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Date : 20230207


Dossier : IMM‑6‑22

Référence : 2023 CF 180

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 février 2023

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

DIANA MARIA SALGADO PENA et

YULI ALEJANDRA ROBAYO SALGADO

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 16 décembre 2021 par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a conclu que les demanderesses n’avaient pas établi l’existence d’un risque sérieux de persécution ni qu’elles seraient personnellement exposées à un risque de torture, à une menace à leur vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités si elles devaient retourner en Colombie. La SPR a jugé que les demanderesses n’étaient ni des réfugiées au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

II. Faits

[2] La demanderesse principale est une citoyenne de la Colombie âgée de 45 ans. Sa demande a été présentée conjointement avec celle de sa fille de 19 ans. Leur récit est le suivant.

[3] Un parent de la demanderesse principale vivait depuis 2014 dans la maison familiale de cette dernière avec d’autres proches après avoir purgé une peine d’emprisonnement pour enlèvement et complot criminel. Il a alors promis qu’il changerait son comportement. Cependant, en décembre 2016, la police a fait une descente au domicile de la demanderesse principale et a arrêté le parent en question. Celui-ci a toutefois été relâché après qu’un juge eut conclu que la descente était illégale.

[4] Le parent a été arrêté de nouveau en 2017, puis envoyé en prison, où il est incarcéré depuis. Au cours des procédures judiciaires qui ont suivi, la demanderesse principale a appris que le parent avait été à la tête d’une escouade de tueurs à gages ayant des liens avec deux groupes de guérilleros. Le procureur général a proposé au parent une peine réduite assortie d’une protection si ce dernier coopérait et identifiait les dirigeants des groupes. Aucun procès n’a eu lieu; le parent a conclu une entente avant le procès et a fourni des éléments de preuve incriminants substantiels en vue d’obtenir une peine réduite.

[5] À la suite de ces événements, la famille de la demanderesse principale a été prise pour cible par des agents inconnus agissant apparemment en représailles aux dénonciations faites par le parent. La famille a notamment vécu une entrée par effraction dans le domicile familial, elle a été surveillée, elle a reçu des appels et une lettre de menaces et a vu des hommes étranges à proximité de la maison. Le parent a également signalé avoir reçu des menaces directes visant les membres de sa famille parce qu’il avait collaboré avec les autorités. La demanderesse principale et les membres de sa famille ont déposé des plaintes à la police, mais celles-ci sont restées sans suite. Ils ont finalement cessé de signaler leurs préoccupations aux autorités en raison de l’inaction de ces dernières.

[6] Après avoir reçu des menaces en janvier 2019, la demanderesse principale, sa fille et ses parents ont demandé des visas pour les États‑Unis et ont prévu de quitter le pays en raison de toute l’incertitude qu’ils vivaient. Les demanderesses ont obtenu leurs visas américains. Elles se sont ensuite procuré des billets d’avion vers les États-Unis, mais, en raison des restrictions liées à la COVID‑19, elles n’ont pu quitter le pays que plus tard en 2020. Peu de temps après, elles se sont rendues à la frontière canadienne. Les parents de la demanderesse principale sont quant à eux demeurés en Colombie. La mère de la demanderesse principale a affirmé n’avoir reçu aucun appel de menaces pendant deux ans, mais a indiqué que des étrangers l’appelaient parfois. La demanderesse principale avait émis l’hypothèse que les membres de sa famille et elle n’avaient jamais subi de préjudice parce qu’ils étaient plus utiles vivants que morts.

III. Décision faisant l’objet du présent contrôle

[7] Devant le tribunal, les demanderesses ont plaidé qu’elles n’avaient pas bénéficié d’une protection adéquate en Colombie. Le tribunal de la SPR a conclu qu’elles n’avaient pas réfuté la présomption selon laquelle l’État colombien était en mesure de protéger ses citoyens et citoyennes. De l’avis du tribunal, les demanderesses n’avaient pas fourni de preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État à les protéger.

