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Date : 20230314


Dossier : IMM-9178-21

Référence : 2023 CF 346

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 mars 2023

En présence de madame la juge en chef adjointe Gagné

ENTRE :

RAM KUMAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Monsieur Ram Kumar est un citoyen de l’Inde qui est entré au Canada muni d’un permis de travail temporaire et qui a demandé l’asile six mois plus tard. Il affirme qu’il craint des groupes de justiciers hindous et la police, qui l’auraient tous deux pris pour cible parce qu’il appartient à une caste inférieure et qu’il est soupçonné d’abattre des vaches pour le commerce.

[2] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] et la Section d’appel des réfugiés [la SAR] ont toutes les deux conclu que sa demande d’asile n’était pas crédible. Il sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR en soutenant que celle-ci a accordé peu de poids aux éléments de preuve corroborants qu’il avait présentés — essentiellement l’affidavit de son père — sans donner de motifs à cet égard.

[3] Pour les motifs qui suivent, la présente demande sera rejetée.

II. Décision de la SAR

[4] Comme la SPR, la SAR a conclu que le demandeur avait offert un témoignage incohérent quant au nombre de fois qu’il avait été détenu par la police. Bien que la SAR ait admis que le demandeur était nerveux, qu’il pouvait avoir oublié des détails en raison du passage du temps, et qu’il avait seulement fréquenté l’école primaire, elle a conclu que ces facteurs n’expliquaient pas le nombre de contradictions relevées entre l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la demande d’asile [formulaire FDA], son témoignage et son formulaire Annexe 12; elle a donc tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité.

[5] De plus, la SAR a conclu que le demandeur avait fait preuve d’incohérence quant aux dates à partir desquelles il avait vécu dans la clandestinité, puisqu’il a affirmé que c’était à partir de janvier 2016, d’octobre 2017 ou encore de décembre 2017. Elle a fait remarquer que ces incohérences avaient été signalées au demandeur, mais que celui-ci ne les a pas expliquées de façon satisfaisante. De plus, la SAR a convenu avec la SPR que le fait que le demandeur allait voir sa famille le soir en secret démontrait une absence de crainte subjective qui minait davantage sa crédibilité.

[6] La SAR a admis que l’épouse du demandeur avait été battue et avait subi une agression sexuelle en mai 2018. Toutefois, en matière de crédibilité, elle a tiré une inférence défavorable du fait que le demandeur avait déclaré dans son formulaire FDA que l’agression avait été commise par la police, avant d’affirmer plus tard que des membres du khap panchayat (conseil communautaire fondé sur la caste) étaient les auteurs de l’agression.

[7] La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas pu expliquer le contexte entourant une lettre qu’il aurait envoyée à la police, ainsi qu’une entente renvoyant à une rencontre avec la police et le conseil du village du demandeur au cours de laquelle le demandeur avait exposé ses griefs. La SAR a convenu avec la SPR qu’il était probable que le demandeur n’était pas véritablement l’auteur des lettres.

[8] La SAR a conclu que les affidavits du père et du cousin du demandeur ne suffisaient pas pour corroborer les allégations du demandeur et pour réfuter les conclusions qu’elle avait tirées quant à la crédibilité. Elle a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il était pris pour cible par des groupes de justiciers hindous ou par la police.

[9] En réponse aux observations formulées par le demandeur en appel selon lesquelles la SPR a omis d’examiner la question de savoir s’il était persécuté en raison de la caste à laquelle il appartient, la SAR a conclu que le demandeur n’avait pas donné d’exemple de cette persécution hormis ses allégations quant au traitement subi aux mains des justiciers hindous et de la police parce qu’il était soupçonné d’avoir abattu du bétail.

III. Question en litige et norme de contrôle

[10] Le demandeur ne conteste pas les conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées par la SAR, mais il prétend que celle-ci a commis une erreur dans le traitement qu’elle a réservé à l’affidavit souscrit par son père.

[11] Il s’agit de la seule question soulevée par le demandeur dans la présente demande de contrôle judiciaire et elle est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 25; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et des travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 27).

IV. Analyse

[12] Le demandeur soutient que la SAR a eu tort de ne pas accorder de poids favorable à l’affidavit de son père et de conclure que le document ne corroborait pas les principaux éléments de sa demande d’asile.

