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Date : 20230328


Dossier : T‐1118‐20

Référence : 2023 CF 428

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 mars 2023

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

LOUIS BOUDREAU

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Boudreau sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 24 août 2020 par laquelle le sous‐ministre [le SM] du ministère des Pêches et des Océans du Canada [le MPO] a rejeté sa demande de prolongation d’une autorisation de recourir à un exploitant substitut pour des raisons médicales [ESM] relativement à son permis de pêche au homard [la décision du SM]. Depuis 1988, M. Boudreau s’est vu délivrer chaque année un permis de pêche au homard. À compter de 2005, en raison de l’incapacité physique dont souffre M. Boudreau, le MPO lui a accordé une autorisation de recourir à un ESM pour son permis de pêche au homard. Cette autorisation permet à quelqu’un d’autre d’exploiter son bateau de pêche.

[2] Pour refuser la prolongation de l’autorisation de recourir à un ESM en 2020, le SM a conclu qu’il n’y avait aucune circonstance atténuante qui justifiait une autre prolongation et il a fait remarquer que la Loi sur les pêches, LRC 1985, c F‐14, ne prévoit aucun droit perpétuel de tirer des revenus d’un permis de pêche.

[3] M. Boudreau prétend que la décision du SM est contraire à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‐U), 1982, c 11 [la Charte], car elle fait preuve de discrimination à son endroit pour cause de déficience physique. Il ajoute que sa cause soulève les mêmes questions que celles qui ont été examinées dans la décision Robinson c Canada (Procureur général), 2020 CF 942 [Robinson CF], confirmée par l’arrêt Canada (Procureur général) c Robinson, 2022 CAF 59 [Robinson CAF].

[4] Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Je conviens que, comme dans la décision Robinson CF, la décision du SM ne répond pas à l’argument de M. Boudreau selon lequel la décision du SM de le priver d’un ESM ne met pas en balance de manière proportionnée son droit d’être à l’abri de toute discrimination pour cause de déficience, au sens de l’article 15 de la Charte.

I. Le contexte

[5] M. Boudreau est un pêcheur âgé de 82 ans qui détient un permis de pêche au homard depuis 1988. En 2005, après être devenu physiquement incapable de se trouver à bord de son bateau de pêche pendant un temps prolongé, il a présenté une demande d’autorisation de recourir à un ESM sous le régime de la Politique d’émission des permis pour la pêche commerciale dans l’Est du Canada ‐ 1996 [la Politique de 1996] du MPO. La Politique de 1996 fixe à une durée cumulative maximale de cinq ans la possibilité qu’un titulaire de permis recoure à un ESM.

[6] En 2005, M. Boudreau s’est vu accorder une autorisation de recourir à un ESM, et cet ESM était son fils. Cette autorisation a été renouvelée chaque année jusqu’en 2016, date à laquelle il a été informé qu’il n’y aurait plus d’autres prolongations.

[7] Le refus a été expliqué comme suit. En 2008, à la suite du ralentissement de l’économie, le MPO a adopté une approche plus souple à l’égard des autorisations de recourir à un ESM, ainsi qu’à l’égard de la période maximale de cinq ans. Cependant, en 2015, à la suite de plaintes de la Fédération des pêches indépendantes du Canada, le MPO s’est remis à appliquer de manière stricte la limite de cinq ans parce que, dans certains cas, sa politique assouplie en matière de recours à un ESM permettait à des personnes morales de mettre la main sur des permis. Le contrôle exercé par des personnes morales sur des permis de pêche contrevient à l’objet de la Politique de 1996, qui consiste à promouvoir le développement économique des collectivités de pêche côtières au moyen de permis délivrés à des propriétaires‐exploitants.

[8] Rien ne donne à penser que M. Boudreau s’est livré à ce genre d’activité. Il n’est pas allégué non plus que l’exploitation de pêche de M. Boudreau est contrôlée par une personne morale. Au contraire, il ressort de la preuve que M. Boudreau assure lui‐même entièrement l’exploitation et le contrôle de son entreprise de pêche pendant qu’il recourt à un ESM. Il continue de prendre la totalité des décisions opérationnelles liées à l’entreprise de pêche, ce qui inclut la négociation du prix des prises au quai, l’organisation des achats d’appâts et de carburant ainsi que la gestion des affaires financières liées à l’exploitation de pêche. La seule limite qu’a M. Boudreau quant à son exploitation de pêche est qu’il ne peut pas se trouver physiquement à bord de son bateau de pêche.

A. Le Comité régional d’appel relatif à la délivrance des permis pour les Maritimes

[9] Après avoir été informé en 2016 qu’aucune autre prolongation de son autorisation de recourir à un ESM serait étudiée, en avril 2017 M. Boudreau a fait appel auprès du Comité régional d’appel relatif à la délivrance des permis pour les Maritimes [le CRADPM]. À la suite de cet appel, l’autorisation de recourir à un ESM a été prolongée jusqu’au 30 juin 2017.