[8] Le tribunal a rejeté les préoccupations des demanderesses concernant l’inefficacité des mesures prises par les autorités locales après le dépôt de leurs plaintes. La SPR a conclu que les demanderesses n’avaient ni fait de suivi ni clairement montré aux autorités la preuve tangible du prétendu complot contre leur famille. Le tribunal a également rejeté le raisonnement des demanderesses selon lequel elles « ne faisai[en]t plus confiance » au système de justice colombien, ajoutant que ces dernières n’avaient fourni aux autorités de l’État aucun élément de preuve additionnel quant au harcèlement qui se serait poursuivi durant les 22 mois précédant leur départ.

[9] Après avoir analysé l’ensemble des circonstances, le tribunal a conclu que les demanderesses n’avaient pas réfuté la présomption du caractère adéquat et efficace de la protection de l’État au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants démontrant l’incapacité de l’État à assurer leur protection. De plus, le tribunal a fait remarquer que l’État colombien semblait déterminé à lutter contre la guérilla et la violence criminelle, donnant comme exemple la peine d’emprisonnement infligée au parent de la demanderesse principale.

[10] Le tribunal a également jugé flous et contradictoires les éléments de preuve des demanderesses concernant les renseignements additionnels que le parent aurait pu fournir aux autorités, étant donné que sa peine initiale avait déjà été réduite du fait de sa collaboration avec les autorités. De l’avis du tribunal, les éléments de preuve présentés par la demanderesse principale au sujet de l’identité exacte des personnes qui menaçaient la famille étaient tout aussi flous et contradictoires.

[11] En outre, le tribunal a jugé que l’allégation des demanderesses selon laquelle des étrangers venaient se poster devant leur maison ou y stationner leur voiture était incohérente, puisqu’il lui semblait étrange que ces personnes n’aient jamais abordé la demanderesse principale ou les membres de sa famille. Le tribunal a tiré des conclusions semblables en ce qui concerne les appels de menaces.

[12] Dans l’ensemble, le tribunal a jugé que les éléments de preuve fournis par les demanderesses étaient vagues, incohérents et contradictoires.

IV. Question en litige

[13] La seule question en litige en l’espèce est de savoir si la décision de la SPR est raisonnable.

V. Norme de contrôle applicable

[14] Je conviens avec les parties que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, qui a été rendu en même temps que l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653 [Vavilov], le juge Rowe, s’exprimant au nom de la majorité, a expliqué les attributs que doit présenter une décision raisonnable et les exigences imposées à la cour de révision qui procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [...] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).

[Non souligné dans l’original.]

[15] Plus important encore en l’espèce, suivant l’arrêt Vavilov, la cour de révision doit évaluer si la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire s’attaque de façon significative aux questions clés :

[128] Les cours de révision ne peuvent s’attendre à ce que les décideurs administratifs « répondent à tous les arguments ou modes possibles d’analyse » (Newfoundland Nurses, par. 25) ou « tire[nt] une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à [leur] conclusion finale » (par. 16). Une telle exigence aurait un effet paralysant sur le bon fonctionnement des organismes administratifs et compromettrait inutilement des valeurs importantes telles que l’efficacité et l’accès à la justice. Toutefois, le fait qu’un décideur n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise. En plus d’assurer aux parties que leurs préoccupations ont été prises en considération, le simple fait de rédiger des motifs avec soin et attention permet au décideur d’éviter que son raisonnement soit entaché de lacunes et d’autres failles involontaires : Baker, par. 39.

[Non souligné dans l’original.]

VI. Analyse

[16] La présente affaire repose sur la question de la protection de l’État. À cet égard, deux points préoccupent la Cour, de sorte que la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Le premier est que le bon critère juridique relatif à la protection de l’État n’est mentionné nulle part. Le deuxième est que la SPR ne s’est pas attaquée de manière significative à la preuve sur la situation dans le pays montrant les lacunes dans la protection offerte par l’État.

[17] En ce qui concerne le critère juridique, la Cour a conclu à maintes reprises que le critère à appliquer pour évaluer le caractère adéquat de la protection de l’État se situe au niveau opérationnel, ce qui requiert une évaluation non seulement des efforts déployés par l’État, mais aussi des résultats réels : Asllani c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CF 645, le juge en chef Crampton, au para 25 :

[24] En ce qui concerne tant l’Italie que le Kosovo, M. Asllani affirme que la SAR a commis une erreur en omettant d’énoncer le bon critère. À cet égard, il soutient que le bon critère est celui de savoir si la protection de l’État est efficace au « niveau opérationnel » (Durdevic c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 427 au par. 33) et qu’il incombait à la SAR d’énoncer explicitement ce critère dès le début de son appréciation de la question de la protection de l’État.

