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Date : 20230213


Dossier : IMM-1508-22

Référence : 2023 CF 209

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 13 février 2023

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

JIANGPING LIN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Mme Jiangping Lin, est une citoyenne de la Chine. Elle sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par l’ambassade du Canada à Beijing, en Chine, [l’ambassade du Canada] le 7 février 2022 [la décision]. L’ambassade du Canada a rejeté la demande de permis de travail que Mme Lin avait présentée dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires, car elle n’était pas convaincue que celle-ci quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé, en raison du but de sa visite et de sa situation d’emploi.

[2] Mme Lin soutient que la décision est déraisonnable, car elle repose sur une analyse illogique des faits qui sous-tendent sa demande de permis de travail. Elle demande à la Cour d’annuler la décision et de la renvoyer à un autre agent des visas pour qu’il rende une nouvelle décision.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire de Mme Lin sera accueillie. Après avoir examiné la preuve dont disposait l’ambassade du Canada ainsi que le droit applicable, je conclus que la décision est déraisonnable, car aucun élément de preuve n’étaye les principales conclusions factuelles des agents des visas. De plus, la décision n’est pas justifiée de manière claire et logique. Dans les circonstances, cela suffit pour justifier l’intervention de la Cour.

II. Contexte

A. Contexte factuel

[4] Mme Lin vient d’une famille d’agriculteurs qui vit dans une région rurale de la Chine. De 2005 à 2021, soit pendant la majeure partie de sa vie d’adulte, elle a travaillé comme emballeuse pour différentes entreprises de chaussures en Chine. Son diplôme d’études le plus élevé est une majeure en anglais pratique, obtenue dans une école secondaire technique.

[5] Lorsqu’elle a entendu parler de la possibilité qu’un travail dans une ferme au Canada lui permette, à elle et à sa famille, d’immigrer au Canada, elle a décidé de postuler à un emploi à la Sharon Mushroom Farm, située en Ontario. Le 18 avril 2021, la Sharon Mushroom Farm a reçu une étude d’impact sur le marché du travail [l’EIMT] positive pour 42 cueilleurs de champignons, dont Mme Lin. Cette EIMT expirait le 24 décembre 2021.

[6] En novembre 2021, Mme Lin a commencé à travailler comme productrice et cueilleuse de champignons en Chine.

[7] Le mois suivant, soit le 23 décembre 2021, elle a présenté une demande de permis de travail au Canada.

B. Décision de l’ambassade du Canada

[8] Comme c’est habituellement le cas pour les demandes de permis de travail, la décision de l’ambassade du Canada est brève. Il s’agit d’une lettre type dans laquelle un agent des visas indique qu’il n’était pas convaincu que Mme Lin quitterait le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée, comme le prévoit le paragraphe 200(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. Dans la décision, l’ambassade du Canada a ciblé deux motifs pour conclure que Mme Lin ne quitterait pas le Canada : le but de sa visite et sa situation d’emploi actuelle. Aucune autre raison n’a été donnée.

[9] La décision comprend également les notes que les agents des visas de l’ambassade du Canada ayant examiné la demande de Mme Lin ont versées au Système mondial de gestion des cas [le SMGC] (Sharma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 381 au para 7).

[10] Les notes du SMGC datées du 4 février 2022 indiquent qu’un premier agent des visas [le premier agent] a recommandé de rejeter la demande de permis de travail de Mme Lin et a fourni les explications suivantes :

[traduction]

Demande examinée. La demanderesse principale (la DP) présente une demande de permis de travail en vertu de l’EIMT. Elle souhaite travailler à la Sharon Mushroom Farm comme cueilleuse de champignons pour une période de deux ans. Déclaration d’EIMT fournie, la lettre de déclaration expire le 24 décembre 2021. Demande présentée le 24 décembre 2021. La DP a déjà étudié en anglais pratique. La DP a déjà travaillé dans le secteur de l’emballage. Compte tenu du niveau de scolarité de la DP, l’argument de l’avancement professionnel est illogique. La DP a déjà travaillé dans le domaine de la production de chaussures. Elle a commencé à travailler comme productrice/cueilleuse de champignons un mois seulement avant de présenter sa demande de permis de travail (novembre 2021). J’ai évalué les facteurs dans la présente demande. Je ne suis pas convaincu que la DP est une travailleuse authentique et qu’elle quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

[11] Un deuxième agent des visas [le deuxième agent], après avoir examiné les notes d’évaluation du premier agent, a rejeté la demande de permis de travail de Mme Lin et a expliqué ce qui suit, dans une note datée du 7 février 2022 :

[traduction]

Par suite de mon examen attentif et compte tenu de tous les facteurs pertinents présentés, tout bien considéré, je ne suis pas convaincu que la demanderesse est une travailleuse authentique qui respecterait les conditions d’un séjour temporaire. Demande rejetée.