[10] M. Boudreau a interjeté un second appel auprès du CRADPM. Le 31 mai 2018, celui‐ci a prolongé une fois de plus l’autorisation jusqu’au 30 juin 2018, mais il a informé M. Boudreau qu’aucune autre prolongation ne serait prise en considération.

B. L’Office des appels relatifs aux permis de pêche de l’Atlantique

[11] M. Boudreau a interjeté appel de la décision du SM du 31 mai 2018 auprès de l’Office des appels relatifs aux permis de pêche de l’Atlantique [l’OAPPA], qui a tenu une audience le 29 mars 2019.

[12] Dans les observations qu’il a soumises à l’OAPPA, M. Boudreau a fait valoir qu’il continuait d’assurer entièrement la garde et le contrôle de son permis et qu’il avait répondu aux conditions fixées dans la décision du SM à la suite de l’appel interjeté auprès du CRADPM en 2017, soit de fournir des documents médicaux relatifs à son pronostic ou de faire état d’une stratégie de retrait du secteur de la pêche. M. Boudreau a transmis une lettre de son médecin, qui indiquait qu’il pourrait vraisemblablement retourner à la pêche active dans un avenir rapproché. M. Boudreau a aussi confirmé que son exploitation de pêche est une entreprise familiale, et que son fils agit comme exploitant substitut. Il a fait valoir que les droits que lui garantit la Charte devraient être pris en considération, car rien dans la Politique de 1996 ne justifiait une atteinte à ses droits.

[13] Dans un document intitulé [TRADUCTION] « Résumé de cas et recommandation », l’OAPPA signale que M. Boudreau s’est vu accorder de nombreuses exceptions à la politique sur les ESM et qu’il paraissait peu probable qu’il puisse reprendre un jour la pêche active, car il s’était présenté à l’audience sur une voiturette motorisée. L’OAPPA a décidé que les 14 années pendant lesquelles M. Boudreau avait obtenu une autorisation de recourir à un ESM lui avaient procuré tout le temps nécessaire pour se remettre de l’affection médicale qui l’empêchait de pêcher, si tant est qu’il était possible de s’en remettre. L’OAPPA a aussi signalé que M. Boudreau semblait bien placé pour se retirer du secteur de la pêche.

[14] L’OAPPA a recommandé de confirmer la décision du CRADPM de ne pas prolonger l’autorisation de recourir à un ESM dont avait bénéficié M. Boudreau. La justification de l’OAPPA était que ce dernier avait été traité de manière équitable, conformément aux politiques, aux pratiques et aux procédures en matière de délivrance de permis du MPO, ce qui comprenait un avis du changement de politique et deux prolongations supplémentaires d’un an, qui avaient accordé un temps suffisant pour planifier son retrait du secteur de la pêche. De plus, l’OAPPA a conclu qu’il n’y avait aucune circonstance atténuante qui justifiait l’octroi d’une autre prolongation, parce que le MPO avait examiné de bonne foi la situation personnelle de M. Boudreau et que celui‐ci ne s’exposait pas à un fardeau financier excessif si la décision du SM était confirmée, car il pouvait vendre le permis.

[15] L’OAPPA a également conclu que les arguments fondés sur la Charte qu’invoquait M. Boudreau débordaient le cadre de son mandat et qu’ils ne seraient pas pris en compte.

II. La décision faisant l’objet du présent contrôle

[16] La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la décision qu’a rendue le SM du MPO le 24 août 2020 et qui indique ce qui suit :

[traduction]

Après avoir soigneusement examiné l’ensemble des renseignements pertinents, dont la décision régionale, les documents soumis à l’OAPPA, la recommandation de l’OAPPA, ainsi que vos allégations de discrimination au sens de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, j’ai décidé de confirmer la décision rendue le 31 mai 2018 par le directeur général régional de la Région des Maritimes du MPO.

Je suis d’avis qu’on vous a traité équitablement et d’une manière conforme aux politiques, aux pratiques et aux procédures du Ministère en matière de délivrance de permis. J’estime que les circonstances de la présente affaire ne constituent pas des circonstances atténuantes qui justifieraient une autre exception à la politique. La Loi sur les pêches ne prévoit aucun droit perpétuel de tirer des revenus d’un permis de pêche. De plus, le fait de continuer à vous accorder des autorisations de recourir à un exploitant substitut pour des raisons médicales minerait les objectifs qui sous‐tendent les politiques du MPO.

J’ai le regret de vous informer que votre demande en vue d’obtenir une exception supplémentaire à la politique sur les exploitants substituts pour des raisons médicales est rejetée.

[17] Comme il a été signalé dans la décision Robinson CF, au paragraphe 65 :

[...] Dans les cas où le dossier présenté au décideur inclut des recommandations qui fournissent une analyse du cas et qui sont effectivement adoptées par le décideur, une telle documentation peut aider à comprendre le raisonnement du décideur (voir Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‐Neuve‐et‐Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [NLNU] au para 15; Elson CAF au para 54).

