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Date : 20230403


Dossier : T-1797-21

Référence : 2023 CF 456

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 avril 2023

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

ELSA JOSEPH

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Par voie de demande de contrôle judiciaire, Mme Elsa Joseph conteste deux des sept questions abordées dans le rapport final sur les conclusions [le rapport] du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada [le Commissaire à la protection de la vie privée] établi en vertu de l’article 35 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P-21 [la Loi].

[2] Le rapport, publié le 28 octobre 2021, fait suite à l’enquête du Commissaire à la protection de la vie privée sur la communication prétendument inacceptable de renseignements personnels concernant Mme Joseph à plusieurs reprises.

[3] Pour remettre la question en contexte rapidement, en 2019, Mme Joseph a déposé plusieurs plaintes auprès du Commissaire à la protection de la vie privée, faisant valoir que son employeur, l’École de la fonction publique du Canada [l’École], avait communiqué plusieurs fois des renseignements personnels la concernant de façon inacceptable. Essentiellement, Mme Joseph a soutenu que l’École a contrevenu à la Loi lorsqu’elle a communiqué ses renseignements personnels au Service de police d’Ottawa [la police d’Ottawa], à la Gendarmerie royale du Canada [la GRC], à la Banque du Canada et au service de sécurité, aux ressources humaines et aux employés de l’École.

[4] Le Commissaire à la protection de la vie privée a fait enquête sur les plaintes et a rédigé son rapport. Dans son rapport, il a conclu que cinq des sept plaintes de Mme Joseph étaient soit fondées, soit partiellement fondées, et a conclu à l’inverse que deux des plaintes de Mme Joseph, soit celles désignées comme étant les questions 1 et 7 dans le rapport, n’étaient pas fondées. En ce qui concerne ces deux questions qui n’étaient pas fondées, le Commissaire à la protection de la vie privée a conclu (1) pour la question 1, que l’École a communiqué les renseignements personnels de Mme Joseph à la police d’Ottawa pour un usage compatible avec les fins auxquelles les renseignements ont été recueillis, conformément à l’alinéa 8(2)a) de la Loi et comme l’a interprété la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Bernard c Canada, 2014 CSC 13, au paragraphe 31 [Bernard]; et (2) pour la question 7, premièrement, que l’ombudsman de l’École a communiqué les renseignements personnels de Mme Joseph au service de sécurité de l’École aux fins auxquelles ils avaient été recueillis et, deuxièmement, qu’il ne pouvait pas confirmer qu’une communication liée à la plainte de violence en milieu de travail de Mme Joseph avait eu lieu.

[5] Dans sa demande devant la Cour, Mme Joseph soutient, essentiellement, que (1) la norme de la décision correcte s’applique; (2) son droit à l’équité procédurale a été violé; (3) les communications contrevenaient à la Loi; et (4) il y a eu une fouille, une perquisition et une saisie abusives contrairement à l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, qui constitue l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c 11 (R-U) [la Charte].

[6] Le procureur général du Canada [le PGC] répond (1) qu’il n’y a pas eu de violation de l’équité procédurale; (2) que la norme de la décision raisonnable s’applique aux conclusions du Commissaire à la protection de la vie privée sur les questions 1 et 7; (3) que les conclusions du Commissaire à la protection de la vie privée à l’égard de ces deux questions sont raisonnables; et (4) que l’allégation de Mme Joseph concernant la violation de la Charte n’avait pas été soumise au Commissaire à la protection de la vie privée au moment de la rédaction du rapport et la Cour ne devrait donc pas examiner cet argument.

[7] Pour les motifs indiqués en détail ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Contexte

[8] De 2018 à 2020, Mme Joseph était une employée de l’École; elle était ainsi une employée au moment des communications.

[9] Les deux questions en litige dans la présente instance, soit la question 1 et la question 7 du rapport, portent sur deux séries distinctes d’événements survenus pendant l’emploi de Mme Joseph. La première série d’événements (question 1) a eu lieu en février-mars 2019 et la deuxième série d’événements (question 7) a eu lieu en décembre 2019 ou vers cette période.

[10] En ce qui concerne le contexte relatif à la question 1, le 14 février 2019, le télécopieur de l’École a été utilisé pour envoyer un formulaire de demande d’achat de pièces d’armes à feu à un fabricant américain d’armes à feu. Le formulaire de demande a été laissé sur le télécopieur et, peu de temps après, a été retrouvé par un employé de l’École qui l’a signalé au service de sécurité de l’École. Le formulaire de demande contenait le nom et l’adresse de la personne qui faisait la demande, qui n’était pas un employé de l’École, et qui était ainsi inconnue du service de sécurité de l’École. Le 15 février 2019, le service de sécurité de l’École a signalé la situation à la police d’Ottawa comme un [traduction] « événement suspect ».

[11] Le 4 mars 2019, l’École a identifié Mme Joseph comme étant l’expéditrice de la télécopie, puisque son adresse s’est avérée être la même que celle qui apparaissait sur le formulaire de demande, et l’École a également identifié le nom sur le formulaire de demande comme étant le conjoint de fait de Mme Joseph à l’époque. Le même jour, le service de sécurité de l’École a communiqué le nom, la date de naissance et l’adresse de Mme Joseph à la police d’Ottawa.

[12] Le 12 mars 2019, l’École a mené une entrevue de sécurité avec Mme Joseph et, peu de temps après, elle a suspendu son attestation de sécurité et a lancé une enquête d’examen pour motif valable afin de déterminer si son attestation de sécurité devait être révoquée ou maintenue.

[13] Le 14 mars 2019, la police d’Ottawa a informé le service de sécurité de l’École que les pièces d’armes à feu mentionnées dans la télécopie étaient légales et qu’elle considérait l’affaire close de son côté.

[14] Le 20 mars 2019, Mme Joseph a été informée que l’examen pour motif valable était terminé et qu’elle pouvait retourner au travail. Le 24 mars 2019, son attestation de sécurité a été rétablie.

[15] Le 17 mars 2020, Mme Joseph a déposé une plainte pour atteinte à la vie privée contre l’École auprès du Commissaire à la protection de la vie privée, faisant valoir que l’École avait communiqué ses renseignements personnels à la police d’Ottawa sans son consentement et à son insu. Mme Joseph a ensuite fait valoir que la police d’Ottawa n’est pas un organisme d’enquête au sens de l’annexe II de la Loi et que la communication n’était pas conforme aux politiques du Secrétariat du Conseil du Trésor ni à l’alinéa 8(2)e) de la Loi.

[16] En ce qui concerne les plaintes de Mme Joseph, l’École a d’abord répondu que la communication était autorisée en vertu de l’alinéa 8(2)e) de la Loi, mais le Commissaire à la protection de la vie privée n’était pas d’accord. Ce dernier a indiqué dans un courriel adressé à l’École que, sans plus de renseignements, il ne pouvait que conclure qu’une telle communication était à la fois inutile et non autorisée en vertu de l’alinéa 8(2)e). L’École a soutenu plus tard que la communication avait été faite aux fins auxquelles les renseignements avaient été recueillis, c’est‐à-dire pour assurer la sécurité de l’École et de ses employés.

