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Date : 20230328


Dossier : IMM-2165-22

Référence : 2023 CF 426

Montréal (Québec), le 28 mars 2023

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

MARIO ALBERTO RODRIGUEZ SANCHEZ

KELLY ABIGAIL RODRIGUEZ LOPEZ

LETICIA LOPEZ VAZQUEZ

IAN ALBERTO RODRIGUEZ LOPEZ

JOHANN GAEL RODRIGUEZ LOPEZ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur principal, M. Mario Alberto Rodriguez Sanchez, sa conjointe, Mme Leticia Lopez Vasquez, ainsi que leurs enfants mineurs, Kelly Abigail Rodriguez Lopez, Ian Alberto Rodriguez Lopez et Johann Gael Rodriguez Lopez [la famille Rodriguez], sont citoyens du Mexique. Ils sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision datée du 15 février 2022 [Décision] de la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [SAR]. Dans sa Décision, la SAR rejette leur demande d’asile au motif qu’ils n’ont pas la qualité de réfugiés ou de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], car la famille Rodriguez dispose de deux possibilités de refuge intérieur [PRI] viables au Mexique, dans les villes de Mérida ou de Mexico.

[2] La famille Rodriguez soutient que la Décision n’est pas raisonnable puisque la SAR aurait erré dans son analyse des PRI. Elle demande à la Cour d’annuler la Décision et de retourner l’affaire devant la SAR pour une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué.

[3] La seule question en litige est de savoir si les conclusions de la SAR sur les PRI sont raisonnables. Pour les motifs qui suivent, je vais rejeter la demande de contrôle judiciaire de la famille Rodriguez. Compte tenu des conclusions de la SAR, de la preuve qui lui a été présentée et du droit applicable, je ne vois aucune raison d’infirmer la Décision, car elle ne comporte aucune lacune grave qui nécessiterait l’intervention de la Cour. Par ailleurs, je ne suis pas convaincu par les arguments du Ministre de la citoyenneté et de l’immigration [Ministre] à l’effet que la SAR aurait commis une erreur dans l’exercice de sa compétence et dans son traitement de la question de la crédibilité de M. Rodriguez.

II. Contexte

A. Les faits

[4] La famille Rodriguez vivait dans la ville de Xaltocan, dans l’État de Tlaxcala, au centre du Mexique. Le 30 juillet 2018, M. Rodriguez est intercepté et battu par un groupe d’individus. Ceux-ci lui volent également sa voiture, prêtée par son employeur, et menacent M. Rodriguez d’agir contre sa famille s’il ne paie pas la somme de 500 000 pesos (équivalant à environ 35 000 CAD) dans un délai de 24 heures. La même journée, M. Rodriguez dénonce l’agression auprès du bureau du Procureur général de l’État de Tlaxcala.

[5] À la suite de ces événements, la famille Rodriguez se réfugie chez un membre de la famille dans la ville de Mexico.

[6] Le 23 août 2018, M. Rodriguez quitte le Mexique pour demander l’asile au Canada. Après le départ de son mari, Mme Vasquez aurait reçu une série d’appels de menace qui n’auraient cessé qu’une fois son numéro de téléphone changé. Ce n’est que le 9 août 2019 que Mme Vasquez et les enfants quittent le Mexique pour rejoindre M. Rodriguez au Canada.

[7] Le 25 mai 2021, la Section de la protection des réfugiés [SPR] rejette la demande d’asile logée par la famille Rodriguez. La SPR conclut que les importantes omissions dans la preuve de M. Rodriguez ainsi que certaines hésitations dans son témoignage minent la crédibilité de la demande d’asile de la famille. La famille Rodriguez porte la décision de la SPR en appel.

B. La Décision de la SAR

[8] La SAR conclut tout d’abord que la SPR a erré en concluant que M. Rodriguez n’était pas crédible, puisque les problèmes soulevés dans son témoignage ne sont pas suffisamment sérieux pour entacher sa crédibilité générale. Malgré cette conclusion, la SAR ajoute qu’étant donné l’existence d’un refuge interne au Mexique pour la famille Rodriguez, elle aborderait les « questions relatives à la crédibilité seulement dans la mesure où elles ont une incidence sur l’analyse de la PRI. » La famille Rodriguez a d’ailleurs reçu un avis de nouvelle question déterminante et a eu l’opportunité de soumettre ses observations quant aux PRI proposées par la SAR.

[9] La SAR procède donc à l’analyse d’une PRI viable dans les villes de Mérida ou Mexico à l’aide du test à deux volets bien reconnu dans la jurisprudence. Le premier volet exige que la SAR s’assure qu’il n’y ait pas de possibilité sérieuse, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile soit persécuté dans la région proposée. Le deuxième volet requiert quant à lui que les conditions régnant dans la PRI soient telles qu’il ne soit pas déraisonnable d’y prendre refuge — en considérant l’ensemble des circonstances, incluant la situation personnelle du demandeur.

