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Date : 20230331


Dossier: IMM-2915-22

Référence : 2023 CF 464

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 mars 2023

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

MAJID HAGHSHENAS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par un agent d’immigration [l’agent] à l’ambassade du Canada à Ankara (Türkiye), le 18 mars 2022, selon laquelle il n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour vu le but de sa visite.

II. Faits

[2] Le demandeur est un citoyen de l’Iran âgé de 33 ans qui a présenté une demande de permis de travail dispensé d’une étude d’impact sur le marché du travail [EIMT] au titre de la catégorie C11. Cette catégorie vise les candidats qui sont entrepreneurs ou travailleurs autonomes et qui souhaitent exploiter une entreprise. Le demandeur a présenté sa demande de permis de travail le 5 octobre 2021. La demande a été refusée cinq mois plus tard, le 18 mars 2022.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[3] La lettre de refus de l’agent mentionne ce qui suit : [traduction] « Je ne suis pas convaincu que vous quitterez le Canada à la fin de votre séjour, comme l’exige le paragraphe 200(1) du RIPR, compte tenu de la raison de votre visite. » Les motifs précis figurent dans les notes que l’agent a versées dans le Système mondial de gestion des cas [SMGC], dont voici l’intégralité :

[traduction]

J’ai examiné la demande.

L’emploi envisagé par le demandeur au Canada ne semble pas raisonnable, compte tenu de ce qui suit :

Le demandeur propose de lancer une entreprise d’installation et d’entretien d’ascenseurs et d’escaliers mécaniques.

Le plan d’affaires prévoit l’embauche d’un mécanicien d’ascenseur et d’un ingénieur spécialiste des ascenseurs. Le salaire estimatif de l’ingénieur est inférieur à la moyenne provinciale.

Le plan d’affaires prévoit des profits considérables de plus de 540 000 $ durant la première année, mais aucune preuve de clients ou de contrats potentiels n’a été présentée. Les revenus prévus sont fondés sur la part de marché moyenne pouvant être obtenue. Par conséquent, les projections de revenus sont hypothétiques.

Le plan d’affaires comprend une estimation du coût de location de locaux commerciaux, mais pas de locaux industriels ou d’entreposage qui seraient requis pour l’équipement et les pièces nécessaires au soutien de l’entreprise d’installation.

Le plan d’affaires indique que l’entreprise s’enregistrera à titre d’entrepreneur autorisé pour l’installation d’ascenseurs et d’escaliers mécaniques comme l’exige la loi; cependant, aucun élément de preuve n’a été présenté montrant que le processus a été suivi, et il est donc difficile de savoir si l’entité commerciale serait considérée comme satisfaisant à ces exigences ou non.

À la lumière de ce qui précède, je ne suis pas convaincu que le demandeur a présenté un plan d’affaires qui représenterait un avantage important pour le Canada.

Après avoir apprécié les facteurs dans la présente demande, je ne suis pas convaincu que le demandeur quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

Pour les motifs qui précèdent, je rejette la demande.

IV. Questions en litige

[4] Le demandeur soulève les questions suivantes :

  • 1)Le décideur a-t-il manqué à l’équité procédurale et à la norme de la décision raisonnable?

  • 2)La décision contestée est-elle déraisonnable parce qu’elle n’établit pas de lien avec la preuve au dossier et est fondée sur des considérations extrinsèques?

V. Norme de contrôle

[5] Comme le caractère raisonnable et l’équité procédurale sont tous deux en cause, j’examinerai les deux questions.

A. Équité procédurale

[6] Les questions d’équité procédurale sont examinées selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, le juge Binnie, au para 43. Cela dit, je souligne qu’au paragraphe 69 de l’arrêt Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, la Cour d’appel fédérale, sous la plume du juge Stratas, affirme qu’il peut être de mise d’appliquer la norme de la décision correcte « “en se montrant respectueux [des] choix [du décideur]” et en faisant preuve d’un “degré de retenue” : Ré:Sonne c. Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, 455 NR 87, au paragraphe 42. » Voir cependant l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [le juge Rennie]. À cet égard, je souligne aussi un arrêt récent, dans lequel la Cour d’appel fédérale conclut que le contrôle judiciaire d’une question d’équité procédurale s’effectue selon la norme de la décision correcte : voir Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196, le juge de Montigny [les juges Near et LeBlanc souscrivant à ses motifs] :

[35] Ni l’arrêt Vavilov ni, à ce sujet, l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, n’ont abordé la question de la norme applicable pour déterminer si le décideur a respecté l’obligation d’équité procédurale. Dans ces circonstances, je préfère m’en remettre à l’abondante jurisprudence, de la Cour suprême et de notre Cour, selon laquelle la norme de contrôle concernant l’équité procédurale demeure celle de la décision correcte […].

