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Date : 20230321

Dossier : IMM-456-22

Référence : 2023 CF 392

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 mars 2023

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

AMRINDER SINGH MALHI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie de la présente demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre de la décision du 25 novembre 2021 par laquelle un agent de la section des visas du Haut-commissariat du Canada à New Delhi, en Inde, a conclu que le demandeur n’avait pas rempli le critère relatif à la délivrance d’un permis de travail ouvert pour conjoint aux termes du Programme des travailleurs étrangers temporaires, parce qu’il avait fait une fausse déclaration au titre de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

I. Contexte

[3] Le demandeur est un citoyen indien âgé de 32 ans qui habite à New Delhi avec sa fille. Son épouse est actuellement au Canada munie d’un permis d’études.

[4] Le 25 octobre 2022, le demandeur a présenté une demande de permis de travail ouvert pour conjoint aux termes du Programme des travailleurs étrangers temporaires ainsi qu’une demande de visa de résident temporaire pour sa fille. Il a retenu les services d’un consultant afin de l’aider avec sa demande. C’est son oncle qui lui avait présenté le consultant des années auparavant, et il connaissait des personnes dont le dossier avait été accepté grâce à l’aide de celui-ci.

[5] Le demandeur affirme que, lorsqu’il a préparé sa demande avec l’aide du consultant, il lui a notamment dit qu’il avait présenté une demande de permis d’études au Canada en 2012 et que cette demande avait été rejetée. Le demandeur n’a pas examiné ni signé de documents ou de formulaires avant le dépôt de la demande. S’il l’avait fait, il aurait vu que le consultant n’avait pas répondu [traduction] « oui » à la question « [v]ous a‑t‑on déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays ou territoire? »

[6] Après avoir examiné la demande et le dossier du demandeur, l’agent a fait remarquer que celui-ci avait des antécédents défavorables en matière d’immigration au Canada qui n’avaient pas été communiqués dans la demande. Le 27 juillet 2021, l’agent a envoyé au demandeur une lettre d’équité procédurale dans laquelle il faisait état de préoccupations selon lesquelles le demandeur avait fait de fausses déclarations au sujet de ses antécédents défavorables en matière d’immigration au Canada, et lui donnait l’occasion d’y répondre.

[7] Le demandeur soutient qu’il a, de nouveau, donné au consultant des précisions concernant le rejet de sa demande antérieure, et qu’il croyait que celui-ci avait répondu à la lettre d’équité procédurale. Cependant, à l’époque, le demandeur n’avait pas reçu ni examiné de copie de la lettre d’équité procédurale ou de la réponse à celle-ci.

[8] Le consultant n’a pas transmis à l’agent sa réponse à la lettre d’équité procédurale dans les délais impartis.

[9] Dans sa décision du 25 novembre 2021, l’agent a rejeté la demande de permis de travail du demandeur parce qu’il n’était pas convaincu que celui-ci avait répondu véridiquement aux questions qui lui avaient été posées, comme le requiert le paragraphe 16(1) de la LIPR. Conformément aux alinéas 40(1)a) et 40(2)a) de LIPR, l’agent a déclaré le demandeur interdit de territoire au Canada pour une période de cinq ans en raison de ses fausses déclarations.

[10] Le demandeur a déposé une plainte à l’endroit de son consultant auprès d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, mais n’a pas fait valoir qu’il avait eu affaire à un représentant autorisé incompétent, puisque son consultant n’était pas un représentant autorisé.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[11] La présente demande soulève les questions suivantes : i) les droits du demandeur en matière d’équité procédurale ont-ils été enfreints? ii) la décision de l’agent est-elle raisonnable?

[12] En ce qui concerne la première question, il appartient à la Cour de trancher la question de l’équité procédurale. La norme applicable à la question de savoir si la décision a été prise dans le respect de l’équité procédurale est celle de la décision correcte [voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 34]. La cour qui apprécie un argument relatif à l’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances [voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), précité, au para 54]. La question, en définitive, est de savoir si les demandeurs connaissaient la preuve à réfuter et s’ils ont eu une possibilité complète et équitable d’y répondre [voir Laag c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 890 au para 10].

