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Date : 20230206


Dossier : IMM‐1335‐22

Référence : 2023 CF 172

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 février 2023

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE:

Pham Than Lan LUU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Mme Pham Than Lan Luu, est citoyenne du Vietnam. Elle sollicite le contrôle judiciaire d’une décision du 26 janvier 2022 par laquelle la Section d’appel de l’immigration [la SAI] a rejeté son appel d’une mesure de renvoi que la Section de l’immigration [la SI] avait prise contre elle le 14 juillet 2020 après avoir jugé qu’elle était interdite de territoire pour grande criminalité en application de l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. La SAI n’était pas convaincue qu’il y avait suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier la prise de mesures spéciales au titre de l’alinéa 67(1)c) de la Loi.

[2] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SAI est raisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

II. Faits

[3] Mme Luu est devenue résidente permanente du Canada le 8 février 2001. Elle est mère de trois enfants âgés de 12, 10 et 9 ans. En avril 2014, en ce qui a trait à des chefs d’accusation remontant à 2011, Mme Luu a été reconnue coupable d’avoir tenu une maison de débauche aux termes du paragraphe 210(1) du Code criminel, LRC 1985, c C-46, une infraction passible d’un emprisonnement maximal de deux ans, et coupable de proxénétisme à l’égard de personnes mineures au titre de l’alinéa 212(1)h) du Code criminel, une infraction passible d’un emprisonnement maximal de dix ans.

[4] Le 19 février 2019, un rapport a été établi en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi, dans lequel un agent concluait que Mme Luu était interdite de territoire pour grande criminalité en application de l’alinéa 36(1)a) de la Loi. Par suite de ce rapport, l’affaire a été déférée à la SI conformément au paragraphe 44(2) de la Loi. Le 14 juillet 2020, la SI a confirmé que Mme Luu était interdite de territoire en application de l’alinéa 36(1)a) de la Loi et a pris une mesure de renvoi contre elle. Mme Luu a interjeté appel de la décision devant la SAI, qui a rejeté l’appel. Elle conteste maintenant la décision de la SAI par voie de contrôle judiciaire.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[5] La SAI a effectué son analyse conformément aux critères non exhaustifs prévus par la jurisprudence, a déterminé que le fardeau de preuve qui incombait à Mme Luu était celui de la prépondérance des probabilités et a indiqué que le critère juridique relatif aux motifs d’ordre humanitaire était de savoir si la preuve inciterait toute personne raisonnable « à soulager les malheurs d’une autre personne » dans le cas particulier de Mme Luu et de ses enfants.

[6] La SAI a conclu que les infractions à l’origine de la mesure de renvoi étaient graves et, plus particulièrement, qu’elles mettaient en cause des personnes mineures qui devraient être protégées de la prostitution. Selon la SAI, Mme Luu n’a exprimé aucun remords, elle a nié toute responsabilité et a présenté ses gestes comme des actions légitimes, déclarant qu’elle avait simplement loué son établissement à des masseuses – bien que la police n’ait trouvé aucune table de massage sur les lieux – et qu’une autre personne s’occupait du salon au moment où il a été découvert que des personnes mineures se livraient à des activités sexuelles. La SAI a fait remarquer que, en dépit de la relative clémence de la peine imposée à Mme Luu, celle-ci avait été reconnue coupable d’infractions comprenant l’exploitation sexuelle d’enfants, ce qui constituait un facteur extrêmement aggravant qui était non seulement criminel, mais amoral. Par ailleurs, la SAI a indiqué que Mme Luu avait été accusée d’autres crimes prévus à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, c 19, lesquels auraient été commis en 2019. Lors d’une intervention policière au domicile où vivaient Mme Luu et ses trois enfants, les policiers ont découvert, en plus de chiens agressifs laissés en liberté, une vaste exploitation de cannabis comportant 2 220 plants. La SAI a indiqué que la Direction de la protection de la jeunesse [la DPJ] avait alors été mandatée pour retirer les enfants de la garde de Mme Luu pendant environ six mois. Elle a précisé que, même si Mme Luu n’avait pas été condamnée pour les infractions en matière de drogue et que la cause était toujours pendante, il lui était loisible d’évaluer la crédibilité de Mme Luu en tenant compte de ce fait (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Solmaz, 2020 CAF 126). La SAI a mentionné que, au cours de l’audience, Mme Luu avait réitéré n’avoir rien fait de mal et avait donné des réponses peu convaincantes pour justifier ses actions.