[7] Je comprends également des enseignements de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au paragraphe 23, que la norme applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte :

[23] Lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond (c.-à-d. le contrôle judiciaire d’une mesure administrative qui ne comporte pas d’examen d’un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale), la norme de contrôle qu’elle applique doit refléter l’intention du législateur sur le rôle de la cour de révision, sauf dans les cas où la primauté du droit empêche de donner effet à cette intention. L’analyse a donc comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable.

[Non souligné dans l’original.]

[8] Au paragraphe 50 de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada explique ce qui est exigé d’un tribunal qui procède à un examen selon la norme de la décision correcte :

[50] [...] La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

B. Caractère raisonnable

[9] En ce qui concerne le caractère raisonnable, dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, rendu en même temps que l’arrêt Vavilov, le juge Rowe, s’exprimant au nom de la majorité, explique les attributs que doit présenter une décision raisonnable et les exigences imposées à la cour de révision qui contrôle une décision selon la norme de la décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ... ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] […] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).

[Non souligné dans l’original.]

[10] Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, la cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient » :

[104] De même, la logique interne d’une décision peut également être remise en question lorsque les motifs sont entachés d’erreurs manifestes sur le plan rationnel — comme lorsque le décideur a suivi un raisonnement tautologique ou a recouru à de faux dilemmes, à des généralisations non fondées ou à une prémisse absurde. Il ne s’agit pas d’inviter la cour de révision à assujettir les décideurs administratifs à des contraintes formalistes ou aux normes auxquelles sont astreints des logiciens érudits. Toutefois, la cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient ».

[105] En plus de la nécessité qu’elle soit fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent, une décision raisonnable doit être justifiée au regard de l’ensemble du droit et des faits pertinents : Dunsmuir, par. 47; Catalyst, par. 13; Nor-Man Regional Health Authority, par. 6. Les éléments du contexte juridique et factuel d’une décision constituent des contraintes qui ont une influence sur le décideur dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont délégués.

[Non souligné dans l’original.]

[11] De plus, l’arrêt Vavilov indique très clairement que le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve, à moins de « circonstances exceptionnelles ». Voici ce que la Cour suprême du Canada nous enseigne :

[125] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » : CCDP, par. 55; voir également Khosa, par. 64; Dr Q, par. 41-41. D’ailleurs, bon nombre des mêmes raisons qui justifient la déférence d’une cour d’appel à l’égard des conclusions de fait tirées par une juridiction inférieure, dont la nécessité d’assurer l’efficacité judiciaire, l’importance de préserver la certitude et la confiance du public et la position avantageuse qu’occupe le décideur de première instance, s’appliquent également dans le contexte du contrôle judiciaire : voir Housen, par. 15-18; Dr Q, par. 38; Dunsmuir, par. 53.

[Non souligné dans l’original.]

[12] La Cour d’appel fédérale a récemment conclu, dans l’arrêt Doyle c Canada (Procureur général), 2021 CAF 237, que le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau les éléments de preuve :

[3] La Cour fédérale avait tout à fait raison d’agir ainsi. Selon ce régime législatif, le décideur administratif, en l’espèce le directeur, examine seul les éléments de preuve, tranche les questions d’admissibilité et d’importance à accorder à la preuve, détermine si des inférences doivent en être tirées, et rend une décision. Lorsqu’elle effectue le contrôle judiciaire de la décision du directeur en appliquant la norme de la décision raisonnable, la cour de révision, en l’espèce la Cour fédérale, peut intervenir uniquement si le directeur a commis des erreurs fondamentales dans son examen des faits, qui minent l’acceptabilité de la décision. Soupeser à nouveau les éléments de preuve ou les remettre en question ne fait pas partie de son rôle. S’en tenant à son rôle, la Cour fédérale n’a relevé aucune erreur fondamentale.

[4] En appel, l’appelant nous invite essentiellement dans ses observations écrites et faites de vive voix à soupeser à nouveau les éléments de preuve et à les remettre en question. Nous déclinons cette invitation.

