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Date : 20230330


Dossier : IMM-3627-22

Référence : 2023 CF 454

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 30 mars 2023

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

JOSEPH OSARETIN AGBON-EDOBOR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, monsieur Joseph Osaretin Agbon-Edobor, est un citoyen du Nigéria âgé de 25 ans.

[2] Le 3 mai 2021, le demandeur a été accepté pour suivre le programme (coopératif) de gestion des opérations et de la chaîne logistique – activités commerciales, au collège Fanshawe de janvier 2022 à avril 2024.

[3] Le demandeur a présenté une demande de permis d’études en novembre 2021 sur la foi de son admission au collège Fanshawe. En raison de son jeune âge et de ses ressources financières personnelles limitées, le demandeur a produit une lettre de parrainage de son cousin, le Dr Idehen, urgentiste résidant en Nouvelle-Écosse. Le Dr Idehen se disait disposé à assumer la totalité des dépenses du demandeur pendant sa période d’études.

[4] Dans une lettre de refus datée du 3 mars 2022, un agent [l’agent] des visas du Haut-commissariat du Canada à Nairobi, au Kenya, a conclu que le demandeur ne remplissait pas les exigences prescrites dans la loi pour un permis d’études. Plus particulièrement, l’agent n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé, comme l’exige le paragraphe 216(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR], en se fondant sur ses avoirs personnels et sa situation financière [la décision].

[5] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision est déraisonnable et j’accueille la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur.

II. Question préliminaire

[6] Le défendeur a demandé à l’audience que l’intitulé soit modifié de manière que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration soit désigné à titre de défendeur. Je rends une ordonnance en ce sens.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[7] La principale question en litige en contrôle judiciaire consiste à savoir si la décision est raisonnable. De plus, le demandeur soutient que les motifs inappropriés donnés par l’agent ne respectent pas l’équité procédurale.

[8] J’estime que la question déterminante est le caractère raisonnable de la décision.

[9] Les parties conviennent que le bien-fondé de la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Une décision raisonnable doit être « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov, au para 85. Il incombe au demandeur de démontrer le caractère déraisonnable de la décision : Vavilov, au para 100.

IV. Analyse

[10] Le demandeur soutient, dans l’ensemble, que l’agent a commis une erreur dans sa conclusion selon laquelle le programme d’études envisagé constitue une dépense déraisonnable puisqu’il a écarté complètement les documents que le demandeur a présentés à l’appui de sa demande. Le demandeur souligne qu’il a présenté une déclaration d’intention détaillée et une lettre de son avocat de l’époque, des preuves suffisantes de soutien financier, une lettre de parrainage du Dr Idehen, une preuve du paiement des frais de scolarité et d’autres pièces justificatives.

[11] Le demandeur mentionne de nouveau son jeune âge et cite la décision Obot c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 208 [Obot] pour prétendre qu’il était inintelligible que l’agent s’attende à ce qu’il ait davantage d’avoirs personnels, à 25 ans, pour remplir la condition énoncée à l’alinéa 216(1)b) : au para 20. De plus, il cite à nouveau la décision Obot pour soutenir que l’omission de l’agent de prendre en compte ses liens personnels au Nigéria, comme sa mère veuve, n’était pas intelligible : au para 20.

[12] Le demandeur affirme que l’agent n’a pas présenté d’explication ou de justification suffisante quant aux raisons pour lesquelles il ne croyait pas que le demandeur quitterait le Canada à la fin de ses études, puisqu’il y avait des preuves qui contredisaient directement cette conclusion.

[13] Bien que je ne sois pas convaincue par tous les arguments avancés par le demandeur, je conviens que la décision n’atteint pas le degré d’intelligibilité et de justification exigé par l’arrêt Vavilov. Plus précisément, je relève les deux erreurs susceptibles de contrôle qui suivent.

