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Date : 20230220


Dossier : IMM-9776-21

Référence : 2023 CF 249

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 février 2023

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

JAMIE CARREON PANAGA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Jamie Carreon Panaga, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 14 décembre 2021 par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la « SAI ») a rejeté l’appel qu’il avait interjeté à l’encontre de la mesure de renvoi prise contre lui.

[2] La SAI a conclu que le demandeur n’avait pas fourni d’éléments de preuve suffisants pour justifier un sursis à la mesure de renvoi pour des motifs d’ordre humanitaire.

[3] Le demandeur fait valoir que la SAI a commis une erreur en faisant abstraction d’éléments de preuve essentiels dans l’évaluation de l’intérêt supérieur des enfants touchés par son renvoi.

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SAI est raisonnable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

A. Le demandeur

[5] Le demandeur, un citoyen des Philippines âgé de 30 ans, est un résident permanent du Canada. Il est arrivé au Canada en 2009, à l’âge de 17 ans.

[6] Le demandeur a un fils de deux ans au Canada. Le demandeur et la mère de son fils, Krystle Magallanes, ont été en couple pendant quatre ans avant de se séparer en 2021. Le demandeur a aussi une fille de 12 ans aux Philippines. La mère, la grand‑mère, la tante et le frère du demandeur habitent tous au Canada.

[7] Le 27 juillet 2018, le demandeur a été déclaré coupable d’un chef de vol de véhicule à moteur, une infraction prévue au paragraphe 331.1(1) du Code criminel, LRC 1985, c C‑46. Le 17 octobre 2018, à la suite de la déclaration de culpabilité du demandeur, l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« ASFC ») a constaté son interdiction de territoire au Canada pour grande criminalité aux termes du paragraphe 36(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la « LIPR »). Depuis 2016, le demandeur a été déclaré coupable de sept infractions criminelles au Canada.

[8] Au titre du paragraphe 44(1) de la LIPR, un agent d’exécution de la loi (l’« agent ») de l’ASFC a établi un rapport circonstancié en date du 8 avril 2020 afin que l’affaire soit déférée à la Section de l’immigration (la « SI ») pour enquête et a recommandé que le demandeur soit interdit de territoire pour grande criminalité. L’agent a indiqué dans son rapport que le demandeur était un récidiviste et qu’il [traduction] « a[vait] des antécédents de non‑conformité et continu[ait] de faire fi des restrictions imposées par les tribunaux ». L’agent a également affirmé que le demandeur [traduction] « continu[ait] de récidiver sans prendre en compte la gravité de ses actes, comme en témoignent ses antécédents criminels et sa propension à récidiver », et qu’il n’avait pas fourni à l’ASFC d’observations sur son exposé circonstancié ou sur toute considération d’ordre humanitaire pertinente, et ce, malgré les nombreuses demandes transmises au demandeur afin qu’il présente ses observations.

[9] Au terme de l’enquête, la SI a pris une mesure de renvoi contre le demandeur le 9 octobre 2020. Ce dernier a interjeté appel de la mesure de renvoi devant la SAI. En appel, le demandeur n’a pas contesté la validité juridique de la mesure de renvoi prise contre lui, mais a demandé un sursis à l’exécution de la mesure pour des motifs d’ordre humanitaire.

[10] À l’audience de la SAI, tenue le 15 octobre 2021, le demandeur a exposé les circonstances relatives aux infractions criminelles dont il avait été déclaré coupable. En ce qui concerne l’infraction de possession de biens criminellement obtenus, le demandeur a expliqué que son ami avait volé une motocyclette, qu’il avait ensuite empruntée. Pour ce qui est de l’infraction de vol d’un véhicule à moteur, le demandeur a expliqué qu’il s’était retrouvé coincé dans le stationnement d’un casino et qu’il avait volé une voiture en marche pour rentrer chez lui.

[11] Le demandeur a également déclaré durant son témoignage qu’il avait consommé de la méthamphétamine en cristaux pendant environ quatre ans et que sa consommation avait joué un rôle dans ses condamnations. Il a déclaré qu’il avait suivi un programme de traitement de la toxicomanie et qu’il n’avait pas consommé de drogue depuis plusieurs années. Il a également mentionné qu’il avait pris soin de son fils de deux ans avec Mme Magallanes et qu’il voulait [traduction] « changer [sa] vie » afin de pouvoir un jour parrainer sa fille des Philippines.