[18] Dans la présente affaire, on trouve dans le dossier certifié du tribunal des documents supplémentaires qu’il est utile de prendre en considération.

[19] Le directeur général régional par intérim de la Région des Maritimes a rédigé une note de service à l’intention du SM [la note de service au SM]. Le SM a signé cette note de service, confirmant qu’il souscrivait à la recommandation formulée. À cette note de service était également jointe une analyse ministérielle des recommandations de l’Office des appels relatifs aux permis de pêche de l’Atlantique [l’analyse ministérielle], à soumettre à l’examen du SM.

[20] L’analyse ministérielle énonce les objectifs de la Loi sur les pêches et des politiques du Ministère, lesquels consistent notamment à veiller à ce que les bienfaits de la pêche côtière restent dans les collectivités côtières où résident les titulaires de permis. L’analyse ministérielle passe également en revue la politique sur les propriétaires‐exploitants ainsi que la politique sur les ESM que contient la Politique de 1996. Elle en examine les effets sur M. Boudreau et indique :

[traduction]

Lors d’une réunion avec le Comité régional d’appel relatif à la délivrance des permis pour les Maritimes, M. Boudreau a indiqué qu’il avait l’intention de demander que le permis soit réassigné à son fils, mais que celui‐ci avait besoin de plus de temps pour apprendre à exploiter l’entreprise. Plus de deux ans se sont écoulés depuis lors, et il n’a présenté aucune demande au Ministère en vue de la réassignation du permis à un autre pêcheur admissible. Le Ministère considère que la conclusion de l’OAPPA est raisonnable. Il est peu vraisemblable que M. Boudreau puisse reprendre l’activité de pêche.

Néanmoins, M. Boudreau a fourni à l’OAPPA une lettre de son médecin, datée du 26 mars 2019 et indiquant qu’il sera probablement apte à recommencer à pêcher à temps plein en 2020. Si tel est le cas, une autre exception à la politique sur les exploitants substituts pour des raisons médicales n’est pas requise, car il serait en mesure d’exploiter lui‐même le permis qui lui serait délivré.

M. Boudreau dispose d’autres options au cas où il lui serait impossible d’exploiter lui‐même le permis, comme demander au Ministère que le permis soit délivré de nouveau, sous la forme d’un permis de remplacement, à un autre pêcheur admissible qu’il recommanderait. M. Boudreau pourrait toucher personnellement plus de 600 000 $ à la suite de cette transaction privée. M. Boudreau conserve cette option, quel que soit le résultat de la présente décision. En se fondant notamment sur le fait que M. Boudreau garde la possibilité de demander qu’un permis de remplacement soit délivré à un pêcheur admissible qu’il recommanderait, ce qui lui permettrait de toucher une somme d’environ 600 000 $, le Ministère est d’avis que les effets qu’aurait sur lui une décision défavorable sont minimes.

[21] L’analyse ministérielle signale que l’octroi d’une autorisation de recourir à un ESM pendant un temps indéfini est incompatible avec les objectifs de principe qui se rapportent à la délivrance de permis, car cela contournerait l’intention du MPO de maintenir un régime d’exploitants‐propriétaires indépendants. Comme le confirme cette analyse :

[traduction]

[...] les permis de pêche ne constituent pas un élément d’actif du titulaire et n’ont jamais été conçus pour servir de mécanismes de production de revenu à la retraite. La Loi sur les pêches ne garantit aucun avantage de cette nature. Les titulaires de permis n’ont pas le droit légal de recevoir un permis de pêche année après année, ni de le recevoir assorti des mêmes conditions de pêche que dans le passé. C’est donc dire que la sécurité de revenu dont M. Boudreau se plaint d’être privé parce que l’autorisation de recourir à un ESM ne lui est pas accordée n’est pas un avantage que la Loi sur les pêches garantit à n’importe quel titulaire de permis.

[22] L’analyse ministérielle conclut que toute distinction que crée l’application du plafond relatif aux ESM découlerait de l’âge et de l’état de santé de M. Boudreau, qui sont incompatibles avec les exigences physiques de la pêche, et il y est recommandé de refuser de prolonger l’autorisation de recourir à un ESM.

[23] Dans une note de service datée du 30 juillet 2020 et contenant des passages caviardés, il est recommandé de rejeter la demande de prolongation de l’autorisation de M. Boudreau de recourir à un ESM :

[traduction]

[CAVIARDÉ] le Ministère est d’avis que les droits que garantit la Charte à M. Boudreau ne sont pas en jeu. Même s’ils l’étaient, l’objet de la Loi sur les pêches est d’encadrer la gestion et le contrôle appropriés du secteur des pêches. Les principaux éléments qui permettent de réaliser cet objet comprennent : la conservation, l’utilisation durable, l’autosuffisance, une gérance partagée, un accès prévisible et transparent, maintenir une flottille côtière économiquement viable et veiller à ce que les bienfaits découlant des permis soient répartis entre les titulaires de permis et la collectivité côtière à laquelle ils appartiennent. La Politique sur les exploitants‐propriétaires vise à réaliser cet objet.

