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Date : 20050729

Dossier : T-631-05

Référence : 2005 CF 1048

ENTRE :

                                                         VILLE DE MONTRÉAL

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                                     SOCIÉTÉ RADIO-CANADA

                                                                                                                                      défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE:

[1]                La Cour est saisie en l'espèce d'une requête de la défenderesse, la Société Radio-Canada (la SRC), afin que la Cour ordonne le rejet de la demande de contrôle judiciaire déposée le 12 avril 2005 par la demanderesse, la Ville de Montréal. Subsidiairement, la SRC recherche la suspension de la demande pour cause de litispendance.


Contexte

[2]                La demande de contrôle judiciaire de la Ville de Montréal (la demande) vise essentiellement à faire déclarer illégaux les ajustements que la SRC a apportés au paiement en remplacement d'impôts dû à la Ville de Montréal pour les exercices financiers 2003, 2004 et 2005.

[3]                La Ville de Montréal est une personne morale de droit public constituée en vertu de sa Charte et elle a le pouvoir de percevoir des taxes et autres redevances des propriétaires d'immeubles situés sur son territoire.

[4]                La SRC est une corporation constituée en vertu de la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11. Elle est, au sens de sa loi constitutive, mandataire de la Couronne du chef du Canada.

[5]                Selon sa loi constitutive, les biens acquis par la SRC appartiennent à Sa Majesté du chef du Canada et les titres de propriété afférents peuvent être au nom de cette dernière ou au nom de la SRC.

[6]                La SRC est propriétaire et occupante de plusieurs immeubles situés sur le territoire de la Ville de Montréal.

[7]                Les immeubles ou les biens réels qui appartiennent à Sa Majesté du chef du Canada jouissent, en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867, d'une immunité fiscale absolue.

[8]                Cette immunité n'exclut pas la possibilité pour la Couronne fédérale de payer ou de faire payer par certains organismes décentralisés des taxes aux municipalités.

[9]                Le législateur fédéral a, à cet effet, édicté la Loi sur les paiements versés en remplacement d'impôts, L.R. (1985), ch. M-13 (la LPERI) et des règlements connexes.

[10]            Cette loi concerne les paiements versés en remplacement d'impôts aux municipalités, provinces et autres organismes exerçant des fonctions d'administration locale et levant des impôts fonciers.

[11]            En vertu de la LPERI et de son règlement d'application, soit le Règlement sur les paiements versés par les sociétés d'état (DORS/81-1030) (le Règlement), la SRC est gestionnaire des immeubles appartenant à Sa Majesté du chef du Canada.

[12]            Les immeubles ou biens réels qui appartiennent à Sa Majesté du chef du Canada et dont la SRC a la gestion ou la charge sont réputés être des propriétés de cette dernière en vertu de la LPERI et ses règlements connexes.

[13]            En vertu de la LPERI, la SRC est une personne morale mentionnée à l'annexe III de cette loi et est donc soumise au régime de taxation prévu à cette loi.

[14]            La Ville de Montréal est une autorité qui perçoit un impôt foncier et elle est, pour l'application de la définition de « autorité taxatrice » à la LPERI, réputée être l'autorité qui lève et perçoit l'impôt prévu à cette loi et à ses règlements connexes (art. 2.(2)).

[15]            En tant qu'autorité taxatrice, la Ville de Montréal a donc fait parvenir à la SRC pour chacune des années 2003 à 2005 une demande de paiements versés en remplacement d'impôts.

[16]            C'est par le biais d'une procédure judiciaire instaurée par la SRC en Cour supérieure du Québec en mars 2004, puis amendée en mars 2005, que la SRC soutient qu'elle a fait connaître à la Ville de Montréal les ajustements qu'elle a apportés aux demandes de paiements de la Ville de Montréal. Dans l'intervalle, la SRC avait effectué en tout ou en partie, et sous protêt, les paiements recherchés par la Ville de Montréal pour 2003 et 2004. Aucun paiement ne fut effectué pour 2005.


[17]            Quoique cet aspect ne nous concerne pas directement ici, il est intéressant de comprendre que le litige substantif entre les parties origine du fait que celles-ci ne s'entendent pas quant aux taux d'imposition applicables en vertu de la législation pertinente. Les taux utilisés par la SRC pour calculer les montants qu'elle estime devoir à la Ville excluraient, selon elle, un taux de taxe d'affaires ou commerciale. Suivant la Ville de Montréal, la SRC n'a aucune discrétion dans l'application des taux, et, en conséquence, la Ville de Montréal est en droit de s'attendre à obtenir le paiement complet de ses réclamations.

[18]            À titre de motifs de rejet de la demande de la Ville de Montréal, la SRC soulève principalement que l'on ne peut dans le contexte de la demande de la Ville de Montréal considérer la SRC comme un « office fédéral » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R. (1985), ch. F-7, telle que modifiée (la Loi) et, partant, cette Cour n'aurait pas juridiction pour entendre la demande de la Ville de Montréal.