[10] Sur le premier volet de l’analyse, la SAR détermine qu’il n’y a pas de possibilité sérieuse de persécution dans les PRI proposées puisque la motivation des agents de persécution à retrouver la famille Rodriguez ne ressort ni de la preuve déposée ni du témoignage de M. Rodriguez. La SAR est d’avis qu’il n’existe pas de preuve suffisante quant à l’appartenance des agents de persécution au Cartel Jalisco Nueva Generacion [CJNG], puisque ni le narratif de M. Rodriguez ni la lettre de sa tante (chez qui la famille s’était réfugiée avant de partir pour le Canada) n’en font mention. M. Rodriguez aurait expliqué que cette omission relève d’une erreur d’interprétation avec son avocat antérieur, mais la SAR rejette cette explication puisqu’elle ne la trouve pas crédible. D’ailleurs, la dénonciation faite par M. Rodriguez aux autorités mexicaines ne référait pas non plus au CJNG, pourtant le plus puissant cartel au Mexique.

[11] La SAR poursuit son analyse en précisant qu’avant de venir rejoindre M. Rodriguez au Canada, Mme Vasquez et leurs enfants ont vécu une année entière au Mexique sans qu’ils ne soient confrontés à quelque problème que ce soit. Outre deux appels de menace reçus par Mme Vasquez à la mi-septembre 2018, il n’y aurait eu aucun autre incident une fois qu’elle aurait changé son numéro de téléphone. Selon la SAR, ceci contribue à démontrer l’absence de motivation des agents de persécution à retrouver la famille Rodriguez à l’échelle nationale.

[12] Eu égard au deuxième volet de l’analyse, la SAR conclut que la réinstallation de la famille Rodriguez dans les villes identifiées en tant que PRI n’est pas déraisonnable, puisque la preuve et les circonstances personnelles de M. Rodriguez et de Mme Vasquez ne permettent pas de conclure que la famille Rodriguez ne puisse pas recommencer sa vie, trouver un emploi et subvenir à ses besoins dans les PRI.

[13] Pour ces motifs, la SAR conclut que la demande d’asile de la famille Rodriguez doit être refusée.

C. La norme de contrôle

[14] Il est bien connu que les conclusions de la SAR quant à la crédibilité et à l’existence d’une PRI viable sont révisables selon la norme de la décision raisonnable (Djeddi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1580 au para 16; Valencia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 386 au para 19; Adeleye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 81 au para 14; Ambroise c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 62 au para 6; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 350 [Singh] au para 17; Kaisar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 789 au para 11).

[15] La norme de la décision raisonnable se concentre sur la décision prise par le décideur administratif, ce qui englobe à la fois le raisonnement suivi et le résultat (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 83, 87). Une décision raisonnable se justifie par des raisons transparentes et intelligibles qui révèlent un raisonnement intrinsèquement cohérent (Vavilov aux para 86, 99). La cour de révision doit tenir compte des contraintes factuelles et juridiques auxquelles le décideur est confronté (Vavilov aux para 90, 99), sans pour autant « apprécier à nouveau la preuve prise en compte » par celui-ci (Vavilov au para 125). La cour doit plutôt adopter une attitude de retenue et n’intervenir que « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov au para 13).

[16] Il incombe à la partie qui conteste une décision de prouver qu'elle est déraisonnable. Pour que la cour de révision annule une décision administrative, elle doit être convaincue qu'il existe des lacunes suffisamment graves pour rendre la décision déraisonnable (Vavilov au para 100).

III. Analyse

A. La crédibilité de la famille Rodriguez

[17] Avant d’aborder le cœur de la Décision de la SAR et ses conclusions sur les PRI, il importe de traiter de la question de crédibilité, abordée tant par la famille Rodriguez que par le Ministre dans leurs soumissions respectives.

[18] La famille Rodriguez soutient que l’analyse de la SAR serait contradictoire puisqu’elle indique que la SPR a erré en déterminant que les problèmes soulevés suffisaient pour entacher la crédibilité générale du témoignage de M. Rodriguez, pour ensuite fonder sa Décision sur le manque de crédibilité des explications fournies par M. Rodriguez.

[19] Je ne partage pas cette opinion et, à mon avis, il n’y a rien de contradictoire dans l’énoncé et l’approche de la SAR. Une lecture attentive de la Décision révèle que la SAR n’a jamais conclu que la SPR avait erré en disant que M. Rodriguez n’était pas crédible sur certains aspects de son témoignage; elle a plutôt déterminé que les incohérences relevées dans le témoignage de M. Rodriguez n’étaient pas suffisantes, à elles seules, pour miner la crédibilité de M. Rodriguez et rejeter la demande d’asile. C’est donc le poids accordé par la SPR aux incohérences de M. Rodriguez que la SAR a remis en doute, et non pas la crédibilité même de certains éléments particuliers de son témoignage. Dans ces circonstances, je suis d’avis que la SAR ne s’est pas contredite en utilisant, à son tour, les éléments non crédibles du témoignage de M. Rodriguez pour étayer ses propres conclusions quant aux PRI viables.

