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Date : 20230322


Dossier : T-655-22

Référence : 2023 CF 393

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 mars 2023

En présence de madame la juge en chef adjointe Gagné

ENTRE :

DAVID L. MALCOLM

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Le contexte

[1] Monsieur David L. Malcolm n’est pas représenté par un avocat dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Il demande à la Cour d’annuler la décision par laquelle l’Agence du revenu du Canada [l’ARC] a rejeté sa deuxième demande de renonciation aux pénalités imposées au titre des cotisations excédentaires qu’il a versées à un compte d’épargne libre d’impôt [CÉLI] au cours de l’année d’imposition 2020.

[2] Il n’est pas contesté que M. Malcolm a versé d’importantes cotisations excédentaires à son CÉLI au cours de l’année d’imposition 2020. Entre janvier 2020 et décembre 2020, il a retiré des fonds de sa marge de crédit et a investi les fonds ainsi empruntés dans l’achat d’actions dans son CÉLI.

[3] Le 20 juillet 2021, M. Malcolm a reçu un avis de nouvelle cotisation de la part de l’ARC. Cette nouvelle cotisation s’établissait à 6 393,08 $ (compte non tenu des pénalités et des intérêts) en raison des cotisations excédentaires qu’il avait versées à son CÉLI, lesquelles s’élevaient à 639 307,68 $.

[4] M. Malcolm a communiqué avec l’ARC peu de temps après avoir reçu l’avis. Il a expliqué que c’était la première fois qu’il cotisait à un CÉLI et qu’il en ignorait le fonctionnement. Lorsqu’un agent de l’ARC lui a dit de retirer immédiatement tous les fonds excédentaires du CÉLI, M. Malcolm lui a répondu que ses placements avaient perdu 35 % de leur valeur, et qu’il retirerait l’argent dès que le marché se redresserait.

[5] Dans la première lettre qu’il a envoyée à l’ARC en août 2021, M. Malcom demandait l’annulation de l’impôt à payer au motif qu’il ignorait comment fonctionnait le CÉLI et que son institution financière ne l’avait pas informé des règles applicables. Il affirme être dans une mauvaise posture parce qu’il a investi les fonds dans des actions en bourse et qu’à l’heure actuelle, ses placements ont perdu environ 50 % de leur valeur. Il décrit aussi sa situation financière difficile du fait qu’il subvient aux besoins de sa famille et paie une hypothèque alors qu’il est en congé d’invalidité en raison d’un accident de travail.

[6] Dans une deuxième lettre qu’il a envoyée à l’ARC en octobre 2021, M. Malcolm semble répondre à une demande de renseignements supplémentaires. Il affirme que son portefeuille a maintenant perdu environ 45 % de sa valeur et qu’il n’est pas en mesure de rembourser le montant; toutefois, il promet de le faire dès que ses placements reprendront de la valeur.

[7] Le 20 octobre 2021, l’ARC a répondu à la demande de M. Malcolm dans une lettre détaillée de deux pages. Les parties les plus pertinentes sont reproduites ci-dessous [non souligné dans l’original] :

[traduction]

La Loi de l’impôt sur le revenu nous autorise à annuler tout ou partie de l’impôt sur l’excédent versé dans le CÉLI. Pour qu’une telle annulation soit accordée, il faut que l’obligation de payer l’impôt fasse suite à une erreur raisonnable et la personne doit avoir agi sans délai pour retirer les cotisations excédentaires de son CÉLI.

[…]

Nous constatons, après avoir examiné votre situation et d’après nos dossiers, que vous n’avez pas retiré le montant total des cotisations excédentaires.

[…]

Bien que vous ayez subi des pertes dans votre CÉLI, les pertes ne sont pas considérées comme des retraits.

[…]

Nous avons examiné attentivement les circonstances et les faits de votre dossier par rapport aux dispositions législatives qui s’appliquent. Nous avons conclu que nous ne pouvons pas acquiescer à votre demande de renonciation à l’impôt en ce qui concerne votre situation particulière.