[7] La SAI a également conclu que la possibilité de réadaptation de Mme Luu était faible. Elle a indiqué que, même si Mme Luu avait plaidé avoir admis ses torts, celle-ci n’avait toujours pas reconnu sa responsabilité criminelle. La SAI a aussi précisé que Mme Luu avait soutenu n’avoir rien fait d’illégal et que son avocat avait réglé l’affaire sans qu’elle ait à plaider coupable, alors que, en réalité, elle avait été condamnée. Qui plus est, en ce qui a trait au risque de récidive, la SAI a conclu que la situation financière de Mme Luu demeurait très préoccupante, puisque cette dernière détenait des centaines de milliers de dollars investis dans des immeubles et dans des comptes bancaires alors qu’elle ne déclarait que de très faibles revenus. Étant donné l’absence de remords de Mme Luu à l’égard de son comportement criminel et le fait que ses condamnations liées à la prostitution l’aient clairement amenée à se tourner vers la production de cannabis pendant un certain temps plutôt que de chercher à intégrer l’économie légale, la SAI n’était pas convaincue que Mme Luu eût choisi la voie de l’intégrité et la légalité.

[8] En outre, la SAI a examiné les éléments de preuve produits par Mme Luu au sujet de son emploi officiel actuel et a conclu que ceux-ci étaient vagues et ne suffisaient pas à démontrer convenablement toutes les sources de revenus de Mme Luu. La SAI a indiqué que l’avoir net de Mme Luu avoisinait le million de dollars. Elle a ajouté que, si l’accumulation de capital est habituellement un facteur favorable dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, en l’espèce, le fait qu’une part des revenus soit entachée de criminalité amoindrit la valeur à y accorder. La SAI a affirmé avoir bien de la difficulté à croire que Mme Luu travaillait autant qu’elle le prétendait, et que, même si c’était le cas, elle n’avait manifestement pas déclaré ses revenus au fisc.

[9] La SAI a ensuite procédé à l’évaluation de l’intérêt supérieur des trois enfants de Mme Luu. Elle a conclu que, même si les enfants n’avaient peut-être pas envie de déménager dans un autre pays, elle ne disposait que de peu d’éléments de preuve concernant leurs intérêts personnels, car Mme Luu avait beaucoup parlé d’elle durant son témoignage, mais peu de ses enfants. Entre les deux audiences, en vue de déterminer comment servir au mieux l’intérêt supérieur des enfants, la SAI a expressément demandé aux parties de présenter des scénarios pour ces derniers en cas de rejet de l’appel de Mme Luu. Celle-ci n’a pas accédé à la demande, et sa conseil a simplement déclaré que les enfants n’iraient jamais vivre au Vietnam advenant la prise d’une mesure de renvoi contre leur mère, avançant qu’ils n’étaient pas à même d’obtenir la citoyenneté vietnamienne. La SAI a jugé que Mme Luu avait collaboré de façon désorganisée, voire qu’elle avait délibérément refusé de coopérer en vue de trouver des solutions pour les enfants en cas de renvoi. De l’avis de la SAI, un parent attentionné et sérieux aurait présenté au tribunal les possibilités qui s’offraient à sa famille advenant son renvoi; en l’espèce, il aurait présenté les mesures à prendre pour que ses enfants puissent immigrer au Vietnam ou un plan à suivre pour leur permettre de poursuivre leur vie au Canada en l’absence de leur mère.

[10] Devant une telle situation, la SAI a entrepris d’évaluer elle-même les possibilités les plus probables, en commençant par la possibilité que les enfants immigrent au Vietnam. Au vu de la preuve au dossier, elle a reconnu que le fait que les enfants n’obtiendraient pas nécessairement automatiquement un statut au Vietnam posait problème, indiquant que Mme Luu aurait possiblement à entreprendre d’autres démarches pour que ceux-ci puissent vivre avec elle en toute légalité au Vietnam. La SAI a déterminé que, si les enfants réussissaient à immigrer au Vietnam, ils y mèneraient probablement une vie plus stable et moins stressante avec leur mère, qui aurait plus d’aisance avec la langue et vivrait auprès de la plupart des membres de sa famille, dont elle obtiendrait le soutien. En outre, selon la SAI, l’avoir de Mme Luu l’aiderait à s’établir au Vietnam. La SAI a également constaté que les enfants étaient habitués à changer d’école et qu’ils continuaient tout de même à obtenir de bons résultats scolaires, comme le démontraient les attestations de fréquentation scolaire indiquant des déménagements fréquents ainsi que le témoignage de Mme Luu à propos de la réussite scolaire de ses enfants.