[17] Dans son rapport, le Commissaire à la protection de la vie privée semble convenir avec l’École que les renseignements ont été recueillis pour assurer la sécurité de l’École et de ses employés. Toutefois, il n’était pas d’accord avec l’École pour dire que les renseignements avaient été communiqués « aux fins » auxquelles ils avaient été recueillis, mais il a conclu que la communication avait été faite pour un usage « compatible » avec les fins auxquelles ils avaient été préparés, c’est-à-dire pour signaler la situation à la police. Le Commissaire à la protection de la vie privée s’est appuyé sur l’arrêt Bernard de la Cour suprême du Canada pour interpréter l’exception de l’usage « compatible » de l’alinéa 8(2)a) de la Loi. Il a indiqué que la Cour suprême avait établi le critère et il a déclaré que la question, lorsqu’il s’agissait d’évaluer si l’usage était, ou non, « compatible », était de savoir s’il existait un lien suffisamment direct entre les fins auxquelles les renseignements ont été préparés et l’usage pour lequel ils ont été communiqués (Bernard, au para 31).

[18] En fin de compte, après avoir conclu que la communication avait été faite pour un usage « compatible » avec les fins auxquelles elle avait été préparée, conformément à l’alinéa 8(2)a) de la Loi, le Commissaire à la protection de la vie privée a conclu que la plainte concernant la question 1 n’était pas fondée.

[19] En ce qui concerne la question 7, le 11 décembre 2019, un employé a présenté à l’ombudsman de l’École des renseignements sur la santé mentale de Mme Joseph. L’employé a soutenu que Mme Joseph a tenu des propos faisant référence à du [traduction] « suicide » et a tenu des propos de violence potentielle envers un autre employé de l’École. L’ombudsman de l’École, déclarant que la situation ne relevait pas de son mandat, a alors transmis l’information au service de sécurité de l’École.

[20] Le service de sécurité de l’École a suspendu l’attestation de sécurité de Mme Joseph et a lancé une enquête d’examen pour motif valable en réponse aux menaces que Mme Joseph aurait proférées à l’égard d’autres employés de l’École et aux préoccupations concernant sa propre sécurité.

[21] Le 17 mars 2020, Mme Joseph a déposé une plainte pour atteinte à la vie privée contre l’École auprès du Commissaire à la protection de la vie privée. Elle a soutenu que l’ombudsman de l’École avait communiqué de façon inacceptable des renseignements médicaux personnels la concernant et l’opinion selon laquelle Mme Joseph constitue une [traduction] « menace » pour la sécurité de l’École, sans son consentement ou à son insu et qu’à une autre occasion, l’ombudsman de l’École a également communiqué des renseignements concernant ses plaintes de violence en milieu de travail. Mme Joseph a soutenu que ces communications n’étaient pas conformes aux politiques du Secrétariat du Conseil du Trésor ni à la Loi.

[22] L’École a fait valoir devant le Commissaire à la protection de la vie privée que l’alinéa 8(2)e) de la Loi s’appliquait. Encore une fois, le Commissaire à la protection de la vie privée a informé l’École dans un courriel qu’il n’était pas d’accord et qu’il lui a offert la possibilité de répondre à ses préoccupations (onglet 33A). Dans son rapport, le Commissaire à la protection de la vie privée a trouvé confirmation que l’ombudsman avait effectivement communiqué des renseignements personnels sensibles au service de sécurité de l’École, mais le Commissaire à la protection de la vie privée a conclu que la communication était autorisée en vertu de l’alinéa 8(2)a) de la Loi. Le Commissaire à la protection de la vie privée a noté que, dans sa déclaration, l’ombudsman avait relaté un incident où un collègue de Mme Joseph l’avait informé que cette dernière avait proféré diverses menaces. À ce titre, le Commissaire à la protection de la vie privée a conclu que, selon les renseignements, un incident de sécurité à l’École était possible et que l’ombudsman devait informer le service de sécurité de l’École.

[23] Le Commissaire à la protection de la vie privée a souligné que l’ombudsman avait recueilli les renseignements auprès de l’autre employé afin de régler les problèmes soulevés par ledit employé, et a reconnu que la voie appropriée pour régler les problèmes qui avaient été soulevés était le service de sécurité de l’École. Le Commissaire à la protection de la vie privée a conclu que l’ombudsman avait communiqué les renseignements aux fins auxquelles ils avaient été recueillis et que la communication était conforme à l’alinéa 8(2)a) de la Loi.

[24] En ce qui concerne la communication prétendument inacceptable de renseignements par l’ombudsman au service de sécurité de l’École pour ce qui est des plaintes relatives au lieu de travail déposées par Mme Joseph, le Commissaire à la protection de la vie privée a déclaré avoir examiné tous les rapports finaux préparés par l’École au sujet de Mme Joseph, ainsi que les annexes et les déclarations auxquelles Mme Joseph a fait référence, et n’a pu confirmer qu’une telle communication avait eu lieu.

[25] Le Commissaire à la protection de la vie privée a conclu que la plainte concernant la question 7 n’était pas fondée.

[26] Le 23 septembre 2020, l’attestation de sécurité de Mme Joseph a été révoquée et, par conséquent, son emploi a pris fin.

III. Questions en litige

[27] À la lumière des arguments soulevés par Mme Joseph, j’examinerai d’abord les allégations de manquement à l’équité procédurale; ensuite, la contestation du bien-fondé des conclusions du Commissaire à la protection de la vie privée; et enfin, l’allégation de violation de la Charte.

A. Allégations de manquement à l’équité procédurale

(1) Position des parties

[28] À titre préliminaire, Mme Joseph soutient que la norme de la décision correcte s’applique à cet argument.

[29] Premièrement, Mme Joseph soutient que le processus de contrôle judiciaire devant la Cour était inéquitable pour les raisons suivantes : (1) une crainte de partialité de la Cour fédérale; (2) les requêtes du Commissaire à la protection de la vie privée (requête en ordonnance de confidentialité sur le contenu du dossier certifié du tribunal, laquelle a été rejetée, et requête pour être retiré comme défendeur, laquelle a été accueillie par la Cour) ont fait en sorte que le processus judiciaire a pris un temps excessif (plus de cinq mois) et qu’aucune sanction n’a été imposée au Commissaire à la protection de la vie privée; et (3) Mme Joseph a demandé un modèle d’avis de question constitutionnelle au personnel du greffe de la Cour fédérale le 15 juin 2022, et n’a reçu les dossiers que le 7 juillet 2022; et la Cour l’a privée de la possibilité de soumettre une question constitutionnelle.

[30] Deuxièmement, Mme Joseph soutient que le Commissaire à la protection de la vie privée n’a pas du tout tenu compte des documents dont il disposait et qu’il a mené son enquête avec un esprit fermé et un parti pris implicite. Les facteurs qui selon elle attestent ce qui précède comprennent les éléments suivants : (1) Mme Joseph n’a pas eu l’occasion de fournir des éléments de preuve ou des observations pour la question 1 depuis le dépôt de la plainte PA‐055744 en juillet 2019; (2) Mme Joseph n’a pas eu l’occasion de formuler des commentaires au sujet des omissions dans l’ébauche de rapport, et le Commissaire à la protection de la vie privée n’a pas répondu aux questions relatives à la Charte; (3) Mme Joseph n’a pas eu l’occasion de répondre aux allégations de la question 7 en raison du refus de lenquêteur du Commissaire à la protection de la vie privée de fournir les observations de l’employeur; (4) il n’y a pas de neutralité dans les titres ce qui démontre un parti pris implicite; (5) le Commissaire à la protection de la vie privée se moque de la plaignante dans son rapport pour le langage qu’elle utilise pour décrire sa position, comme [traduction] « des enquêtes contre elle » et [traduction] « un effet fatal »; (6) le rapport dénote un manque de transparence de la part du Commissaire à la protection de la vie privée puisqu’il mentionne l’observation de Mme Joseph, mais omet d’en traiter l’applicabilité; et (7) dans le rapport, le Commissaire à la protection de la vie privée fait preuve de parti pris conscient et ne se conforme pas à sa mission selon le préambule de neutralité, d’impartialité et d’objectivité.