[8] La lettre de l’ARC comprenait des directives relatives à la personne avec laquelle M. Malcolm devait communiquer pour présenter une demande de deuxième examen indépendant, ce dont sa lettre subséquente fait état.

[9] Dans une troisième et dernière lettre adressée à l’ARC en décembre 2021, M. Malcolm affirme ce qui suit :

[traduction]

J’ai retiré le montant total des cotisations excédentaires de mon CÉLI; vous trouverez ci-joint un reçu attestant le retrait. Je n’ai pas d’autres fonds ou économies pour m’aider avec le montant négatif des droits inutilisés de cotisation à mon CÉLI.

[10] Il décrit aussi, en des termes très personnels, les conséquences troublantes que la situation lui a causées. La lettre a donné lieu au deuxième examen par l’ARC, et la Cour est maintenant saisie de la décision rendue dans le cadre de cet examen.

II. La décision faisant l’objet du contrôle

[11] La décision faisant l’objet du contrôle a été communiquée à M. Malcolm le 3 mars 2022. Comme il est expliqué dans la lettre, l’examen a été effectué par un agent de l’ARC autre que celui qui avait rendu la décision initiale.

[12] La lettre résume la demande de M. Malcolm et reprend certains des points énoncés dans la lettre initiale de l’ARC, notamment le fait que l’ARC ne considère pas que les circonstances du demandeur constituent une erreur raisonnable. Plus important encore, la lettre souligne ce qui suit :

[traduction]

Nous constatons, après voir examiné votre situation et d’après nos dossiers, que vous n’avez pas retiré le montant total des cotisations excédentaires en temps opportun.

[…]

Veuillez prendre note que nos dossiers indiquent qu’au 1er janvier 2022 vous aviez toujours un excédent de 2 233,21 $. Nos dossiers indiquent également que puisqu’il y avait encore des fonds dans votre CÉLI au 31 décembre 2021, nous ne pouvons pas ajuster le plafond de cotisation au CÉLI, car vous pouvez encore retirer des fonds pour réduire votre excédent.

[13] La lettre précise que la demande ne peut être accueillie :

[traduction]

Nous confirmons donc, après avoir examiné les documents que vous nous avez envoyés et les renseignements à notre disposition, qu’aucune circonstance ne justifie l’annulation de l’impôt sur les cotisations excédentaires que vous avez versées à votre CÉLI.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle

[14] La seule question à trancher est celle de savoir si l’agente de l’ARC a commis une erreur en refusant d’exercer son pouvoir discrétionnaire et en rejetant la deuxième demande de M. Malcolm visant à obtenir un allègement de l’impôt à payer sur les cotisations excédentaires à son CÉLI.

[15] Lorsqu’elle procède à l’examen d’une décision comme celle en l’espèce, la Cour doit d’abord établir quelle est la norme de contrôle applicable. Essentiellement, elle indique le critère juridique que la Cour doit appliquer pour examiner la décision.

[16] La norme de contrôle qui s’applique à la décision rendue par l’agente de l’ARC est celle de la décision raisonnable. Selon la Cour suprême, il s’agit de la norme qui est présumée s’appliquer aux décisions administratives. Bien que la Cour suprême ait exposé certaines exceptions à cette règle, elles ne s’appliquent pas en l’espèce (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux para 16-17 et 25).

[17] Comme l’a déclaré la Cour suprême, une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (arrêt Vavilov, au para 85). Une partie importante de la façon dont les tribunaux apprécient le caractère raisonnable d’une décision consiste à examiner minutieusement les motifs par lesquels cette décision a été justifiée et expliquée (arrêt Vavilov, au para 86).

IV. L’analyse

[18] Suivant l’article 207.02 de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5supp) [la Loi], le particulier qui a un excédent CÉLI est tenu de payer un impôt égal à 1 % du montant le plus élevé de cet excédent pour le mois.