[20] Cet aspect de la Décision portant sur la crédibilité de la famille Rodriguez constitue aussi, pour d’autres raisons, le cheval de bataille du Ministre pour attaquer la Décision. En effet, l’argumentaire du Ministre consiste largement à démontrer le caractère déraisonnable de la conclusion de la SAR quant à la crédibilité de M. Rodriguez.

[21] Le Ministre affirme que la SAR aurait erré en déterminant que les incohérences soulevées par la SPR n’étaient pas suffisantes pour entacher la crédibilité générale de M. Rodriguez. Le Ministre suggère que les omissions dans le Formulaire de fondement de demande d’asile [FDA] de M. Rodriguez et les défaillances dans son témoignage étaient amplement suffisantes pour entacher sa crédibilité générale, et que la SAR a erré en n’expliquant pas adéquatement pourquoi elle écartait cette conclusion de la SPR. Le Ministre soutient cependant que, malgré cette erreur de la SAR, il n’est pas indiqué pour la Cour d’intervenir, puisque le rejet de la demande d’asile de la famille Rodriguez demeure la seule issue possible dans le présent dossier. Dans ces circonstances, soutient le Ministre, l’arrêt Vavilov exigerait que la Cour ne renvoie pas l’affaire au décideur administratif (Vavilov aux para 140, 142).

[22] Les arguments avancés par le Ministre ne me convainquent pas. Dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica], la Cour d’appel fédérale [CAF] énonce comme suit le rôle de la SAR en appel de décisions de la SPR :

[78] À cette étape-ci de mon analyse, je conclus que la SAR doit intervenir quand la SPR a commis une erreur de droit, de fait, ou une erreur mixte de fait et de droit. Dans la pratique, cela signifie qu’elle doit appliquer la norme de contrôle de la décision correcte. Si une erreur a été commise, la SAR peut confirmer la décision de la SPR sur un autre fondement. La SAR peut aussi casser une décision et y substituer la sienne eu égard à une demande, sauf si elle conclut qu’elle ne peut y arriver sans examiner les éléments de preuve présentés à la SPR (alinéa 111[2]b] de la LIPR).

[…]

[103] Au terme de mon analyse des dispositions législatives, je conclus que, concernant les conclusions de fait (ainsi que les conclusions mixtes de fait et de droit) comme celle dont il est question ici, laquelle ne soulève pas la question de la crédibilité des témoignages de vive voix, la SAR doit examiner les décisions de la SPR en appliquant la norme de la décision correcte. Ainsi, après examen attentif de la décision de la SPR, la SAR doit effectuer sa propre analyse du dossier afin de décider si la SPR a bel et bien commis l’erreur alléguée par l’appelant. Après cette étape, la SAR peut statuer sur l’affaire de manière définitive, soit en confirmant la décision de la SPR, soit en cassant celle-ci et en y substituant sa propre décision sur le fond de la demande d’asile. L’affaire ne peut être renvoyée à la SPR pour réexamen que si la SAR conclut qu’elle ne peut rendre une décision définitive sans entendre les témoignages de vive voix présentés à la SPR. Nulle autre interprétation des dispositions législatives pertinentes ne serait raisonnable.

[23] Dans Alvarenga Torres c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 549 [Alvarenga Torres], la Cour reprend les enseignements de l’affaire Huruglica et les résume comme suit au paragraphe 37:

S’exprimant au nom de la Cour dans Huruglica, la juge Gauthier a conclu que la SAR doit appliquer la norme de contrôle de la décision correcte dans le cadre d’un appel interjeté en vertu de l’article 111 : aux para 78 et 103; Kreishan, au para 44. La SAR effectue sa propre appréciation de la demande d’asile au dossier : Huruglica, aux para 78 et 103; Azanor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 613, au para 22. Bien qu’un appel auprès de la SAR ne constitue pas une véritable audience de novo (Huruglica, au para 79), la SAR dispose essentiellement des mêmes pouvoirs que ceux de la SPR, avec quelques distinctions importantes, notamment le fait qu’elle tiendra rarement une audience et qu’elle ne peut accepter de nouveaux éléments de preuve que sous certaines conditions : Huruglica, au para 56; LIPR, art. 110(4) et (6). Lorsqu’elle examine le bien‑fondé d’un appel, la SAR n’est pas tenue de faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de fait de la SPR : Huruglica, aux para 58 et 59. La SAR peut corriger des erreurs de droit et des questions mixtes de droit et de fait : Huruglica, au para 78; Keqaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 563, au para 68. La SAR a le droit de substituer son opinion à celle de la SPR si la SPR a commis une erreur : LIPR, art. 111(1); Huruglica, au para 78. Par conséquent, le rôle de la SAR est en quelque sorte un hybride entre une audience de novo et un appel : Azanor, au para 22.