[31] Troisièmement, Mme Joseph soutient que le seuil de rigueur n’est pas atteint. Elle soutient que (1) le rapport ne contient pas de dates ni de détails qui pourraient faire croire au lecteur qu’il n’y a eu qu’une seule enquête; (2) l’enquêteur principal du Commissaire à la protection de la vie privée ne parlait pas français, alors que tous les éléments de preuve de l’École et les éléments de preuve cruciaux qu’il devait examiner pour la question 7 étaient rédigés en français, ce qui a eu une incidence sur sa capacité de relever des incohérences importantes dans la preuve de l’École. L’examen de cette preuve a été délégué de façon incorrecte; et (3) le Commissaire à la protection de la vie privée ne s’est fondé que sur la transcription de l’entrevue de l’ombudsman au sujet de la communication au service de sécurité de l’École et n’a pas recueilli les enregistrements sonores qui sont les paroles directes de l’individu et non du ouï-dire. Les enregistrements sonores, dit‐elle, étaient nécessaires pour les fins de la diligence raisonnable, c’est-à-dire pour vérifier l’exactitude des propos de l’ombudsman concernant le ouï-dire.

[32] Enfin, Mme Joseph invoque les omissions importantes suivantes du Commissaire à la protection de la vie privée : (1) les droits garantis par la Charte n’ont pas été pris en compte dans le rapport (voir courriel à l’onglet 68A); (2) le Commissaire à la protection de la vie privée n’a pas respecté son obligation d’informer le conjoint de fait de Mme Joseph du fait que celui-ci était une partie touchée par l’enquête (29(3) de la Loi); (3) l’École n’a pas respecté son obligation d’aviser le Commissaire à la protection de la vie privée lorsqu’elle a communiqué les renseignements à la GRC en vertu du paragraphe 8(5) de la Loi (voir les alinéas 8(2)b) et 8(2)m) et i) de la Loi); et (4) il n’y a aucun examen minutieux des observations de l’École. Par exemple, elle soutient, entre autres, que le rapport fait vaguement référence à des sources d’autorité sur lesquelles le Commissaire à la protection de la vie privée s’est fondé, même si ces sources étaient inexistantes ou non en vigueur au moment de ces incidents; et l’École s’est initialement fondée sur l’alinéa 8(2)e) de la Loi pour justifier la communication de renseignements personnels de la plaignante sans consentement, mais il n’en a pas été question dans le rapport.

[33] Le PGC répond que Mme Joseph a eu la possibilité pleine et entière de présenter ses allégations et ses éléments de preuve au Commissaire à la protection de la vie privée, et que celui-ci a mené son enquête de façon exhaustive et impartiale. Le PGC soutient que le dossier démontre que l’enquêteur du Commissaire à la protection de la vie privée communiquait fréquemment avec Mme Joseph pour clarifier des allégations et répondre à des questions, et que Mme Joseph a été informée de son droit de présenter toute autre observation qu’elle jugeait appropriée (voir, par exemple, les onglets 24B, 31 et 51 du DCT). Le PGC a également soutenu que le dossier montre que l’enquêteur principal du Commissaire à la protection de la vie privée a chargé un autre enquêteur d’examiner des rapports en français pour étayer certaines des allégations de Mme Joseph, et qu’il n’est pas nécessaire qu’une enquête du Commissaire à la protection de la vie privée soit menée par un seul enquêteur (voir DCT, onglet 53A, DDEF, onglet B-53A, p. 831; DCT, onglet 56A, DDEF, onglet B-56A, p 1004).

[34] En ce qui a trait à la partialité alléguée, le PGC affirme que Mme Joseph n’a pas fait ressortir d’éléments de preuve qui satisferaient au critère consistant à démontrer qu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, conclurait que le décideur a fait preuve de partialité. Le PGC soutient également qu’il n’y a pas de partialité décelable du libellé utilisé dans le rapport sur les conclusions.

[35] En ce qui concerne les allégations contre le Commissaire à la protection de la vie privée et la Cour, le PGC soutient que rien ne permet de prétendre que le Commissaire à la protection de la vie privée a commis une entrave en déposant des requêtes de nature procédurale auprès de la Cour conformément aux Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles].

(2) Norme de contrôle

[36] Selon la norme applicable aux questions d’équité procédurale, la Cour doit se demander si, eu égard à l’ensemble des circonstances et en mettant l’accent sur la nature des droits substantiels en cause et les conséquences pour la personne touchée, la procédure suivie par le décideur était équitable (Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Office des transports), 2021 CAF 69 aux para 46 et 47 [Canadien Pacifique]; Gulia c Canada (Procureur général), 2021 CAF 106 au para 9 [Gulia]; Demitor c Westcoast Energy Inc (Spectra Energy Transmission) 2019 CAF 114 au para 26).

[37] L’examen par la Cour des questions d’équité procédurale n’implique aucune déférence à l’égard du décideur (Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 542 au para 11). La question est de savoir si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, en mettant l’accent sur la nature des droits substantiels en cause et les conséquences pour la personne touchée (Canadien Pacifique, aux para 45 et 46; Akhtar c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2022 CF 595 au para 13). Il incombe au demandeur de démontrer qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale.

[38] Comme la Cour d’appel fédérale l’a déclaré au paragraphe 56 de l’arrêt Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 :

Peu importe la déférence qui est accordée aux tribunaux administratifs en ce qui concerne l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire de faire des choix de procédure, la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre. Cela pourrait s’avérer problématique si une décision a priori sur la question de savoir si la norme de contrôle applicable est la norme de la décision correcte ou la norme de la décision raisonnable donnait une réponse différente à ce qui est une question singulière fondamentale à la notion de justice – a-t-on accordé à la partie le droit d’être entendue et la possibilité de connaître la preuve qu’elle doit réfuter? L’équité procédurale n’est pas sacrifiée sur l’autel de la déférence.

(3) Décision

[39] Le premier argument avancé par Mme Joseph est qu’elle a éprouvé des problèmes de procédure dans le processus judiciaire devant notre Cour en raison des requêtes du Commissaire à la protection de la vie privée et de la conduite de notre Cour. En ce qui concerne les requêtes du Commissaire à la protection de la vie privée, je conviens avec le PGC que cette allégation n’est pas fondée en vertu des Règles. De plus, une allégation selon laquelle la conduite d’une partie allonge inutilement la durée d’une instance devant la Cour (par exemple, parce qu’elle a présenté une requête) peut avoir des répercussions sur les coûts en vertu de l’alinéa 400(3)i) des Règles, mais n’est pas pertinente pour déterminer s’il y a eu des vices de procédure dans le processus décisionnel du Commissaire à la protection de la vie privée. J’estime également que les allégations de partialité et d’entrave de Mme Joseph à l’égard de la Cour ne sont pas fondées et je souligne qu’elle n’a pas contesté la directive donnée oralement par la Cour le 13 février 2023.