[25] Je ne suis pas de cet avis. Je n’ai connaissance d’aucun fardeau de ce genre pour la SPR ou la SAR. Ce qui compte, c’est que l’efficacité de la protection de l’État soit réellement examinée au niveau opérationnel. Cet examen s’effectue lors de l’évaluation des éléments de preuve produits par le demandeur d’asile pour renverser la présomption de la protection de l’État qui existe en l’absence de la preuve d’un effondrement complet de l’appareil étatique : Ward, précité, à la p. 692.

[26] Il convient de souligner que le fardeau de réfuter la présomption et de démontrer qu’une protection de l’État adéquate n’existe pas au niveau opérationnel incombe au demandeur d’asile. Toutefois, dans ses observations formulées à la SAR, M. Asllani n’a pas cherché à s’acquitter de ce fardeau en ce qui concerne l’Italie en renvoyant à des éléments de preuve à l’appui de sa simple affirmation selon laquelle la SPR n’avait pas examiné l’existence d’une protection de l’État au plan opérationnel.

[Non souligné dans l’original.]

[18] La Cour a énoncé et appliqué ce critère à de nombreuses reprises au fil des ans. La nécessité d’évaluer le caractère adéquat de la protection de l’État au niveau opérationnel a été confirmée dans les décisions suivantes : Bito c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1370, le juge Brown; Zapata c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1277, le juge Favel, aux para 15, 25; Mejia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1032, la juge McVeigh, aux para 25‑26, 28; Rstic c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 249, le juge Favel, aux para 18, 30‑31; Kotai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 233, la juge Elliott, aux para 34, 42; Asllani c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CF 645, le juge en chef Crampton, au para 25; Newland c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1418, le juge McHaffie, aux para 23‑25; Dawidowicz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 258, le juge Brown, au para 10; Gjoka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 292, la juge Strickland, au para 30; Moya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 315 [Moya], la juge Kane, au para 68; Hasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 270, la juge Strickland, au para 7; Eros c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1094, le juge Manson, au para 45; Benko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1032, le juge Gascon, au para 18; Koky c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1035, le juge Gascon, au para 14; Mata c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 1007, la juge McDonald, aux para 13‑15; Poczkodi c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 956, la juge Kane, au para 37; Paul c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 687, le juge Boswell, au para 17; et John c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 915 au para 14. Cependant, voir aussi Mudrak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 188, le juge Annis, aux para 50, 81.

[19] Par exemple, aux paragraphes 73 à 76 de la décision Moya, la juge Kane a indiqué ce qui suit :

[73] Si la perfection n’est pas la norme, pour qu’elle soit adéquate, la protection de l’État doit présenter un certain niveau d’efficacité et l’État doit être à la fois disposé à offrir une protection et capable de le faire (Bledy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 210, au paragraphe 47, [2011] ACF no 358 (QL)). La protection de l’État doit être suffisante au niveau opérationnel (Henguva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 483, au paragraphe 18, [2013] ACF no 510 (QL); Meza Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1364, au paragraphe 16, [2011] ACF no 1663 (QL)).

[74] Comme l’a fait remarquer la demanderesse, la démocratie à elle seule n’est pas gage d’une protection efficace de l’État; il faut prendre en compte la qualité des institutions qui assurent la protection (Sow c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 646, au paragraphe 11, [2011] ACF no 824 (QL) [Sow]).

[75] Le fardeau qui incombe à un demandeur de demander la protection de l’État varie selon la nature de la démocratie et est proportionnel à la capacité et à la volonté de l’État d’assurer la protection (Sow, au paragraphe 10; Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF No 1376 (QL), au paragraphe 5, 143 DLR (4th) 532 (CAF)). Toutefois, le demandeur ne peut pas simplement compter sur sa propre conviction que la protection de l’État ne sera pas offerte (Ruszo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1004, au paragraphe 33, [2013] ACF no 1099 (QL)).