Le fait d’autoriser la présence d’ESM pendant un temps indéfini dans des circonstances semblables à celles dans lesquelles se trouve M. Boudreau mine les objectifs du régime de gestion des activités de pêche. Cela serait également incompatible avec les objectifs de la politique sur les ESM et l’objet de la loi, lesquels consistent à ne pas procurer d’avantages ou un soutien financiers de nature perpétuelle aux personnes dont l’âge, l’état de santé ou l’état physique ne leur permettent pas d’exploiter des activités de pêche. Cela étant, le Ministère est d’avis qu’il est raisonnable de rejeter la demande de M. Boudreau [CAVIARDÉ].

III. Les dispositions législatives et les politiques applicables

[24] Voici les dispositions législatives applicables.

[25] Le paragraphe 15(1) de la Charte dispose :

La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

[26] Le paragraphe 23(2) du Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93‐53 indique :

Si, en raison de circonstances indépendantes de leur volonté, le titulaire d’un permis ou l’exploitant désigné dans le permis sont dans l’impossibilité de se livrer à l’activité autorisée par le permis ou d’utiliser le bateau indiqué sur le permis, l’agent des pêches ou tout autre employé du ministère chargé de délivrer des permis peut, à la demande du titulaire ou de son mandataire, autoriser par écrit :

a) soit une autre personne à pratiquer cette activité en vertu du permis;

b) soit l’emploi d’un autre bateau aux termes du permis.

Where the holder of a licence or the operator named in a licence is unable to engage in the activity authorized by the licence or use the vessel specified in the licence because of circumstances beyond the control of the holder or operator, a fishery officer who is employed by the Department or any employee of the Department engaged in the issuance of licences may, on the request of the holder or the holder’s agent, authorize in writing

(a) another person to carry out the activity under the licence; or

(b) the use of another vessel under the licence.

[27] Le paragraphe 11(11) de la Politique de 1996 prévoit ce qui suit :

Si le titulaire d’un permis est affecté d’une maladie qui l’empêche d’exploiter son bateau de pêche, il peut être autorisé, sur demande et présentation de documents médicaux appropriés, à désigner un exploitant substitut pour la durée du permis. Cette désignation ne peut être supérieure à une période de cinq années.

IV. Les questions en litige

[28] La présente demande soulève les questions suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle qui s’applique à la décision du SM sur la question relative à la Charte?

  2. La décision du SM fait‐elle entrer en jeu la Charte?

  3. La décision du SM a‐t‐elle pris en considération et mis en balance les arguments M. Boudreau fondés sur l’article 15 de la Charte?

  4. La décision du SM est‐elle raisonnable?

V. Analyse

A. Quelle est la norme de contrôle qui s’applique à la décision du SM sur la question relative à la Charte?

[29] L’avocat de M. Boudreau a confirmé qu’il ne conteste pas la constitutionnalité de la Politique de 1996. Cependant, M. Boudreau maintient bel et bien que le défaut du SM de prendre en compte de manière substantielle les droits que lui garantit la Charte constitue une erreur de droit et est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[30] M. Boudreau se fonde sur l’arrêt Canadian Broadcasting Corporation v Ferrier, 2019 ONCA 1025 [Ferrier] à l’appui de l’argument selon lequel, si un décideur omet de prendre en compte un droit que la Charte garantit à un particulier, cette omission peut constituer une question de droit d’une importance fondamentale pour le système juridique, ce qui est susceptible d’entraîner l’application de la norme de la décision correcte selon l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[31] Dans la décision Robinson CF, le juge Southcott a appliqué l’arrêt Ferrier, mais la CAF a statué que la norme de contrôle appropriée était la décision raisonnable, car la décision faisant l’objet du contrôle ne répondait pas à un argument que le demandeur avait soulevé, à savoir s’il y avait eu violation des droits que lui garantissait la Charte, et que, de ce fait, la décision n’était pas justifiée ou transparente, conformément à l’arrêt Vavilov (Robinson CAF, au para 28).

[32] Le défendeur soutient que la décision du SM est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov) et que, conformément à l’arrêt Doré c Barreau du Québec, 2012 CSC 12 [Doré], la norme de la décision raisonnable s’applique à la manière dont un décideur met en balance les protections conférées par la Charte et d’autres éléments pertinents.

[33] À mon avis, la norme de contrôle applicable est la décision raisonnable. Dans l’arrêt Robinson CAF, la Cour a conclu que la norme appropriée était la décision raisonnable, et le cadre exposé dans l’arrêt École secondaire Loyola c Québec (Procureur général), 2015 CSC 12 pour ce qui est du contrôle judiciaire des questions relatives à la Charte étaye l’exercice d’un contrôle fondé sur la norme de la décision raisonnable. Si le SM a omis de prendre en compte les arguments relatifs à la Charte que M. Boudreau a soulevés, sa décision serait déraisonnable parce qu’il aurait omis de traiter d’un important argument qui a été soulevé.

