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Date : 20230215


Dossier : IMM-9033-21

Référence : 2023 CF 221

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 février 2023

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

SHERIFATU ATIDIGAH

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Sherifatu Atidigah, est une citoyenne du Ghana. Dans une décision datée du 27 octobre 2021, un agent des visas [l’agent] du Haut‑commissariat du Canada au Ghana a rejeté pour une seconde fois sa demande de permis d’études. La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision de l’agent au titre de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Elle fait valoir que, lorsqu’il a refusé son permis d’études, l’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuve qui répondaient directement aux préoccupations qu’il avait exprimées au sujet de son revenu et de ses biens, ou qu’il les a mal compris, et que la conclusion de l’agent selon laquelle elle ne quitterait pas le Canada en raison de liens familiaux au Canada et au Ghana n’était pas justifiée.

[2] Les motifs de refus de l’agent sont présentés dans les notes du Système mondial de gestion des cas [le SMGC] de la manière suivante :

[traduction]

La demanderesse principale (la DP) souhaite venir étudier au Canada. Elle bénéficie de l’aide financière de sa famille élargie, mais les fonds indiqués ne sont pas bien documentés. Notamment, je n’ai pas d’information sur la façon dont ils ont été accumulés. Je remarque des dépôts importants, des soldes instables et des ventes de biens-fonds. Il est difficile de comprendre pourquoi la DP et son fiancée [sic] ne sont pas les seuls à avancer les fonds dans ce contexte. D’après les renseignements fournis, je ne suis pas convaincu que le financement présenté est durable et qu’il ne sert pas simplement à des fins de démonstration. Dans l’ensemble, je ne suis pas convaincu que la DP est bien établie dans son pays d’origine; ses liens avec le pays semblent faibles. Je ne suis pas convaincu que la DP quittera le Canada après la période de séjour autorisée. La demande est refusée.

[3] Le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas démontré l’existence d’une erreur susceptible de contrôle et qu’elle conteste plutôt l’évaluation de la preuve par l’agent.

II. Question préliminaire

[4] Le défendeur soutient que les paragraphes 6 à 26 de l’affidavit de la demanderesse contiennent des témoignages d’opinion et des arguments qui ne sont pas conformes à l’article 81 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, et qu’ils devraient donc être radiés ou qu’on ne devrait leur accorder aucun poids.

[5] Je suis d’accord. Une grande partie de l’affidavit de la demanderesse contient les mêmes arguments que ceux avancés dans les observations écrites et est inappropriée. Le but d’un affidavit est d’exposer des faits importants et pertinents, et non d’exprimer une opinion ou un argument (Abi-Mansour c Canada (Procureur général), 2015 CF 882 au para 30). Je n’ai accordé aucun poids aux paragraphes 6 à 26 de l’affidavit de la demanderesse, mais j’ai examiné le contenu de la pièce « A », qui énumère les parties du dossier dont disposait l’agent.

III. Analyse

[6] La décision de l’agent est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]). Un contrôle effectué selon cette norme commence par un examen des motifs fournis et exige de la cour de révision qu’elle tienne compte non seulement du résultat, mais également du processus de raisonnement sous-jacent. La cour de révision doit également reconnaître que ce qui est raisonnable dépendra du contexte décisionnel (Vavilov, aux para 84, 87, 89, 90 et 93).

[7] La demanderesse soutient que la décision et les notes à l’appui versées dans le SMGC montrent que l’agent n’a pas tenu compte de la preuve. Elle avance ce qui suit :

  1. La documentation et les observations de la demanderesse répondaient aux préoccupations de l’agent concernant la durabilité du financement, l’historique des dépôts bancaires et l’instabilité des soldes;

  2. Les préoccupations de l’agent au sujet des ventes de biens-fonds ne reflètent pas la preuve, qui montre que la demanderesse a des biens immobiliers au Ghana et qu’il ne s’agit pas de vente de biens-fonds;

  3. La conclusion de l’agent selon laquelle les liens de la demanderesse avec son pays d’origine sont faibles ne reflète pas la preuve, qui démontre qu’elle a des liens économiques et familiaux solides avec le Ghana.

