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Date : 20230405


Dossier : IMM-6017-21

Référence : 2023 CF 485

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 avril 2023

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE:

ANGIE PAOLA ARAGON CAICEDO

JUAN GABRIEL CHITIVA VARGAS

CRISTOFER CHITIVA ARAGON

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs sont des citoyens de Colombie. Ils affirment craindre les trafiquants de drogue mexicains qui ont menacé la demanderesse, Angie Paola Aragon Caicedo, alors qu’elle travaillait comme agent de contrôle à l’aéroport de Bogota, et qui ont tenté de la recruter pour qu’elle les aide dans leurs activités de trafic de drogue. Après avoir quitté son emploi et déménagé ailleurs dans la ville de Bogota, elle raconte qu’ils l’ont retrouvée et l’ont à nouveau menacée en raison de ses liens avec d’anciens collègues de travail à l’aéroport.

[2] Les demandeurs ont fui la Colombie, d’abord pour les États-Unis d’Amérique, où ils n’ont pas présenté de demande d’asile, puis pour le Canada, plusieurs mois plus tard.

[3] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté la demande d’asile des demandeurs, concluant que l’existence d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] à Tunja était déterminante [la décision]. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision.

[4] La question principale sur laquelle la Cour doit statuer est de savoir si la décision est intelligible, transparente et justifiée, en bref, si elle est raisonnable par rapport à la norme de contrôle applicable et présumée : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 25, 99.

[5] Pour les motifs qui suivent, je juge que les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau qui leur incombait de démontrer que la décision est déraisonnable : Vavilov, précité, au para 100. Je rejetterai donc leur demande de contrôle judiciaire.

II. Analyse

[6] Les demandeurs ne m’ont pas convaincue que la décision est fondée sur une analyse illogique ou irrationnelle ni qu’il y a une faille décisive dans la logique globale de la SPR : Vavilov, précité, aux para 85, 102.

[7] À titre préliminaire, le défendeur demande que l’intitulé soit modifié pour corriger le nom du demandeur mineur de Cristofer Chitiva Vargas à Cristofer Chitiva Aragon. Les demandeurs n’ont présenté aucune objection à la modification proposée. Notant que le dossier certifié du tribunal indique que le nom inscrit sur le passeport et la carte d’identité colombienne du demandeur mineur est Cristofer Chitiva Aragon et que ce nom figure sur d’autres documents du dossier du demandeur, y compris sur la page de couverture et sur l’affidavit à l’appui de Mahjabeen Wazir Sheikh, la Cour ordonnera que l’intitulé soit modifié en conséquence avec effet immédiat.

[8] Une demande d’asile sera rejetée si le demandeur dispose d’une PRI viable : Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1993 CanLII 3011 (CAF), [1994] 1 CF 589 [Thirunavukkarasu]. Le critère à deux volets pour établir l’existence d’une PRI viable n’est pas contesté. Pour justifier la demande d’asile, il incombe au demandeur d’asile d’établir, selon la prépondérance des probabilités, (i) qu’il existe une possibilité sérieuse de persécution à l’endroit proposé comme PRI et (ii) qu’objectivement, compte tenu de toutes les circonstances, y compris celles qui sont propres aux demandeurs, il serait déraisonnable ou trop sévère de s’attendre à ce qu’ils s’y installent : Thirunavukkarasu, précité; Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1991 CanLII 13517 (CAF), [1992] 1 CF 706; Olasina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 103 au para 4; et Haastrup c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 141 au para 29.

[9] Comme je l’explique, à mon avis, lorsqu’elle a examiné le premier critère pour apprécier la viabilité de la PRI, la SPR a raisonnablement tenu compte de l’insuffisance de la preuve concernant les moyens et la motivation des agents de persécution allégués. Il n’est pas envisageable de s’attendre à ce que la SPR prenne des décisions dans le vide : Torres Zamora c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1071 au para 14.

[10] Par rapport au premier volet du critère relatif à la PRI décrit ci-dessus, les demandeurs soutiennent qu’ils ne sont pas tenus d’identifier leurs agents de persécution ni de fournir une preuve corroborante de leur identité pour appuyer leur demande : Diaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 797 aux para 19-22; Urbano c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1258 aux para 2, 6-11. Comme l’a noté le défendeur, cependant, ces deux affaires se distinguent de la présente affaire, car la question de l’identité des agents de persécution n’a pas été examinée dans le contexte de l’analyse de la PRI qui, selon la Cour, présentait d’autres failles susceptibles de contrôle.

[11] Indépendamment de la question de savoir si les agents de persécution sont identifiables, et bien que la crédibilité des demandeurs ne soit pas en cause, le fardeau incombe toujours aux demandeurs de démontrer par des preuves concrètes qu’une PRI n’est pas viable lorsque la SPR soulève la question : Vyshnevskyy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 881 [Vyshnevskyy] aux para 32-34; Iyere c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 67 aux para 41, 42; Cherednyk c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 873 au para 29.

[12] De plus, la SPR doit apprécier les moyens et la motivation des agents de persécution dans une analyse prospective qui tient compte du point de vue des agents de persécution plutôt que de celui des demandeurs : Adeleye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 81 au para 21. À mon avis, la SPR a raisonnablement tenu compte des moyens et de la motivation des agents de persécution et conclu que le témoignage et la preuve des demandeurs au sujet de leur influence et de leur portée (c.-à-d. le fait qu’ils utiliseraient leurs relations pour retrouver les demandeurs et que la police corrompue pourrait les aider) étaient basés sur des suppositions.