B. La décision du SM fait‐elle entrer en jeu la Charte?

[34] Pour prouver qu’il y a eu violation du paragraphe 15(1), le demandeur est tenu de montrer que la loi ou la mesure de l’État contestée : 1) crée, à première vue ou par son effet, une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue, et 2) impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage : R c Sharma, 2022 CSC 39 au para 28 [Sharma]; Fraser c Canada (Procureur général), 2020 CSC 28 au para 27.

[35] M. Boudreau fait valoir que le refus d’accorder une autorisation de recourir à un ESM est une violation à première vue du droit que lui garantit le paragraphe 15(1) de la Charte, car la décision du SM lui impose manifestement un traitement différentiel, comparativement à un titulaire de permis non atteint d’une déficience ou aux titulaires de permis auxquels sont délivrés d’autres permis de remplacement. M. Boudreau signale qu’il existe d’autres catégories d’autorisation de recourir à un exploitant substitut que prévoit la Politique d’émission des permis pour la pêche commerciale dans la région des Maritimes, qui met en œuvre la Politique de 1996. Des autorisations peuvent être accordées pour des motifs appelés « Mesure de compassion » et « Représentant d’une association », et ces autorisations ne sont pas assorties d’un plafond cumulatif, contrairement à l’autorisation de recourir à un ESM. M. Boudreau soutient que cette distinction perpétue un désavantage pour les personnes déficientes qui, du fait de leur état, sont forcées de se retirer de la profession qu’ils ont choisi d’exercer.

[36] Le défendeur soutient que la Charte n’entre pas en jeu, car M. Boudreau cherchait à obtenir un avantage qui n’est pas disponible selon la loi. Il a qualifié la demande d’autorisation de recourir à un ESM de M. Boudreau de demande liée à l’âge et il fait valoir que, en fait, celui‐ci cherche à obtenir un droit de pêche perpétuel. Il signale que la Loi sur les pêches n’accorde à personne des avantages perpétuels. Il soutient également que la décision Robinson CF se distingue de la présente espèce, car M. Robinson n’était âgé que de 58 ans.

[37] Le défendeur est de plus d’avis qu’une distinction fondée sur l’âge ne met pas forcément en jeu la Charte. Il invoque à cet égard l’arrêt Gosselin c Québec (Procureur général), 2002 CSC 84 au paragraphe 31. Il fait valoir aussi que la Charte n’est pas en jeu parce qu’une distinction fondée sur les capacités réelles est rarement discriminatoire (Sharma, au para 53).

[38] À mon avis, l’invocation, par le défendeur, de l’arrêt Sharma pour faire valoir que la Charte ne s’applique pas aux faits de la présente espèce est injustifiée. Au stade du contrôle judiciaire, le rôle de la Cour ne consiste pas à procéder à une analyse de l’article 15, mais plutôt à décider si le SM – dans les limites du cadre décisionnel administratif exposé dans l’arrêt Doré – a procédé à l’analyse nécessaire.

[39] Je ne souscris pas à l’affirmation du défendeur selon laquelle M. Boudreau cherchait à obtenir un avantage qui n’est pas offert sous le régime de la Loi sur les pêches, soit un droit de pêche perpétuel. Selon les observations qu’a soumises M. Boudreau à l’OAPPA, ainsi que les arguments qu’a invoqués son avocat à l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire, M. Boudreau exploite encore activement son exploitation de pêche, et il cherche à pouvoir continuer de le faire en recourant à un ESM. M. Boudreau indique qu’il ne cherche pas à obtenir un fonds de retraite ou à tirer un revenu perpétuel de son permis de pêche; il souhaite plutôt obtenir le même avantage que celui dont jouit n’importe quel autre titulaire de permis, c’est‐à‐dire le droit d’exploiter le permis.

[40] Le MPO a adopté une position semblable dans l’affaire Robinson CF, à savoir que le demandeur cherchait à obtenir un avantage que la loi n’offre pas. Dans la décision Robinson CF, la Cour s’est dite convaincue que la durée maximale de cinq ans fixée pour le recours à un ESM crée une distinction fondée sur une déficience physique qui fait entrer en jeu l’article 15 de la Charte et, elle a conclu ce qui suit :

[53] Au moment d’analyser ces arguments, j’ai examiné à la fois le régime législatif sous lequel la pêche canadienne est gérée et les pratiques utilisées par le MPO pour assurer une telle gestion. Le procureur général a raison de dire que le titulaire d’un permis de pêche n’a pas le droit légal d’obtenir un renouvellement de son permis à son expiration. Comme l’a expliqué la juge Strickland, au paragraphe 3 de la décision du SM Elson c Canada (Procureur général), 2017 CF 459 [Elson CF] (conf par 2019 CAF 27 [Elson CAF]), au sujet de la Politique de 1996 :