[19]            Subsidiairement, la SRC ajoute à titre de motif de rejet que la demande de la Ville de Montréal aurait été déposée plus d'une année hors du délai statutaire applicable.

Analyse

La SRC n'est pas un office fédéral

[20]            Il est sans conteste que les recours extraordinaires prévus aux articles 18 à 18.4 de la Loi ne peuvent être valablement exercés qu'à l'endroit d'un office fédéral répondant à la définition de ce terme prévue au paragraphe 2(1) de la Loi.

[21]            Ce paragraphe définit ainsi « office fédéral » :

« office fédéral » Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d'une prérogative royale, à l'exclusion de la Cour canadienne de l'impôt et ses juges, d'un organisme constitué sous le régime d'une loi provinciale ou d'une personne ou d'un groupe de personnes nommées aux termes d'une loi provinciale ou de l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867

[Non souligné dans l'original.]

"federal board, commission or other tribunal" means any body, person or persons having, exercising or purporting to exercise jurisdiction or powers conferred by or under an Act of Parliament or by or under an order made pursuant to a prerogative of the Crown, other than the Tax Court of Canada or any of its judges, any such body constituted or established by or under a law of a province or any such person or persons appointed under or in accordance with a law of a province or under section 96 of the Constitution Act, 1867;

[22]            Dans l'arrêt Canada Metal Co. v. Canadian Broadcasting Corporation (Cour d'appel de l'Ontario, 3 octobre 1975, rapporté à 1975 CarswellOnt 560), la Cour a rejeté l'argument à l'effet que c'est la Cour fédérale qui avait juridiction pour émettre une injonction contre la SRC. Dans le cadre de ses motifs, le juge MacKinnon, en distinguant la situation des Commissaires du Port de Hamilton d'avec celle de la SRC, s'exprima comme suit, au paragraphe 15 de ses motifs :

15             He argued that the Canadian Broadcasting Corporation is a body which exercises powers conferred by an Act of Parliament and, therefore, by virtue of s. 18, only the Federal Court has power to grant an injunction. He relied on the recent decision of this Court in Hamilton (City) v. Hamilton Harbour Commissioners, [1972] 3 O.R. 61, 27 D.L.R. (3d) 385 (C.A.). In that case the Court, after quoting the above-noted interpretation section, held that the Hamilton Harbour Commissioners were a federal tribunal and accordingly the Supreme Court of Ontario did not have jurisdiction to make the declaratory order requested against the commissioners. The legislation governing the Hamilton Harbour Commissioners makes it clear that they have extensive powers to make administrative orders, such as licensing and regulating other people in the use of the harbour, as well as power to impose penalties upon persons infringing on their governing statute or their by-laws. This, in my view, is completely different from the C.B.C., a corporate entity carrying on the business of broadcasting in this country with none of the attributes of a federal Board, commission or tribunal. [...]

[23]            En 1979, dans l'arrêt Wilcox c. Société Radio-Canada, [1980] 1 C.F. 326, un employé de la SRC sollicitait un jugement déclaratoire établissant que, pour le calcul de sa pension de retraite, il était en droit de faire entrer en compte ses années de service dans la G.R.C. antérieurement à son engagement par la SRC. La Cour a jugé qu'elle n'avait pas compétence pour connaître de cette demande.

[24]            Dans cet arrêt, après avoir entériné la thèse retenue dans l'arrêt Canada Metal à l'effet que la SRC n'était pas un office fédéral pour ses activités de radiodiffusion, le juge en chef adjoint Thurlow a ajouté ce qui suit aux paragraphes 10 et 11 de ses motifs :

10.            Si je ne vois aucune raison de douter que les pouvoirs visés dans la définition de « office, commission ou autre tribunal fédéral » à l'article 2 [de la Loi] ne sont pas limités aux pouvoirs dont la loi exige qu'ils soient exercés sur une base judiciaire ou quasi judiciaire, il me semble, d'autre part, que l'expression « une compétence ou des pouvoirs » se réfère à une compétence ou à des pouvoirs de caractère public au sujet desquels les brefs de prorogative, l'injonction et le jugement déclaratoire auraient été autrefois des moyens appropriés d'invoquer le droit de regard des cours supérieures. Je ne pense pas que cela comprenne les pouvoirs qu'une corporation ordinaire constituée en vertu d'une loi fédérale peut exercer à titre privé, et qui ne sont que des accessoires de sa personnalité juridique ou de l'entreprise qu'elle est autorisée à exploiter. Des résultats absurdes et très embarrassants découleraient d'une telle interprétation, et il ne me semble pas que telle ait été l'intention du législateur ni qu'il soit nécessaire d'interpréter ainsi l'expression dans le contexte dans lequel elle est utilisée.