[24] Depuis l’affaire Huruglica, deux écoles de pensée subsistent toujours quant au rôle de la SAR en appel d’une décision de la SPR. Dans Angwah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 654 [Angwah], le juge B. Richard Bell a conclu qu’Huruglica exigeait désormais à la SAR l’identification d’une erreur avant de pouvoir se pencher sur une question différente de celles identifiées par la SPR. Dans cette affaire, comme la SAR ne s’était pas penchée sur les conclusions de crédibilité de la SPR, elle ne pouvait pas mener sa propre analyse sur une PRI (Angwah aux para 16–18). Cependant, dans Okechukwu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1142 [Okechukwu], le juge Richard G. Mosley, reprenant l’affaire Angwah, a affirmé ce qui suit :

[30] Je comprends que les paragraphes cités dans la décision de la Cour d’appel dans Huruglica peuvent être interprétés comme une exigence à l’égard de la SAR qu’elle conclut à une erreur de la part de la SPR avant de pouvoir examiner un motif subsidiaire pour confirmer la décision de rejeter la demande. Je ne suis pas convaincu, toutefois, que le but visé par les législateurs ou la Cour d’appel était de restreindre ainsi la compétence de la SAR. À mon avis, cela serait contraire à l’intention évidente du législateur que les affaires entendues par la SAR ne soient pas renvoyées à la SPR pour un nouvel examen à moins qu’il ait clairement été établi : a) que la SPR a commis des erreurs de fait, de droit ou mixtes de fait et de droit; ou b) que la SAR ne peut prendre de décision sans entendre la preuve, telle que décrite au paragraphe 111 (2) de la LIPR.

[31] À la lumière du dossier, je conclus que la SAR était convaincue du bien-fondé de la décision de la SPR relativement à la crédibilité, mais a décidé de trancher l’appel selon les motifs liés à la PRI puisque cette question serait déterminante, quelle que soit l’issue. Je ne trouve aucun motif pour modifier ce résultat.

[25] Je souscris à l’opinion du juge Mosley exprimée dans Okechukwu. Les passages couramment cités d’Huruglica, c’est-à-dire les paragraphes 78, 79 et 103, précisent que la SAR doit intervenir lorsqu’elle détecte une erreur de la SPR. Dans cette affaire, la CAF ne dit pas que c’est là la seule façon pour la SAR de se substituer à la SPR; elle affirme plutôt le devoir d’intervention de la SAR dès que cette dernière décèle une erreur commise par la SPR. À mon avis, ces extraits cadrent avec le rappel de la CAF à l’effet que la SAR n’est pas une instance d’appel ordinaire puisqu’elle doit agir en fonction de la norme correcte, qui exige qu’elle intervienne dès la moindre erreur, par opposition à une instance d’appel régulière, qui n’intervient qu’en vertu d’une norme d’appel plus contraignante.

[26] Dans le même ordre d’idées, pour que le paragraphe 111(2) de la LIPR ait du sens, il faut en comprendre que le législateur a voulu restreindre la compétence de la SAR uniquement lorsque celle-ci veut renvoyer une affaire à la SPR. Autrement, le législateur aurait mentionné à l’article 111 de la LIPR qu’une erreur est nécessaire dans tous les cas, et non seulement dans le cas d’un renvoi à la SPR. Il existe d’ailleurs un principe d’interprétation législative reconnu selon lequel l’interprétation préconisée est celle qui donne un effet utile aux termes utilisés par le législateur (Colombie‑Britannique c Philip Morris International, Inc, 2018 CSC 36 au para 29). « [U]ne disposition législative ne devrait jamais être interprétée de façon telle qu’elle devienne superfétatoire » (R c Proulx, 2000 CSC 5 au para 28).

[27] Je suis donc d’avis que le paragraphe 111(1) de la LIPR « n’empêche pas la SAR de substituer sa propre décision sur la demande d’asile à celle de la SPR en se fondant sur un élément que la SPR n’avait pas abordé » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Alazar, 2021 CF 637 au para 73). C’est vrai dans tous les cas de figure, tant que la SAR ne procède pas à un appel de novo et qu’elle tienne compte de l’analyse à laquelle la SPR s’est livrée.