B. La décision faisant l’objet du contrôle

[12] Le 14 décembre 2021, la SAI a rejeté l’appel interjeté par le demandeur à l’encontre de la mesure de renvoi prise contre lui.

[13] En appel, le demandeur a sollicité un sursis d’au plus deux ans à l’exécution de la mesure de renvoi pour des motifs d’ordre humanitaire. Le défendeur a demandé le rejet de l’appel au motif qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier la prise de mesures spéciales et a fait valoir que, si un sursis était accordé, une durée de quatre ans conviendrait davantage.

[14] Dans son analyse des motifs d’ordre humanitaire, la SAI s’est appuyée sur les facteurs énoncés dans la décision Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] DSAI no 4, et confirmés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, puis les a examinés à son tour.

1) La gravité de l’infraction

[15] La SAI a conclu que, en l’espèce, la gravité de l’infraction commise par le demandeur militait contre la prise de mesures spéciales et a fait remarquer que l’infraction n’était « pas un incident isolé et qu’elle fai[sai]t plutôt partie des antécédents criminels de l’appelant ». Elle était d’accord avec le demandeur pour dire que la peine relativement légère infligée pour l’infraction principale de vol d’un véhicule à moteur atténuait la gravité de celle‑ci, mais a finalement conclu que l’ensemble du casier judiciaire du demandeur constituait une circonstance aggravante qui militait en faveur du renvoi et qui soulevait des doutes quant au potentiel de réadaptation du demandeur.

2) Le potentiel de réadaptation

[16] La SAI a conclu que le demandeur avait montré un certain potentiel de réadaptation, ce qui pesait en faveur de la prise de mesures spéciales. La SAI a souligné que le demandeur avait terminé un programme de traitement de la toxicomanie, qu’il avait déclaré avoir cessé de consommer des drogues avant même la fin du programme et qu’il n’avait pas commis d’infraction depuis plus de trois ans, ce qui militait en faveur de la prise de mesures spéciales. En revanche, la SAI a également souligné que le demandeur ne s’était pas montré « très conscient » des répercussions de ses infractions, qu’il avait exprimé « peu de remords » à l’égard de ses gestes et qu’il avait « détaillé de façon désinvolte les circonstances de ces incidents ». Elle a jugé que ces facteurs soulevaient des préoccupations quant à la possibilité que le demandeur puisse de nouveau commettre de tels actes s’il en ressentait le besoin. Elle a en outre fait remarquer que le demandeur avait des antécédents de non-respect des conditions, ce qui soulevait des questions quant à la pertinence d’un sursis à la mesure de renvoi dans son cas.

3) L’établissement au Canada

[17] La SAI a jugé que le demandeur avait fourni peu d’éléments de preuve d’un établissement positif ou d’efforts d’intégration durant les 12 années qu’il avait passées au Canada. Elle a fait remarquer que le demandeur avait abandonné l’école après six mois, qu’il n’avait fourni aucun élément de preuve à l’appui de son affirmation selon laquelle il avait travaillé durant de courtes périodes, et que rien n’indiquait qu’il avait participé à des activités communautaires. La SAI a conclu que, en dépit des déclarations de la famille du demandeur portant que ce dernier avait le désir et le potentiel de trouver un emploi convenable et de subvenir aux besoins de sa famille, celui‑ci avait déployé peu d’efforts à cette fin depuis son arrivée au Canada. Le demandeur n’a pas montré qu’il avait cherché du travail depuis son dernier emploi en 2019. Pour ces motifs, la SAI a conclu que l’établissement du demandeur au Canada ne militait pas en faveur de la prise de mesures spéciales.

4) Le soutien dont bénéficie le demandeur

[18] La SAI a conclu que le demandeur avait fourni peu d’éléments de preuve montrant qu’il bénéficiait du soutien de sa communauté pour faciliter sa réadaptation. Elle a souligné que sa famille lui offrait du soutien, mais que ce soutien ne l’avait pas empêché de se livrer à des activités criminelles.

5) Les liens familiaux

[19] La SAI a jugé que les liens familiaux du demandeur militaient en faveur de la prise de mesures spéciales étant donné que la famille immédiate et quelques membres de la famille élargie de ce dernier habitaient au Canada. Elle a conclu que le poids de ces liens familiaux était atténué par le peu d’éléments de preuve indiquant que la famille du demandeur subirait des bouleversements en raison de son renvoi du Canada.

