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     IMM-1133-96

ENTRE :

     NAJINDER SINGH PARMAR,

     requérant,

     - et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

     Les présents motifs font suite à une demande de contrôle judiciaire concernant une décision prise au nom de l'intimé, en exécution du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration1, à savoir que l'intimé est d'avis que le requérant constitue un danger pour le public au Canada. La décision porte la date du 11 mars 1996 et a été communiquée au requérant le 21 mars suivant.

     Selon la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire présentée en l'espèce, le requérant sollicite aussi le contrôle judiciaire de la mesure de renvoi prise contre lui. Cette mesure n'est mentionnée d'aucune façon précise dans la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire. Quoi qu'il en soit, les documents déposés pour le compte du requérant ainsi que les arguments invoqués devant moi en faveur de ce dernier ne portaient pas sur le contrôle judiciaire de la mesure de renvoi. En outre, et il s'agit peut-être là d'un détail plus important, l'ordonnance par laquelle la présente Cour a autorisé la demande en l'espèce ne concernait que l'avis de danger.

     Le contexte factuel de l'affaire peut être résumé comme suit. Le requérant, citoyen de l'Inde, est né au Pendjab le 30 mai 1967. Il a immigré au Canada en tant que personne à charge de sa mère le 22 décembre 1982. Sa mère, deux soeurs et deux frères résident au Canada. Il a une soeur qui vit en Inde. Le requérant est marié, et a deux enfants. Depuis son arrivée au Canada, il n'est retourné qu'une fois dans son pays. Son casier judiciaire n'est pas lourd : une condamnation pour infraction mineure contre les biens et une autre pour défaut de comparaître. Son infraction la plus récente - et la seule autre - a mené à une condamnation en vertu de l'article 272 du Code criminel2. Les passages pertinents de cet article sont les suivants :

     272(1)      Commet une infraction quiconque, en commettant une agression sexuelle, selon le cas :                 
         [...]         
         d) participe à l'infraction avec une autre personne.         
     2)      Quiconque commet l'infraction prévue au paragraphe 1) est coupable d'un acte criminel passible :         
         [...]         
         b) ... d'un emprisonnement maximal de quatorze ans.         

     Le requérant a été condamné à une peine d'emprisonnement de trois ans.

     Le requérant a été frappé d'une mesure d'expulsion à la suite de sa condamnation la plus récente. Il a interjeté appel de cette mesure auprès de la Section d'appel de l'immigration. Dans l'affidavit qu'il a déposé dans le cadre du présent contrôle judiciaire, le requérant atteste ceci :

     [TRADUCTION]
     Le 26 septembre 1995, à 9 h 31, mon audience devant la Section d'appel de l'immigration a commencé à Drumheller. Durant la matinée de l'audience, j'ai reçu une lettre du Centre d'immigration Canada de Calgary indiquant que l'on examinait mon dossier en vue de la délivrance éventuelle d'un " certificat de danger " en vertu du par. 70(5) de la Loi sur l'immigration ... Au moment où la lettre est arrivée, mon avocat et l'avocat du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration ont convenu que ce document était sans effet, d'une part parce qu'il s'agissait d'un avis de délivrance éventuelle et, d'autre part, parce que la partie de fond de l'audience avait commencé.         

     En raison de l'entente convenue entre l'avocat du requérant et le représentant de l'intimé, aucune observation n'a été faite par le requérant, ou pour le compte de ce dernier, en réponse au document indiquant que l'intimé envisageait de formuler l'avis que le requérant constituait un danger pour le public au Canada.

     L'audience du requérant devant la Section d'appel de l'immigration s'est poursuivie les 26 et 27 septembre 1995. À la conclusion de l'audience, la Section d'appel de l'immigration a demandé des observations écrites, ce qui a été fait vers le 25 janvier 1996.

     Le 21 mars 1996, avant que la Section d'appel de l'immigration ait rendu une décision, le requérant a été informé que l'intimé était d'avis qu'il constituait un danger pour le public au Canada.

     En se fondant sur les documents soumis à la Cour dans cette affaire, l'avocat du requérant a soulevé une grande variété de questions. Il a reconnu devant moi qu'un grand nombre des problèmes soulevés avaient leur réponse dans l'arrêt Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Williams3, et d'autres dans l'arrêt Tsang c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration4, et ce, d'une manière qui me liait. En fin de compte, une seule question a été débattue devant moi, soit celle de savoir si, d'après la doctrine de l'" attente légitime " ou de la " fin de non-recevoir fondée sur une assertion ", l'intimé avait commis une erreur susceptible de contrôle, par manquement à l'obligation d'agir équitablement envers le requérant, en formulant l'avis que ce dernier constituait un danger pour le public au Canada.