[28] D’ailleurs, même en retenant l’interprétation donnée au rôle de la SAR dans Angwah, la Décision demeurerait raisonnable en l’espèce, puisque la SAR est bel et bien intervenue sur la base d’une erreur qu’elle a identifiée dans le raisonnement de la SPR, c’est-à-dire son erreur quant au poids trop important accordé aux incohérences soulevées dans le témoignage de M. Rodriguez. La SAR applique la norme de la décision correcte et n’est pas tenue de faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de fait de la SPR (Bishop v Canada (Citizenship and Immigration), 2022 FC 569 au para 21). Lorsqu’elle identifie une erreur, la SAR peut alors « confirmer la décision de la SPR pour un autre motif » (Lumala c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 775 au para 14). La SAR disposait donc d’une marge de manœuvre pour en venir à cette conclusion, puisqu’elle ne doit pas de déférence à la SPR quant aux conclusions de fait.

[29] Il est vrai que la SAR doit faire preuve de déférence lorsqu’elle intervient sur la crédibilité du demandeur d’asile étant donné que la SPR « jouit d’un véritable avantage dans l’appréciation de la crédibilité ou de la valeur des témoignages de vive voix entendus » (Zidan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 170 au para 28, citant Huruglica aux para 70–72, 78, 98, 103). Lorsque la crédibilité des témoignages de vive voix n’est pas remise en question, c’est bel et bien la norme de la décision correcte que la SAR doit appliquer (Jeyaseelan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 278 au para 13). En l’espèce, la SAR ne se trouvait pas dans une situation moins avantageuse que la SPR pour conclure qu’un poids différent devait être accordé aux incohérences soulevées par la SPR. Cette question ne requérait pas l’appréciation des témoignages de vive voix, mais relevait plutôt d’une appréciation globale du poids accordé aux incohérences soulevées par la SPR — lesquelles, incidemment, ont d’ailleurs été elles-mêmes identifiées et utilisées par la SAR dans ses motifs. En fait, la SAR n’a jamais remis en question l’évaluation de la crédibilité de la famille Rodriguez ni la valeur de leur témoignage de vive voix. Elle a simplement souligné qu’à la lumière des incohérences soulevées par la SPR, celles-ci ne pouvaient pas, à elles seules, entraîner une conclusion négative quant à la crédibilité générale de la famille Rodriguez et fonder le rejet de leur demande d’asile.

[30] Le fait que la SAR utilise les conclusions de la SPR quant aux incohérences que celle-ci a soulevées milite également en faveur du caractère raisonnable de la Décision. Par exemple, aux paragraphes 17 à 20 de la Décision, la SAR reprend les conclusions de crédibilité que la SPR a tirées des omissions quant au nom du CJNG dans le FDA et dans le rapport de police. Nous sommes loin d’une situation dans laquelle la SAR écarte l’ensemble des conclusions de fait quant à la crédibilité du demandeur d’asile du revers de la main, « sans égard à aucun aspect de la décision de la SPR » (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Gebrewold, 2018 CF 374 [Gebrewold] au para 25).

[31] Le Ministre suggère que la Décision serait déraisonnable puisque la SAR n’a pas contemplé la possibilité qu’elle doive faire preuve de déférence dans les circonstances. Je ne suis pas d’accord. Je suis plutôt d’avis que la Décision révèle le contraire. En effet, la SAR indique au paragraphe 8 de sa Décision que « [b]ien que dans certains cas exceptionnels la SAR peut faire preuve de déférence à l’égard de l’évaluation de la SPR, la norme de contrôle applicable en l’espèce est la norme de la décision correcte. » Ainsi, la SAR était bien consciente de sa responsabilité sur cette question, mais elle a plutôt indiqué que l’exception de déférence ne s’appliquait pas dans les circonstances. Il s’agit là, à la lumière de l’affaire Alvarenga Torres, d’une conclusion tout à fait raisonnable.

[32] La SAR a formulé sa conclusion sur la crédibilité comme suit, au paragraphe 9 de la Décision :

J’estime que les problèmes soulevés par la SPR dans le témoignage de l’appelant ne sont pas suffisamment sérieux pour entacher sa crédibilité générale, à la lumière de l’ensemble de la preuve déposée au dossier. Toutefois, j’estime que la question déterminante est la possibilité pour les appelants de trouver un refuge interne (PRI) au Mexique. Ainsi je vais aborder les questions relatives à la crédibilité seulement dans la mesure où elles ont une incidence sur l’analyse de la PRI.