6) Les difficultés pouvant découler du renvoi du demandeur

[20] Compte tenu de la preuve relative aux conditions dans le pays présentée par le demandeur, la SAI était d’avis que la situation dans laquelle ce dernier se retrouverait probablement s’il retournait dans ce pays ne constituait pas une difficulté justifiant la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire. Le demandeur a fait valoir qu’il trouverait difficilement du travail aux Philippines étant donné la mauvaise situation économique du pays et le niveau élevé de pauvreté, mais la SAI a fait observer qu’il était sans emploi et que sa mère subvenait à ses besoins ainsi qu’à ceux de membres de la famille aux Philippines. Rien n’indiquait que le demandeur cesserait de bénéficier de ce soutien après son renvoi.

[21] Le demandeur a également fait valoir que, s’il se livrait à des activités criminelles ou consommait de la drogue aux Philippines, il s’exposerait à un risque sérieux de préjudice étant donné la preuve relative aux mauvaises conditions carcérales dans ce pays et la guerre contre la drogue qu’y mène le gouvernement. La SAI a fait remarquer que le demandeur, selon son témoignage, n’avait consommé des drogues qu’à des fins récréatives et avait montré un potentiel de réadaptation au cours des dernières années, de sorte que tout risque découlant de sa participation à des activités criminelles et de sa consommation de drogues aux Philippines était de nature hypothétique.

7) L’intérêt supérieur des enfants

[22] La SAI a souligné que le demandeur avait deux enfants mineurs, soit un fils au Canada et une fille aux Philippines, qui seraient touchés par son renvoi, mais qu’il avait présenté peu d’éléments de preuve quant à son rôle dans la vie de chacun d’eux. Elle a mentionné que la mère des enfants les soutenait financièrement, étant donné que le demandeur était sans emploi.

[23] La SAI a pris acte de l’affirmation du demandeur selon laquelle son rôle avait principalement consisté à s’occuper de son fils de deux ans pendant qu’il vivait avec lui et Mme Magallanes (la conjointe du demandeur de l’époque) dans des refuges. Cette affirmation a été corroborée par une lettre de Mme Magallanes dans laquelle elle décrivait le rôle joué par le demandeur dans la vie de l’enfant. La SAI a toutefois fait observer que la lettre n’était pas signée, qu’aucune pièce d’identité n’y était jointe et que le demandeur avait déclaré qu’il n’était plus en contact avec Mme Magallanes, ce qui atténuait le poids de la lettre dans l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant.

[24] La SAI a admis qu’il était généralement dans l’intérêt supérieur de l’enfant d’avoir accès à ses deux parents et que le sursis à la mesure de renvoi prise contre le demandeur permettrait au fils d’avoir accès à son père, mais a conclu que le demandeur avait présenté peu d’éléments de preuve démontrant qu’il jouait un rôle actif dans la vie quotidienne de son fils. Elle a fait remarquer que le demandeur voyait son fils toutes les fins de semaine, mais que peu d’éléments de preuve avaient été fournis à cet égard, et que la totalité du soutien financier pour l’enfant provenait de la mère. Elle a également précisé que, même si le demandeur avait exprimé le désir de parrainer sa fille des Philippines, celui‑ci n’avait encore entrepris aucune démarche en ce sens et que son retour au pays lui permettrait d’être plus présent dans la vie de sa fille. Pour ces motifs, la SAI a conclu que l’intérêt supérieur du fils du demandeur ne militait que légèrement en faveur de la prise de mesures spéciales, et que l’intérêt supérieur de sa fille aux Philippines ne militait pas en faveur de la prise de mesures spéciales.

[25] La SAI a finalement jugé, après avoir soupesé les facteurs énoncés plus haut et pris en compte l’intérêt supérieur des enfants touchés par le renvoi, que le demandeur n’avait pas établi de motifs d’ordre humanitaire suffisants pour justifier la prise de mesures spéciales.

II. Question en litige et norme de contrôle applicable

[26] La seule question en litige est celle de savoir si la décision de la SAI est raisonnable.

[27] Nul ne conteste la norme de contrôle applicable. Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (« Vavilov ») aux para 16‑17, 23‑25). Je suis d’accord.

