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Date : 20221123


Dossier : IMM-4422-20

Référence : 2022 CF 1611

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 novembre 2022

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

BINOD GURUNG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. La nature de l’affaire

[1] Binod Gurung [le demandeur] sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 27 août 2020 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a souscrit à la conclusion de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger [la décision contestée]. La question déterminante devant la SAR portait sur l’existence d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] viable à Biratnagar, au Népal.

[2] La demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

II. Le contexte

[3] Le demandeur, âgé de 39 ans, est citoyen du Népal. Il a exprimé ses craintes de persécution dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [FDA] ainsi que dans son formulaire FDA modifié. Il soutient qu’il est persécuté par des maoïstes népalais et des membres de la Ligue de la jeunesse communiste [la LJC], le plus important groupe de la jeunesse maoïste.

[4] En octobre 2004, alors qu’il se trouvait à Budhathum, dans le district de Dhading, le demandeur a reçu des menaces parce qu’il avait refusé de se joindre aux maoïstes et n’avait pas voulu leur fournir des services d’électricien. Il a fui à Dhading Beshi, où, en février 2005, il a été enlevé, battu et contraint de se joindre à une milice maoïste. Environ une semaine après son enlèvement, le demandeur a convaincu ses ravisseurs de l’escorter à Dhading Beshi pour qu’il puisse recouvrer une dette. Il en a profité pour se sauver, a signalé l’incident à la police et a été soigné à l’hôpital.

[5] Le demandeur a emménagé dans l’appartement de sa sœur à Katmandou. Quelques jours plus tard, des maoïstes ont pris possession de sa maison et de ses terres agricoles à Budhathum. Ils ont forcé sa mère à quitter le village et ont menacé le demandeur parce qu’il avait fourni des renseignements à la police.

[6] En juin 2005, le demandeur est allé travailler à Dubaï. Pendant son séjour à Dubaï, il a appris que la situation au Népal s’était améliorée avec la diminution des activités des milices maoïstes. Lorsqu’il est retourné au Népal en 2007, 2009, 2011 et 2013, pour des vacances et pour rendre visite à sa famille, le demandeur s’est logé à Katmandou puisque les maoïstes occupaient toujours sa maison à Budhathum.

[7] En octobre 2011, au cours d’un séjour à Katmandou, le demandeur a croisé deux personnes de son village, après quoi il a reçu un appel téléphonique menaçant et une lettre de menace d’un membre de la LJC l’accusant d’avoir trahi les maoïstes et lui réclamant un « don » de 200 000 roupies. Le demandeur a déménagé dans un nouvel appartement dans un autre quartier de Katmandou avant de retourner à Dubaï, en novembre 2011.

[8] En juin 2014, le demandeur a obtenu un visa de travail canadien. Il a déménagé à Edmonton, où il a travaillé pendant environ un an. Pendant son séjour au Canada, le demandeur a appris qu’un tremblement de terre avait détruit sa maison à Budhathum.

[9] En octobre 2015, le demandeur est retourné à Katmandou pour célébrer diverses fêtes religieuses. C’est alors que son beau-frère l’a informé que les maoïstes touchés par la destruction de sa maison exigeaient le transfert du droit de propriété sur celle-ci afin de bénéficier de l’aide financière gouvernementale offerte.

[10] En novembre 2015, le demandeur a reçu un appel téléphonique menaçant lors duquel son interlocuteur a exigé à nouveau le transfert du droit de propriété. Le 8 novembre 2015, l’épouse du demandeur a reçu une lettre de menace au domicile de ce dernier, à Katmandou. Peu de temps après, le demandeur a reçu un autre appel téléphonique menaçant. Il a refusé d’accéder à l’ensemble des demandes.

[11] Le 16 novembre 2015, cinq maoïstes se sont présentés au domicile du demandeur à Katmandou. Ils l’ont agressé, ont contraint sa mère et lui à signer les documents autorisant le transfert du droit de propriété sur son bien-fonds et ont volé de l’argent et des biens d’une valeur approximative de 200 000 roupies. Ils ont menacé de tuer le demandeur s’il les dénonçait à quiconque.