[13] En ce qui concerne la deuxième question, les parties conviennent, et je suis d’accord, que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle, y compris son raisonnement et son résultat, est transparente, intelligible et justifiée. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti [voir l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 15, 85]. La Cour n’interviendra que si elle est convaincue que la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence [Adenjij-Adele c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 418 au para 11].

III. Analyse

A. Dispositions législatives applicables

[14] L’article 40 de la LIPR porte sur l’interdiction de territoire pour fausses déclarations. L’alinéa 40(1)a) énonce ce qui suit :

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

[15] Le paragraphe 16(1) de la LIPR impose aux demandeurs l’obligation de fournir des renseignements véridiques.

16 (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

 

16 (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires

B. Les droits du demandeur en matière d’équité procédurale n’ont pas été enfreints

[16] Le demandeur affirme que la décision était inéquitable sur le plan procédural, car il a été victime d’un représentant fantôme non autorisé qui a signé la demande (sans être son représentant autorisé), passé sous silence de l’information concernant ses antécédents d’immigration, et omis de répondre à la lettre d’équité procédurale.

[17] Le demandeur affirme que l’agent était tenu de préserver l’intégrité du système d’immigration et que la présente affaire comprenait des éléments de preuve montrant que son consultant était un représentant non déclaré ou, à tout le moins, soulevait des préoccupations qui auraient dû inciter l’agent à enquêter davantage. Le demandeur attire l’attention sur les faits suivants, qui auraient dû selon lui pousser l’agent à effectuer un examen plus approfondi : a) la signature apposée sur le passeport du demandeur est différente de celle qui figure sur le formulaire de demande; b) aucune réponse n’a été reçue à la suite de la réception de la lettre d’équité procédurale; c) rien n’indique que l’épouse du demandeur ait été sollicitée afin de vérifier les renseignements consignés dans la demande malgré le fait que ses coordonnées y figuraient. Le demandeur fait valoir qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale au motif que l’agent n’a pas mené une enquête concernant l’existence possible d’un représentant non déclaré. Il affirme en outre que les diverses erreurs commises par le consultant ont porté atteinte à ses droits en matière d’équité procédurale.

[18] Je ne suis pas convaincue que le demandeur a établi l’existence d’un quelconque manquement à ses droits en matière d’équité procédurale. Il n’a pas relevé de jurisprudence qui imposerait aux agents l’obligation proactive de mener une enquête concernant l’existence possible d’un consultant fantôme. Je conclus que l’agent s’est acquitté de son obligation d’équité procédurale à l’égard du demandeur en lui communiquant la lettre d’équité procédurale, en y exposant suffisamment de renseignements pour qu’il comprenne ses préoccupations, et en lui donnant une occasion véritable d’y répondre. Il était loisible à l’agent d’aller de l’avant et de rendre une décision concernant la demande, puisque le demandeur n’avait pas répondu à la lettre d’équité procédurale.

[19] En outre, si j’accepte l’affirmation du demandeur selon laquelle son omission de divulguer le rejet de sa demande antérieure et de répondre à la lettre d’équité procédurale était attribuable à la conduite du consultant, je ne suis pas convaincue que la conduite du consultant a entraîné un manquement suffisant à la justice naturelle pour exiger l’annulation de la décision. Le demandeur a eu l’occasion de protéger ses intérêts en examinant la demande avant qu’elle ne soit présentée, ainsi que la lettre d’équité procédurale et la réponse du consultant à cette lettre, mais il ne l’a pas fait. Le demandeur a le devoir de s’assurer que les documents qu’il présente sont complets et exacts, et il ne lui est pas loisible de s’appuyer sur son omission d’examiner sa propre demande pour faire valoir que son droit à l’équité procédurale a été enfreint [voir Sayedi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 420 aux para 40 et 43].

C. La décision de l’agent était déraisonnable

[20] Deux critères doivent être remplis pour que l’interdiction de territoire prévue à l’alinéa 40(1)a) s’applique : a) il doit y avoir une présentation erronée sur un fait; b) la présentation erronée doit porter sur un fait important, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR [voir Singh Dhatt c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 556 au para 24].