[20] À mon humble avis, il n’est pas possible d’évaluer raisonnablement la protection de l’État sans d’abord énoncer correctement les contraintes juridiques, conformément à ce qui est décrit ci-haut, en ce qui a trait à la signification de la notion de protection de l’État. La protection de l’État suppose que l’État offre une protection au niveau opérationnel. Cependant, la SPR ne définit nulle part dans ses motifs les contraintes juridiques applicables à la protection de l’État.

[21] Ceci dit avec égards, la décision n’est donc pas raisonnable, et elle sera annulée.

[22] Ensuite, je ne suis pas convaincu que la SPR se soit attaquée de façon significative, conformément au paragraphe 128 de l’arrêt Vavilov précité, à la preuve sur la situation dans le pays concernant la protection de l’État au niveau opérationnel sur laquelle se sont appuyées les demanderesses. À cet égard, la demanderesse principale fait valoir ce qui suit, et je souscris à l’essentiel de ses propos :

[traduction]

27. En conséquence, la Commission n’a pas tenu compte des éléments de preuve très probants concernant l’insuffisance des mesures de protection de l’État pour les victimes du crime organisé. Parmi ces éléments se trouvait un rapport de la CISR daté du 13 août 2021 et consigné au point 7.37 du CND du 31 août 2021. Le conseil a présenté des observations de vive voix détaillées au sujet du point 7.37.

28. En ce qui concerne les efforts déployés par l’État colombien pour protéger les victimes d’acteurs non étatiques armés, le point 7.37 énonce ce qui suit :

[…] Amnesty International signale que l’UNP fournit [version française d’Amnesty International] « uniquement » des mesures de protection « adoptant une approche principalement individuelle et urbaine » (Amnesty International 8 oct. 2020). Au dire de l’analyste principale, il est [traduction] « vraiment difficile » pour les personnes prises pour cible par des groupes criminels d’obtenir une protection offerte par l’État en raison du « seuil très élevé » pour être admissible; un « certain » niveau de « visibilité publique » est nécessaire, comme être un « leader connu » (analyste principale 8 juill. 2021). Il ressort du rapport de HRW que [traduction] « de nombreux leaders communautaires » ne reçoivent pas de menaces ou ne les signalent pas aux procureurs, ce qui est « exig[é] » pour obtenir une protection (HRW 10 févr. 2021).

Un article d’Infobae, un site Internet argentin d’actualités en espagnol (The Washington Post 8 juin 2016), citant un rapport publié par le gouvernement national, souligne que [traduction] « [m]algré une augmentation du nombre de meurtres de leaders sociaux et de défenseurs des droits de la personne en Colombie, [l’UNP] a seulement accepté 16 p. 100 des demandes » (Infobae 1er oct. 2020). La même source ajoute qu’entre le 1er janvier et le 16 août 2020, l’UNP a reçu 6 756 demandes de protection présentées par des leaders sociaux et 3 053 demandes présentées par des défenseurs des droits de la personne; 1 093 et 474 demandes respectivement ont été acceptées (Infobae 1er oct. 2020). L’analyste principale a dit que [traduction] « certains » ont demandé une protection et ont attendu de six à huit mois pour obtenir une réponse; à ce stade, soit le danger s’était « matérialisé », soit il était « passé » (analyste principale 8 juill. 2021). La même source a ajouté que les mesures comme les gilets pare-balles et les véhicules blindés peuvent avoir pour conséquence que les personnes sont [traduction] « plus facilement » prises pour cible par les groupes criminels (analyste principale 8 juill. 2021).

Selon le Bureau du protecteur de citoyen [sic], le SAT est un [traduction] « instrument » utilisé par le Bureau du protecteur du citoyen pour « amasser, vérifi[er] et analyser, de manière technique, l’information en lien avec les situations de vulnérabilité et de risque pour la population civile qui découlent du conflit armé » et il est utilisé pour avertir les « autorités concernées » afin qu’elles soient en mesure de « coordonner et de fournir une attention complète et opportune aux communautés touchées » (Colombie s.d.).