[11] La SAI a ensuite examiné la possibilité que les enfants restent au Canada sans leur mère et a conclu que la DPJ aurait alors à leur trouver un milieu de vie. Elle a fait remarquer que, s’ils ne pouvaient pas être confiés à d’autres membres de leur famille ou à une famille d’accueil, les enfants devraient être placés en centre jeunesse. Elle a reconnu qu’il s’agirait-là de l’option la moins attrayante pour eux et ne la considérerait qu’en dernier recours. Elle a également invoqué le fait qu’une famille d’accueil avait pris les enfants en charge lorsque Mme Luu en avait perdu la garde en 2019. Dans l’ensemble, la SAI a conclu que, même si l’intérêt supérieur des enfants militait en faveur de l’appel de Mme Luu, ce facteur ne l’emportait pas sur les autres facteurs à pondérer pour déterminer s’il convenait de prendre des mesures spéciales. À ce sujet, elle a renvoyé à la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Legault, 2002 CAF 125, rendue par la Cour d’appel fédérale, qui a conclu que la présence d’enfants au Canada n’appelait pas un certain résultat. La SAI a indiqué que, en l’espèce, elle se devait d’analyser le comportement passé de Mme Luu avant de se prononcer sur la question de l’intérêt supérieur des enfants, puisque Mme Luu avait agi à maintes reprises sans tenir compte des répercussions possibles pour ses enfants. Lors de l’audience qui s’est tenue devant moi, l’avocat de Mme Luu a qualifié la situation familiale de dysfonctionnelle.

[12] Globalement, la SAI a conclu que la preuve ne militait pas en faveur de l’appel. Elle a déterminé que la gravité des crimes commis par Mme Luu à l’encontre de victimes mineures, le peu de remords de cette dernière ainsi que l’insuffisance de la preuve concernant la légalité de ses revenus actuels démontraient que le risque de récidive demeurait important et que, si un certain degré d’établissement avait été démontré, les dernières années de vie de Mme Luu au Canada avaient été agitées et instables. Elle a précisé qu’aucun élément de preuve ne démontrait qu’un retour au Vietnam causerait des difficultés particulières à Mme Luu, sauf dans le cas où elle aurait à se séparer de ses enfants si ceux-ci devaient rester au Canada. Elle a estimé que, si tel était le cas, l’intérêt supérieur des enfants ne l’emporterait pas sur les autres facteurs négatifs militant en faveur du renvoi de Mme Luu, ajoutant que la supervision déficiente dont celle-ci avait fait preuve à l’égard de ses enfants venait atténuer l’intérêt supérieur de ces derniers à voir leur mère demeurer au Canada.

[13] La SAI a conclu qu’il n’était pas approprié d’accorder un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi dans les circonstances de l’espèce et a rejeté l’appel, car elle n’était pas convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que les motifs d’ordre humanitaire étaient suffisants pour justifier la prise de mesures spéciales.

IV. Question en litige et norme de contrôle

[14] La seule question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la décision de la SAI est raisonnable. Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 16‐17, 23). La Cour doit intervenir seulement si la décision faisant l’objet du contrôle ne possède pas « les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » et si la décision n’est pas justifiée « au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‐ci » (Vavilov, au para 99).

[15] L’octroi d’une dispense pour motifs d’ordre humanitaire est réputé être une mesure de nature exceptionnelle et hautement discrétionnaire qui « mérite donc une déférence considérable de la part de la Cour » (Qiu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 138 au para 16; Qureshi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 335 au para 30). Il n’y a aucun « algorithme rigide » qui en détermine l’issue (Sivalingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1185 au para 7). Une dispense est considérée comme justifiée si la situation est de nature à inciter une personne raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy] aux para 13, 28; Caleb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1018 au para 10).