[40] Mme Joseph avance comme deuxième argument que le Commissaire à la protection de la vie privée n’a pas du tout tenu compte des documents qui lui ont été présentés et a mené son enquête avec un esprit fermé et un parti pris implicite. Elle souligne un certain nombre de conduites qui seront examinées à tour de rôle.

[41] Je suis d’accord avec le PGC pour dire que l’obligation d’équité procédurale n’a pas été violée. Premièrement, l’article 33 de la Loi fait en sorte que le plaignant et le responsable de l’institution fédérale concernée ont la possibilité de présenter leurs observations au Commissaire à la protection de la vie privée. Le dossier démontre que le Commissaire à la protection de la vie privée communiquait fréquemment avec Mme Joseph pour clarifier ses allégations et lui donner l’occasion de faire connaître sa position. Deuxièmement, le Commissaire à la protection de la vie privée n’était pas tenu par un principe de justice naturelle de communiquer la version provisoire du rapport (Oleinik c Canada (Commissaire à la protection de la vie privée), 2011 CF 1266 au para 12 [Oleinik]). Troisièmement, l’article 33 de la Loi limite explicitement le droit de toute personne d’avoir accès aux observations présentées au Commissaire à la protection de la vie privée par une autre personne ou de formuler des commentaires à leur sujet, ce qui garantit que toute enquête sur une plainte se déroule en privé. Par conséquent, l’aspect de l’équité procédurale qui exige que le demandeur ait une possibilité réelle d’être entendu a été respecté.

[42] Mme Joseph ne m’a pas convaincue que le ton et le libellé utilisés dans le rapport démontrent une partialité décelable. De même, elle ne m’a pas convaincue que les titres du rapport démontrent une partialité implicite. Comme l’a souligné le PGC, l’utilisation par le Commissaire à la protection de la vie privée de rubriques descriptives point par point dans l’ensemble du rapport est une technique courante de rédaction, et le même style de rubriques a été utilisé pour toutes les questions, y compris les cinq questions qui ont été tranchées en faveur de Mme Joseph et jugées fondées. De même, je n’ai pas été convaincue que le Commissaire à la protection de la vie privée avait l’intention de se moquer de Mme Joseph lorsqu’il a cité, dans sa description de poste, l’allégation de Mme Joseph selon laquelle la communication de ses renseignements avait eu un [traduction] « effet fatal » sur sa réputation.

[43] Mme Joseph soutient également, dans le cadre de son deuxième argument, que le rapport démontre un manque de transparence de la part du Commissaire à la protection de la vie privée, car il mentionne l’observation de Mme Joseph, mais omet de traiter de son applicabilité. Cela n’établit pas que le Commissaire à la protection de la vie privée a manqué à son obligation d’équité procédurale. À moins qu’aucun motif ne soit fourni, une insuffisance de motifs, comme l’a affirmé Mme Joseph, ne permet pas de conclure à un manquement à l’équité procédurale et le décideur n’est pas tenu de traiter de chaque observation présentée (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 aux para 14, 16 et 22 [Newfoundland Nurses]). Le caractère adéquat et la transparence des motifs sont donc subsumés dans l’analyse du caractère raisonnable de la décision dans son ensemble (Newfoundland Nurses, aux para 14 et 22; Mun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 246 au para 11). Je traiterai donc de l’argument de Mme Joseph dans la prochaine section.

[44] Enfin, Mme Joseph soutient que la conduite du Commissaire à la protection de la vie privée dénote un parti pris implicite. À mon avis, Mme Joseph n’a pas établi que le processus d’enquête ou l’enquête était partial ou par ailleurs mené d’une manière inéquitable sur le plan de la procédure. Il existe une forte présomption selon laquelle les décideurs exercent leurs fonctions de façon impartiale (Zündel c Citron (CA), [2000] 4 CF 225, p 242; Gulia au para 23) et Mme Joseph ne fait état d’aucun élément de preuve permettant de dire qu’une personne renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, conclurait que le décideur était partial (Oleinik, au para 15; Committee for Justice and Liberty et al c L’Office national de l’énergie et al, [1978] 1 RCS 369 à la p 394; Azubuike c Canada (Procureur général), 2020 CF 911 au para 54 [Azubuike]).

[45] En ce qui concerne le troisième argument de Mme Joseph, c’est-à-dire que le seuil de rigueur n’est pas atteint, je suis convaincue que (1) le rapport ne crée pas de confusion chez le lecteur; (2) les documents ont été dûment examinés en français et rien n’étaye l’allégation selon laquelle la délégation a violé l’équité; et (3) Mme Joseph n’a pas établi que le Commissaire à la protection de la vie privée avait lobligation au titre de l’équité procédurale d’obtenir les enregistrements sonores de l’entrevue de l’ombudsman concernant la communication au service de sécurité de l’École.

[46] Premièrement, je suis d’accord avec le PGC pour dire que Mme Joseph n’a pas fait état de renseignements pertinents précis qui auraient été négligés par l’enquêteur ou qui établiraient que la démarche du Commissaire à la protection de la vie privée a mené à une iniquité. Deuxièmement, la Loi n’exige pas qu’une enquête soit menée par un seul enquêteur. Troisièmement, le Commissaire à la protection de la vie privée jouit d’un vaste pouvoir discrétionnaire dans la conduite d’enquêtes (EW c Le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, 2015 CF 1420 au para 20 [EW]; article 34 de la Loi), et l’obligation d’équité procédurale ne le force pas à interroger tous les témoins ou à obtenir tous les éléments de preuve, comme Mme Joseph l’aurait souhaité. De plus, le Commissaire à la protection de la vie privée avait une copie de la transcription de l’entrevue des témoins ou de leur [traduction] « formulaire de déclaration volontaire » (onglet 27A, onglet 27D) et il peut se fonder sur du [TRADUCTION] « ouï‐dire » (alinéa 34(1)c) de la Loi). Mme Joseph n’a pas démontré que le Commissaire à la protection de la vie privée n’a pas rendu son rapport conformément aux principes d’équité procédurale.

[47] En ce qui concerne le quatrième argument soulevé par Mme Joseph, elle relève quatre [traduction] « omissions importantes » de la part du Commissaire à la protection de la vie privée, qui seront examinées à tour de rôle.

[48] Je suis convaincue que l’argument de Mme Joseph selon lequel le Commissaire à la protection de la vie privée a manqué à l’équité procédurale puisqu’il n’a pas abordé la question de savoir si la communication de l’École avec la police d’Ottawa a porté atteinte à ses droits garantis par l’article 8 de la Charte n’est pas fondé. Pour appuyer sa position, Mme Joseph fait référence dans son mémoire des faits et du droit à un courriel envoyé à l’enquêteur le 3 novembre 2021, tandis qu’à l’audience, Mme Joseph a également attiré l’attention sur des courriels qui se trouvent aux pages 794 et 1364 de son dossier. La preuve révèle que Mme Joseph a soulevé la question de la Charte pour la première fois le 3 novembre 2021, soit après la publication du rapport final le 28 octobre 2021. Conformément au paragraphe 33(2) de la Loi, Mme Joseph a le droit de présenter des observations au Commissaire à la protection de la vie privée avant qu’une conclusion ne soit tirée dans l’affaire. L’argument fondé sur la Charte n’a donc pas été soumis au Commissaire à la protection de la vie privée en temps opportun. Mme Joseph n’a pas démontré qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale.