[28] La norme de la décision raisonnable commande un contrôle empreint de déférence, mais rigoureux (Vavilov, aux para 12‑13). La cour de révision doit déterminer si la décision faisant l’objet du contrôle, tant en ce qui concerne le raisonnement suivi que le résultat obtenu, est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). Le caractère raisonnable d’une décision dépend du contexte administratif, du dossier dont le décideur est saisi et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences (Vavilov, aux para 88‑90, 94, 133‑135).

[29] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit établir qu’elle comporte des lacunes suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Les erreurs que comporte une décision ou les préoccupations qu’elle soulève ne justifient pas toutes l’intervention de la Cour. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, ne doit pas modifier les conclusions de fait tirées par celui‑ci (Vavilov, au para 125). Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, ni constituer une « erreur mineure » (Vavilov, au para 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 36).

III. Analyse

[30] Le demandeur conteste le caractère raisonnable de la décision de la SAI au seul motif que cette dernière aurait commis une erreur dans l’évaluation de l’intérêt supérieur des enfants touchés par son renvoi. Le demandeur fait valoir que la SAI n’a pas tenu compte des éléments de preuve concernant sa relation avec son fils canadien et qu’elle a mal interprété ces éléments, de sorte qu’elle a tiré des conclusions concernant l’intérêt supérieur de son fils qui ne concordaient pas avec le dossier de preuve.

[31] Le demandeur soutient qu’il a présenté de nombreux éléments de preuve démontrant qu’il entretenait une relation continue avec son fils canadien, contestant ainsi la conclusion de la SAI selon laquelle il en avait présenté peu. Par exemple, le demandeur a déclaré devant la SAI qu’il avait été l’un des principaux responsables des soins de son fils depuis la naissance de celui-ci, que Mme Magallanes et lui s’occupaient de l’enfant ensemble et qu’il passait toutes les fins de semaine avec son fils depuis qu’il s’était séparé de Mme Magallanes. La mère et la grand‑mère du demandeur ainsi que Mme Magallanes ont chacune fourni des lettres attestant du lien d’attachement étroit entre le demandeur et son fils et traitant des répercussions que le renvoi du demandeur aurait sur l’enfant. Le demandeur soutient que, étant donné ces éléments de preuve, la SAI a eu tort de conclure qu’il n’avait fourni aucune preuve établissant l’existence d’une relation continue entre son fils et lui, ce qui indique que la SAI n’a pas examiné l’ensemble de la preuve. Le demandeur fait aussi valoir que la SAI a commis une erreur en diminuant le poids accordé à la lettre de Mme Magallanes au motif que cette dernière et lui n’étaient plus en contact, puisque cette absence de contact n’a pas eu d’incidence importante sur sa relation avec son fils. Le demandeur soutient que, comme la SAI a jugé que les éléments de preuve et son témoignage au sujet de son fils manquaient de crédibilité, elle était tenue de justifier cette conclusion, ce qu’elle n’a pas fait.

[32] Le demandeur fait valoir que la conclusion de la SAI concernant l’intérêt supérieur de l’enfant contrevient aux principes énoncés dans l’arrêt Vavilov, en particulier au principe suivant : « [l]orsque la décision a des répercussions sévères sur les droits et intérêts de l’individu visé, les motifs fournis à ce dernier doivent refléter ces enjeux » (au para 133). Le demandeur soutient que la séparation de son fils canadien présente des enjeux importants, et que la SAI avait ainsi une responsabilité accrue de fournir des motifs clairs dans son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant. Le demandeur fait valoir que la SAI ne s’est pas acquittée de cette responsabilité, ce qui rend la décision déraisonnable.

[33] Le défendeur soutient que l’évaluation par la SAI de l’intérêt supérieur de l’enfant est raisonnable compte tenu du peu d’éléments de preuve présentés par le demandeur et du fait que ce dernier, par ses observations, cherche en fait à ce que la Cour apprécie à nouveau la preuve, ce qui n’est pas son rôle lorsqu’elle procède à un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable. Le défendeur fait valoir que la SAI a évalué les éléments de preuve dont elle disposait concernant la relation du demandeur avec son fils canadien et qu’il était raisonnable pour elle de juger qu’elle devait accorder peu de poids à ces éléments dans l’analyse globale. Le défendeur renvoie à la décision Latif c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 104, de notre Cour et fait valoir qu’un simple désaccord concernant le poids à accorder à l’intérêt supérieur de l’enfant dans l’appréciation globale de la preuve n’est pas un motif justifiant l’intervention de la Cour dans la décision de la SAI (au para 55).