[33] Contrairement à l’affaire Gebrewold citée par le Ministre, ici, la SAR ne s’est pas substituée à l’analyse de la SPR quant à la crédibilité du témoignage de M. Rodriguez. Elle a simplement conclu que ces incohérences ne pouvaient justifier, à elles seules, le rejet de la demande. La SAR a plutôt validé les conclusions de fait de la SPR quant à la crédibilité, mais a décidé de leur accorder un poids différent vis-à-vis la crédibilité générale de la famille Rodriguez. La SAR n’est pas retournée évaluer la preuve en procédant de novo et en renversant les conclusions portant sur la crédibilité, comme elle l’avait fait dans l’affaire Gebrewold (Gebrewold au para 26). Dans ces circonstances, je ne suis pas persuadé que la conclusion de la SAR quant à la crédibilité de la famille Rodriguez comporte des lacunes fondamentales. Il s’agit plutôt d’une situation où les lacunes ou insuffisances reprochées peuvent être qualifiées de « superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision » (Vavilov au para 100), une situation qui ne justifie pas l’intervention de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[34] De plus, dans Gebrewold, la SAR avait décidé de renvoyer l’affaire à la SPR (Gebrewold au para 16). Or, ce pouvoir de la SAR de renvoyer un dossier à la SPR est restreint par le paragraphe 111(2) de la LIPR, qui exige expressément que la SAR identifie une erreur et qu’elle ne puisse pas confirmer ou casser la décision attaquée sans tenir une nouvelle audience en vue du réexamen des éléments de preuve qui ont été présentés à la SPR. Ainsi, l’affaire Gebrewold est bien différente des faits de l’espèce.

[35] J’ajoute en terminant que la brièveté des motifs de la Décision sur la question de crédibilité ne suffit pas, à elle seule, pour rendre la Décision déraisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mvundura, 2021 CF 369 au para 32). Les motifs doivent être interprétés à la lumière du dossier, de l’historique et du contexte de l’instance (Vavilov au para 91). En outre, ils ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection (Vavilov au para 94).

[36] Compte tenu de ma conclusion sur le caractère raisonnable de la Décision eu égard aux questions de crédibilité, je n’ai pas à traiter de l’argument du Ministre à l’effet que l’intervention de la Cour ne serait pas requise puisque, même si la Décision de la SAR était déraisonnable, le rejet des demandes d’asile en cause serait inéluctable.

B. L’existence de PRI viables

(1) Le test juridique applicable

[37] Le test permettant de déterminer l’existence d’une PRI viable est tiré des arrêts Rasaratnam c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA) et Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 CF 589 (CA) [Thirunavukkarasu] de la CAF. Ces arrêts établissent que deux critères doivent être remplis pour conclure au caractère raisonnable d’une PRI:

1) Il n’y a pas de possibilité sérieuse, selon la prépondérance des probabilités, que les demandeurs soient persécutés dans la partie du pays dans laquelle la PRI existe; et

2) Il n’est pas déraisonnable pour les demandeurs de prendre refuge à la PRI, compte tenu de toutes les circonstances, y compris celles qui sont propres à la situation des demandeurs.

[38] Dans l’affaire Singh, la Cour a noté que « l’analyse d’une PRI repose sur le principe voulant que la protection internationale ne puisse être offerte aux demandeurs d’asile que dans les cas où le pays d’origine est incapable de fournir à la personne qui demande l’asile une protection adéquate partout sur son territoire » (Singh au para 26).

[39] Si une PRI est établie, il incombe alors au demandeur d’asile de démontrer que la PRI est inadéquate et qu’il est déraisonnable de s’y établir (Thirunavukkarasu au para 12; Salaudeen v Canada (Citizenship and Immigration), 2022 FC 39 au para 26; Manzoor-Ul-Haq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1077 au para 24; Feboke c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 155 aux para 43–44).

(2) Le premier volet

[40] La famille Rodriguez soutient que la SAR aurait commis une erreur dans son appréciation du premier volet des PRI viables. Selon la famille Rodriguez, la SAR aurait erré dans son analyse des éléments de preuve quant à l’appartenance des agents de persécution au CJNG. La famille Rodriguez soutient que le narratif de M. Rodriguez n’identifie pas les agents de persécution comme membres du CJNG puisque le traducteur n’aurait pas compris la nuance entre « criminel » et « délinquants du trafic de la drogue ». M. Rodriguez soutient également qu’il a identifié les agents de persécution comme membres du CJNG lorsqu’il a procédé à la dénonciation auprès des autorités mexicaines, mais que l’absence de cette mention dans la dénonciation résulterait d’une omission volontaire de la part des autorités corrompues, tel que le démontrerait le Cartable national de documentation sur le Mexique [CND].