[49] Les autres arguments de Mme Joseph ne sont pas fondés, car (1) le conjoint de fait de Mme Joseph n’est pas une partie dans la présente demande; (2) la communication des renseignements à la GRC n’est pas pertinente quant à la question 1; et (3) la question de savoir si le Commissaire à la protection de la vie privée a préféré les arguments de l’École ou pourquoi il les a préférés ne relève pas de l’équité procédurale.

[50] En conclusion, Mme Joseph n’a pas établi que le Commissaire à la protection de la vie privée a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale.

B. Contestation des conclusions du Commissaire à la protection de la vie privée sur la question 1 et la question 7

(1) Norme de contrôle

[51] Mme Joseph affirme que la norme de la décision correcte s’applique, alors que le PGC affirme que la norme de la décision raisonnable s’applique. L’examen de la décision du Commissaire à la protection de la vie privée selon laquelle la plainte n’était pas fondée a déjà été jugé susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (EW, aux para 33 à 36; Daley c Canada, 2016 CF 1154 au para 31), ce qui est également conforme à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada intitulé Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] (Azubuike, au para 31). Rien ne permet de réfuter cette présomption en l’espèce (Vavilov, au para 10). Bien que les questions soient importantes pour Mme Joseph, le rapport du Commissaire à la protection de la vie privée ne soulève aucune question de droit générale d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble (Vavilov, au para 53). Les questions soulevées n’ont pas de répercussions juridiques significatives sur le système de justice dans son ensemble ou sur d’autres institutions gouvernementales et n’ont pas besoin de « réponses uniformes et cohérentes » (Vavilov, au para 59). Par conséquent, la norme à appliquer pour contrôler la décision du Commissaire à la protection de la vie privée est celle de la décision raisonnable.

[52] Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, la cour de révision doit examiner les motifs donnés par le décideur et déterminer si la décision était fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et était « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 aux para 2 et 31). La Cour doit donc tenir compte du « résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous‐jacent à celle‐ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée » (Vavilov, au para 15). En d’autres termes, la décision doit être intrinsèquement cohérente et tenir compte des contraintes juridiques qui ont une incidence sur elle.

[53] Dans le cadre d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable des conclusions de fait, la déférence est de mise et il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve ou l’importance relative accordée par le décideur à un facteur pertinent (Vavilov, au para 96). La Cour doit plutôt examiner la décision dans son ensemble, à la lumière du dossier (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 au para 53; Cotirta c Canada (Procureur général), 2021 CF 211 au para 30), et simplement déterminer si les conclusions sont irrationnelles ou arbitraires. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au para 100). Le respect du rôle du décideur administratif oblige la cour de révision à adopter une attitude de retenue lors du contrôle (Vavilov, aux para 24 et 75).

(2) Le cadre législatif

[54] La Loi régit la communication de renseignements personnels une fois qu’ils ont été recueillis ou obtenus par une institution fédérale « sous réserve des autres lois fédérales ». Dans ce contexte, la Loi régit ce qui pourrait être considéré comme l’attente résiduelle en matière de vie privée à l’égard de documents dont l’institution fédérale est légalement saisie.

[55] L’article 26 de la Loi interdit à une institution fédérale de communiquer des renseignements personnels portant sur d’autres individus, sauf dans certaines circonstances. Les renseignements personnels peuvent être communiqués si les autres individus donnent leur consentement ou si cette communication est permise en vertu du paragraphe 8(2) de la Loi, qui autorise la communication sans consentement dans des situations limitées et précises. L’article 8 de la loi est reproduit en annexe.

[56] Par exemple, et c’est ce qui s’applique en l’espèce, en vertu de l’alinéa 8(2)a) de la Loi, les renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale peuvent être communiqués aux fins auxquelles ils ont été recueillis ou pour des usages compatibles avec ces fins. Dans l’arrêt Bernard, la Cour suprême du Canada a confirmé le critère pour qu’un usage soit compatible avec l’objet de la communication. Elle a déclaré que pour être visée par l’alinéa 8(2)a) de la Loi, l’usage n’a pas à être identique aux fins auxquelles les renseignements ont été recueillis; il n’a qu’à être compatible avec celles-ci en ce qu’il suffit qu’il existe un lien suffisamment direct entre les fins et l’usage projeté de sorte qu’il serait raisonnable que l’employé s’attende à ce que les renseignements soient utilisés de la manière proposée (Bernard, au para 31).

[57] En vertu de l’alinéa (8)(2)e) de la Loi, les renseignements personnels peuvent être communiqués à un organisme d’enquête déterminé par règlement et qui en fait la demande par écrit, en vue de faire respecter des lois fédérales ou provinciales ou pour la tenue d’enquêtes licites, pourvu que la demande précise les fins auxquelles les renseignements sont destinés et la nature des renseignements demandés; elle « autorise une institution fédérale à communiquer des renseignements personnels sans le consentement de l’individu qu’ils concernent lorsqu’un organisme d’enquête en fait la demande » (Savard c Société canadienne des postes, 2008 CF 671 au para 28).

[58] Par conséquent, la Loi protège contre la communication aveugle de renseignements privés d’une manière non permise par le paragraphe 8(2).

[59] Les plaintes d’individus qui soutiennent que des renseignements personnels détenus par une institution fédérale ont été recueillis, utilisés ou communiqués de façon inappropriée font l’objet d’une enquête par l’enquêteur du Commissaire à la protection de la vie privée (articles 29 et 54 de la Loi; Azubuike, au para 39). Lorsqu’il enquête, le Commissaire à la protection de la vie privée doit être impartial, indépendant et objectif (Cie HJ Heinz du Canada Ltée c Canada (Procureur général), 2006 CSC 13 aux para 33 à 36).

[60] Le Commissaire à la protection de la vie privée jouit d’un vaste pouvoir discrétionnaire lorsqu’il mène des enquêtes qu’il juge appropriées, ou, autrement dit, « le commissaire est maître de sa procédure » (EW, au para 20; voir également les articles 32 à 34 de la Loi).

[61] À la fin d’une enquête, l’enquêteur du Commissaire à la protection de la vie privée prépare un rapport d’enquête (EW, au para 21). Après examen de ce rapport et des éléments de preuve versés au dossier, le Commissaire à la protection de la vie privée remet un rapport définitif (EW au para 21). Ses conclusions et recommandations ne sont pas juridiquement contraignantes et le Commissaire à la protection de la vie privée n’a pas le pouvoir de rendre des ordonnances (article 35 de la Loi).

[62] Le Commissaire à la protection de la vie privée a donc pour rôle « de résoudre les différends de manière informelle, faisant en fait fonction d’ombudsman et offrant un recours subsidiaire, non judiciaire, permettant de régler les problèmes qui se posent en matière de protection de la vie privée » (EW, au para 22). Par conséquent, ce n’est que si « le rapport comportait des omissions majeures, des conclusions déraisonnables ou non défendables, des erreurs d’interprétation du contexte factuel et juridique ou encore des commentaires démontrant un préjugé ou un parti-pris de la part de l’enquêteur, [que] la Cour pourrait intervenir » (Oleinik, au para 11).