[12] Le demandeur a déménagé à Bhaktapur, où il a retenu les services d’un avocat pour préparer un document exposant le transfert forcé du droit de propriété sur son bien-fonds et a signalé l’incident à la police. Le demandeur ne sait pas si la police a donné suite à sa plainte. Le 24 novembre 2015, il est retourné à Edmonton et a démissionné de son emploi. En décembre 2015, le demandeur s’est rendu à Toronto. En janvier 2016, le demandeur a présenté une demande d’asile.

[13] Dans une lettre datée du 29 janvier 2018, l’épouse du demandeur l’a informé que, en octobre 2017, des maoïstes et des membres de la LJC lui avaient rendu visite et lui avaient envoyé une lettre menaçante [la lettre de menace de 2017]. Dans cette lettre, les auteurs ont indiqué qu’ils savaient que le demandeur les avait [traduction] « trahis » et ont exigé le transfert immédiat du droit de propriété sur son bien-fonds situé dans le district de Dhading ainsi que le paiement d’une somme de 500 000 roupies. L’épouse du demandeur a signalé l’incident à la police. Environ une semaine plus tard, elle a reçu un appel téléphonique menaçant lors duquel son interlocuteur a exigé qu’elle retire sa plainte à la police. L’épouse, la mère et les enfants du demandeur ont cherché refuge dans un autre endroit du Népal.

III. La décision contestée

[14] La SAR a rejeté l’appel du demandeur. Elle ne s’est pas penchée sur les contestations soulevées par le demandeur à l’égard des conclusions en matière de crédibilité tirées par la SPR. La SAR s’est plutôt contentée d’évaluer l’existence d’une PRI, puisqu’elle convenait avec la SPR qu’il s’agissait de la question déterminante. La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à démontrer qu’il ne disposait pas d’une PRI raisonnable à Biratnagar ou que cette ville n’était pas sécuritaire.

[15] Premièrement, la SAR a examiné les éléments de preuve contenus dans le cartable national de documentation [le CND], qui indiquaient que les groupes maoïstes dominants avaient cessé d’exiger le versement de « dons » depuis qu’ils faisaient partie du gouvernement. Les menaces et les actes d’extorsion, principalement revendiqués par des groupes dissidents, visent généralement des entreprises et des fonctionnaires gouvernementaux. La SAR a également noté que la preuve était contradictoire quant à la fréquence à laquelle les particuliers sont ciblés par des actes d’extorsion ou à la question de savoir si des lettres de menace sont envoyées. Compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve, la SAR a conclu que les agents de persécution ne sont probablement pas des acteurs étatiques.

[16] Deuxièmement, la SAR a conclu que le profil du demandeur n’en faisait pas une cible pour les maoïstes ou la LJC. Le demandeur n’est pas un homme d’affaires influent ni un fonctionnaire gouvernemental, et il n’est plus un membre actif ni un partisan du parti rival, le congrès népalais.

[17] Troisièmement, la SAR a conclu que la preuve ne permettait pas d’établir que les maoïstes ou la LJC pourraient retrouver le demandeur. Les éléments de preuve contenus dans le CND indiquaient que les maoïstes et les partis gouvernementaux rivaux se livraient une concurrence féroce sur le terrain. La preuve était également contradictoire quant à la scission ou au démantèlement de la LJC. Ces facteurs, combinés à une piètre infrastructure de télécommunications et à un mauvais accès à Internet, ont mené la SAR à conclure que les agents de persécution du demandeur ne disposaient pas d’un réseau national qui leur permettrait de le retrouver.

[18] Quatrièmement, la SAR a conclu que les maoïstes et la LJC n’avaient pas la motivation de retrouver le demandeur. La SAR a expliqué que, même si le demandeur n’avait pas accédé aux demandes de la LJC, celle-ci avait quand même obtenu ce qu’elle réclamait. Le demandeur n’est plus membre du congrès népalais depuis de nombreuses années. Par ailleurs, les maoïstes et la LJC ont pris possession du bien-fonds du demandeur, ont fait transférer les droits de propriété sur celui-ci et lui ont volé 200 000 roupies. Le demandeur a tenté de récupérer le droit de propriété sur son bien-fonds en retenant les services d’un avocat et en signalant l’incident à la police. Cependant, rien n’indique qu’il y soit parvenu. En outre, la lettre de menace de 2017 contredisait le témoignage du demandeur selon lequel il avait déjà transféré son droit de propriété en 2015. L’épouse du demandeur n’a pas non plus accédé aux demandes formulées dans la lettre de menace de 2017. Pourtant, rien ne démontre qu’elle ait subi un préjudice pour cette raison.