3 Au fil des ans, le MPO a mis en œuvre diverses politiques pour encadrer la gestion des pêches. Parmi ces politiques, la Politique d’émission des permis pour la pêche commerciale dans l’Est du Canada – 1996 (« politique de 1996 »), a été révisée depuis son adoption, mais demeure en vigueur. La politique de 1996 décrit le permis de pêche comme un instrument par lequel le ministre accorde, conformément aux pouvoirs discrétionnaires que lui confère la Loi sur les pêches, la permission à une personne, qui peut être une organisation autochtone, de récolter certaines espèces de poissons ou de plantes marines sous réserve des conditions du permis. Il ne s’agit absolument pas d’une permission permanente, car celle‐ci prend fin en même temps que le permis. Le titulaire du permis se voit accorder un privilège de pêche limitée et non un « droit de propriété » absolu ou permanent. De manière générale, tout permis de pêche doit être renouvelé, ou « remplacé » chaque année.

[54] Cependant, M. Robinson fait référence à la pratique du MPO – en supposant que le titulaire de permis se conforme aux conditions établies – de délivrer de nouveau le permis au titulaire de permis chaque année, ou de délivrer un permis [traduction] « de remplacement » à une autre personne admissible, à la demande du titulaire de permis. M. Knight a décrit cette pratique touchant le remplacement dans son affidavit. La pratique est également décrite dans la Politique de 1996.

[55] À l’appui de la pratique consistant à délivrer de nouveau un permis, année après année, à un titulaire de permis donné, M. Robinson souligne l’explication de cette pratique dans le chapitre rédigé par David G Henley, « The Fishing Industry », dans Aldo Chricop et coll, éd, Canadian Maritime Law, 2e éd (Toronto : Irwin Law, 2016) 1024, aux p 1041‐1042. Je ne crois pas que l’existence de cette pratique prête à controverse entre les parties. En effet, dans l’arrêt Saulnier c Banque Royale du Canada, 2008 CSC 58, la Cour suprême a reconnu que la stabilité du secteur de la pêche dépendait du renouvellement prévisible des permis par le ministre année après année (au para 14).

[56] La question consiste à savoir si, dans un tel contexte, le traitement différentiel qui, selon M. Robinson, fait intervenir ses droits garantis par le paragraphe 15(1), comporte ce que l’on peut qualifier de négation du droit au même bénéfice de la loi. Selon moi, c’est la bonne façon de décrire la situation. M. Robinson n’a pas plus le droit de faire renouveler son permis chaque année que tout autre titulaire de permis. Bien qu’il existe une pratique établie à cet égard, le renouvellement (ou, plus précisément, la délivrance d’un nouveau permis) demeure assujetti au pouvoir discrétionnaire absolu du ministre en vertu de l’article 7 de la Loi. Cependant, si le ministre lui délivre un nouveau permis, la capacité de M. Robinson de se prévaloir des avantages découlant de cet acte légal diffère de celle des autres titulaires de permis qui n’ont pas de déficience physique découlant d’un problème de santé. M. Robinson ne peut pas pêcher sans bénéficier d’une condition de permis précise, c’est‐à‐dire l’autorisation visant le recours à un ESM. Par conséquent, la décision du SM de refuser de lui accorder une telle autorisation fait nécessairement intervenir ses droits garantis par le paragraphe 15(1), en tant que personne ayant une déficience physique.

[57] J’accepte les observations de M. Robinson concernant les deux étapes du critère établi dans l’arrêt Alliance. La situation est différente de celle dont il était question dans l’arrêt Auton, où les requérants demandaient un avantage que la loi n’offrait pas. La loi accorde des bénéfices aux pêcheurs, une fois qu’ils ont obtenu un permis, et la gestion des bénéfices qui découlent des permis doit être conforme aux valeurs de la Charte.

[41] Compte tenu de ce qui précède, j’admets que la Politique de 1996 crée une distinction à première vue qui est fondée sur une déficience et que, de ce fait, la décision du SM fait entrer en jeu la Charte. Je rejette l’affirmation du défendeur selon laquelle la décision Robinson CF se distingue de la présente espèce, car la distinction que crée la décision du SM est fondée sur une déficience, et non sur l’âge.

C. La décision du SM a‐t‐elle pris en considération et mis en balance les arguments de M. Boudreau fondés sur l’article 15 de la Charte?

[42] M. Boudreau fait valoir que la décision du SM omet de tenir compte des arguments fondés sur la Charte qu’il a invoqués ou de sa déficience. Il signale que la Loi sur les pêches ou les politiques applicables ne comportent aucun critère en matière de limite d’âge ou d’âge de la retraite obligatoire. Il fait valoir que le refus de renouveler l’autorisation de recourir à un ESM était fondé uniquement sur sa déficience physique. Il déclare qu’il ne cherche pas à obtenir un avantage ou un revenu de retraite perpétuels, car il exploite et gère encore activement, depuis la côte, tous les aspects de son exploitation de pêche. Il fait valoir que la décision du SM l’oblige à renoncer à son moyen de subsistance du seul fait de sa déficience.