Toutefois, HRW signale que les autorités responsables de donner suite aux alertes rapides [traduction] « ont constamment négligé de le faire ou ont réagi pour la forme ou d’une manière insignifiante, produisant de maigres résultats sur le terrain » (HRW 10 févr. 2021). De même, Amnesty International souligne que le SAT est [version française d’Amnesty International] « peu efficace » parce que le « non-respect de ses mesures par les organes de l’État n’entraîne aucune conséquence » (Amnesty International 8 oct. 2020).

Au dire de la professeure, bien que l’UNP et le SAT soient devenus [traduction] « plus efficaces », des « lacunes importantes » demeurent, y compris « un manque de renseignements adéquats » sur les groupes criminels, la « résistance » des « élites politiques locales » et la présence « d’agents infiltrés » dans des agences gouvernementales et d’autres organisations (professeure 12 juill. 2021). La Route de protection collective (Ruta de Protección Colectiva), un [version française d’Amnesty International] « ensemble de mesures adoptées par les autorités colombiennes en vue de prévenir les risques, de contrer les menaces et de limiter les fragilités des groupes et communautés n’est pas non plus mis en œuvre efficacement » (Amnesty International 8 oct. 2020).

[…]

Des sources signalent que le gouvernement connaît des [traduction] « contraintes » financières « importantes » (InSight Crime 11 nov. 2019; HRW 10 févr. 2021). Dans le rapport de février 2021 de HRW, on peut lire que le [traduction] « grand nombre » de mesures de protection « dilue » les ressources et donne lieu à des redondances « peu économiques » (HRW 10 févr. 2021). Selon Amnesty International, l’éventail de mécanismes de protection est [version française d’Amnesty International] « si vaste et complexe » que « de nombreuses personnes » ne sont pas certaines de la façon d’y accéder; de plus « de nombreu[x] » défenseurs affirment que les mesures ne répondent pas aux besoins de leurs communautés (Amnesty International 8 oct. 2020). De même, l’International Crisis Group fait observer que [traduction] « presque tous » les leaders communautaires qui demandent une protection « expriment leur frustration » à l’endroit du « dédale bureaucratique impénétrable » du gouvernement (International Crisis Group 6 oct. 2020, i). Selon le rapport de Freedom House, la [traduction] « confiance » envers la protection fournie par le gouvernement « varie grandement » (Freedom House 3 mars 2021). L’International Crisis Group souligne que [traduction] « [c]ertains leaders sociaux qui font un signalement après avoir reçu des menaces de mort craignent que les responsables qui devraient les protéger soient de connivence avec les criminels » (International Crisis Group 6 oct. 2020, i). Freedom House signale qu’en raison de la COVID‑19, l’obtention d’une [traduction] « protection efficace » est encore plus difficile (Freedom House 3 mars 2021).

[Non souligné dans l’original.]

[23] Bien que la SPR reproche personnellement aux demanderesses de ne pas en avoir fait assez, il ne s’agit pas là du seul critère. Les éléments de preuve sur la situation dans le pays démontrant l’expérience d’autres personnes sont tout aussi pertinents. Comme je le note plus haut, la SPR n’a pas fait mention de ce qui précède et n’a même pas indiqué qu’elle en avait tenu compte. Bien entendu, la SPR n’est pas tenue d’examiner chaque argument ou élément de preuve qui lui est présenté, mais je suis convaincu que, dans la présente affaire, elle ne s’est pas attaquée de façon significative à la preuve relative à la situation dans le pays, ce qu’elle devait faire en l’espèce.

[24] Je n’ai donc pas à me pencher sur les autres questions soulevées.

VII. Conclusion

[25] La présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

VIII. Question à certifier

[26] Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑6‑22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant : La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée, l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision, aucune question de portée générale n’est certifiée et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6-22

 

INTITULÉ :

DIANA MARIA SALGADO PENA ET YULI ALEJANDRA ROBAYO SALGADO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 FÉVRIER 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 7 FÉVRIER 2023

COMPARUTIONS :

Tyler Goettl

POUR LES DEMANDERESSES

Mahan Keramati

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Tyler Goettl

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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