V. Analyse

[16] Mme Luu soutient que son appel devant la SAI relativement à la mesure de renvoi prise contre elle comportait deux volets, soit l’appel lui-même ainsi que la possibilité de se voir octroyer un sursis à l’exécution de cette mesure de renvoi advenant le rejet de l’appel. Au terme d’une décision longue et exhaustive au sujet de l’appel de la mesure de renvoi dans laquelle elle a examiné en détail les motifs d’ordre humanitaire pertinents, y compris l’intérêt supérieur des enfants, la SAI a traité de la possibilité d’octroyer un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi en deux courts paragraphes, que voici :

L’octroi d’un sursis à la mesure de renvoi n’est pas approprié

[78] Même si aucune des parties ne le recommande, le tribunal prend le temps d’expliquer ici pourquoi l’octroi d’un sursis à l’exécution du renvoi est écarté. Pour octroyer un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi, la SAI doit d’abord considérer qu’il existe suffisamment de motifs d’ordre humanitaire. En l’espèce, l’appelante n’atteint pas le seuil requis, principalement en raison de la gravité des crimes et du faible potentiel de réhabilitation.

[79] L’octroi d’une mesure spéciale repose sur une analyse pondérée des facteurs. De l’avis du tribunal, dans le présent cas, le faible potentiel de réhabilitation ne permet pas d’accorder la confiance requise pour la réussite d’un sursis d’exécution à la mesure de renvoi.

[17] Mme Luu affirme que la SAI aurait dû procéder à une analyse distincte des facteurs pertinents à un sursis, indépendamment de la longue analyse des motifs d’ordre humanitaire effectuée dans le cadre de l’examen de la question de l’appel. D’après Mme Luu, du moment que la SAI a décidé de soulever elle-même la possibilité d’octroyer un sursis, elle aurait dû mener l’analyse correspondante comme il se doit, même si, dans les faits, aucune des parties ne lui avait demandé d’examiner la possibilité d’octroyer un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi advenant le rejet de l’appel.

[18] Mme Luu avance que la SAI n’a tenu compte que de deux facteurs dans son analyse de la possibilité d’octroyer un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi : la gravité des crimes et le faible potentiel de réadaptation. L’avocat de Mme Luu a convenu que la SAI n’avait omis aucun facteur pertinent dans sa décision exhaustive sur la question de l’appel. Je lui ai néanmoins demandé de relever les facteurs que la SAI n’avait pas examinés, mais qu’elle aurait dû prendre en compte quand elle s’est penchée sur la possibilité d’octroyer un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi. L’avocat m’a répondu que la SAI n’avait pas tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants dans le contexte d’un éventuel sursis. En effet, même si l’avocat de Mme Luu a reconnu devant moi que la SAI n’était pas tenue de reproduire, dans la partie de la décision portant sur la possibilité d’octroyer d’un sursis, l’analyse entière des motifs d’ordre humanitaire effectuée dans le cadre de l’examen de l’appel, il a fait valoir que la SAI aurait dû, à tout le moins, énumérer les facteurs qu’elle avait effectivement pris en compte plutôt que de simplement mentionner les deux facteurs (la gravité des crimes et le faible potentiel de réadaptation) qui militaient contre l’octroi d’un sursis. Dans l’ensemble, Mme Luu soutient que la décision est inintelligible et donc, déraisonnable, parce que nous ne savons pas quels sont les facteurs que la SAI a évalués pour décider s’il y avait lieu d’accorder ou non un sursis, ni de quelle manière ces facteurs ont été évalués ou s’ils l’ont été indépendamment de l’opportunité d’accueillir l’appel.