[14] En premier lieu, le demandeur a confirmé dans sa déclaration d’intention qu’il occupait à l’heure actuelle un poste d’agent d’administration et de gestion de la chaîne d’approvisionnement au sein de l’entreprise Bluelight Emergency Medical Care, et qu’il voulait suivre un programme d’études en gestion des opérations et de la chaîne d’approvisionnement afin de perfectionner ses compétences en gestion. Il a donné les raisons pour lesquelles il avait décidé de poursuivre ses études au Canada et précisé pourquoi il avait choisi le collège Fanshawe, notamment les ententes d’articulation conclues avec Chaîne d’approvisionnement Canada, qui offre l’équivalence en vue de l’obtention du titre de professionnel en gestion de la chaîne d’approvisionnement [PGCA]. Bien que je constate que le demandeur n’a pas mentionné sa mère veuve dans sa déclaration d’intention, il a bel et bien affirmé qu’il voulait rentrer au Nigéria à la fin du programme afin de mettre à profit les connaissances acquises.

[15] L’ancien avocat du demandeur a également formulé des observations écrites mettant en lumière les antécédents du demandeur, l’objet de sa visite, ses avoirs personnels, ses antécédents de voyage et ses liens dans son pays d’origine, dont ses liens familiaux.

[16] Les motifs de l’agent, tels qu’ils figurent dans les notes consignées au Système mondial de gestion des cas [le SMGC], sont rédigés en ces termes :

[traduction]
J’ai examiné la demande. Les documents qui ont été produits montrent que des fonds semblent disponibles, mais il y a des doutes quant à la suffisance et à la disponibilité des fonds du tiers pour toute la durée du programme, compte tenu du plan d’études du demandeur. Je ne suis pas convaincu que les études proposées constitueraient une dépense raisonnable. Après avoir soupesé les facteurs dans la présente demande, je ne suis pas convaincu que le demandeur quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Pour les motifs mentionnés précédemment, je rejette la demande.

[17] La décision ne mentionnait aucunement les explications que le demandeur a données quant aux raisons pour lesquelles il avait choisi le programme au Canada et quant à son intention de retourner au Nigéria. C’est pourquoi je souscris à la position du demandeur selon laquelle l’agent a omis de présenter des motifs suffisants expliquant pourquoi il était d’avis que le demandeur ne quitterait pas le Canada à la fin de ses études.

[18] En second lieu, en ce qui concerne les doutes de l’agent quant à la [traduction] « suffisance et à la disponibilité des fonds du tiers pour toute la durée du programme », le demandeur souligne que le Dr Idehen s’est engagé à lui offrir une aide financière, comme le montrent les relevés financiers que ce dernier a fournis, la lettre de parrainage qu’il a rédigée ainsi que le paiement des frais de scolarité qu’il a fait pour le premier semestre d’études du demandeur. Le demandeur cite la décision Gauthier c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1211, dans laquelle la Cour a estimé que la conclusion de l’agent quant au manque de ressources financières était déraisonnable : au para 23. Il soutient qu’il a produit une preuve similaire à celle produite dans cette affaire pour s’acquitter raisonnablement du fardeau de démontrer qu’il avait accès à des ressources financières suffisantes grâce au parrainage assuré par son cousin.

[19] Je constate que le Dr Idehen a mentionné dans sa lettre de parrainage qu’il travaille à temps plein comme urgentiste et qu’il assumera entièrement les frais de scolarité et tous les autres frais de subsistance occasionnés pendant les études du demandeur au collège Fanshawe. Le Dr Idehen a aussi expliqué qu’il résidait avec son épouse, qui est consultante en technologies de l’information, et leurs deux enfants. N’ayant pas d’autres personnes à charge, le Dr Idehen a affirmé qu’il avait un revenu disponible suffisant pour aider le demandeur pendant ses études au Canada. Dans ses observations écrites, l’ancien avocat du demandeur a aussi réitéré la volonté et la capacité du Dr Idehen de financer les études du demandeur à l’étranger.

[20] Le défendeur se fonde sur le principe bien établi selon lequel les agents sont présumés avoir tenu compte de tous les éléments de preuve dont ils disposaient, et il affirme que la décision ne saurait être déraisonnable du simple fait que l’agent a omis de renvoyer à la lettre de parrainage du Dr Idehen : Hashem c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 41 au para 28. Il prétend que la décision ne peut être annulée que « si la preuve passée sous silence est essentielle [et] qu’elle contredit la décision » : Khir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 160 au para 49.