[12] Je m’arrête pour souligner que les extraits cités ci-dessus représentent l’intégralité des motifs qui sous-tendent la décision.

C. Norme de contrôle

[13] Mme Lin et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada [le ministre] soutiennent tous deux que la norme de contrôle applicable à la décision est celle de la décision raisonnable (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1645 aux para 12-13). Je suis d’accord.

[14] La norme de la décision raisonnable est la norme qui est présumée s’appliquer lorsque les cours de révision doivent procéder au contrôle judiciaire du fond d’une décision administrative. Cette norme s’intéresse à la décision rendue par le décideur administratif, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 83, 87). Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle d’une cour de révision est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). La cour de révision doit donc se demander si « la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov, au para 99).

[15] Le contrôle doit comporter une évaluation rigoureuse des décisions administratives. Toutefois, la cour de révision doit, pour savoir si la décision est raisonnable, d’abord examiner les motifs donnés avec « une attention respectueuse », et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion (Vavilov, au para 84). La cour de révision doit adopter une approche empreinte de déférence et intervenir « uniquement lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov, au para 13) sans « apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » (Vavilov, au para 125).

[16] Il incombe à la partie qui conteste la décision administrative d’en démontrer le caractère déraisonnable. Les lacunes ne doivent pas être simplement superficielles pour qu’une cour de révision infirme une décision administrative. La cour doit être convaincue « qu’elle souffre de lacunes graves » (Vavilov, au para 100).

III. Analyse

[17] Mme Lin soutient que la décision est déraisonnable parce que les évaluations que les premier et deuxième agents ont faites de sa situation sont illogiques en ce qui concerne ses études et son expérience de travail. Le changement de « carrière » de Mme Lin, qui a quitté son emploi d’emballeuse dans l’industrie de la chaussure pour devenir productrice et cueilleuse de champignons, était motivé par son désir de présenter une demande dans le cadre du Programme pilote sur l’agroalimentaire. Ce programme a été mis en place par le gouvernement du Canada dans le but de recruter des travailleurs étrangers qui souhaitent travailler dans des industries précises du secteur agroalimentaire, et il offre une voie d’accès à la résidence permanente au Canada. L’une des exigences du Programme pilote sur l’agroalimentaire est que l’expérience de travail canadienne du demandeur doit provenir d’un travail non saisonnier et à temps plein d’au moins un an. C’est la raison pour laquelle Mme Lin a présenté une demande de permis de travail. Mme Lin fait également valoir que le deuxième agent n’a pas examiné correctement sa demande avant de la rejeter et qu’il s’est simplement fié aux notes d’évaluation du premier agent.

[18] Le ministre répond que Mme Lin n’a pas relevé de question susceptible de contrôle dans sa demande de contrôle judiciaire. Il soutient également que la décision est raisonnable et qu’il n’y a aucune preuve d’entrave, car le deuxième agent a fait sa propre analyse de la preuve.

[19] Je ne suis pas d’accord avec le ministre, et je ne souscris pas à son interprétation de la décision et des éléments de preuve au dossier.

[20] D’emblée, il vaut la peine de mentionner que « même si l’intention de devenir un résident permanent n’empêche pas un demandeur de devenir un résident temporaire, l’agent qui examine une demande de permis de travail temporaire doit néanmoins être convaincu que le demandeur quittera le Canada à la fin de sa période autorisée de séjour » (Ramos c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 768 au para 13; art 22(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27). Par conséquent, bien que l’objectif ultime de Mme Lin puisse être d’obtenir la résidence permanente grâce au Programme pilote sur l’agroalimentaire, l’ambassade du Canada devait tout de même être convaincue, dans son évaluation de la demande de permis de travail de Mme Lin, que celle-ci quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

[21] Je conviens que l’obligation de motiver une décision relative à une demande de visa de résident temporaire, comme une demande de permis de travail, est minime pour des raisons d’efficacité (Marcelin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 761 au para 9; Zamor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 479 au para 22; Nimely c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 282 [Nimely] au para 7; Hajiyeva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 71 [Hajiyeva] au para 6). Ce principe est en accord avec l’arrêt Vavilov, qui prévoit que le décideur doit tenir compte du « contexte » dans lequel une décision administrative est rendue (Vavilov, au para 94; Hajiyeva, au para 6). De plus, il convient de rappeler que les agents des visas possèdent une expertise considérable dans l’instruction des demandes de visa (y compris des demandes de permis de travail), ce qui oblige la cour de révision à faire preuve d’une grande retenue à l’égard des questions se rapportant à la preuve (Mohammadzadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 75 aux para 18-19; Nimely, au para 7). Le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve au dossier ni de substituer ses propres conclusions à celles des agents des visas.