     L'avocat du requérant a fait valoir qu'en raison de l'entente convenue entre l'avocat et le représentant de l'intimé devant la Section d'appel de l'immigration à propos de l'effet, ou du manque d'effet, de l'avis de délivrance éventuelle d'un avis de danger pour le public, et du fait que le requérant s'était fié à cette entente à son détriment, les doctrines de l'attente légitime et de la fin de non-recevoir fondée sur une assertion s'appliquaient de manière à empêcher l'intimé de formuler ledit avis de danger.

     Dans la décision Gonsalves c.Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)5, le juge Muldoon a écrit ce qui suit :

     Dans l'arrêt Association des résidents du Vieux St-Boniface c. Winnipeg (ville), [1990] 3 R.C.S. 1170, p.1204, la Cour suprême du Canada a statué que la doctrine de l'attente légitime créait des droits procéduraux seulement et non des droits fondamentaux. La Cour suprême a réitéré ce principe dans l'arrêt Renvoi : Régime d'assistance du Canada, [1991] 2 R.C.S. 252 et la Cour d'appel l'a appliqué dans l'arrêt Lidder c. Canada (M.E.I.), [1992] 2 C.F. 621 (C.A.F.). Ce principe peut être habituellement invoqué au soutien du droit de formuler des observations ou d'être consulté. Il n'accorde pas un droit fondamental qui obligerait la section d'appel à exercer sa compétence.         
     Dans le cas qui nous occupe, le droit à une décision est un droit fondamental. Les faits indiquent également que, si un droit procédural avait été en cause, il se serait agi du droit à la possibilité de se faire entendre ou de formuler des observations. La ministre a demandé à la requérante de formuler des observations et celle-ci l'a fait; par conséquent, les exigences procédurales qui existaient, le cas échéant, ont été respectées. La décision était une conclusion selon laquelle le Parlement, en édictant le paragraphe 70(5), avait retiré à la SAI la compétence nécessaire pour statuer sur l'appel de Mme Gonsalves.         
     Bien que la requérante n'invoque pas la fin de non recevoir (sic) en l'espèce, cette doctrine s'apparente habituellement à celle de l'attente légitime et Mme Gonsalves ne peut non plus en demander l'application en l'espèce. Selon l'arrêt Lidder, précité, les éléments suivants doivent exister : une assertion de fait a été faite avec l'intention qu'une personne raisonnable présume qu'on peut y donner suite; la personne que visait l'assertion y a donné suite et a par là subi un préjudice. En l'espèce, l'appel téléphonique qui a été fait le 2 février 1996 au nom du registraire pour aviser l'avocat de la requérante qu'une décision serait prise dans le dossier ne suffit pas à créer une fin de non recevoir (sic).         

     Les faits de l'espèce sont quelque peu différents, mais je suis convaincu que le raisonnement du juge Muldoon est déterminant. La doctrine de l'attente légitime ne peut créer de droits fondamentaux. D'après l'avocat du requérant, la conduite du représentant de l'intimé devant la Section d'appel de l'immigration, le 26 septembre 1995, a donné lieu à un droit fondamental en faveur du requérant, soit celui d'empêcher de formuler un avis de danger contre ce dernier. Au vu des faits de l'espèce, le point en litige n'était pas un droit procédural, comme celui de formuler des observations contre la formulation d'un avis de danger. Le requérant et son avocat se sont appuyés sur la position du représentant de l'intimé devant la Section d'appel de l'immigration pour décider de ne pas faire d'observations. C'est ce qu'ils ont choisi de faire, mais en procédant ainsi ils ne pouvaient pas simplement se fier à la position du représentant de l'intimé pour les protéger contre les résultats de ce choix par la création d'un droit fondamental, c'est-à-dire le droit d'empêcher qu'un avis de danger soit formulé.

     Dans l'affaire qui nous occupe, la fin de non-recevoir a été invoquée par le requérant. Ainsi que l'a déclaré le juge Muldoon, cette doctrine " ... s'apparente habituellement à celle de l'attente légitime... ". Là encore, comme dans la décision Gonsalves, je conclus qu'au vu des faits dont j'ai été saisi, le requérant ne peut invoquer la fin de non-recevoir. Au moins deux des facteurs qui sont nécessaires pour donner lieu à la fin de non-recevoir fondée sur une assertion, ainsi qu'il est indiqué dans l'arrêt Lidder sont, selon moi, absents. D'après les éléments de preuve qui m'ont été soumis, le représentant de l'intimé devant la Section d'appel de l'immigration n'a fait aucune observation de fait et, même si cela avait été le cas, il ne s'agissait pas d'une observation de fait à laquelle, comme le présumerait une personne raisonnable, il fallait donner suite. La conclusion selon laquelle la lettre de l'intimé au requérant, reçue à l'audience devant la Section d'appel de l'immigration le 26 septembre 1995 et indiquant que l'intimé envisageait de formuler un avis de danger contre le requérant, " ... était sans effet, d'une part parce qu'il s'agissait d'un avis de délivrance éventuelle et, d'autre part, parce que l'audience [devant la Section d'appel de l'immigration] avait commencé ", ne constituait pas une observation de fait, mais plutôt une conclusion de droit. Le fait que le requérant y donnerait suite à son détriment, alors qu'il bénéficiait des services de son propre avocat, et que son avocat et lui-même auraient pu de toute façon protéger leur position en transmettant des observations à l'intimé, n'était pas une chose que, selon moi, une personne raisonnable présumerait que le requérant ferait.