11.            Il me semble également que si les pouvoirs de la défenderesse résultant de la Loi sur la radiodiffusion qui ont pour objet ses activités de radiodiffusion ne sont pas des pouvoirs visés par la définition, on serait encore moins fondé à conclure que celui d'engager des employés entre dans le cadre sémantique de celle-ci.

[Non souligné dans l'original.]


[25]            Pour soutenir que la SRC est bel et bien un office fédéral, la Ville de Montréal soumet en bout de ligne qu'en effectuant un paiement en remplacement d'impôts selon la LPERI et le Règlement, la SRC devient un tel office parce qu'elle exercerait alors une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale autre que la Loi sur la radiodiffusion, supra.

[26]            Il est clair à mon avis que l'on ne peut suivre la Ville de Montréal sur ce point.

[27]            Les pouvoirs ou compétence au sens de la définition d'office fédéral à la Loi, c'est la Ville de Montréal en tant qu'autorité taxatrice qui les exerce. Ce n'est pas la SRC. Cette dernière reçoit une demande de paiement émise par la Ville de Montréal en vertu de ses pouvoirs de taxation et en réponse la SRC effectue un paiement, que ce dernier soit en acord ou non avec les vues de la Ville de Montréal.

[28]            Je suis entièrement d'accord avec la SRC lorsqu'elle soutient aux paragraphes 17 à 20 de ses représentations écrites en réplique que :

17.            Le paiement fait par la SRC pour tenir lieu de taxes n'est pas l'exercice d'une « compétence ou des pouvoirs » visés par l'article 2 de la Loi sur les Cours fédérales; il s'agit purement et simplement d'un acte de gestion dans le cours normal de ses opérations comme le sont le fait de payer des primes d'assurances, des frais de déneigement ou encore des factures d'électricité.

18.            Nous soutenons, en ce qui concerne les en lieu de taxes, que le seul fait qu'il y ait une autre loi qui entre en jeu ne saurait transformer un acte de gestion accessoire de « l'entreprise qu'elle est autorisée à exploiter » 3 dans le cadre de sa mission, en un acte pouvant faire l'objet d'un contrôle judiciaire devant cette honorable Cour.

19.            De plus, rappelons que la LPERI et ses règlements ne créent aucun droit à des tiers comme le stipule, on ne peut plus clairement, l'article 15 :

La présente loi ne confère aucun droit à un paiement.


20             Nous soutenons que le contexte factuel en l'espèce ne saurait transformer la SRC « a corporate entity carrying on the business of broadcasting in this country with none of the attribute of a federal board, commission or tribunal » 4 en un « office fédéral » assujetti au contrôle de cette honorable Cour.

3Wilcox c. SRC (onglet 2 du dossier de requête, par. 10)

4Canada Metal (onglet 1 du dossier de requête, par. 15)

[29]            Bien que la Ville de Montréal n'ait pas insisté sur mon analyse contenue au paragraphe 14 de ma décision du 22 octobre 2004 dans l'arrêt Ville de Montréal c. Administration portuaire de Montréal, 2004 CF 1476, je pense que cet arrêt ne lie pas la Cour en l'espèce puisqu'il n'impliquait pas premièrement la SRC qui jouit ici au départ d'une jurisprudence établissant son statut général. De plus, la Cour dans cet arrêt n'a pas bénéficié de l'argumentation élaborée mise de l'avant ici par la SRC.

[30]            Partant, il est clair et évident à mon avis que la SRC n'est pas ici un office fédéral au sens du paragraphe 2(1) de la Loi. La Cour fédérale n'a donc pas compétence pour entendre la demande de la Ville de Montréal. En conséquence, en vertu et sur la base de l'arrêt Bull (David) Laboratories (Canada) Inc. v. Pharmacia Inc. et al. (1994), 176 N.R. 48, aux pages 54-55, il y a lieu pour ce motif d'accueillir la requête de la SRC en rejet de la demande de la Ville de Montréal, le tout avec dépens.

[31]            Vu cette conclusion, il n'y a pas lieu de se prononcer sur l'autre motif de rejet soulevé par la SRC ou sur le remède subsidiaire visant la suspension de la demande de la Ville de Montréal pour cause de litispendance.

[32]            Une ordonnance sera émise en conséquence.

Richard Morneau

protonotaire

Montréal (Québec)

le 29 juillet 2005


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

INTITULÉ :


T-631-05

VILLE DE MONTRÉAL

                                                                                       demanderesse

et

SOCIÉTÉ RADIO-CANADA

                                                                                        défenderesse


REQUÊTE ÉCRITE TRAITÉE À MONTRÉAL SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

DATE DES MOTIFS :                                   29 juillet 2005

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR:


Me Patrice Brunet

POUR LA DEMANDERESSE

Me Gilles Fafard

POUR LA DÉFENDERESSE


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:


Brunet, Lamarre

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

de Grandpré Chait

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE



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