[22] Cependant, bien que l’obligation de fournir des motifs soit minime et que des motifs succincts soient souvent la norme dans le contexte des demandes de permis de travail, la Cour doit quand même être « capable de comprendre le fondement de la décision » (Solopova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 690 au para 32). Même si les motifs d’une décision concernant une demande de permis de travail n’ont pas à être longs et détaillés, la décision des décideurs administratifs doit être transparente, justifiée et intelligible (He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1027 [He] au para 20). Il est vrai qu’il n’est pas nécessaire que les motifs soient exhaustifs ou parfaits; toutefois, ils doivent être compréhensibles. Il est essentiel que le demandeur et la Cour « [comprennent] les raisons pour lesquelles [la] demande est refusée » (He, au para 18).

[23] De plus, bien que la cour de révision doive résister à la tentation d’intervenir et d’usurper l’expertise spécialisée que le législateur a choisi de conférer aux agents des visas, elle ne doit pas suivre aveuglément l’interprétation d’un décideur administratif et son évaluation de la preuve.

[24] En l’espèce, je ne suis pas convaincu que les motifs fournissent une justification adéquate de la décision ni qu’ils démontrent un processus logique et rationnel d’établissement des faits. Les motifs des agents des visas sont incompréhensibles, car aucun élément de preuve au dossier ne les étaye et ils semblent complètement arbitraires à la lumière des éléments de preuve produits par Mme Lin. Pour reprendre l’expression utilisée par la Cour d’appel fédérale au paragraphe 27 de l’arrêt Delios c Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, la décision contient de nombreux « traits distinctifs du caractère déraisonnable ».

[25] Ma conclusion repose sur deux raisons principales. Tout d’abord, l’ambassade du Canada n’a pas expliqué pourquoi le prétendu [traduction] « avancement professionnel » de Mme Lin était « illogique » vu son « niveau de scolarité ». Les notes du SMGC indiquent que le premier agent a jugé invraisemblable que Mme Lin veuille vraiment quitter un emploi de travailleuse d’usine pour occuper un emploi de travailleuse agricole. J’estime que cette conclusion est illogique et injustifiée. Le premier agent semble oublier que le diplôme en anglais de Mme Lin est un diplôme technique de niveau secondaire. Après ses études, Mme Lin a passé plus de 15 ans, soit la majeure partie de sa vie d’adulte, à faire de l’emballage et à accomplir le travail peu spécialisé de travailleuse d’usine, comme elle l’a elle-même décrit. Compte tenu des antécédents professionnels de Mme Lin, je ne comprends pas en quoi le fait de quitter un poste de travailleuse d’usine pour occuper un poste de travailleuse agricole ne serait pas une progression de carrière raisonnable et logique. Les deux emplois sont similaires en ce sens qu’il s’agit d’emplois faciles à apprendre, répétitifs et physiques qui nécessitent peu d’éducation.

[26] Affirmer, comme le premier agent l’a fait, que le changement de carrière de Mme Lin est illogique compte tenu de ses études, c’est aussi faire fi des éléments de preuve pertinents au dossier. La demande de permis de travail de Mme Lin vise un emploi agricole qui comporte des tâches semblables et qui exige des compétences semblables à celles de l’emploi de travailleuse d’usine qu’elle a occupé pendant 15 ans. De plus, le fait de changer de domaine et d’occuper un poste de travailleuse agricole au Canada se traduirait par une amélioration importante du salaire mensuel et des conditions de travail de Mme Lin. Enfin, dans sa demande de permis de travail, Mme Lin a été très transparente quant au fait qu’elle la présentait dans le contexte du Programme pilote sur l’agroalimentaire. Comme l’a souligné Mme Lin, il ressort clairement de sa demande de permis de travail qu’il n’y a pas d’exigence particulière en matière d’études ou de formation pour l’emploi de travailleuse agricole auquel elle a postulé. Dans ces circonstances, l’exclure en raison de ses antécédents scolaires est illogique et aucun élément de preuve au dossier ne justifie une telle décision.

[27] En somme, même selon une interprétation des plus généreuses, je ne peux que conclure que la décision de l’ambassade du Canada est illogique sous tous les angles.

