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Date : 20230208


Dossier : IMM-6947-21

Référence : 2023 CF 187

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 février 2023

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

CHUNYAN XU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse, Chunyan Xu, sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 3 septembre 2021 par la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La SAR a rejeté l’appel de Mme Xu et a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle elle n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Mme Xu est une citoyenne de la Chine qui craint d’être victime de persécution religieuse en raison de sa foi chrétienne. Elle affirme qu’elle s’est tournée vers le christianisme pour l’aider à faire face à la violence physique et psychologique infligée par son ex‑mari et qu’elle continue de craindre ce dernier ainsi que les autorités chinoises.

[3] La crédibilité était la question déterminante sur laquelle la SPR et la SAR devaient statuer. La SPR a conclu que les allégations de violence familiale et de persécution religieuse faites par Mme Xu n’étaient pas crédibles. En appel, la SAR a conclu que la SPR avait eu raison de conclure que Mme Xu n’avait pas établi qu’elle avait fui la Chine en raison de la violence familiale dont elle était victime. La SAR a également tenu compte des conclusions de la SPR concernant l’authenticité de la foi chrétienne de Mme Xu. Bien que la SAR ait conclu que la SPR avait commis des erreurs concernant certaines de ses conclusions défavorables en matière de crédibilité, elle a convenu avec la SPR que Mme Xu n’était pas crédible en ce qui concerne l’authenticité de sa foi religieuse.

[4] Mme Xu soutient que la SAR a appuyé sa décision de rejeter son appel sur un certain nombre de conclusions fondées sur des hypothèses ou une interprétation erronée de la preuve, y compris une interprétation erronée de la preuve objective relative à la situation dans le pays. Elle soutient que ces erreurs rendent la décision déraisonnable.

[5] Le défendeur fait valoir que la SAR a évalué la preuve de façon indépendante et a conclu qu’en dépit de certaines erreurs, la décision de la SPR était néanmoins étayée par d’autres conclusions, y compris des conclusions que Mme Xu n’a pas contestées en appel. Il soutient que la décision de la SAR est raisonnable.

[6] Il faut procéder au contrôle du caractère raisonnable de la décision de la SAR conformément aux principes directeurs établis dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est empreint de déférence, mais demeure rigoureux : Vavilov, aux para 12‑13, 75 et 85. Lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité : Vavilov, au para 99. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle, et elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, au para 100.

[7] Mme Xu soutient que la SAR a commis une erreur dans ses conclusions au sujet de l’endroit où elle vivait en Chine, de son divorce, de l’absence d’une citation à comparaître coercitive délivrée par le Bureau de la sécurité publique [le BSP] et de l’authenticité de sa foi chrétienne.

[8] La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle Mme Xu vivait seule depuis 2015, ce qui a miné la crédibilité de son affirmation selon laquelle elle avait fui la Chine en 2018 pour échapper à la violence familiale dont elle était victime. La SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur lorsqu’elle a privilégié les renseignements figurant dans deux documents délivrés par le gouvernement chinois — la carte d’identité de résident [la CIR] de Mme Xu et l’enregistrement de son hukou. Eu égard aux autres conclusions en matière de crédibilité, la SAR a convenu que ces documents constituaient une source d’information plus fiable que le témoignage de Mme Xu.

[9] Mme Xu soutient que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’elle ne vivait pas avec son mari pendant la période pertinente. Elle allègue que la SAR n’a pas tenu compte de la preuve objective relative à la situation dans le pays dans le cartable national de documentation [le CND] sur la Chine qui montre que les titulaires d’une CIR ne sont pas tenus de mettre à jour leur carte lorsqu’ils déménagent et que le hukou n’est pas nécessairement lié au lieu de résidence d’un particulier.

[10] Je ne suis pas convaincue qu’il y ait une erreur dans ces conclusions. La SAR a préféré se fier aux renseignements contenus dans les documents délivrés par le gouvernement chinois parce qu’elle avait des raisons de douter du témoignage de Mme Xu. La SAR a également fait remarquer que Mme Xu n’avait pas contesté la conclusion de la SPR selon laquelle son témoignage, dans lequel elle affirmait avoir quitté son mari en 2017 et avoir emménagé chez ses parents, n’était pas crédible puisque ces éléments n’étaient pas mentionnés dans l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la demande d’asile. À mon avis, la preuve relative aux conditions dans le pays ne contredit pas les conclusions de la SAR. Comme le souligne le défendeur, Mme Xu a effectivement mis à jour des documents gouvernementaux pour indiquer qu’elle avait déménagé en 2015 dans une propriété qui lui appartenait.