[13] Dans le contexte des visas de travail, les décisions qui suivent servent également de fondement. Au paragraphe 16 de la décision Baran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 463, la juge McVeigh affirme ce qui suit :

[15] La norme de contrôle applicable à la décision de l’agent de refuser une demande de permis de travail est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, selon l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 et la décision Sulce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1132, au paragraphe 7 [Sulce]. Toute question d’équité procédurale peut faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte.

[16] Toutefois, je remarque que, comme les demandes de permis de travail ne soulèvent pas de droits substantiels puisque les demandeurs de visa n’ont pas le droit absolu d’entrer au Canada, le niveau d’équité procédurale est faible, selon Sulce, précitée, au paragraphe 10.

[Non souligné dans l’original.]

[14] Voir également Ekpenyong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1245 au para 20, le juge Pentney :

[20] Comme il est indiqué dans la décision Mohammed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 992, au paragraphe 13,

Il y a plusieurs lignes de conduite clairement établies pour cette analyse : (1) il existe une présomption légale selon laquelle toutes personnes qui cherchent à entrer au Canada sont présumées être des immigrants, que le demandeur doit réfuter : Danioko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 479 au paragraphe 15; (2) il n’incombe pas à la Cour de réévaluer la preuve; (3) l’agent est présumé avoir examiné toute la preuve sauf indication contraire (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (QL) (CAF)) et n’est pas tenu de mentionner tous les documents soumis (Hassan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 NR 317, [1992] ACF no 946 (QL) (CAF); Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 465 au paragraphe 20; (4) les motifs de la décision de l’agent incluent le formulaire et la lettre, ainsi que les notes du SMGC préparées pour l’affaire.

[Non souligné dans l’original.]

[15] De façon plus générale, dans la décision Penez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1001, au paragraphe 37, mon collègue le juge Gascon a conclu ce qui suit :

[37] Par conséquent, les agents des visas ne sont généralement pas tenus de fournir aux demandeurs l’occasion de clarifier ou d’expliquer davantage leurs demandes (Onyeka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 336, au paragraphe 57). Il incombe toujours aux demandeurs de fournir tous les renseignements nécessaires à l’appui de leur demande et les agents n’ont pas à aller chercher ces renseignements (Ismaili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 351, au paragraphe 18; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 212, au paragraphe 11; Arango c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 424, au paragraphe 15). En effet, il est bien établi que l’agent n’a aucune obligation légale d’aller chercher des explications ou de plus amples renseignements pour dissiper les doutes quant à la demande de permis d’études de Mme Penez par l’entremise d’une lettre relative à l’équité procédurale ou autrement (Solopova, au paragraphe 38; Mazumder c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 444, au paragraphe 14; Kumari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1424, au paragraphe 7). Imposer de telles contraintes à l’agent des visas reviendrait à lui demander de donner un avis préalable d’une décision défavorable, une obligation qui a été rejetée par la Cour à de nombreuses reprises (Dhillon c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1998] ACF no 574 (QL), aux paragraphes 3 et 4; Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1997] ACF no 940 (QL), au paragraphe 8).

[Non souligné dans l’original.]

[16] Je me fonde également sur la décision du juge LeBlanc (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) dans l’affaire Sulce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1132, qui a été citée et appliquée avec approbation à de nombreuses reprises :

[10] Il est de jurisprudence constante qu’il revient à celui qui présente une demande de permis de travail temporaire de fournir tous les documents à l’appui pertinents et de présenter suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour convaincre l’agent des visas qu’il est en mesure de satisfaire aux exigences de l’emploi. En d’autres termes, il incombe au demandeur de présenter la meilleure preuve possible (Silva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 733 au paragraphe 20; Grusas, précitée, au paragraphe 63; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 115 au paragraphe 25 [Singh]). Dans ces conditions, et compte tenu du fait que les demandes de visas ne font pas intervenir de droits substantiels étant donné que les demandeurs de visas n’ont pas un droit absolu d’entrer au Canada, un degré peu élevé d’équité procédurale est dû, et il n’exige généralement pas que l’on accorde aux personnes qui demandent un permis de travail temporaire la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent des visas (Grusas, précitée, au paragraphe 63; Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1247, 398 FTR 303 au paragraphe 85; Grewal, précitée, au paragraphe 18). Ceci est d’autant plus vrai lorsque rien ne permet de penser que le demandeur subirait des conséquences graves, dans les cas, par exemple, où il est en mesure de présenter une nouvelle demande de permis de travail et que rien ne permet de penser que cette démarche lui causerait un préjudice (Qin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 815, [2002] ACF no 1098 au paragraphe 5; Masych c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1253 au paragraphe 30).