[21] En ce qui concerne le premier critère, la Cour a reconnu l’existence d’une exception restreinte relative à l’erreur de bonne foi. Le juge Martineau a affirmé ce qui suit au paragraphe 18 de la décision Appiah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1043 :

L’exception relative à l’erreur de bonne foi concernant une fausse déclaration est restreinte et ne peut qu’excuser la non-divulgation de renseignements importants que dans des circonstances extraordinaires où le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas de présentation erronée sur un fait important, qu’il était impossible pour le demandeur d’avoir connaissance de la déclaration inexacte et que le demandeur n’avait pas connaissance de la fausse déclaration (Wang, au paragraphe 17; Li c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 87, au paragraphe 22; Medel c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 CF 345). L’exception a été appliquée dans certains cas, lorsque les renseignements fournis par erreur ont pu être corrigés par l’examen d’autres documents présentés dans le cadre de la demande, laissant entendre qu’il n’y avait pas eu intention d’induire en erreur : Karunaratna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 421, au paragraphe 16; Berlin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1117, au paragraphe 18‑20. Les tribunaux n’ont pas appliqué cette exception lorsque le demandeur était au courant des renseignements, mais affirmait ne pas savoir honnêtement et raisonnablement qu’ils étaient importants pour la demande; la connaissance de ces renseignements n’échappait pas à la volonté du demandeur et il est de son devoir de remplir la demande avec exactitude : Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971, aux paragraphes 31 à 34; Diwalpitiye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 885; Oloumi, au paragraphe 39; Baro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1299, au paragraphe 18; Smith c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1020, au paragraphe 10.

[22] Même si l’agent n’était pas directement saisi de la question relative à l’erreur de bonne foi, je suis convaincue que l’exception restreinte ne se serait pas appliquée dans les circonstances de l’espèce étant donné que la connaissance de la fausse déclaration n’échappait pas à la volonté du demandeur. Au contraire, celui-ci n’a tout simplement pas pris de mesures pour s’assurer que sa demande était exacte et complète.

[23] En ce qui concerne le second critère, une fausse déclaration n’a pas à être décisive ou déterminante pour être importante. Elle est importante si elle est suffisamment grave pour nuire au bon déroulement du processus [voir Oloumi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 428 au para 25]. Le demandeur a présenté un certain nombre d’observations à savoir pourquoi la conclusion de l’agent selon laquelle la fausse déclaration était importante était déraisonnable. Cependant, je conclus qu’une seule des observations est fondée : l’affirmation du demandeur selon laquelle les motifs de l’agent sont inintelligibles en ce qui concerne la question de savoir comment la fausse déclaration en cause aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR.

[24] L’agent a déclaré ce qui suit dans ses motifs portant sur l’importance de la fausse déclaration : [traduction] « Cette situation aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi et du Règlement, puisqu’un agent aurait pu être convaincu que le demandeur satisfaisait aux exigences de la Loi quant à l’existence d’un véritable motif pour vouloir séjourner au Canada de façon temporaire et qu’il respecterait les conditions d’entrée au Canada au motif qu’il avait déjà voyagé dans un pays où les conditions étaient semblables à celles au Canada. » Je conviens avec le demandeur que les motifs de l’agent manquent d’intelligibilité, puisque le rejet antérieur concernait un permis d’études au Canada et non un pays où les conditions étaient semblables à celles au Canada. De plus, je conclus que les motifs de l’agent n’indiquent pas clairement comment le rejet d’un permis d’études aurait pu causer les erreurs potentielles reprochées au demandeur. La fausse déclaration n’était pas liée au fait que le demandeur avait indûment prolongé son séjour dans un pays ou qu’il n’avait pas respecté les conditions d’entrée dans ce pays. Je suis consciente que l’agent n’est pas tenu de présenter des motifs élaborés, mais ses motifs doivent être intelligibles et suffisants pour expliquer l’issue de la décision, ce qui n’est tout simplement pas le cas en l’espèce.

[25] Par conséquent, je conclus que la décision est déraisonnable et que la demande doit être accueillie.

[26] Les parties ne proposent aucune question aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-456-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision rendue par l’agent le 25 novembre 2021 est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

  3. Les parties n’ont pas proposé de question à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.

« Mandy Aylen »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-456-22

INTITULÉ :

AMRINDER SINGH MALHI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATON

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 MARS 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AYLEN

DATE DES MOTIFS :

LE 21 MARS 2023

COMPARUTIONS :

Athena Portokalidis

POUR LE DEMANDEUR

Pavel Filatov

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bellissimo Law Group PC

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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