[11] Mme Xu soutient que la SAR a commis une erreur en mettant en doute sa crédibilité au motif qu’elle s’était « fait demander plusieurs fois si elle avait obtenu un divorce et [qu’]elle a[vait] répondu par la négative, alors que la preuve documentaire indiqu[ait] le contraire ». Mme Xu fait valoir que la SAR a mal compris son témoignage, qu’elle a exagéré une incohérence perçue dans son témoignage au sujet de son divorce et qu’elle a commis une erreur en mettant en doute sa crédibilité pour ce motif. De plus, elle affirme, pour deux raisons, que la SAR a commis une erreur en s’appuyant sur le fait qu’elle n’avait pas contesté la conclusion défavorable de la SPR en matière de crédibilité fondée sur son incapacité à répondre aux questions sur le divorce. Premièrement, la SAR a établi une distinction entre les conclusions contestées et les conclusions non contestées alors que les conclusions portaient sur la même question, c’est‑à‑dire la relation abusive alléguée. Deuxièmement, la SAR est allée plus loin que la SPR, interprétant de façon exagérée le témoignage de Mme Xu en déclarant qu’on avait demandé « plusieurs fois » à cette dernière si elle avait obtenu un divorce, alors que la question lui avait été posée une seule fois, et elle avait expliqué qu’elle voulait dire qu’elle n’avait pas obtenu le divorce au moment où elle en a discuté avec son mari en 2017. Mme Xu soutient qu’il s’agissait d’une explication raisonnable.

[12] Mme Xu n’a pas prouvé que la SAR avait commis une erreur à cet égard. La SAR a déclaré à juste titre que Mme Xu n’avait pas contesté les conclusions défavorables de la SPR en matière de crédibilité qui concernaient sa séparation d’avec son mari, le harcèlement qu’il lui aurait fait subir ou son divorce. Ces conclusions de la SPR concernaient les allégations de violence familiale, auxquelles la SAR a souscrit, et celle‑ci a fourni un certain nombre de motifs à l’appui de sa conclusion selon laquelle Mme Xu n’avait pas établi qu’elle avait fui la Chine en raison de la violence familiale dont elle était victime. La SAR a conclu que les réserves découlant du témoignage de Mme Xu concernant sa séparation et son divorce, le harcèlement par son mari, son état matrimonial et l’adresse indiquée dans son hukou et sur la CIR ont miné sa crédibilité et le bien‑fondé de sa crainte alléguée à l’égard de son ex‑mari.

[13] Je ne suis pas convaincue que la SAR se soit appuyée sur une interprétation exagérée du témoignage de Mme Xu concernant le divorce, et, à mon avis, les conclusions de la SAR n’étaient pas très différentes des conclusions non contestées de la SPR. Le tribunal de la SPR a noté ce qui suit : il avait demandé à Mme Xu si elle avait déjà envisagé de divorcer et elle avait répondu qu’elle l’avait proposé à une occasion, mais que son mari n’avait pas accepté; lorsque la question lui avait été posée une nouvelle fois, elle avait confirmé qu’elle n’était pas divorcée; lorsque le tribunal avait par la suite demandé de l’aide pour comprendre pourquoi elle avait dit qu’elle n’était pas divorcée alors qu’elle avait présenté un certificat de divorce, elle avait déclaré que son mari avait proposé qu’ils divorcent parce que le BSP la recherchait; lorsqu’il lui avait été demandé si elle avait quelque chose à ajouter, elle était restée muette; lorsqu’il lui avait été demandé une deuxième fois pourquoi elle avait déclaré qu’elle n’était pas divorcée si elle l’était, Mme Xu avait répondu qu’elle avait voulu dire qu’elle n’avait pas obtenu le divorce lorsqu’elle en avait discuté avec son mari en 2017, mais qu’elle avait divorcé en 2020. Selon mon interprétation des motifs de la SAR, la déclaration selon laquelle on avait posé la question à Mme Xu « plusieurs fois » n’était pas une exagération. La SAR n’a pas suggéré que Mme Xu persistait à nier qu’elle était divorcée, mais plutôt qu’on lui avait posé plusieurs questions au sujet de l’obtention du divorce. Je ne suis pas convaincue que la SAR a commis une erreur en s’appuyant sur un témoignage raisonnable et non contradictoire afin de mettre en doute la crédibilité de Mme Xu. En réponse à la question directe [traduction] « Vous n’êtes donc pas légalement divorcée? », Mme Xu avait répondu [traduction] « Vous avez raison ». À mon avis, il était raisonnablement loisible à la SAR de tirer les conclusions qu’elle a tirées.

[14] En ce qui concerne l’absence de citation à comparaître coercitive, Mme Xu soutient que la SAR s’est fondée sur des hypothèses injustifiées et qu’elle a effectivement tiré une conclusion qui reposait sur ce qu’elle aurait fait si elle avait été [traduction] « à la place » des représentants du BSP. Mme Xu fait référence à des documents du CND dans lesquels il est indiqué que le BSP a le pouvoir discrétionnaire de délivrer des citations à comparaître coercitives, mais qu’il ne le fait pas toujours. Elle soutient que les documents du CND ne permettent pas de conclure que le BSP aurait intensifié les mesures d’exécution de la loi prises contre elle.