IV. Les questions en litige et la norme de contrôle

[19] Je suis d’accord avec les parties pour dire que la seule question à trancher est celle de savoir si l’analyse de la PRI menée par la SAR était raisonnable.

[20] La norme applicable au contrôle de la décision contestée sur le fond est celle de la décision raisonnable. Aucune des exceptions énoncées aux paragraphes 16 et 17 de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], ne s’applique en l’espèce. Le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable exige que la Cour examine l’intelligibilité, la transparence et la justification de la décision. Lorsqu’elle contrôle une décision selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit tenir compte à la fois du résultat de la décision et du raisonnement à l’origine de ce résultat (Vavilov, au para 87). Une décision raisonnable doit être « justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‐ci » (Vavilov, au para 99). Toutefois, la cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (Vavilov, au para 125, citant Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 au para 55). Si les motifs du décideur permettent à la cour de révision de comprendre pourquoi la décision a été rendue et de déterminer si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, la décision sera jugée raisonnable (Vavilov, aux para 85-86).

V. Analyse

(1) La position du demandeur

[21] La SAR n’a pas tenu compte du fait que le demandeur a déménagé à de multiples reprises au Népal ni de la capacité des maoïstes de les retrouver, sa famille et lui, après chaque déménagement. À la lumière de ces déménagements, la SAR a omis d’expliquer les raisons pour lesquelles elle considérait que le demandeur serait en sécurité à Biratnagar.

[22] La SAR a commis une erreur en concluant que le profil du demandeur ne ferait pas de lui une cible. La preuve concernant les conditions dans le pays démontre que la plupart des conflits impliquant les ailes jeunesse sont liés aux efforts visant à gagner le contrôle de la scène politique, à des désaccords politiques mineurs et à des différends personnels, lesquels s’appliquent tous au conflit du demandeur avec les groupes maoïstes et la LJC.

[23] La SAR a aussi commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas démontré que les maoïstes et la LJC disposaient d’un réseau suffisamment vaste au Népal pour pouvoir le retrouver. La preuve concernant les conditions dans le pays indique que la LJC est le plus important groupe de la jeunesse maoïste au Népal et compte 700 000 membres. En outre, les maoïstes et les membres de la LJC sont impliqués dans des actes de violence à travers le Népal, y compris dans des endroits situés près de Biratnagar. Les éléments de preuve cités par la SAR ne permettent pas de conclure que l’état de l’infrastructure de télécommunications du Népal empêcherait les maoïstes et la LJC de retrouver le demandeur, en particulier compte tenu de la preuve au sujet de l’importance et de la portée de la LJC dans le pays.

[24] Enfin, la SAR a commis une erreur en concluant que les agents de persécution du demandeur n’avaient pas la motivation de le retrouver puisqu’ils avaient obtenu ce qu’ils voulaient. Les faits indiquent que les maoïstes souhaitaient que le demandeur se joigne à leur parti et leur verse d’importantes sommes d’argent, et que les maoïstes veulent se venger du demandeur puisque sa plainte à la police a mené à l’arrestation de deux de leurs membres. De plus, la lettre de menace de 2017 fait état des conséquences découlant des démarches juridiques entreprises par le demandeur pour s’opposer au transfert forcé de son droit de propriété.

(2) La position du défendeur

[25] Au sujet du premier volet du critère relatif à la PRI, la SAR a raisonnablement conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il serait exposé à un risque à Biratnagar ou qu’il était exposé à un risque accru en raison de son profil. La SAR a pris en compte les déménagements antérieurs du demandeur au Népal, mais était d’accord avec la SPR pour dire que la crédibilité du demandeur avait été minée par ses fréquents retours au Népal et le temps qu’il avait mis à quitter le pays.

[26] La SAR a reconnu les éléments de preuve indiquant que la LJC disposait d’un réseau national, mais a également conclu que l’organisation s’était peut-être séparée ou avait été démantelée. À cet égard, la preuve n’appuie pas la position du demandeur selon laquelle la LJC disposait d’un réseau national.