[13] L’affidavit est relativement succinct (six paragraphes), et il est utile d’en reproduire la teneur en entier :

[traduction]
[...]

3. Que des gens ont agressé mon fils Ramkumar pour des soupçons sans fondement, qu’il a subi de nombreuses blessures, que la cantine a subi beaucoup de dommages aussi, et qu’une fausse plainte a été déposée contre lui à la police.

4. Que la police a gardé mon fils Ramkumar en détention et lui a infligé bien des tortures. Que, apeuré, il a fui chez sa cousine Raj Rani. Que la police s’est rendue à cet endroit et a battu mon fils sans motif, et que mon fils n’a pas eu droit à une audience.

5. Que, pour fuir cette situation atroce, mon fils Ramkumar est parti en disant qu’il irait à l’étranger.

6. Que la police a aussi torturé l’épouse de mon fils et l’a traitée d’une façon indicible.

[14] La SAR renvoie à l’affidavit en deux endroits dans sa décision :

[37] En tirant la conclusion ci-dessus, je reconnais que l’appelant a présenté un billet du médecin mentionnant les blessures subies par son épouse et qu’un affidavit du père de l’appelant mentionne que l’épouse de l’appelant a été torturée par la police. Cependant, j’estime que ces éléments de preuve documentaire ne suffisent pas à dissiper les préoccupations quant à la crédibilité que j’ai relevées précédemment et qui touchent au cœur de la demande d’asile de l’appelant.

[...]

[49] L’affidavit du père de l’appelant, comme l’a souligné la SPR, ne corrobore pas les allégations de l’appelant selon lesquelles son père a dû verser des pots-de-vin à la police pour qu’il soit libéré.

[15] Avec égards, je ne suis pas d’accord avec le demandeur pour dire que les conclusions tirées par la SAR concernant des incohérences dans son propre témoignage ont servi à conclure que l’affidavit du père n’était pas crédible. J’estime que la SAR n’a fait qu’énoncer la preuve : l’affidavit du père n’est d’aucune utilité pour expliquer les incohérences concernant i) le nombre de fois que le demandeur a été détenu; ii) le moment où il est entré dans la clandestinité; iii) la question de savoir si l’épouse du demandeur a été détenue par la police ou agressée par un groupe extrémiste. L’affidavit n’aborde pas les éléments i) et ii), et, en ce qui concerne l’élément iii), il ne fait qu’amplifier la contradiction entre le formulaire FDA du demandeur et son témoignage ultérieur. L’affidavit ne prétend pas expliquer ces contradictions. De plus, il n’aide pas le demandeur à expliquer le contexte de la lettre de plainte qui a été adressée à la police. Pour ces raisons, il ne peut pas surmonter les conclusions de la SAR quant à la crédibilité.

[16] L’affidavit du père ne contient aucun détail sur les événements au sujet desquels le demandeur a témoigné (dates, nombre de fois, agent(s) de persécution). J’estime que la SAR a eu raison de souligner que le seul événement concernant personnellement le père — le versement des pots-de-vin — n’était même pas mentionné.

[17] À mon avis, la SAR a dûment pondéré et apprécié l’affidavit du père et elle a fourni un raisonnement suffisant quant aux raisons pour lesquelles l’affidavit ne pesait pas assez lourd pour dissiper les doutes quant à la crédibilité. Une fois que la SAR a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité, il lui est loisible de conclure que la preuve corroborante n’est pas suffisante pour surmonter les préoccupations relatives à la crédibilité suscitées par la preuve directe des demandeurs (Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 299 au para 43; Kaiyaga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 541 aux para 55-57).

[18] J’estime que la décision de la SAR est raisonnable et étayée par la preuve. L’intervention de la Cour n’est donc pas justifiée.

V. Conclusion

[19] Puisque les conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées par la SAR au sujet du propre témoignage du demandeur ne sont pas contestées et sont, donc, maintenues, et puisque la SAR a apprécié de façon raisonnable l’affidavit du père du demandeur, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[20] Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale à certifier, et les faits de l’affaire n’en soulèvent aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-9178-21

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée;

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Jocelyne Gagné »

Juge en chef adjointe

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-9178-21

 

INTITULÉ :

RAM KUMAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 NOVEMBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 MARS 2023

COMPARUTIONS :

Michael Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Kevin Spykerman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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