[15] À mon avis, la SAR a tenu compte des arguments de Mme Xu au sujet de l’absence de citation à comparaître coercitive et les a traités de façon exhaustive et raisonnable. La SAR a pris note des allégations de Mme Xu concernant l’intérêt que lui portait le BSP, notamment l’allégation selon laquelle le BSP avait tenté de la retrouver chez son ex‑mari et ses parents après son départ de la Chine, de même que de son allégation selon laquelle elle ne s’était pas présentée pour un interrogatoire comme l’exigeait une citation à comparaître non coercitive laissée à sa sœur. La SAR a conclu qu’il était peu probable que le BSP ait continué de « tenter en vain de se présenter simplement chez des membres de sa famille même si elle n’y [était] pas » sans intensifier les mesures d’exécution de la loi prises contre elle en exerçant son pouvoir discrétionnaire de délivrer une citation à comparaître coercitive.

[16] Enfin, Mme Xu affirme que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’elle n’était pas une authentique chrétienne en se fondant sur ses connaissances lacunaires concernant les croyances chrétiennes. Mme Xu soutient qu’elle a fourni des réponses directes aux questions ouvertes de la SPR, lesquelles ne semblaient pas avoir pour but de vérifier ses connaissances, et que la SAR a effectivement adopté les motifs de la SPR sans procéder à une évaluation indépendante. Mme Xu fait valoir que la SAR a commis une erreur en négligeant de formuler des conclusions indépendantes et en fournissant des motifs inadéquats pour expliquer pourquoi elle avait conclu que ses connaissances du christianisme étaient incompatibles avec une croyance authentique.

[17] Je ne pense pas que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a évalué l’authenticité de la foi de Mme Xu.

[18] En appel devant la SAR, Mme Xu a contesté les conclusions de la SPR concernant sa foi chrétienne au motif que la SPR avait intégré ses conclusions erronées en matière de crédibilité dans l’analyse visant à savoir si elle était une authentique chrétienne. Elle a soutenu que, comme la SPR avait commis une erreur en tirant ses conclusions en matière de crédibilité, la décision finale de la SPR concernant son identité en tant qu’authentique chrétienne devait être annulée.

[19] La SAR a reconnu que la SPR avait commis des erreurs lorsqu’elle a tiré certaines de ses conclusions en matière de crédibilité, mais elle a conclu que la SPR n’avait pas jugé que Mme Xu n’était pas une authentique chrétienne en se fondant uniquement sur l’intégration dans son analyse de ses conclusions antérieures défavorables en matière de crédibilité. Comme le note le défendeur, la SAR a déclaré qu’elle avait évalué le dossier de façon indépendante et qu’elle avait conclu qu’en dépit de certaines erreurs, la décision de la SPR était étayée par d’autres conclusions, y compris des conclusions importantes concernant les événements survenus en Chine et la foi chrétienne de Mme Xu que cette dernière n’a pas contestées en appel. La SAR a conclu que la conclusion de la SPR au sujet de la foi chrétienne de Mme Xu reposait dans une large mesure sur ses connaissances lacunaires et sur un vague témoignage au sujet de sa foi et de ses croyances chrétiennes. La SAR a souscrit au raisonnement de la SPR et n’a vu aucune raison de modifier ses conclusions.

[20] Je souligne que la SPR a consacré environ le quart de sa décision — deux pages et demie — aux raisons pour lesquelles elle croyait que les connaissances qu’avait Mme Xu du christianisme minaient la crédibilité de son identité en tant que chrétienne pratiquante. La SPR a renvoyé à des exemples dans le témoignage de Mme Xu, notamment aux réponses qu’elle avait données aux questions posées par son avocate, et elle a expliqué pourquoi elle estimait que les connaissances de Mme Xu étaient incompatibles avec une croyance authentique. Mme Xu n’a pas contesté ces conclusions dans son appel devant la SAR.

[21] La SAR a convenu avec la SPR que Mme Xu n’avait pas établi que la violence familiale qu’elle aurait subie avait constitué l’élément moteur de sa conversion au christianisme et a conclu que la preuve était insuffisante pour montrer qu’elle était une adepte sincère du christianisme qui risquait d’être persécutée en raison de religion si elle devait retourner en Chine. Mme Xu n’a pas prouvé qu’il existait une erreur susceptible de contrôle dans l’approche ou les conclusions de la SAR.

[22] Mme Xu n’a pas établi que la décision de la SAR était déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Aucune partie n’a proposé de question à certifier, et j’estime que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6947-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Christine M. Pallotta »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6947-21

 

INTITULÉ :

CHUNYAN XU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 octobre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE PALLOTTA

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 février 2023

 

COMPARUTIONS :

Stephanie Fung

 

Pour la demanderesse

 

Michael Butterfield

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

S Duong Law, Professional Corporation

Avocats

Markham (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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