[43] M. Boudreau allègue aussi que sa situation est la même que celle dont il est question dans l’affaire Robinson et qu’il convient donc d’arriver à un résultat semblable.

[44] Le défendeur fait valoir que la différence d’âge entre M. Boudreau et M. Robinson fait en sorte que la situation de M. Boudreau est tout à fait différente. M. Robinson était âgé de 58 ans, tandis que M. Boudreau était âgé de 79 ans au moment où le SM a rendu sa décision.

[45] Le défendeur fait valoir que la manière dont le SM traite de la question relative à l’article 15 est raisonnable car M. Boudreau, de son propre aveu, ne peut physiquement pas se trouver à bord de son bateau de pêche. Cette incapacité physique a été prise en compte de nombreuses années durant, et ce, au‐delà de la durée maximale que prévoit la Politique de 1996. M. Boudreau a eu droit à cinq prolongations supplémentaires, de 2016 jusqu’à 2020, pour cause de circonstances atténuantes (2016‐2018) et, plus tard, à la suite de son appel auprès de l’OAPPA (2019‐2020). Il s’est donc vu accorder pendant ses années de travail l’avantage (la capacité d’exploiter le permis malgré son incapacité d’être physiquement présent à bord du bateau) dont disposent tous les titulaires de permis.

[46] À mon avis, les arguments du défendeur ne portent pas sur la question qui est soulevée dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire : le SM a‐t‐il pris en considération et mis en balance les arguments fondés sur la Charte que M. Boudreau a invoqués?

[47] Pour ce qui est des arguments relatifs à la Charte, la décision du SM confirme la recommandation de l’OAPPA, qui mentionne expressément que la question fondée sur l’article 15 que M. Boudreau a invoquée [TRADUCTION] « débord[e] le cadre de son mandat ». Comme le SM a adopté la recommandation de l’OAPPA, il a lui aussi souscrit à la conclusion que la Charte n’a pas été prise en considération parce qu’elle débordait le cadre du mandat de l’OAPPA.

[48] Dans les observations qu’il a soumises à l’OAPPA, M. Boudreau a confirmé qu’il exerce un contrôle complet sur son exploitation de pêche, même s’il n’est pas lui‐même présent à bord du bateau. Pour les 16 saisons de pêche, c’est son fils qui a été son ESM. Il a produit une lettre d’un acheteur, Premium Seafoods Group, qui confirme qu’il est encore le capitaine de terre et qu’il s’occupe des prix et des ventes. M. Boudreau a également fourni des factures de services publics pour les bâtiments qui sont associés à son exploitation de pêche, toutes à son nom. Devant l’OAPPA, M. Boudreau a fait valoir que, sans son ESM, il ne pourrait pas exploiter le permis et qu’il ne pourrait donc pas continuer de financer son exploitation de pêche, qui employait directement trois membres de la collectivité et qui contribuait à la viabilité économique de la collectivité côtière à laquelle il appartient.

[49] Dans sa décision, le SM ne traite pas de ces arguments. L’analyse ministérielle, sur laquelle le SM s’est vraisemblablement appuyé, n’en traite pas non plus. Il n’y a aucun examen ou aucune analyse quant à la raison pour laquelle M. Boudreau est tenu de se trouver physiquement à bord du bateau pour [traduction] « exploiter le permis personnellement », même si cet argument a été explicitement soulevé devant l’OAPPA. À cet égard, la décision du SM est la même que celle dont il est question dans la décision Robinson CF, où le SM avait omis de prendre en considération le fond des arguments relatifs à la Charte.

[50] Le défendeur fait valoir que la décision du SM reflète une mise en balance proportionnée des protections que confère la Charte. Dans sa décision, le SM conclut que le fait de permettre à M. Boudreau d’utiliser pendant un temps indéfini une autorisation de recourir à un ESM minerait les objectifs du régime de gestion des pêches, ce qui, d’après le défendeur, est la mise en balance qu’exige l’arrêt Doré.

[51] Cependant, même si la décision du SM signale que les permis de pêche ne sont pas un élément d’actif pour les titulaires de permis et ne sont pas conçus pour être utilisés comme un mécanisme de production de revenus à la retraite, cela ne répond essentiellement pas aux arguments de M. Boudreau selon lesquels, en tant que personne atteinte d’une déficience, il ne devrait pas être tenu de renoncer au moyen de subsistance qu’il a choisi. C’est cet argument‐là qu’il fallait mettre en balance avec les objectifs de principe. Le SM devait examiner s’il était possible d’atteindre raisonnablement ces objectifs de principe d’une façon qui atténuait l’effet sur les droits à l’égalité de M. Boudreau.