[41] La SAR n’a pas jugé cette explication crédible et, à mon avis, elle était autorisée à conclure ainsi. L’appréciation de la preuve et de la crédibilité des demandeurs d’asile résident au cœur même de la compétence de la SAR, une compétence envers laquelle la Cour doit faire preuve de déférence (Khelili c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2022 CF 188 [Khelili] au para 25). Ici, la SAR a tenu compte des explications fournies par M. Rodriguez, mais a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves crédibles pour supporter ses hypothèses quant à une erreur de traduction et à l’absence d’identification des agents de persécution dans sa dénonciation à la police mexicaine. En fait, note la SAR, ces arguments de M. Rodriguez ne sont appuyés d’aucune preuve et se résument en fait à de simples hypothèses, ce qui est loin d’être suffisant pour rendre la Décision déraisonnable (Cilius c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 886 aux para 11–13). Par ailleurs, l’identité de l’agent de persécution constitue un fait important qu’un demandeur d’asile a le fardeau d’établir. Lorsque certains éléments fondamentaux à une demande d’asile brillent par leur absence, la SAR peut en tirer des conclusions négatives quant à la crédibilité d’un demandeur (Zamor c Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2021 CF 672 [Zamor] au para 14). Pour toutes ces raisons, je ne suis pas convaincu que l’analyse de la SAR sur l’appartenance des agents de persécution au CJNG est déraisonnable ou erronée.

[42] D’autre part, rien n’indique que la SAR aurait omis de prendre en considération la preuve pertinente quant à la corruption des autorités mexicaines. Le CND se trouvait devant la SAR au moment de rendre sa Décision — elle y fait d’ailleurs expressément référence au paragraphe 11 de la Décision —, et la SAR est présumée avoir analysé l’ensemble de la preuve devant elle, à moins de preuve à l’effet contraire (Khelili au para 29, citant Kanagendren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 86 au para 36 et Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF) (QL) au para 1).

[43] Selon la famille Rodriguez, la motivation des agents de persécution émanerait clairement de la preuve soumise. La famille Rodriguez soumet que, s’il n’y a pas eu d’incidents depuis que Mme Vasquez a changé son numéro de téléphone, c’est uniquement parce que la famille vivait cachée chez la tante de M. Rodriguez. Les agents de persécution posséderaient les informations personnelles de M. Rodriguez suite à son enlèvement et seraient en mesure d’utiliser de telles informations pour les retrouver. Ainsi, la PRI ne serait pas viable, puisque la famille Rodriguez serait contrainte de vivre cachée en cas d’un éventuel retour au Mexique. D’ailleurs, ajoute la famille Rodriguez, le CND démontrerait que les agents de persécution ont toujours la motivation de les retrouver pour « démontrer leur pouvoir et contrôle sur le territoire mexicain ».

[44] Encore une fois, je suis en désaccord avec la famille Rodriguez. Sur ce dernier point, la Décision, aux paragraphes 14 et 15, démontre sans équivoque que la SAR a tenu compte de la preuve documentaire portant sur la motivation de certains cartels à retrouver des individus pour démontrer leur pouvoir et contrôle sur le territoire mexicain. La SAR a cependant écarté cette preuve puisqu’à son avis, dans le cas de la famille Rodriguez, l’appartenance des agents de persécution au CJNG n’a pas été établie. Les motifs de la SAR à cet égard sont transparents et intelligibles, et ils justifient adéquatement la Décision.

[45] Compte tenu de l’absence totale de preuve portant sur les efforts que les agents de persécution auraient déployés pour retrouver la famille Rodriguez, la SAR pouvait raisonnablement inférer de la preuve soumise que les agents de persécution n’avaient pas la motivation requise pour poursuivre M. Rodriguez (Leon c Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CF 428 [Leon] au para 18). Même en venant à la conclusion que la conjointe de M. Rodriguez, Mme Vasquez, et leurs enfants vivaient « cachés » avant de rejoindre M. Rodriguez au Canada, cela n’explique pas pourquoi les agents de persécution n’ont pas tenté d’entrer en contact avec d’autres membres de la famille. Aux dires de M. Rodriguez, les agents de persécution possèdent l’adresse de ses parents puisqu’ils lui ont volé son téléphone au moment de l’enlèvement. Or, la preuve est tout à fait silencieuse quant à une quelconque tentative de la part des agents de persécution d’entrer en contact avec qui que ce soit une fois que Mme Vasquez eût changé son numéro de téléphone. Ceci pouvait raisonnablement servir à la SAR pour inférer que les agents de persécution n’avaient pas la motivation de retrouver la famille Rodriguez (Leon aux para 16–18). En somme, les arguments de M. Rodriguez « ne sont que de la spéculation non étayée par la preuve » (Leon au para 25). Le fait que M. Rodriguez ait fait l’objet de menace dans certaines circonstances ne suffit pas pour établir qu’il serait poursuivi partout au Mexique dans le futur, surtout en l’absence de preuve d’un intérêt continu de ses agents de persécution (Leon au para 25).