[19] Toutefois, le paragraphe 207.06 (1) de la Loi accorde au ministre un certain pouvoir discrétionnaire pour renoncer à un tel impôt ou l’annuler, à condition : a) qu’il soit convaincu que l’obligation de payer l’impôt fait suite à une erreur raisonnable, et b) que soit effectuée sans délai une distribution pour corriger l’erreur et retirer l’excédent.

[20] Le pouvoir discrétionnaire du ministre se limite à accorder un allègement à titre exceptionnel lorsque les deux exigences prévues aux alinéas a) et b) du paragraphe 207.06(1) sont respectées; malheureusement pour le demandeur, elles ne le sont pas en l’espèce.

[21] Premièrement, il est peu probable que les cotisations excédentaires versées par le demandeur découlent d’une erreur raisonnable. Le demandeur ne s’est pas renseigné sur le fonctionnement du CÉLI avant d’y verser d’importantes cotisations excédentaires.

[22] Deuxièmement, même s’il s’agissait d’une erreur raisonnable, nul ne conteste que le demandeur a fait le choix de ne pas retirer le montant de ses cotisations excédentaires après avoir été informé de la situation par l’ARC. Il n’a donc pas satisfait à la deuxième exigence de la Loi. Selon les demandes de renseignements présentées par l’ARC, il a même été dit au demandeur qu’en date du 1er janvier 2022, le montant de ses cotisations excédentaires dépassait toujours le plafond de cotisation à son CÉLI, et le demandeur n’a fourni aucune preuve du contraire.

[23] Les commentaires de la juge Elizabeth Walker dans la décision Messenger c Canada (Procureur général), 2021 CF 95, dont les faits s’apparentent à ceux de la présente affaire, s’appliquent en l’espèce :

[24] […] Certes, je comprends la réticence de M. Messenger à liquider les placements qu’il détenait dans son CELI, mais l’ARC n’a aucune responsabilité à l’égard de la nature des placements que détient M. Messenger dans son CELI. C’est à lui seul d’en assumer le risque. Il a choisi d’éviter une perte économique dans son CELI, mais il ne peut, après avoir fait ce choix, présenter une demande d’allègement discrétionnaire à l’égard de l’impôt payable sur le montant excédentaire. Le refus de sa demande, tel qu’il est motivé, était justifié.

[24] Dans la décision Zazula c Canada (Procureur général), 2022 CF 1156, la juge Glennys McVeigh traite également d’une situation similaire :

[32] Je peux comprendre que le demandeur trouve injuste que le plafond de cotisation soit déterminé en fonction de la pleine valeur initiale de son placement CÉLI, même si celui-ci s’est déprécié par la suite. Ces décisions économiques lui appartenaient et, avec le recul, n’étaient pas avisées. Tout cela fait partie des placements à haut risque (des actions, en l’espèce) et le législateur en aurait tenu compte dans la rédaction de dispositions législatives.

[25] Je suis également très sensible à la situation dans laquelle se trouve le demandeur et aux conséquences néfastes que ces mauvais choix ont sur lui et sa famille.

[26] Toutefois, je suis d’avis que la décision de l’ARC tient compte des observations du demandeur, à la lumière des explications détaillées qu'elle contient pour justifier en quoi la demande ne peut être accueillie compte tenu des exigences prévues dans la Loi de l’impôt sur le revenu. Aussi difficile que cela puisse être pour le demandeur, il s’agit d’une décision raisonnable et l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

V. Conclusion

[27] Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée et des dépens de 500 $ seront adjugés au défendeur.


JUGEMENT dans le dossier T-655-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Des dépens de 500 $ sont adjugés au défendeur.

« Jocelyne Gagné »

Juge en chef adjointe

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-655-22

 

INTITULÉ :

DAVID L. MALCOLM c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 FÉVRIER 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 MARS 2023

 

COMPARUTIONS :

David L. Malcolm

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Patrick Cashman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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