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Date : 20230411


Dossier : IMM-2666-22

Référence : 2023 CF 504

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 avril 2023

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

KAWALJEET KAUR SIDHU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 10 mars 2022 par laquelle un agent d’immigration a conclu que les considérations d’ordre humanitaire invoquées par la demanderesse ne justifiaient pas une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

II. Les faits

[2] La demanderesse, âgée de 42 ans, est citoyenne de l’Inde et réside actuellement au Canada avec son fils mineur.

[3] Le fils de la demanderesse est citoyen canadien.

[4] La demanderesse est entrée au Canada à titre de résidente permanente après avoir été parrainée par son premier mari. Le couple a divorcé après un an et demi. Six mois plus tard, la demanderesse s’est remariée. Un rapport d’interdiction de territoire a ensuite été établi contre elle au titre de l’article 44 de la LIPR au motif que son mariage n’était pas authentique et qu’il avait été contracté afin d’obtenir le statut de résident permanent. La demanderesse a perdu son statut par suite de la mesure d’exclusion qui est entrée en vigueur le 28 juillet 2009. Elle a quitté le Canada avec son fils en novembre 2009.

[5] Le 24 avril 2018, la demanderesse a présenté une demande en vue d’obtenir un titre de voyage de résident permanent pour des considérations d’ordre humanitaire. Elle y a exposé ses antécédents tels qu’ils ont été énoncés précédemment. Par erreur, le 18 juillet 2018, elle a reçu un titre de voyage de résident permanent qui lui a permis de retourner au Canada, où elle vit avec son fils depuis le 1er août 2018.

[6] Cette erreur a finalement été relevée et, le 19 juin 2019, la demanderesse a reçu une lettre l’avisant que son titre de voyage de résident permanent lui avait été remis par erreur et qu’elle n’était plus une résidente permanente du Canada. Elle est demeurée sans statut et a finalement présenté une demande de résidence permanente et, à titre subsidiaire, s’appuyant sur les mêmes arguments que ceux invoqués à l’appui de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, une demande de permis de séjour temporaire.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

A. Les attentes légitimes

[7] Selon la demanderesse, sa demande de résidence permanente aurait dû être accueillie conformément au principe des attentes légitimes. L’agent a reconnu que le titre de voyage de la demanderesse avait été délivré par erreur et qu’elle était déçue de son annulation; toutefois, il a fait remarquer que l’erreur administrative ne l’emportait pas sur le fait que la demanderesse avait perdu son statut de résident permanent en raison de son faux mariage avec son premier mari. De plus, l’agent a conclu que le mépris de la demanderesse pour les lois canadiennes en matière d’immigration ne donnait pas une image positive d’elle.

[8] Enfin, l’agent a également fait remarquer que pour conserver sa résidence permanente au Canada, le demandeur doit avoir résidé au pays pendant au moins 730 jours sur une période de cinq ans, mais la demanderesse en l’espèce a été absente du Canada pendant plus de huit ans. Pour ces motifs, l’agent a conclu que l’erreur ne justifiait pas une dispense au titre de l’article 25.1 de la LIPR.

B. L’établissement au Canada et les liens familiaux

[9] L’agent a reconnu que la demanderesse a un bon dossier civil, a acquis une stabilité économique et a joué un rôle dans sa communauté. Il a estimé que ces facteurs étaient positifs, mais leur a accordé peu de poids. L’agent a également reconnu que la demanderesse a des liens étroits avec des membres de sa famille élargie au Canada. Toutefois, il a trouvé peu de renseignements contraires qui indiqueraient qu’elle n’a pas de liens étroits avec son mari, sa mère et ses frères et sœurs, qui résident toujours en Inde. Dans l’ensemble, l’agent a conclu que la famille de la demanderesse en Inde pourrait l’aider à se réinstaller. De plus, l’agent a conclu que la preuve ne suffisait pas à démontrer que la demanderesse ne serait pas en mesure de trouver un emploi pour subvenir aux besoins de son fils.

[10] L’agent a également conclu que la demanderesse ne devra pas forcément mettre un terme aux relations qu’elle a nouées au Canada si elle retourne en Inde. Selon lui, elle pourra communiquer avec sa famille et ses amis grâce aux diverses technologies de communication, comme bon nombre d’autres familles qui vivent séparées. Qui plus est, la demanderesse a passé la majeure partie de sa vie en Inde; elle connaît la langue locale, y a des parents proches, y a étudié et y a travaillé. L’agent a accordé un certain poids à l’ensemble de ces facteurs.

C. La situation défavorable dans le pays

(1) La santé mentale

[11] L’agent a commencé l’analyse de cette question en énonçant les documents que le demandeur doit généralement présenter pour établir qu’un retour dans son pays d’origine l’exposera à des difficultés, tels qu’ils sont indiqués dans les lignes directrices opérationnelles en matière de considérations d’ordre humanitaire :

i. une preuve documentaire du médecin traitant confirmant le diagnostic du trouble médical fourni au demandeur, le traitement approprié et le caractère vital du traitement pour le bien-être physique ou mental du demandeur;

ii. une confirmation des autorités sanitaires compétentes du pays d’origine du demandeur qui atteste le fait qu’un traitement approprié n’y est pas disponible.