(3) Était-il raisonnable pour le Commissaire à la protection de la vie privée de conclure que la communication par l’École des renseignements concernant Mme Joseph à la police d’Ottawa constituait un usage compatible avec les fins auxquelles les renseignements avaient été recueillis, conformément à l’alinéa 8(2)a) de la Loi?

a) Position des parties

[63] Mme Joseph expose d’abord le mandat de l’École et précise qu’elle est responsable (1) d’offrir des services de formation et d’éducation pour veiller à ce que tous les employés de la fonction publique possèdent les connaissances et les compétences dont ils ont besoin pour fournir aux Canadiens les résultats auxquels ils s’attendent; et (2) d’élaborer, d’offrir et de mettre régulièrement à jour, en collaboration avec le Secrétariat du Conseil du Trésor et les principaux organismes responsables de la sécurité, des cours et des programmes qui répondent aux besoins des collectivités fonctionnelles de sécurité et de gestion de l’identité, d’évaluer si les participants les ont réussis et de rendre compte des résultats au Secrétariat du Conseil du Trésor tous les ans.

[64] Mme Joseph soutient que la présente demande concerne la communication des renseignements sans le consentement de l’individu en question, contrairement au paragraphe 8(2) de la Loi. Elle souligne que le représentant initial de l’École a invoqué l’alinéa 8(2)e) pour autoriser sa communication à la police d’Ottawa et soutient que celle-ci n’est pas visée par les catégories d’enquête du Règlement sur la protection des renseignements personnels.

[65] À l’audience, elle a en outre affirmé que le Commissaire à la protection de la vie privée avait commis une erreur en invoquant l’alinéa 8(2)a) de la Loi pour justifier la communication. Plus précisément, Mme Joseph a soutenu que (1) les renseignements ont été préparés aux fins de dotation, plutôt qu’aux fins de sécurité; et (2) la Norme sur le filtrage de sécurité du Secrétariat du Conseil du Trésor définit ce que sont des « usages compatibles » et, selon leur définition, ils n’autorisent pas la communication aux fins d’enquête criminelle sans consentement.

[66] Le PGC répond que le Commissaire à la protection de la vie privée a raisonnablement conclu que l’École n’a pas contrevenu à la Loi lorsque le service de sécurité de l’École a fourni le nom, la date de naissance et l’adresse de Mme Joseph à la police d’Ottawa relativement à l’incident du télécopieur. Il affirme que la communication était conforme aux fins auxquelles les renseignements ont été recueillis conformément à l’alinéa 8(2)a) de la Loi. Le PGC est d’avis que le Commissaire à la protection de la vie privée a correctement appliqué le critère des « usages compatibles » énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Bernard, et que les renseignements n’ont pas été recueillis uniquement aux fins de dotation. Le PGC soutient donc qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que le service de sécurité de l’École fasse un suivi auprès de la police d’Ottawa et lui fournisse l’identité de l’expéditeur une fois que cette information serait connue. Le PGC soutient qu’il n’y a aucune raison de modifier la décision du Commissaire à la protection de la vie privée sur cette question.

b) Décision

[67] En bref, guidé par les enseignements de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Bernard, le Commissaire à la protection de la vie privée a conclu que (1) les renseignements de Mme Joseph (nom, date de naissance, adresse) ont été recueillis par l’École pour assurer la sécurité de l’École et de ses employés; (2) la communication des renseignements personnels concernant Mme Joseph a été faite pour signaler la situation à la police; et (3) la communication était conforme à l’enquête interne de l’École et il existait un lien suffisamment direct entre les fins auxquelles les renseignements ont été préparés et l’usage pour lequel ils ont été communiqués par l’École, de sorte qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’une telle communication se produise.

[68] En ce qui concerne le lien direct entre les fins auxquelles les renseignements ont été recueillis et l’usage pour lequel ils ont été communiqués, le Commissaire à la protection de la vie privée a indiqué ce qui suit :

[traduction]

Les éléments qui précèdent prévoient qu’une institution doit s’assurer qu’elle enquête sur les activités criminelles soupçonnées et qu’elle les signale aux autorités compétentes chargées de l’application de la loi, au besoin. Étant donné que les pièces d’armes étaient en fait légales au Canada, en rétrospective, l’EFPC a peut-être fait preuve d’une prudence excessive lorsqu’elle a signalé cette affaire au SPO. Toutefois, compte tenu du fait que de nombreuses armes différentes sont soit prohibées, soit restreintes au Canada, nous sommes d’avis que l’EFPC était de bonne foi lorsqu’elle a signalé aux autorités compétentes ce qu’elle croyait être une infraction criminelle potentielle et que cela était conforme à son enquête interne. En effet, la communication au SPO a permis à l’EFPC de terminer son enquête et de rétablir l’attestation de sécurité de la plaignante. À notre avis, compte tenu de la nature de la télécopie, il est raisonnable de s’attendre à ce que l’EFPC prenne des mesures pour déterminer s’il s’agissait d’une preuve d’infraction criminelle, y compris en communiquant l’information à la police.

[69] Compte tenu du rapport et de la preuve présentée à la Cour, je conviens avec le PGC qu’il n’y a pas lieu de modifier la décision du Commissaire à la protection de la vie privée sur cette question. Mme Joseph n’a pas démontré que la conclusion du Commissaire à la protection de la vie privée est déraisonnable, selon l’alinéa 8(2)a) de la Loi et compte tenu du dossier.

[70] Premièrement, en ce qui concerne les fins auxquelles les renseignements ont été recueillis, je ne suis pas d’accord avec Mme Joseph pour dire que le Commissaire à la protection de la vie privée a commis une erreur en concluant que les renseignements en jeu, c’est-à-dire son nom, sa date de naissance et son adresse, ont été recueillis uniquement aux fins de dotation. En effet, il est concevable qu’un employeur cherche à obtenir ces renseignements, notamment aux fins de dotation. Toutefois, il est tout aussi clair, comme l’a souligné le PGC, que les raisons pour lesquelles un employeur recueille le nom, la date de naissance et l’adresse d’un employé sont nombreuses et ne se limitent pas aux fins de la dotation, et il était raisonnable que le Commissaire à la protection de la vie privée se concentre sur l’aspect de la sécurité, particulièrement dans le contexte de la présente affaire.

[71] Deuxièmement, je ne vois rien de déraisonnable dans la conclusion du Commissaire à la protection de la vie privée selon laquelle les renseignements de Mme Joseph ont été communiqués afin de signaler la situation à la police. La télécopie laissée sans surveillance concernait une demande de pièces d’armes à feu et le dossier appuie donc la conclusion du Commissaire à la protection de la vie privée.

[72] Troisièmement, le Commissaire à la protection de la vie privée a bien appliqué le critère des « usages compatibles » énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Bernard. Le Commissaire à la protection de la vie privée a tenu compte des observations de Mme Joseph et de l’École, et a raisonnablement conclu qu’il existait un lien suffisamment direct entre les fins auxquelles les renseignements personnels ont été préparés (sécurité) et l’usage pour lequel ils ont été communiqués par l’École (signaler la situation à la police), de sorte qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’une telle communication ait lieu.

[73] Lorsqu’ils sont lus dans leur ensemble, conjointement avec le dossier, les motifs doivent permettre à la Cour de conclure qu’ils fournissent la justification, la transparence et l’intelligibilité requises d’une décision raisonnable et qu’ils sont justifiés au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci (Vavilov, aux para 15 et 99), et en l’espèce, je conviens qu’ils le font.