[34] Le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour la SAI de conclure, d’après la preuve au dossier, qu’il y avait peu de renseignements sur le rôle joué actuellement par le demandeur dans la vie de ses enfants, tant en ce qui a trait à sa présence qu’à son soutien financier. Il fait remarquer que la lettre non signée de Mme Magallanes a été rédigée avant que ne survienne le changement important dans le lien qu’entretenait celle‑ci avec le demandeur. Il soutient que le dossier étaye ces conclusions.

[35] Le défendeur fait également remarquer que, même si le demandeur affirme qu’il a été en relation avec Mme Magallanes pendant quatre ans, les deux ont commencé à cohabiter dans un refuge de la ville vers le mois de décembre 2019 et ont cessé de cohabiter environ un an plus tard, lorsqu’ils ont tous deux quitté le refuge pour habiter chez leur mère respective. Ils se sont officiellement séparés en juillet 2021, lorsque Mme Magallanes a entamé une autre relation, et ne sont plus en contact. Le défendeur fait valoir que le demandeur n’a ainsi pas visité le nouveau domicile de son fils et qu’il [traduction] « en sait peu sur la vie actuelle de [celui‑ci] ». Le défendeur fait remarquer que, même s’il affirme voir son fils toutes les fins de semaine, le demandeur n’a fourni aucun détail sur les activités qu’il fait avec son fils, outre l’amener au parc, et que le demandeur a déclaré dans son témoignage qu’il ne fournissait aucun soutien financier à son fils. Le défendeur soutient que la mère du demandeur n’a pas mentionné dans sa lettre qu’elle planifiait la récupération et le retour de l’enfant la fin de semaine, comme l’affirme le demandeur, et que, par conséquent, rien dans les lettres n’appuie l’affirmation du demandeur selon laquelle il a une relation continue avec son fils.

[36] Je souscris à la position du défendeur portant que l’évaluation par la SAI de l’intérêt supérieur de l’enfant est raisonnable. Je ne suis pas d’avis que les éléments de preuve présentés par le demandeur, notamment les lettres de sa mère et de Mme Magallanes, permettent de compenser le manque d’information concernant la mesure dans laquelle il entretient une relation avec son fils ou le soutient. Je conviens que le soutien financier n’est pas le seul moyen de démontrer l’existence d’une relation continue entre un père et son fils, mais la preuve du demandeur révèle seulement qu’il voit son fils toutes les fins de semaine et n’offre que peu de détails sur la nature de ces visites. Tout lien régulier entre le demandeur et son fils est facilité par la mère du demandeur et Mme Magallanes, lesquelles semblent être les principales personnes qui s’occupent de l’enfant.

[37] Je fais en outre remarquer que le fils canadien du demandeur n’est pas son seul enfant. Le demandeur a une fille de 12 ans aux Philippines, au sujet de laquelle il n’y a ni élément de preuve ni renseignement. Le demandeur n’a pas démontré qu’il avait déployé des efforts pour subvenir aux besoins de sa fille au cours des 12 années qu’il a passées au Canada. Il affirme qu’il souhaite parrainer sa fille au Canada, mais le dossier n’indique aucune démarche en ce sens, encore moins pour entretenir une relation continue avec elle. Compte tenu de ce qui précède, il était raisonnable pour la SAI de conclure que l’analyse de l’intérêt supérieur des deux enfants ne pesait pas considérablement en faveur de la prise de mesures spéciales.

[38] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la SAI a effectué une évaluation raisonnable de l’intérêt supérieur des enfants et a raisonnablement jugé que ce facteur pesait peu en faveur d’un sursis à la mesure de renvoi pour des motifs d’ordre humanitaire.

IV. Conclusion

[39] La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. La SAI a raisonnablement évalué l’intérêt supérieur des enfants dans sa décision par laquelle elle a rejeté l’appel interjeté par le demandeur à l’encontre de la mesure de renvoi prise à l’égard de ce dernier. Aucune question à certifier n’a été soulevée, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-9776-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-9776-21

INTITULÉ :

JAMIE CARREON PANAGA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 DÉCEMBRE 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

DATE DES MOTIFS :

LE 20 FÉVRIER 2023

COMPARUTIONS :

Joo Eun Kim

POUR LE DEMANDEUR

Kristina Dragaitis

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Refugee Law Office

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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