[27] La SAR a raisonnablement conclu que les agents de persécution du demandeur n’avaient pas la motivation de le retrouver puisqu’ils avaient obtenu ce qu’ils voulaient. La SAR a examiné la lettre de menace de 2017, mais a conclu qu’elle contredisait le témoignage du demandeur selon lequel il avait déjà transféré son droit de propriété en 2015 et qu’elle relève donc de la conjecture.

[28] La Cour a déjà confirmé des décisions dans lesquelles la SPR et la SAR ont conclu que des demandeurs craignant un préjudice de la part de la LJC disposaient d’une PRI raisonnable à Biratnagar (Sharma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2001 CF 545 [Sharma]; Bhandari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 195 [Bhandari]).

[29] Pour ce qui est du second volet du critère, le demandeur s’est uniquement fondé sur des arguments relatifs à la sécurité de la ville proposée comme PRI. Il ne s’est donc pas acquitté du lourd fardeau qui lui incombait d’établir que la PRI proposée était déraisonnable.

(3) Conclusion

[30] Une PRI viable signifie qu’une personne peut chercher refuge dans une partie de son pays d’origine autre que celle où elle risque d’être persécutée ou de subir un préjudice. Le critère en deux volets permettant de conclure à l’existence d’une PRI viable a été établi dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706, [1991] ACF no 1256 (CA). Récemment, dans la décision Armando c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 94, le juge Pamel a formulé, au paragraphe 37, le critère conjonctif en deux volets pour déterminer l’existence d’une PRI :

1) la Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existe aucune possibilité sérieuse que le demandeur d’asile soit persécuté dans la partie du pays où, selon elle, il existe une PRI;

2) la situation dans cette partie du pays est telle qu’il ne serait pas déraisonnable, au regard de toutes les circonstances, y compris la situation particulière du demandeur d’asile, que celui-ci y cherche refuge.

[31] Il incombe au demandeur d’établir que l’un des deux volets n’est pas rempli. Le demandeur m’a convaincu que la SAR a commis une erreur dans son évaluation du premier volet du critère relatif à la PRI. La SAR n’a tenu compte d’aucun des déménagements du demandeur, sinon pour mentionner que son épouse avait déménagé dans un autre quartier de Katmandou après avoir reçu la lettre de menace de 2017.

[32] La jurisprudence citée par le défendeur au sujet de l’existence d’une PRI viable à Biratnagar peut être distinguée de l’espèce. Dans la décision Bhandari, la Cour a conclu que le demandeur s’était fondé exclusivement sur la preuve concernant les conditions dans le pays et n’avait fourni aucun élément de preuve pour démontrer qu’il existait un risque subjectif de préjudice ou que sa famille qui résidait à Katmandou avait été ciblée (Bhandari, aux para 17-26). En l’espèce, le demandeur a fourni des éléments de preuve importants pour démontrer qu’il existait un risque subjectif ainsi que des éléments de preuve pour démontrer que sa famille avait été ciblée à répétition à Katmandou.

[33] Dans la décision Sharma, la SAR s’est livrée à une analyse beaucoup plus détaillée de la PRI qu’en l’espèce. La Cour a observé que la SAR avait tenu compte d’éléments de preuve démontrant : un lien entre la LJC et la faction maoïste Biplav; les actes d’extorsion et de violence menés par les factions maoïstes Biplav et Baidya près de Katmandou; la portée géographique des activités de la faction maoïste Biplav; l’absence d’actes d’extorsion menés par la faction maoïste Biplav à Biratnagar; la distance entre Katmandou et Biratnagar; et le fait que les demandeurs avaient été absents du Népal pendant un certain nombre d’années (aux paragraphes 18 à 31). La Cour a reconnu, au paragraphe 28 de la décision, la conclusion de la SAR selon laquelle « même s’il y a des éléments de preuve objectifs montrant que [la LJC] a un réseau national, il n’y a aucune information supplémentaire concernant la capacité des diverses factions maoïstes à communiquer et à échanger des informations dans des circonstances similaires à [sic] celles des demandeurs » (non souligné dans l’original). En l’espèce, la SAR n’a pas tenu compte des éléments de preuve objectifs au sujet du degré d’établissement de la LJC à Biratnagar ni accordé de poids à la preuve selon laquelle la LJC disposait d’un réseau national. Elle a plutôt mis l’accent sur la scission possible au sein de la LJC et la piètre infrastructure de télécommunications pour conclure que la LJC ne serait pas en mesure de retrouver le demandeur.