[52] La décision du SM omet de soupeser la violation des droits de M. Boudreau par rapport aux objectifs que fixe la Loi. Rien n’est dit au sujet du fait d’essayer de tenir compte de la déficience dont souffre M. Boudreau. Comme dans la décision Robinson CF, la seule option ou solution de rechange envisagée dans la décision du SM, ou dans les documents justificatifs, est le retrait de M. Boudreau du secteur de la pêche. L’analyse ministérielle conclut expressément qu’étant donné que M. Boudreau peut vendre son permis, les effets du refus de lui accorder une autorisation de recourir à un ESM sont minimes.

[53] À la lumière de l’affaire Robinson, et compte tenu de la décision du SM et des documents sous‐jacents, je conclus que le SM n’a pas examiné le fond des arguments de M. Boudreau, à savoir qu’il se conforme aux objectifs de principe en exerçant un contrôle sur l’exploitation de pêche malgré son incapacité à se trouver à bord du bateau. Des options moins attentatoires étaient peut‐être disponibles, mais aucune option, hormis le retrait de M. Boudreau du secteur de la pêche, n’a été prise en considération. Il ne suffit pas pour le SM de dire que les arguments fondés sur l’article 15 ont été pris en considération; sa décision doit établir qu’elle est « le fruit d’une mise en balance proportionnée des droits en cause protégés par la Charte » (Doré, au para 57).

[54] Je conclus que le SM n’a pas pris en considération la question fondée sur l’article 15 de la Charte que M. Boudreau a soulevée, pas plus qu’il n’y a répondu.

D. La décision du SM est‐elle raisonnable?

[55] Je signale que la décision du SM fait référence aux arguments fondés sur l’article 15 de la Charte que M. Boudreau a invoqués. Cependant, sa décision et les documents sous‐jacents ne montrent pas que les arguments fondés sur l’article 15 pour cause de déficience ont été analysés. La décision du SM et les documents sous‐jacents sont axés sur l’âge de M. Boudreau et sur ce qui a été considéré comme une demande de permis de pêche perpétuel. La question de savoir si l’application des politiques était discriminatoire à l’endroit de M. Boudreau n’a pas été évaluée.

[56] Comme il a été signalé dans l’arrêt Robinson CAF :

[28] Un décideur administratif n’a pas à tenir compte de la Charte dans chaque décision qu’il rend (Loyola au para. 4). Toutefois, lorsque, comme en l’espèce, une partie soulève carrément la question de la protection de la Charte, l’absence inexpliquée d’une réponse à la question de savoir si l’application de la Charte est déclenchée ne peut résister au contrôle effectué selon la norme de la décision du SM raisonnable. Les motifs ne répondaient pas à la question telle qu’elle était formulée dans les circonstances où la partie s’attendait à obtenir une réponse (Vavilov aux para. 81 et 86) et la décision du SM ne répond pas aux critères de transparence et de justification. Comme l’a dit la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, les motifs sont le mécanisme principal par lequel les décideurs administratifs démontrent le caractère raisonnable de leurs décisions (au para. 81). Pour qu’une décision soit justifiable lorsque, comme en l’espèce, des motifs sont exigés, la décision du SM doit être justifiée par les motifs (aux para. 86 et 87).

[57] La décision du SM ne traite pas de la question relative à la Charte. De plus, elle manque de transparence parce qu’elle n’explique pas pourquoi, après 14 années de recours à un ESM, le renouvellement a été refusé. Le SM (et les documents sous‐jacents qu’il avait en main) justifie la décision en invoquant l’âge de M. Boudreau et le fait que la Loi sur les pêches ne crée pas un droit de pêche perpétuel. Ce que le SM n’a pas pris en considération, de quelque manière importante que ce soit, est que le renouvellement du permis de M. Boudreau est en fait refusé en raison de son état de santé, et ce fait met en jeu le droit que lui confère l’article 15.

VI. Conclusion

[58] Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision du SM est déraisonnable car elle ne porte pas sur le fond des arguments liés à la Charte que M. Boudreau a invoqués. La décision du SM est annulée et l’affaire est renvoyée en vue d’une nouvelle décision, conformément aux présents motifs.

VII. Les dépens

[59] En tant que partie ayant eu gain de cause, M. Boudreau a droit à ses dépens. À l’audience, les avocats des parties ont convenu de l’octroi de dépens d’un montant de 7 800 $, plus les débours raisonnables et prouvables, en faveur de la partie ayant eu gain de cause.


JUGEMENT dans le dossier T‐1118‐20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée en vue d’une nouvelle décision, conformément aux présents motifs.

  2. La somme de 7 800 $ est adjugée à M. Boudreau au titre des dépens, plus les débours raisonnables et prouvables.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Tardif

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

 

T‐1118‐20

INTITULÉ :

BOUDREAU c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

HALIFAX (NOUVELLE‐ÉCOSSE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 JANVIER 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 MARS 2023

COMPARUTIONS :

Richard W. Norman

Sian G. Laing

POUR LE DEMANDEUR

 

Sarah Drodge

Catherine McIntyre

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cox & Palmer

Halifax (N.‐É.)

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Halifax (N.‐É.)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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