[74] L’argument soulevé par Mme Joseph selon lequel l’alinéa 8(2)e) devrait s’appliquer et n’a pas été abordé par le Commissaire à la protection de la vie privée n’est pas un motif suffisant pour justifier l’intervention de la Cour. Il n’est pas nécessaire que les motifs soient complets ou parfaits, et ils n’ont pas à traiter de tous les arguments avancés par une partie ou consignés au dossier. Comme l’a souligné la Cour suprême, « [i]l se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision » (Newfoundland Nurses, au para 16). De plus, un contrôle judiciaire n’est pas une « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34 au para 54). La Cour doit lire les motifs « en essayant de les comprendre, et non pas en se posant des questions sur chaque possibilité de contradiction, d’ambiguïté ou sur chaque expression malheureuse » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Ragupathy, 2006 CAF 151 au para 15).

[75] De plus, Mme Joseph n’a pas démontré que cette omission était importante. Notamment, le dossier montre que le Commissaire à la protection de la vie privée a examiné l’argument de Mme Joseph et a convenu avec elle que l’alinéa 8(2)e) ne s’appliquait pas étant donné que la police d’Ottawa n’est pas un « organisme d’enquête » selon l’annexe de la Loi.

[76] Enfin, bien que Mme Joseph signale des divergences et des omissions factuelles mineures dans le rapport (p. ex. certaines dates), aucune de ces questions n’est au cœur des conclusions du Commissaire à la protection de la vie privée et elles ne peuvent être considérées comme des omissions importantes (Oleinik, au para 11).

[77] Je conclus donc que Mme Joseph n’a pas démontré qu’il était déraisonnable pour le Commissaire à la protection de la vie privée de conclure que la communication par l’École des renseignements de Mme Joseph à la police d’Ottawa était un usage compatible avec les fins auxquelles les renseignements ont été recueillis, conformément à l’alinéa 8(2)a) de la Loi.

(4) Était-il raisonnable pour le Commissaire à la protection de la vie privée de conclure que la communication par l’ombudsman des renseignements de Mme Joseph au service de sécurité de l’École était compatible avec les fins auxquelles ils ont été recueillis, conformément à l’alinéa 8(2)a) de la Loi?

a) Position des parties

[78] En ce qui concerne la première conclusion du Commissaire à la protection de la vie privée à la question 7, à savoir que l’ombudsman a communiqué les renseignements « aux fins » auxquelles ils ont été recueillis et que la communication était conforme à l’alinéa 8(2)a) de la Loi, Mme Joseph soutient que l’article 28 de la Loi et le Règlement sur la protection des renseignements personnels, DORS/83-508 [le Règlement] l’obligent à demander accès à ses propres dossiers de santé physique et mentale. Pour déterminer si la communication irait à l’encontre de l’intérêt supérieur de l’individu, elle affirme que le Règlement limite la communication de ces renseignements uniquement aux médecins ou aux psychologues qualifiés. En l’espèce, Mme Joseph soutient que la communication n’était pas autorisée par la Loi puisque ni l’ombudsman de l’École ni le service de sécurité de l’École ne sont des médecins ou des psychologues qualifiés et qu’elle n’a pas demandé ses renseignements médicaux. Par conséquent, Mme Joseph soutient que la Loi n’autorise pas une telle communication.

[79] De plus, Mme Joseph souligne que l’observation initiale de l’École faisait référence à l’alinéa 8(2)e) comme fondement de la communication des renseignements par l’ombudsman au service de sécurité de l’École, alors que, insiste Mme Joseph, le service de sécurité de l’École n’est pas un organisme d’enquête selon l’annexe II de la Loi.

[80] En ce qui concerne la deuxième conclusion du Commissaire à la protection de la vie privée relativement à la question 7, à savoir qu’il n’a pas confirmé qu’une telle communication avait eu lieu, Mme Joseph a déclaré à l’audience qu’elle conteste cette conclusion, mais elle n’a pas fait état d’éléments de preuve qui contredisent la conclusion du Commissaire à la protection de la vie privée selon laquelle il n’y a pas eu de communication de renseignements concernant les plaintes de violence en milieu de travail de Mme Joseph.

[81] Le PGC répond que le Commissaire à la protection de la vie privée a raisonnablement conclu que l’ombudsman de l’École n’a pas contrevenu à la Loi lorsqu’il a communiqué les renseignements personnels de Mme Joseph dans une déclaration écrite au service de sécurité de l’École. Le PGC soutient en outre que Mme Joseph n’a pas signalé d’omissions importantes dans l’enquête ou le rapport, ce qui pourrait rendre la décision du Commissaire à la protection de la vie privée déraisonnable. Selon le PGC, Mme Joseph soulève plutôt de nouvelles allégations concernant d’autres employés de l’École qui n’ont pas été soumises au Commissaire à la protection de la vie privée au moment de la préparation du rapport.

b) Décision

[82] La plainte de Mme Joseph portait sur le fait que l’ombudsman avait communiqué au service de sécurité de l’École des renseignements personnels la concernant, l’opinion selon laquelle Mme Joseph constitue une [traduction] « menace » pour la sécurité de l’École et les plaintes de violence en milieu de travail qu’elle avait déposées.

[83] En ce qui a trait à la première conclusion à la question 7, le Commissaire à la protection de la vie privée a conclu que (1) l’ombudsman avait communiqué au service de sécurité de l’École les renseignements médicaux de Mme Joseph et l’allégation de [traduction] « menace »; (2) les renseignements avaient été recueillis dans le but d’aborder les incidents soulevés par un employé; (3) l’information a été communiquée au service de sécurité de l’École afin que les problèmes soulevés puissent être traités par la voie appropriée; et (4) par conséquent, l’ombudsman a communiqué les renseignements aux fins auxquelles ils ont été recueillis et la communication était conforme à l’alinéa 8(2)a) de la Loi.

[84] D’abord, je n’ai pas vu l’article 28 de la Loi être examiné par le Commissaire à la protection de la vie privée. Quoi qu’il en soit, l’argument de Mme Joseph, selon lequel l’ombudsman de l’École n’était pas autorisé à communiquer les renseignements parce qu’elle n’a jamais demandé ses renseignements médicaux et que ce serait contraire à l’intérêt supérieur de l’individu en application de l’article 28 de la Loi et du Règlement, n’est pas fondé.

[85] L’objet de l’article 28 de la Loi est de limiter le droit général des individus en vertu du paragraphe 12(1) de la Loi de demander des renseignements médicaux les concernant et relevant d’une institution fédérale et d’y avoir accès. Il est rédigé comme suit :

28 Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) qui portent sur l’état physique ou mental de l’individu qui en demande communication, dans les cas où la prise de connaissance par l’individu concerné des renseignements qui y figurent desservirait celui-ci.

[86] L’article 28 et le Règlement limitent et prescrivent la procédure à suivre en matière de communication et d’examen de renseignements personnels relatifs à la santé physique et mentale dans le cadre d’une demande d’accès à l’information; ils ne traitent pas du droit d’une institution fédérale de communiquer ces renseignements à un tiers. Comme je l’ai expliqué, l’article 8 de la Loi porte sur cette communication.

[87] Encore une fois, l’article 8 permet à une institution fédérale de communiquer des renseignements personnels, y compris des renseignements médicaux conformément à l’article 3 de la Loi, sans le consentement de l’individu à l’une des fins énumérées au paragraphe 8(2) de la Loi, ce qui ne limite pas la communication à un médecin ou un psychologue.

