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Date : 20230314


Dossier : IMM-6548-21

Référence : 2023 CF 342

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 mars 2023

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE:

ROSMOND ADAIR

KAREN NICHOLE PRIMUS

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demanderesses, mesdames Rosmund Adair et Karen Nichole Primus, sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent d’immigration [l’agent] a rejeté la demande de résidence permanente présentée par Mme Primus et a conclu que Mme Primus ne répondait à aucun des critères énumérés pour définir la catégorie du regroupement familial aux termes de l’article 117 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés [le RIPR]. L’agent n’était pas convaincu que des considérations d’ordre humanitaire justifiaient l’octroi d’une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] de l’application de l’alinéa 117(1)h) du RIPR [la décision].

[2] La demanderesse principale, Mme Primus, est une citoyenne de Saint-Vincent-et-les Grenadines [Saint-Vincent] âgée de 48 ans. Elle est entrée au Canada pour la première fois en 2000 en tant que visiteur. Dès 2002, toutefois, elle était sans statut. Une ordonnance d’exclusion a été prise contre elle en 2006, et elle est retournée à Saint-Vincent, où elle réside depuis lors. Pendant que Mme Primus était au Canada, elle a eu deux enfants, un garçon et une fille, qui sont retournés à Saint-Vincent avec elle.

[3] Mme Adair, qui est citoyenne canadienne, est la tante de Mme Primus et sa répondante. Elle a 59 ans. Mme Adair a pris soin de Mme Primus lorsqu’elle était enfant, et cette dernière a vécu chez elle pendant sa préadolescence et son adolescence. Étant donné que Mme Adair a déjà des proches parents au Canada, dont un conjoint citoyen canadien et une fille, Mme Primus ne répond pas à la définition de membre de la catégorie du regroupement familial au titre de l’article 117 du RIPR. Par conséquent, Mme Primus a demandé une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire, dispense qui lui a été refusée.

[4] Les demanderesses soutiennent que l’agent i) a effectué une analyse déraisonnable et lacunaire de l’affirmation de Mme Primus selon laquelle elle est membre de fait de la catégorie du regroupement familial; ii) a commis une erreur dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants; iii) s’est concentré uniquement sur les difficultés sans tenir compte des considérations d’ordre humanitaire.

[5] Le défendeur soutient que i) l’agent a raisonnablement conclu que, selon les éléments de preuve, Mme Primus ne répondait pas aux critères s’appliquant aux membres de fait de la catégorie du regroupement familial, puisque ses deux enfants, sa mère, ses frères et leur famille résident tous à Saint-Vincent; ii) l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants que l’agent a effectuée était compatible avec les éléments de preuve qui ont été présentés; iii) les enfants de Mme Primus sont des citoyens canadiens qui peuvent revenir au Canada lorsqu’ils le désirent, et compte tenu des faits, les observations de Mme Primus n’étaient tout simplement pas suffisantes pour justifier une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire.

[6] Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II. Analyse

[7] Les parties soutiennent, et c’est aussi mon avis, que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Une décision raisonnable est une décision qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85).

[8] Une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR est une mesure exceptionnelle et discrétionnaire (Kok c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 741 au para 7); Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 265 aux para 19-20). Le paragraphe 25(1) de la LIPR confère au ministre le large pouvoir discrétionnaire d’exempter un étranger des exigences habituelles de la loi et de lui accorder le statut de résident permanent au Canada s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire le justifient. Le pouvoir discrétionnaire à cet égard se veut une exception souple et sensible qui vise à offrir une mesure à vocation équitable, à savoir l’atténuation de la rigidité de la LIPR dans les cas appropriés (Rainholz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 121 aux para 13-14).

[9] Les considérations d’ordre humanitaire s’entendent des faits établis par la preuve qui sont de nature à inciter toute personne raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne – dans la mesure où ses malheurs justifient l’octroi d’un redressement spécial relativement à des dispositions par ailleurs applicables de la LIPR (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 aux para 13, 21 [Kanthasamy]).

[10] Le paragraphe 25(1) renvoie également à la nécessité de prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché. Lorsqu’il se penche sur l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agent doit se montrer « réceptif, attentif et sensible » à cet intérêt (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 au para 75). Les facteurs à prendre en compte sont entre autres l’âge de l’enfant et le degré de dépendance; le degré d’établissement de l’enfant au Canada; les liens de l’enfant avec le pays à l’égard duquel est examinée la demande d’ordre humanitaire; les conséquences pour l’éducation de l’enfant; les problèmes de santé ou les besoins particuliers de l’enfant; les questions relatives au sexe de l’enfant; les conditions qui règnent dans ce pays et l’incidence possible sur l’enfant (Kanthasamy, au para 40).

[11] Les demanderesses ne m’ont pas convaincue que l’agent a commis une erreur dans sa conclusion selon laquelle Mme Primus n’est pas membre de fait de la catégorie du regroupement familial ou qu’il a eu tort de se concentrer exclusivement sur les difficultés. Je suis toutefois convaincue que l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants que l’agent a effectuée est déraisonnable.

[12] Les demanderesses ont présenté des éléments de preuve relatifs aux retards d’apprentissage et de développement de la fille de Mme Primus. L’agent a pris note des éléments de preuve relatifs aux difficultés d’apprentissage et aux besoins spéciaux de l’enfant, et y a accordé un poids favorable. Il a aussi pris acte de l’incidence de ces besoins spéciaux sur l’éducation de l’enfant. Il a ensuite affirmé qu’à titre de citoyenne canadienne, l’enfant a le droit de poursuivre ses études au Canada, bien que cela supposerait une séparation d’avec sa mère et une adaptation à de nouvelles conditions de vie.

[13] Les demanderesses font valoir que l’agent ne s’est jamais demandé s’il serait dans l’intérêt supérieur d’un enfant qui a des difficultés d’apprentissage de retourner au Canada avec sa mère. Le défendeur soutient que l’agent n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en affirmant que l’enfant est une citoyenne canadienne qui peut suivre divers parcours en matière d’éducation si tel est son souhait. Il souligne que l’agent n’a jamais affirmé que ce serait facile, mais qu’il a reconnu que c’était possible.

[14] J’estime que l’agent aurait dû prendre en compte le scénario selon lequel la fille de Mme Primus retournerait au Canada avec sa mère plutôt que seule. Dans le contexte de la présente affaire, l’agent aurait dû apprécier et examiner ce scénario dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants. Pour ce motif, la décision est déraisonnable.

III. Conclusion

[15] Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6548-21

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire des demanderesses est accueillie;

  2. La décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision;

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Vanessa Rochester »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6548-21

INTITULÉ :

ROSMOND ADAIR ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 NOVEMBRE 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DES MOTIFS :

LE 14 MARS 2023

COMPARUTIONS :

Bjorna Shkurti

POUR LES DEMANDERESSES

Camille N. Audain

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Caron & Partners LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

POUR LES DEMANDERESSES

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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