[19] L’argument de Mme Luu ne me convainc pas. Malgré la brièveté de la partie de la décision concernant la possibilité d’octroyer un sursis, et mis à part le fait que la SAI a entrepris une telle analyse sans que les parties n’aient soulevé la question, il me semble évident que, au moment où la SAI s’est penchée sur la question du sursis, elle venait tout juste de soupeser en détail les motifs d’ordre humanitaire pertinents dans son analyse antérieure. Comme je le mentionne plus haut, Mme Luu n’a pas été en mesure de relever un seul facteur que la SAI aurait écarté dans son analyse relative à l’appel, mais qui aurait dû être examiné dans le contexte d’un sursis, ou qui aurait dû l’être différemment dans ce contexte. De toute évidence, la question de l’intérêt supérieur des enfants, à laquelle la SAI a consacré une grande partie de ses motifs, a eu un poids considérable dans la décision de celle-ci. Ce facteur était également au cœur des préoccupations de la SAI lorsqu’elle a examiné la question du sursis. La mention expresse (axée sur le passé) de la gravité des crimes commis et celle (axée sur l’avenir) du faible potentiel de réadaptation n’était rien de plus qu’un renvoi aux facteurs qui, mis en balance avec d’autres, militaient contre l’octroi d’un sursis. La SAI a confirmé que son obligation était d’évaluer le caractère suffisant des motifs d’ordre humanitaire, et je ne suis pas convaincu que la façon dont elle s’est exprimée montre que ce n’est pas ce qu’elle a fait. Même si la formulation aurait pu être plus claire, la perfection n’est pas la norme attendue dans les décisions administratives (Vavilov, au para 91), et je ne crois pas que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

[20] Je ne suis pas non plus convaincu que la SAI a mal évalué l’intérêt supérieur des enfants. Je reconnais qu’il s’agit d’une situation difficile pour les enfants et que, comme l’a fait remarquer l’avocat de Mme Luu, la famille est possiblement dysfonctionnelle. Cependant, Mme Luu a fourni très peu d’éléments de preuve et d’aide à la SAI sur la question de l’intérêt supérieur des enfants. Par conséquent, même dans l’hypothèse où j’admettrais que la SAI a omis un élément dans son analyse, je pourrais difficilement le lui reprocher en l’espèce. Quoi qu’il en soit, Mme Luu n’a pas su préciser l’élément qui, à ses yeux, n’avait pas été pris en compte dans l’analyse globale par la SAI de l’intérêt supérieur des enfants. En l’absence d’observations initiales sérieuses sur cette question, et compte tenu du fait que Mme Luu n’a pas répondu à l’invitation de la SAI de présenter d’autres observations sur l’intérêt supérieur des enfants advenant le rejet de l’appel (la question de savoir si les enfants mineurs suivraient leur mère ou resterait au Canada sous la garde de la DPJ), la SAI a du se débrouiller et évaluer elle‐même l’intérêt supérieur des enfants dans les divers scénarios, en se fondant sur la preuve limitée et sur le bon sens. Vu le peu d’éléments de preuve que la SAI avait entre les mains, je ne vois rien de déraisonnable dans ses conclusions relatives à l’intérêt supérieur des enfants.

[21] Il me paraît clair que la SAI a pris en considération tous les facteurs relevés par Mme Luu pour évaluer l’intérêt supérieur des enfants. La SAI a suivi les étapes énoncées dans la décision Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 166, c’est-à-dire qu’elle a établi qu’il était dans l’intérêt supérieur des enfants que leur mère demeure au Canada, qu’elle a examiné différents scénarios pour évaluer l’incidence d’un renvoi sur les enfants et qu’elle a soupesé ce facteur par rapport à tous les autres facteurs pertinents pour en arriver à sa décision. En fin de compte, je ne suis pas convaincu que le SAI a commis une erreur susceptible de contrôle.

[22] La vérité qui gêne Mme Luu, c’est que la principale réserve de la SAI – celle qui a imprégné l’ensemble de sa décision – concernait l’absence de remords de la part de Mme Luu pour ses actions antérieures, conjuguée à une preuve peu convaincante qui ne permettait pas de démontrer que la conduite actuelle de cette dernière témoignait d’une volonté de se racheter et d’un désir de réadaptation. Les facteurs invoqués par Mme Luu, à savoir les emplois légitimes qu’elle occupait depuis peu dans un salon de manucure et un restaurant – même si l’on exclut la fiabilité discutable des éléments de preuve à cet égard – n’ont pas suffi à convaincre la SAI que la situation particulière de la demanderesse était de nature à inciter une personne raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne (Kanthasamy, aux para 13, 28).

[23] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que Mme Luu n’a pas démontré que la décision de la SAR était déraisonnable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

VI. Conclusion

[24] La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‐1335‐22

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Peter G. Pamel »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‐1335‐22

 

INTITULÉ :

PHAM THAN LAN LUU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 DÉCEMBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 FÉVRIER 2023

 

COMPARUTIONS :

Mark Gruszczynski

Pour la demanderesse

Émilie Tremblay

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Canada Immigration Team

Westmount (Québec)

 

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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