[34] L’évaluation effectuée par la SAR de la preuve du demandeur au sujet de la portée de la LJC était déraisonnable. La SAR a reconnu la preuve indiquant que la LJC comptait quelque 700 000 membres, mais l’a rejetée sur la base d’éléments de preuve contradictoires concernant la scission et le démantèlement de l’organisation. L’existence d’éléments de preuve contradictoires n’élimine pas l’obligation de la SAR d’apprécier la preuve à l’appui de la demande d’asile du demandeur. Par ailleurs, le fait qu’il existe plusieurs factions maoïstes ayant des intérêts divergents n’est pas, en soi, un motif pour conclure que les agents de persécution du demandeur n’ont pas les moyens ou la possibilité de le retrouver à Biratnagar. La SAR n’a fait aucun effort pour déterminer quelles factions maoïstes étaient les agents de persécution du demandeur ou quels risques elles posaient.

[35] La SAR n’a pas non plus suffisamment examiné la lettre de menace de 2017. Elle a plutôt écarté la lettre, jugeant qu’elle contredisait le témoignage du demandeur selon lequel il avait transféré son droit de propriété en 2015. Toutefois, cette conclusion n’a pas été soupesée par rapport aux démarches juridiques entreprises par le demandeur pour contester le transfert forcé de son droit de propriété ni à la lettre de la police étayant l’affirmation selon laquelle l’épouse du demandeur avait déposé une plainte à la police. De même, lorsqu’elle a conclu que l’épouse du demandeur n’avait pas subi de préjudice par suite de son refus d’accéder aux demandes formulées dans la lettre de menace de 2017, la SAR n’a pas tenu compte du fait qu’elle avait déménagé à la suite de la réception de cette lettre.

[36] Enfin, la conclusion de la SAR selon laquelle les agents de persécution n’ont pas la motivation de retrouver le demandeur relève de la conjecture. La preuve du demandeur démontre que, sur une période de plus de dix ans, les membres de sa famille et lui ont été victimes de menaces, de préjudices, d’enlèvement et de vol et ont perdu leur propriété aux mains d’au moins un groupe maoïste. Ces actes se sont poursuivis peu importe que le demandeur se soit plié aux exigences, qu’il ait signalé les incidents à la police ou qu’il ait déménagé. Conclure que les agents de persécution sont assez raisonnables pour cesser d’importuner le demandeur et sa famille après avoir obtenu le transfert du droit de propriété par la contrainte (transfert que le demandeur a contesté) et leur avoir volé 200 000 roupies (malgré la preuve d’une demande supplémentaire de 500 000 roupies) relève de la pure conjecture quant à leurs motivations. C’est d’autant plus vrai que les maoïstes étaient au moins partiellement motivés à se venger du fait que le demandeur et sa famille les avaient « trahis » en portant plainte à la police, et que le demandeur et sa famille continuent de signaler les incidents dont ils sont victimes à la police.

VI. Conclusion

[37] La SAR a commis une erreur dans son analyse du premier volet du critère relatif à la PRI. Elle n’a pas tenu compte des nombreux déménagements du demandeur et de sa famille au Népal et n’a pas véritablement tenu compte de la preuve concernant la portée de la LJC et de la lettre de menace de 2017. En outre, la conclusion de la SAR selon laquelle les agents de persécution n’avaient pas la motivation de retrouver le demandeur puisqu’ils avaient obtenu ce qu’ils voulaient relève de la conjecture.

[38] Les parties n’ont pas proposé de question aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4422-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la SAR pour qu’il rende une nouvelle décision.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

  3. Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4422-20

INTITULÉ :

BINOD GURUNG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCORFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 MAI 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DES MOTIFS :

LE 23 NOVEMBRE 2022

COMPARUTIONS :

Elyse Korman

POUR LE DEMANDEUR

 

David Knapp

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Korman & Korman LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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