[11] Toutefois, lorsque les réserves de l’agent des visas ne découlent pas directement de la Loi ou du Règlement, mais portent plutôt sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des renseignements fournis par le demandeur, notre Cour a jugé que l’agent a l’obligation de demander des renseignements complémentaires à l’auteur de la demande de permis de travail temporaire (Singh, précitée, au paragraphe 25; Hassani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1283, 302 FTR 39).

[…]

[16] En règle générale, l’équité procédurale, qu’il s’agisse des ouvriers qualifiés ou des travailleurs temporaires, ne va pas jusqu’à exiger que l’agent des visas fournisse au demandeur un « résultat intermédiaire » des lacunes que comporte sa demande ou qu’il engage avec lui un dialogue sur la question de savoir s’il satisfait à la Loi ou au Règlement (Rukmangathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 284, 247 FTR 147 au paragraphe 23; Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1279au paragraphe 22;Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1306, [2010] ACF no 1663 aux paragraphes 40 à 42).

VI. Analyse

A. Contexte législatif

[17] À titre de référence, l’alinéa 200(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, [le Règlement] est ainsi libellé :

Permis de travail — demande préalable à l’entrée au Canada

Work permits

200 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), et de l’article 87.3 de la Loi dans le cas de l’étranger qui fait la demande préalablement à son entrée au Canada, l’agent délivre un permis de travail à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments ci-après sont établis :

200 (1) Subject to subsections (2) and (3) — and, in respect of a foreign national who makes an application for a work permit before entering Canada, subject to section 87.3 of the Act — an officer shall issue a work permit to a foreign national if, following an examination, it is established that

[…]

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable au titre de la section 2 de la partie 9;

(b) the foreign national will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2 of Part 9;

[18] De plus, l’alinéa 205a) du Règlement est ainsi libellé :

Intérêts canadiens

Canadian interests

205 Un permis de travail peut être délivré à l’étranger en vertu de l’article 200 si le travail pour lequel le permis est demandé satisfait à l’une ou l’autre des conditions suivantes :

205 A work permit may be issued under section 200 to a foreign national who intends to perform work that

a) il permet de créer ou de conserver des débouchés ou des avantages sociaux, culturels ou économiques pour les citoyens canadiens ou les résidents permanents;

(a) would create or maintain significant social, cultural or economic benefits or opportunities for Canadian citizens or permanent residents;

[…]

[19] Voir également le paragraphe 22(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], qui est libellé ainsi :

Double intention

Dual intent

(2) L’intention qu’il a de s’établir au Canada n’empêche pas l’étranger de devenir résident temporaire sur preuve qu’il aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

(2) An intention by a foreign national to become a permanent resident does not preclude them from becoming a temporary resident if the officer is satisfied that they will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

B. Observations des parties et analyse

1) Équité procédurale

[20] Le demandeur soutient que le niveau d’équité procédurale requis en l’espèce est relativement élevé parce que la décision de l’agent est définitive et qu’une décision défavorable a une incidence défavorable sur sa vie et ses affaires. En tout respect, ce n’est pas ce que dit le droit sur le sujet, comme je l’expose plus haut. L’obligation d’équité est faible et prend naissance, le cas échéant, lorsque des questions de crédibilité ou d’exactitude sont soulevées, par exemple. Je ne suis pas convaincu non plus que la crédibilité ou l’exactitude étaient en cause en l’espèce.

[21] De plus, il n’est pas obligatoire de fournir un résultat intermédiaire, de donner un avis préalable d’une décision défavorable, ni d’engager un dialogue avec les demandeurs. La règle générale est qu’il incombe au demandeur de convaincre l’agent. Le demandeur affirme qu’il avait droit à une lettre relative à l’équité procédurale, mais je ne suis pas convaincu que cette obligation existe dans la présente affaire, qui est relativement simple.

[22] Le demandeur mentionne que le traitement de sa demande a été retardé de près de cinq mois et qu’une décision a fini par être rendue au moyen de l’intelligence artificielle. Je ne suis pas non plus convaincu que l’une ou l’autre de ces observations soit pertinente par rapport à l’obligation d’équité procédurale.