[21] Le défendeur soutient qu’il n’était pas déraisonnable que l’agent ait des doutes quant à savoir si ces fonds de tiers seraient suffisants et disponibles, étant donné que le programme choisi par le demandeur coûte à lui seul plus de 33 500 $, tandis que le relevé bancaire du Dr Idehen en Nouvelle-Écosse faisait état d’un solde de moins de 29 000 $.

[22] En supposant que les doutes de l’agent reposaient sur cet élément – ce qui n’est pas précisé dans les motifs –, je constate que le demandeur a déjà versé la somme de 8 381 $ à l’égard de ses frais de scolarité au collège Fanshawe. Je prends aussi note des talons de paye du Dr Idehen faisant état d’un salaire net de plus de 8 000 $ aux deux semaines, ce qui correspond à un revenu annuel net de plus de 200 000 $. Compte tenu du revenu élevé du Dr Idehen, les motifs ne montrent pas clairement pourquoi l’agent douterait que l’aide financière fournie par le Dr Idehen soit suffisante ou disponible. De plus, comme le souligne le demandeur, les notes consignées au SMGC montrent que l’agent a calculé que le demandeur disposait de 65 000 $ selon les éléments de preuve, ce qui suffit amplement pour absorber le coût total des frais de scolarité, des frais de subsistance et d’autres dépenses.

[23] Le défendeur cite ensuite la décision Pasco Pla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 560, dans laquelle la Cour a conclu que l’agent avait eu raison d’exiger une preuve de fonds transférables et disponibles — non grevés de dettes ou d’autres obligations financières – d’un montant égal à la moitié du revenu vital minimum [le RVM] disponible pour le travailleur qualifié et sa famille, au titre du sous-alinéa 76(1)b)(i) du RIPR : au para 25. Je constate, toutefois, que l’agent en l’espèce n’a pas fondé sa conclusion sur l’exigence relative au RVM et que le revenu du Dr Idehen semble de beaucoup supérieur au RVM pour une grande famille.

[24] Je conviens avec le défendeur que la Cour devrait s’en remettre à l’appréciation de la preuve faite par l’agent, et qu’une décision n’est pas déraisonnable du simple fait que des inférences différentes peuvent être tirées à partir de la preuve. Je n’estime pas, toutefois, que la preuve relative à l’aide financière offerte par le Dr Idehen, étant donné son niveau de revenu manifeste, n’est pas un élément de preuve essentiel qui contredit les doutes de l’agent.

[25] Le demandeur cite la décision Runnath c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 606, dans laquelle la Cour a souligné au paragraphe 16 que « déclarer que la personne n’est pas bien établie dans son pays d’origine où elle y demeure et y travaille sur la base qu’elle “has no proof of her personal fund” ne rencontre pas les exigences de la raisonnabilité sous Dunsmuir ».

[26] De plus, je constate que, plus récemment, dans la décision Thavaratnam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 967, la juge Furlanetto a confirmé que « [l]’agent n’est pas tenu de mentionner chacun des éléments de preuve en vue de justifier sa décision et est généralement présumé avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve », mais « la décision de l’agent doit être justifiée à la lumière de la preuve au dossier » et que l’omission de la part de l’agent de montrer qu’il a analysé les éléments de preuve constitue une erreur susceptible de contrôle : au para 18.

[27] En l’espèce, l’omission de l’agent de tenir compte de plusieurs éléments de preuve pertinents, dont la lettre d’intention du demandeur et la lettre de parrainage du Dr Idehen, qui, à première vue, semblent contredire les fondements du rejet de la demande, a rendu la décision déraisonnable.

V. Conclusion

[28] La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[29] Il n’y a pas de question à certifier.



JUGEMENT dans le dossier IMM-3627-22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

  2. L’intitulé est modifié pour désigner le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration comme défendeur.

  3. Il n’y a pas de question à certifier.

« Avvy Yao-Yao Go »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3627-22

 

INTITULÉ :

JOSEPH OSARETIN AGBON-EDOBOR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 MARS 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 MARS 2023

 

COMPARUTIONS :

Ayoola Odeyemi

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Leila Jawando

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ayoola Odeyemi

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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