[46] Je souligne au passage qu’il n’y a pas non plus de liens entre, d’une part, la preuve générale relative à la corruption au Mexique et aux cartels mexicains, et d’autre part, la situation personnelle de la famille Rodriguez. La preuve contenue au CND, en tant que preuve documentaire objective, ne peut pas suffire à elle seule à établir l’identité et les motifs des agents de persécution et le risque de persécution invoqué par un demandeur d’asile (Zamor au para 17; Ayikeze c Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1395 au para 22). Un lien devait être tissé entre les deux, et il ne l’a pas été.

[47] En somme, la SAR a expressément tenu compte de la situation particulière de la famille Rodriguez, et a analysé ses prétentions et ses craintes. Au vu de la preuve devant elle, la SAR pouvait à bon droit conclure que la famille Rodriguez n’avait pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que ses agents de persécution auraient la motivation et l’intérêt de les poursuivre à Mérida ou dans la ville de Mexico.

(3) Le second volet

[48] Le deuxième volet du test de PRI vise à déterminer s’il serait raisonnable, pour les demandeurs, de se réinstaller dans la PRI, compte tenu de toutes les circonstances, y compris celles qui sont propres à leur situation.

[49] La famille Rodriguez soutient que la SAR aurait commis une erreur en omettant d’analyser son argument quant à la possibilité que les agents de persécution utilisent le « clave unica de registro de poblacion » de M. Rodriguez pour le retrouver. La famille Rodriguez soutient également que la SAR aurait erré en concluant que M. Rodriguez et sa conjointe pourraient raisonnablement trouver un emploi dans les PRI proposées et en omettant de considérer les données plus récentes concernant l’emploi au Mexique. La famille Rodriguez soutient qu’en considérant des données issues de la situation antérieure à la pandémie de COVID-19, , la SAR se serait livrée à une analyse erronée.

[50] Les arguments de la famille Rodriguez ne me convainquent pas. D’abord, contrairement à ce que suggère la famille Rodriguez, la SAR était bel et bien consciente que la pandémie avait un impact sur les conditions économiques du Mexique. Au paragraphe 28 de la Décision, elle mentionne avoir « pris connaissance du fait que l’économie du Mexique a été négativement touchée par la pandémie et que cela pourrait élever le taux de pauvreté de 50 % à 56 % à travers le pays ». J’ajoute que la SAR fait aussi spécifiquement référence aux conditions d’emploi prévalant dans les deux villes identifiées comme PRI, où le taux d’emploi est très élevé et où la situation économique figure parmi les plus favorables au Mexique. La SAR fait aussi référence aux études de M. Rodriguez et de sa conjointe, ainsi qu’à leur solide expérience de travail et à leur capacité d’adaptation.

[51] Je rappelle que, sur ce deuxième volet du test d’une PRI viable, le fardeau de démontrer qu’une PRI est déraisonnable incombe au demandeur d’asile, et que ce fardeau est très exigeant (Elusme c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 225 au para 25; Jean Baptiste c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1106 au para 21). En effet, la famille Rodriguez devait présenter une « preuve réelle et concrète » quant à un risque mettant en péril leur vie et leur sécurité s’ils devaient se relocaliser dans les PRI (Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164 (CAF) au para 15; Olusola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 799 au para 9). Cette preuve n’a pas été faite, loin de là.

[52] Au final, les arguments de la famille Rodriguez manifestent plutôt leur désaccord quant à l’appréciation de la preuve faite par la SAR et suggèrent à la Cour une évaluation différente de celle-ci. Or, il est bien acquis que ceci n’est pas suffisant pour que la Cour intervienne (Khelili au para 25). La famille Rodriguez n’a soulevé aucune lacune grave dans la Décision et, dans une telle situation, la Cour doit faire preuve de déférence envers les conclusions de la SAR (Vavilov au para 100). La Cour n’est pas autorisée à intervenir simplement parce qu’un demandeur est en désaccord avec l’appréciation de la preuve. En l’espèce, je suis d’avis que la Décision possède les attributs d’intelligibilité, de transparence et de justification requis en vertu de la norme de la décision raisonnable, et qu’il n’y a pas lieu pour la Cour de substituer son opinion à celle de la SAR.

[53] Encore une fois, l’expertise de la SAR en matière d’immigration exige que la Cour fasse preuve d’une grande déférence à l’égard de ses conclusions sur ce deuxième volet du test (Singh au para 32).

IV. Conclusion

[54] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire de la famille Rodriguez est rejetée.

[55] Aucune partie n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification, et je suis d’accord qu’il n’y en a aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-2165-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2165-22

INTITULÉ :

RODRIGUEZ SANCHEZ ET AL. c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 JANVIER 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

LE 28 MARS 2023

COMPARUTIONS :

Me Ana Mercedes Henriquez

Pour LES DEMANDEURS

Me Mario Blanchard

Pour LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Henriquez Avocate Inc.

Montréal (Québec)

Pour LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour LE DÉFENDEUR

 

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