[23] D’abord, le retard ne donne pas droit au contrôle judiciaire ni ne déclenche une obligation d’équité plus grande que celle que je viens de décrire.

[24] Quant à l’intelligence artificielle, le demandeur soutient que la décision est fondée sur l’intelligence artificielle générée par Microsoft, plus précisément par le logiciel Chinook. Cependant, la preuve montre que la décision a été rendue par un agent des visas, et non par un logiciel. Je conviens que des données assemblées au moyen de l’intelligence artificielle ont été importées dans la décision, mais il me semble que, lors d’un contrôle judiciaire, la Cour doit examiner le dossier et la décision et décider si celle-ci est raisonnable suivant l’arrêt Vavilov. C’est le fait que la décision soit raisonnable ou déraisonnable qui détermine s’il y a lieu de la confirmer ou de l’annuler, que l’intelligence artificielle ait été utilisée ou non. Le contraire reviendrait à accorder plus d’importance au processus qu’au fond.

[25] Le demandeur exprime également des préoccupations parce qu’il n’a pas reçu les notes du SMGC avec la lettre de décision. Cette observation est dénuée de fondement. Il est bien établi que le défendeur n’est pas tenu de fournir aux demandeurs tout le dossier de travail de l’agent ou des agents avec la lettre de décision. Il est logique qu’il en soit ainsi, étant donné que certains dossiers de travail sont volumineux. Si un demandeur souhaite voir l’ensemble du dossier de travail, électronique ou d’un autre format, sous-jacent à sa décision, il doit le demander : Cao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1696 :

[44] Premièrement, il est bien établi que les motifs d’une décision figurant dans les notes de l’agent dans le SMGC font partie intégrante de la décision d’un décideur administratif : Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1298 aux para 21-23; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1428 au para 2.

[45] Deuxièmement, si le demandeur n’était pas satisfait des motifs de la décision contenus dans la lettre de refus, il lui incombait de demander plus de précisions au titre de l’article 9 des Règles en matière d’immigration, plutôt que de présenter une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire en invoquant l’insuffisance des motifs : Marine Atlantic Inc c Canadian Merchant Service Guild, 2000 CanLII 15517 (CAF) aux para 4-8; Hayama c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1305 au para 15.

[46] Je souligne qu’il s’agit de la loi depuis plus de deux décennies.

[26] Le demandeur fait également valoir ce qui est en réalité une variante d’une allégation de partialité ou d’une crainte de partialité de la part de l’agent. Rien n’appuie cet argument.

2) Caractère raisonnable de la décision de l’agent

[27] Le demandeur soutient que les motifs de la décision de l’agent sont arbitraires à la lumière de la preuve, laquelle ne permet pas de penser que la raison de sa visite au Canada diffère des objectifs indiqués dans sa demande de permis. Plus précisément, le demandeur affirme que ses antécédents de voyage montrent qu’il a voyagé en France, aux Émirats arabes unis et en Türkiye et qu’il est retourné en Iran par la suite. De plus, le demandeur mentionne que son épouse et ses enfants ne l’accompagnent pas au Canada, ce qui constitue une forte incitation à retourner auprès de sa famille. En tout respect, l’agent est réputé avoir examiné l’ensemble de la preuve, et je ne suis pas convaincu de devoir apprécier à nouveau la preuve à cet égard en l’espèce, vu l’absence de circonstances exceptionnelles.

[28] En ce qui concerne l’utilisation du logiciel Chinook, le demandeur affirme que la fiabilité et l’efficacité de celui-ci sont remises en question. Le demandeur affirme ainsi qu’une décision rendue au moyen de Chinook ne peut être qualifiée de raisonnable tant qu’il n’a pas été expliqué à tous les intervenants comment l’apprentissage machine a remplacé le travail humain et quelle incidence cela a sur l’issue des demandes. J’ai déjà analysé cet argument dans le contexte de l’équité procédurale, et j’ai conclu que l’utilisation de l’intelligence artificielle n’est pas pertinente, étant donné que a) un agent a rendu la décision en question et que b) le contrôle judiciaire porte sur l’équité procédurale ou le caractère raisonnable de la décision comme l’exige l’arrêt Vavilov.