[28] En ce qui concerne la deuxième raison sur laquelle repose ma conclusion, je ne trouve aucun élément de preuve au dossier ni aucun fondement rationnel à l’appui de la décision, prise par les deux agents, selon laquelle Mme Lin n’est pas une travailleuse ou une demanderesse [traduction] « authentique ». Les notes du SMGC sont totalement muettes quant aux motifs ou aux éléments de preuve qui sous-tendent cette conclusion.

[29] En fait, d’après la décision elle-même, il est impossible de déterminer quels éléments ont été considérés comme étant défavorables, favorables ou neutres par le premier et le deuxième agent. Le premier agent a simplement énuméré les facteurs pris en compte tout en indiquant qu’il les avait soupesés, puis il a conclu qu’il n’était pas convaincu que Mme Lin quitterait le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée. Comme l’a affirmé la juge McVeigh au paragraphe 23 de la décision Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 954 [Liu] :

Les notes de l’agent n’expliquent pas clairement quelle partie de la demande est déficiente et, le cas échéant, quels aspects de la demande ont été jugés défavorablement. En lisant les notes, on constate que l’agent a simplement énuméré les facteurs pris en considération, et on en déduit qu’il faut tirer ses propres conclusions quant aux facteurs ayant conduit à des constats positifs et à ceux qui ont débouché sur des constats négatifs.

[30] Compte tenu de l’absence de justification, il est impossible pour la Cour d’apprécier le caractère raisonnable de la décision, même en interprétant les motifs écrits « eu égard au dossier et en tenant dûment compte du régime administratif dans lequel ils sont donnés » (Vavilov, au para 103). N’ayant qu’une simple liste de facteurs tirés du dossier sans une analyse plus approfondie de la façon dont les faits ont amené les deux agents à conclure que Mme Lin ne quitterait pas le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée, « nous en sommes réduits à imputer nous-mêmes les motifs pour lesquels [les agents] [ont] pris [leur] décision » (Liu, au para 28). Il s’agit d’une lacune fondamentale et d’une faille décisive dans la logique globale de l’ambassade du Canada (Vavilov, au para 102).

[31] Depuis l’arrêt Vavilov, les motifs donnés par les décideurs administratifs revêtent une plus grande importance et s’affichent comme le point de départ de l’analyse dans un contrôle judiciaire. Ils constituent le mécanisme principal par lequel les décideurs administratifs démontrent le caractère raisonnable de leurs décisions, tant aux parties touchées qu’aux cours de révision (Vavilov, au para 81). Ils servent à « expliquer le processus décisionnel et la raison d’être de la décision en cause », à démontrer que « la décision a été rendue de manière équitable et licite », et servent de bouclier contre « la perception d’arbitraire dans l’exercice d’un pouvoir public » (Vavilov, au para 79). En somme, ce sont les motifs qui justifient la décision, et les cours de révision doivent les interpréter « de façon globale et contextuelle » « eu égard au dossier et en tenant dûment compte du régime administratif dans lequel ils sont donnés » (Vavilov, aux para 97, 103; Alexion Pharmaceuticals Inc. c Canada (Procureur général), 2021 CAF 157 au para 15).

[32] En l’espèce, je suis d’avis que les motifs de l’ambassade du Canada qui sont consignés dans le SMGC ne justifient pas la décision de façon transparente et intelligible (Vavilov, aux para 81, 136). Ils donnent plutôt l’impression que les agents des visas n’ont pas tenu compte de la preuve présentée par Mme Lin et qu’ils n’ont pas suivi un raisonnement rationnel, cohérent et logique tout au long de leur analyse.

[33] Au paragraphe 102 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a déclaré qu’une cour de révision « doit être convaincue qu’“[un] mode d’analyse, dans les motifs avancés, […] pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait” ». En l’espèce, il n’y a tout simplement aucun mode d’analyse à examiner, et la décision ne possède pas les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov, au para 99).

IV. Conclusion

[34] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire de Mme Lin sera accueillie. La décision ne constitue pas une issue raisonnable fondée sur le droit et la preuve, et elle n’est pas justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. Par conséquent, l’affaire sera renvoyée à un autre agent des visas pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

[35] Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1508-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, sans dépens.

  2. La décision du 7 février 2022 par laquelle l’ambassade du Canada à Beijing, en Chine, a rejeté la demande de permis de travail de Mme Jiangping Lin est annulée.

  3. L’affaire est renvoyée à l’ambassade du Canada pour réexamen sur le fond par un autre agent des visas.

  4. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1508-22

INTITULÉ :

JIANGPING LIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 février 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

Le 13 février 2023

COMPARUTIONS :

Emile Jean Barakat

Pour la demanderesse

Zoé Richard

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Emile Jean Barakat

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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