le remboursement de ses dépens.

 




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