[29] De plus, le demandeur soutient que ses éléments de preuve prouvent qu’il satisfait à la définition d’« avantage » à l’article 205 du Règlement. À cet égard, le demandeur présente sa propre évaluation de la preuve. Selon lui, l’agent n’a procédé qu’à une évaluation superficielle de l’affaire, malgré l’immense importance de celle-ci pour le demandeur. En tout respect et de façon générale, cette observation dénote une mauvaise compréhension de la nature d’un contrôle judiciaire, qui n’est pas une occasion d’apprécier à nouveau la preuve, à moins de circonstances exceptionnelles. Il faut beaucoup plus qu’un désaccord avec le décideur sur l’issue pour justifier la tenue d’un contrôle judiciaire.

[30] En ce qui concerne l’obligation de fournir des motifs, à la lumière de la jurisprudence citée précédemment, le défendeur adopte à juste titre la position selon laquelle les obligations d’un agent des visas se situent au plus bas de l’échelle pour ce qui est des détails à fournir et des formalités procédurales à respecter. Le défendeur attire également l’attention sur la décision Wardak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 582 de notre Cour, dans laquelle la juge Elliott a déclaré ce qui suit :

[71] En l’espèce, l’agent des visas a examiné les éléments de preuve qui ont été fournis, puis il a brièvement fait mention de ces éléments de preuve et formulé des observations à leur sujet dans les notes qu’il a consignées dans le SMGC. Cela est suffisant. Dans le contexte d’une demande de permis de travail, les agents des visas n’ont pas à donner de motifs détaillés : Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 115, au paragraphe 24.

[72] M. Wardak devait savoir que deux des exigences législatives pertinentes étaient qu’il fournisse une preuve satisfaisante de sa capacité d’effectuer le travail et qu’il devait quitter le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. C’était à lui de décider, avec l’aide des listes de contrôle, quels éléments de preuve présenter.

[73] Il incombait à l’agent des visas d’établir si les éléments de preuve présentés par M. Wardak étaient suffisants. La décision était défavorable à M. Wardak, mais non déraisonnable.

[31] Je conviens également que les agents des visas peuvent se servir de leur expérience et de leur connaissance générales des conditions locales pour tirer des inférences et des conclusions sur le fondement des renseignements et des documents fournis par le demandeur. Ils méritent une déférence respectueuse, compte tenu notamment de leur expérience.

[32] Enfin, le demandeur soutient que, dans son évaluation de la présente affaire, l’agent a agi de façon déraisonnable, puisqu’il n’avait pas à démontrer qu’un salaire proposé était lié à une moyenne provinciale, ce qu’il pourrait contester, mais, tout compte fait, je ne suis pas convaincu que c’est important. En ce qui concerne les conclusions relatives à la rentabilité et aux revenus prévus, je ne suis pas non plus convaincu que l’une ou l’autre est déraisonnable. La dernière est effectivement hypothétique, étant donné que, sans renseignements supplémentaires, on ne peut que supposer que le demandeur obtiendra une part proportionnelle du revenu global au cours de la première année essentiellement (après trois mois), ce qu’il appartenait à l’agent, et non à la Cour, d’apprécier. La question de savoir si la rentabilité de l’entreprise est de 549 000 $ au cours de la première année ou de 220 000 $ est également hypothétique, et, en tout respect, il était loisible à l’agent d’être sceptique à cet égard [traduction] « sans que [le demandeur ait] présent[é] de preuves de clients ou de contrats potentiels ». Le demandeur affirme qu’il était déraisonnable de remettre en question le plan d’affaires en raison des besoins prévus en matière d’entreposage. Encore une fois, il s’agit d’une question qui doit être appréciée par l’agent, puisqu’il faut reconnaître sa compétence et faire preuve de déférence respectueuse à l’égard de son expérience dans ce domaine. L’agent pouvait également évaluer la capacité du demandeur à obtenir les approbations provinciales voulues pour entrer dans le marché de l’installation et de la réparation d’escaliers mécaniques en Colombie-Britannique.

VII. Conclusion

[33] Comme il n’y a pas de manquement à l’équité procédurale et que la décision n’est pas déraisonnable, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

VIII. Question certifiée

[34] Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question de portée générale, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2915-22

LA COUR STATUE : la demande de contrôle judiciaire est rejetée, aucune question de portée générale n’est certifiée et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2915-22

INTITULÉ :

MAJID HAGHSHENAS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 MARS 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 31 MARS 2023

COMPARUTIONS :

Afshin Yazdani

POUR LE DEMANDEUR

James Todd

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

YLG Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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