[13] La SPR a également conclu que les agents de persécution n’auraient plus intérêt à poursuivre Mme Aragon Caicedo non seulement compte tenu du temps qui s’est écoulé (trois ans) depuis qu’ils l’ont approchée ou contactée, mais aussi en raison du fait qu’elle n’entretient plus de liens avec l’aéroport de Bogota. La SPR n’a pas commis d’erreur en tenant compte du temps écoulé étant donné l’absence de preuve objective suffisante étayant que les agents de persécution continuent de s’intéresser aux demandeurs : Vyshnevskyy, précitée, aux para 33-35. De plus, la SPR a expliqué de façon intelligible que, bien que le témoignage des demandeurs démontre la présence des agents de persécution à Bogota, il serait hypothétique de conclure qu’ils exercent une influence ou une présence dans d’autres villes telles que Tunja.

[14] Contrairement à ce que prétendent les demandeurs, je juge que la SPR a raisonnablement examiné leur preuve documentaire, dont elle est présumée avoir examiné, sauf preuve du contraire : Basanti c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1068 au para 24. Par exemple, en ce qui concerne la lettre du voisin déclarant que des personnes étaient toujours à la recherche des demandeurs, la SPR ne lui a attribué aucun poids parce qu’elle mentionne qu’il n’est pas possible de savoir si les personnes qui font aujourd’hui du porte-à-porte à la recherche des demandeurs sont les mêmes agents de persécution ou non.

[15] Les demandeurs n’ont pas réussi à me convaincre que le raisonnement de la SPR est illogique dans les circonstances ou que la SPR aurait dû inférer que les personnes qui les cherchaient encore étaient les mêmes agents de persécution. À mon avis, le deuxième argument revient à demander à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve et de parvenir à une conclusion différente, ce qu’elle ne peut pas faire, car ce n’est pas son rôle dans le cadre d’un contrôle judiciaire : Vavilov, précité, au para 125; Sunday c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 266 au para 3.

[16] De plus, le fait qu’il était loisible à la SPR de tirer de la preuve une conclusion qui aurait pu s’avérer davantage favorable aux demandeurs ne signifie pas que la SPR a mal apprécié la preuve : Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 676 au para 21; Solis Mendoza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 203 au para 43; Popoola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 555 au para 15.

[17] À mon avis, il était également loisible à la SPR de conclure qu’il serait hypothétique de juger que les demandeurs sont exposés à une possibilité de persécution sérieuse dans la PRI compte tenu de la preuve objective sur les conditions dans le pays qui identifie de nombreux groupes de trafiquants de drogue mexicains en Colombie. Comme la SPR l’a expliqué de façon raisonnable, la conclusion est fondée sur l’insuffisance de la preuve étayant l’appartenance des agents de persécution à l’un des nombreux groupes de trafiquants en Colombie.

[18] En ce qui concerne le deuxième volet du critère relatif à la PRI, je ne suis pas convaincue que la SPR n’a pas tenu compte de la preuve concernant la discrimination en matière d’emploi à laquelle doivent faire face les femmes en Colombie ou de la preuve concernant la santé mentale des demandeurs, ou qu’elle a adopté une approche fautive dans son analyse concernant le caractère raisonnable de leur réinstallation au lieu proposé comme PRI.

[19] Je conviens avec le défendeur que les conclusions de la SPR sur le deuxième volet du critère sont justifiées, intelligibles et transparentes, compte tenu du dossier dont elle était saisie : Vavilov, précité, aux para 99-101. La SPR a examiné les antécédents et les profils des demandeurs, et a conclu qu’il n’était pas objectivement déraisonnable pour eux de déménager à Tunja, compte tenu de leur situation personnelle. La SPR a également analysé la preuve concernant la santé mentale des demandeurs et a conclu qu’elle ne permettait pas d’établir qu’ils seraient incapables d’accéder aux soins de santé mentale offerts à Tunja.

[20] À mon avis, les observations des demandeurs à ce sujet équivalent une fois de plus à une demande d’apprécier à nouveau la preuve. Je juge que les demandeurs ont omis d’expliquer toute erreur que la SPR aurait commise dans son l’analyse. Par exemple, les demandeurs soutiennent que les femmes sont victimes de discrimination en matière d’emploi en Colombie et relèvent des éléments de preuves qui étayent la situation dans le pays. Cependant, les demandeurs ne décrivent pas en quoi la SPR a adopté une approche fautive à l’égard de cette preuve. De plus, bien que la SPR n’ait pas mentionné expressément cette preuve, les décideurs ne sont pas tenus de faire référence à chaque élément de preuve : Canada (Procureur général) c Clegg, 2008 CAF 189 aux para 29-44, citant Cepeda-Gutierrez c Canada, 1998 CanLII 8667 (CF), [1998] ACF nº 1425 (QL).

III. Conclusion

[21] En raison des motifs susmentionnés, je ne suis pas convaincue que la décision de la SPR est déraisonnable. Je rejetterai donc la demande de contrôle judiciaire du demandeur.

[22] Les parties n’ont pas proposé de question grave de portée générale à des fins de certification, et je conclus que les circonstances de la présente affaire n’en soulèvent aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6017-21

LA COUR STATUE :

  1. L’intitulé est modifié avec effet immédiat pour changer le nom du demandeur, de Cristofer Chitiva Vargas à Cristofer Chitiva Aragon.

  2. La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Janet M. Fuhrer »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6017-21

 

INTITULÉ :

ANGIE PAOLA ARAGON CAICEDO, JUAN GABRIEL CHITIVA VARGAS, CRISTOFER CHITIVA ARAGON c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 NOVEMBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FUHRER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 AVRIL 2023

 

COMPARUTIONS :

Yasin Ahmed Razak

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Rachel Beaupré

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Yasin Ahmed Razak

Razak Law

Etobicoke (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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