[8] Le défendeur soutient que l’agent n’est pas tenu d’examiner chaque élément de preuve et qu’il est présumé avoir pris en compte tous les éléments. Renvoyant au paragraphe 22 de la décision Watts c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 158, où le juge Henry Brown a pris connaissance d’office du grand volume de demandes que les agents des visas sont tenus d’examiner, le défendeur affirme que des décisions concises sont à la fois appropriées et nécessaires dans ce contexte. Il soutient que les notes de l’agent démontrent que les facteurs importants quant à la demande ont été relevés et examinés, et que les arguments de la demanderesse ne constituent rien de plus qu’un désaccord avec l’évaluation de la preuve.

[9] Le volume de demandes à examiner et à traiter dans le contexte des visas favorise la présentation de motifs brefs et concis. Toutefois, pour être raisonnables, ces motifs doivent répondre aux éléments de preuve et aux observations présentés et être compatibles avec ceux-ci (Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 77 au para 17). En l’espèce, la décision ne satisfait pas à cette exigence.

[10] Dans ses notes, l’agent a exprimé des préoccupations concernant le financement en raison des dépôts importants et des soldes instables. La demanderesse a tenté d’expliquer la situation dans les documents à l’appui, mais l’agent ne reconnaît pas qu’une explication a été fournie concernant les dépôts et l’instabilité des soldes, et il n’a pas indiqué, dans ses motifs, pourquoi il avait toujours ces préoccupations malgré l’explication fournie. Le défendeur soutient que les préoccupations de l’agent étaient justifiées parce que la demanderesse n’a pas expliqué pourquoi certains dépôts avaient été faits ou certains soldes fluctuaient à des moments précis. Si tel était le cas, il appartenait au décideur de l’indiquer dans ses motifs afin de satisfaire à l’exigence selon laquelle les décisions doivent être fondamentalement adaptées à la preuve dans le contexte des visas (Patel, au para 17; Khansari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 17 au para 19).

[11] La préoccupation exprimée par l’agent au sujet des ventes de biens-fonds n’est pas claire non plus. Les documents à l’appui de la demande indiquent que la demanderesse avait acquis des droits sur des biens immobiliers au Ghana. Il est difficile de comprendre pourquoi l’agent avait des préoccupations concernant des « ventes de biens-fonds » alors que le dossier reflétait l’acquisition de droits de propriété au Ghana.

[12] Enfin, la conclusion selon laquelle les liens de la demanderesse avec le Ghana étaient [traduction] « faibles » est aussi, à première vue, contraire à la preuve, qui indique que le père de la demanderesse, les membres de sa famille élargie, y compris un oncle, et son fiancé vivent tous au Ghana. Dans la lettre de refus, l’agent a également indiqué que les [traduction] « liens familiaux au Canada » constituaient un motif de refus, mais il n’y a aucune preuve de l’existence de liens familiaux au Canada. En l’absence d’explications et de justifications, l’examen, par l’agent, des facteurs qui militaient en faveur du retour de la demanderesse au Ghana n’est pas transparent.

[13] Je conviens que, dans le contexte des visas, des motifs concis sont justifiés et que la déférence s’impose, mais je suis convaincu que les lacunes mentionnées ci‑dessus rendent la décision déraisonnable.

IV. Conclusion

[14] La demande sera accueillie. Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-9033-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

1. La demande est accueillie.

2. L’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.

3. Aucune question n’est certifiée.

Blanc

« Patrick Gleeson »

Blanc

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-9033-21

INTITULÉ :

SHERIFATU ATIDIGAH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 janvier 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 15 février 2023

 

COMPARUTIONS :

Ugochukwu Udogu

Pour la demanderesse

Kevin Spykerman

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ugochukwu Udogu

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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