[88] Je note que Mme Joseph n’a soulevé aucun argument concernant le caractère raisonnable de la conclusion du Commissaire à la protection de la vie privée selon laquelle il était approprié que l’ombudsman communique les renseignements personnels la concernant au service de sécurité de l’École en vertu de l’alinéa 8(2)a) de la Loi, et je conviens avec le PGC que cette conclusion était raisonnable. Le Commissaire à la protection de la vie privée a noté que l’ombudsman avait recueilli les renseignements auprès de l’autre employé afin de régler les problèmes soulevés par ledit employé, a reconnu que la voie appropriée pour régler les problèmes qui avaient été soulevés était par le service de sécurité de l’École et a donc raisonnablement conclu que les renseignements avaient été communiqués « aux fins » auxquelles ils avaient été recueillis. L’ombudsman a raisonnablement conclu que la communication était conforme à l’alinéa 8(2)a) de la Loi.

[89] Deuxièmement, le raisonnement que j’ai exposé dans la question 1 relativement à l’alinéa 8(2)e) de la Loi s’applique également en l’espèce. Les motifs du Commissaire à la protection de la vie privée n’ont pas à traiter de chacune des questions soulevées par le demandeur; et de toute façon, l’alinéa 8(2)e) ne s’applique pas étant donné que l’ombudsman de l’École n’est pas un « organisme d’enquête » selon l’annexe de la Loi.

[90] Mme Joseph n’a pas démontré que la conclusion du Commissaire à la protection de la vie privée était déraisonnable, selon l’alinéa 8(2)a) de la Loi et compte tenu du dossier.

[91] En ce qui concerne la deuxième conclusion du Commissaire à la protection de la vie privée à la question 7, à savoir qu’il ne pouvait pas confirmer que la communication au sujet de ses plaintes au travail avait réellement eu lieu, Mme Joseph n’a pas mentionné d’éléments de preuve qui contredisent la conclusion du Commissaire à la protection de la vie privée. Elle ne s’est donc pas acquittée de son fardeau d’établir que cette conclusion est déraisonnable.

C. Violation de l’allégation fondée sur l’article 8 de la Charte

a) Position des parties

[92] D’abord, Mme Joseph note que, selon R c Dyment, [1988] 2 RCS 417, une saisie est le fait de prendre quelque chose sans consentement. Mme Joseph soutient donc que l’École et la police d’Ottawa ont effectué une fouille, une perquisition et une saisie sans mandat en raison de l’urgence de la situation en l’espèce. Elle ajoute que, par suite de la fouille, de la perquisition et de la saisie, ses renseignements personnels ont été compromis et qu’elle a ainsi qualité pour soulever une contestation fondée sur la Charte.

[93] Elle est d’avis que (1) l’École est un acteur de l’État et est ainsi assujettie à la Charte selon l’article 32 de la Charte; (2) elle avait des attentes raisonnables en matière de vie privée dans son milieu de travail; (3) la fouille, la perquisition et la saisie étaient abusives. À l’audience, elle a notamment renvoyé aux arrêts de la Cour suprême R c Cole, 2012 CSC 53, R c Marakah, 2017 CSC 59, et Hunter et autres c Southam Inc, [1984] 2 RCS 145.

[94] Le PGC soutient qu’il n’y a pas lieu d’intervenir dans la décision du Commissaire à la protection de la vie privée sur cette question. Contrairement aux observations de Mme Joseph, le PGC soutient que le Commissaire à la protection de la vie privée n’était pas tenu d’examiner la question de savoir si la communication de l’École avec la police d’Ottawa mettait en cause ou violait ses droits garantis par l’article 8 de la Charte, et souligne que Mme Joseph semble avoir soulevé la question de la Charte pour la première fois le 3 novembre 2021, après la publication du rapport. Même si cet argument avait été soulevé en temps opportun, le PGC est d’avis que la compétence du Commissaire à la protection de la vie privée en l’espèce se limitait à faire enquête et à formuler des conclusions et des recommandations non contraignantes à l’égard des allégations selon lesquelles une institution fédérale a fait des communications qui contrevenaient à la Loi.

b) Analyse

[95] Selon la preuve au dossier, Mme Joseph a soulevé sa demande fondée sur la Charte pour la première fois le 3 novembre 2021 (DCT, onglet 69A), donc après la publication du rapport final le 28 octobre 2021. Les documents auxquels Mme Joseph fait référence à l’audience ne démontrent pas le contraire.

[96] Par conséquent, Mme Joseph soulève une question dont le Commissaire à la protection de la vie privée n’était pas dûment saisi et qui n’a donc pas été abordée dans le rapport. Selon la règle générale, les nouvelles questions qui auraient pu être soulevées devant le décideur administratif ne devraient pas être examinées dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 aux para 22 à 26 [Alberta Teachers’ Association]; Forest Ethics Advocacy Association c Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245 aux para 37 à 47 [Forest Ethics]). C’est notamment le cas pour les questions relatives à la Charte (Forest Ethics, aux para 37 et 46; Benito c Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada, 2019 CF 1628 au para 55 [Benito]).

[97] La cour de révision a le pouvoir discrétionnaire d’examiner une question soulevée pour la première fois dans le cadre d’un contrôle judiciaire, mais elle peut refuser de le faire lorsqu’il serait inapproprié de le faire (Alberta Teachers, au para 23). Selon la règle générale, « dans une instance en contrôle judiciaire, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas exercé au bénéfice du demandeur lorsque la question en litige aurait pu être soulevée devant le [décideur] administratif mais qu’elle ne l’a pas été » (Alberta Teachers, au para 23). De nombreuses raisons sous-tendent cette règle, notamment le rôle du décideur administratif en tant que juge des faits et juge du fond, son appréciation des considérations de politique générale et le préjudice possible pour les autres parties (Alberta Teachers, aux para 23 à 26; Forest Ethics, au para 57; Benito, au para 56).

[98] Mme Joseph n’a fourni aucun motif pour justifier que la Cour déroge à la règle, et je suis convaincue qu’il ne serait pas approprié d’exercer mon pouvoir discrétionnaire pour examiner la question de la Charte pour la première fois dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Je déclinerai donc son invitation à examiner cet argument (Forest Ethics, aux para 53 à 57; Benito, au para 57).

IV. Dépens

[99] Le PGC demande des dépens et propose un montant forfaitaire de 500 $.

[100] Compte tenu du pouvoir discrétionnaire de la Cour d’adjuger des dépens en vertu de l’article 400 des Règles, et étant donné tenu que Mme Joseph se représente elle-même et qu’elle a présenté des demandes informelles quelques jours avant l’audience, et vu la quantité de documents écrits produits et du temps consacré aux plaidoiries relativement à la demande, je conclus que des dépens de 500 $, tout compris, sont appropriés et je les accorde.

V. Conclusion

[101] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée et les dépens seront adjugés en faveur du PGC.


JUGEMENT dans T-1797-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Des dépens sont adjugés au procureur général du Canada au montant de 500 $.

  3. L’intitulé de la cause est modifié pour indiquer que le procureur général du Canada est le seul défendeur en vertu du paragraphe 303(2) des Règles des Cours fédérales (DORS/98-106).

« Martine St-Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1797-21

INTITULÉ :

ELSA JOSEPH c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 février 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

La juge ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

Le 3 avril 2023

COMPARUTIONS :

Elsa Joseph

POUR La DEMANDEresse

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Marshall Jeske

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elsa Joseph

Ottawa (Ontario)

POUR La DEMANDEresse

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur


ANNEXE

 

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