     En fin de compte, donc, ni la doctrine de l'attente légitime ni celle de la fin de non-recevoir fondée sur une assertion s'appliquent d'une façon qui m'amène à conclure que l'intimé a manqué au devoir de traiter équitablement le requérant. La présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

     À la fin de l'audition de cette affaire, j'ai remis le prononcé de ma décision et entrepris de remettre des motifs provisoires et de donner du temps aux avocats pour fournir des observations écrites sur la certification d'une ou plusieurs questions.

     L'avocat du requérant a présenté trois questions à certifier :

     [TRADUCTION]         
     1.      Le fait qu'un agent du Ministère indique, avant la conclusion d'un appel auprès de la Section d'appel de l'immigration, qu'un avis de délivrance éventuelle d'un certificat de danger est sans effet crée-t-il un droit procédural et une attente légitime qu'une procédure relative à un certificat de danger ne se poursuivra pas sans préavis raisonnable à la personne concernée?                 
     2.      Lorsqu'un agent du ministre fait remarquer qu'un avis de délivrance éventuelle signifié en vertu de la Loi sur l'immigration est sans effet, cette observation donnerait-elle lieu à une fin de non-recevoir?                 
     3.      Dans le contexte de la fin de non-recevoir, la Cour devrait-elle tenir compte de la conduite subséquente de l'auteur de la promesse au moment d'évaluer le caractère raisonnable de la confiance de son destinataire?                 

     Aucun argument à l'appui de la certification n'a été fourni. Aucune observation n'a été reçue de l'avocat de l'intimé.

     Pour qu'une certification soit justifiée, le paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration dispose que la ou les questions posées doivent être à la fois graves et de portée générale. En outre, elles doivent être déterminantes en cas d'appel6. Je suis persuadé que les questions posées sont graves et qu'elles seraient déterminantes en cas d'appel dans la présente affaire. Je ne suis pas convaincu qu'elles ont une portée générale. Même rédigées en termes très généraux, les réponses aux questions proposées seraient, au vu des faits de l'espèce, régies par les faits particuliers qui se rapportent à la source, la nature et les circonstances des observations sur lesquelles le requérant s'est fondé, ainsi que sur le caractère raisonnable du fondement. Le droit relatif aux doctrines de l'attente légitime et de la fin de non-recevoir fondée sur une assertion est, j'en suis convaincu, bien établi. Ce n'est que l'application de ce droit aux faits particulier de l'espèce qui, ici, est en litige. Dans la présente affaire, le résultat est lié à ces faits uniques, et tout conseil découlant d'un appel de ma décision se limiterait à des questions comportant des faits fort similaires. Pour les motifs qui précèdent, aucune question ne sera certifiée.


Frederick E. Gibson

Juge

Toronto (Ontario)

Le 26 juin 1997

Traduction certifiée conforme :         
                         F. Blais, LL.L.

                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA
                 N o du greffe : IMM-1133-96
                 entre :
                 NAJINDER SINGH PARMAR
                             requérant
                 - et -
                 LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
                 ET DE L'IMMIGRATION
                             intimé
                 MOTIFS DE L'ORDONNANCE

COUR FÉDÉRALE DU CANADA


Avocats et procureurs inscrits au dossier

No DU GREFFE :                  IMM-1133-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :          NAJINDER SINGH PARMAR
                         - et -
                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
                         ET DE L'IMMIGRATION
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 10 JUIN 1997
LIEU DE L'AUDIENCE :              CALGARY (ALBERTA)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :                  26 JUIN 1997

ONT COMPARU :

                         M e Peter W. Wong
                         M e Tony Clark
                             Pour le requérant
                    
                         M e Bill Blain
                             Pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

                         Major Caron
                         400- 3 Avenue S.O.
                         16th Floor, Canterra Tower
                         Calgary (Alberta)
                         T2P 4H2
                             Pour le requérant
                         300, Bank of Montreal Building
                         10199-101 Street N.W.
                         Edmonton (Alberta)
                         T5J 3Y4
                         M e George Thomson
                         Sous-procureur général du Canada
                             Pour l'intimé

                

__________________

1. L.R.C. (1985), ch. I-2

2. L.R.C. (1985), ch. C-46

3. A-855-96 (IMM-3320-95), 11 avril 1997 (C.A.F.), (décision non publiée)

4. A-179-96 (IMM-2585-95), 11 février 1997 (C.A.F.), (décision non publiée)

5. IMM-1992-96, 9 mai 1997 (C.F. 1re inst.), (décision non publiée)

6. Voir : Liyanagamage c. Canada (Secrétaire d'État) (1994), 176 N.R. 4 (C.A.F.)

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