[12] L’agent a reconnu que la demanderesse éprouverait certaines difficultés si elle devait quitter le Canada avec son fils; toutefois, il a également souligné que le médecin de la demanderesse n’avait pas posé de diagnostic à son sujet ni indiqué qu’elle avait reçu un traitement pour ses problèmes de santé mentale. De plus, l’agent disposait de peu d’éléments de preuve, hormis des articles de presse généraux, qui démontraient que la demanderesse ne serait pas en mesure d’avoir accès à des services de santé mentale au besoin. L’agent a accordé très peu de poids à ce facteur.

(2) La COVID-19

[13] L’agent a reconnu que la demanderesse avait vécu de l’incertitude durant la pandémie et que sa famille élargie lui avait apporté son soutien, mais il a souligné là encore qu’elle n’avait pas fait état des relations qu’elle entretenait dans son pays d’origine. De plus, l’agent disposait de peu d’éléments de preuve objectifs démontrant que la demanderesse était davantage affectée que les autres par la pandémie. Par conséquent, il n’a pas accordé un poids considérable à ce facteur.

D. L’intérêt supérieur de l’enfant

(1) L’établissement et la séparation des membres de la famille

[14] L’agent a reconnu que le fils mineur de la demanderesse a développé des liens étroits avec les membres de sa famille au Canada, s’est fait des amis et a fait ses études au Canada. Selon l’agent, ces facteurs ont joué un rôle positif dans la balance. Toutefois, l’agent a ensuite conclu qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant de rester avec sa mère puisque c’est elle qui subvient principalement à ses besoins. De plus, il a souligné que le père du fils de la demanderesse demeurait en Inde. Selon l’agent, il était dans l’intérêt supérieur du fils de rester avec sa mère et son père. L’agent disposait de peu d’éléments de preuve objectifs indiquant que le fils de la demanderesse n’aurait pas accès à un enseignement adéquat en Inde ou à des soins médicaux s’il en avait besoin.

[15] Enfin, l’agent a également indiqué que le fils de la demanderesse avait passé une longue période en Inde, qu’il connaissait la langue locale et qu’il avait vraisemblablement été scolarisé dans ce pays. Il était d’avis que l’ensemble de ces facteurs aideront à atténuer certaines des difficultés associées à un retour en Inde.

(2) La santé mentale

[16] L’agent a évalué la preuve concernant la santé mentale de la demanderesse, dont un rapport fondé sur deux consultations avec un psychiatre qui ont duré un peu plus d’une heure, et dans lequel le psychiatre a conclu ce qui suit :

[traduction]
[...] le diagnostic le plus probable est un trouble dépressif persistant. Elle a des antécédents de dépression majeure. L’épisode le plus récent a été provoqué par la crainte de devoir quitter de nouveau le Canada. En outre, elle présente d’importants symptômes d’anxiété, ce qui correspond à un trouble chronique de l’adaptation avec anxiété. Ces symptômes sont liés à sa crainte d’être expulsée et que son fils ne puisse plus communiquer avec ses amis, poursuivre ses études et mener sa vie au Canada. Mme Sidhu a accepté qu’une copie de ce rapport soit envoyée à son médecin de famille, le Dr Caron. Il pourrait être avantageux pour elle de prendre un antidépresseur, tel que la mirtazapine, qui l’aiderait à améliorer son humeur, son sommeil et son appétit. En outre, il pourrait lui être utile de consulter un thérapeute pour discuter de ses angoisses et de son sentiment de culpabilité envers son fils.

Il serait extrêmement difficile pour Mme Sidhu et son fils de quitter de nouveau le Canada. Je crains que Mme Sidhu ne soit à nouveau victime d’une dépression majeure, ce qui l’empêcherait de s’occuper d’elle-même et de son fils.

[17] Ce diagnostic est toutefois basé sur deux brèves consultations d’une durée totale d’une heure et dix minutes. Le psychiatre s’est fondé sur les déclarations de la demanderesse.

[18] L’agent a également reconnu que le fils de la demanderesse éprouvera certaines difficultés lorsqu’il quittera le Canada; toutefois, sa santé mentale n’a pas été évaluée par le médecin de sa mère. Ce dernier a fait mention du fils dans son rapport, indiquant qu’il était [traduction] « certain que son fils partirait avec elle, puisqu’elle ne peut imaginer qu’il puisse vivre sans elle ». De l’avis de l’agent, le fils de la demanderesse resterait avec sa mère, que ce soit au Canada ou en Inde. Sans preuve contraire, l’agent a conclu qu’il ne pouvait qu’être bénéfique pour le fils d’être avec ses deux parents en Inde afin de favoriser son bien‐être émotionnel.

[19] En fin de compte, l’agent a conclu que le poids accordé à l’intérêt supérieur de l’enfant n’était pas suffisant pour justifier une dispense au titre de l’article 25 de la LIPR.

E. La demande de permis de séjour temporaire

[20] De même, l’agent a conclu que la demande de permis de séjour temporaire était fondée sur les mêmes facteurs que ceux examinés dans le cadre de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Par conséquent, l’agent a conclu qu’il n’y avait aucune raison impérieuse de délivrer un permis de séjour temporaire à la demanderesse.

IV. Les questions en litige

[21] La demanderesse soulève les questions suivantes :

  • 1)L’agent a‐t‐il commis une erreur de droit ou manqué à son obligation d’équité procédurale en n’examinant pas convenablement la demande de permis de séjour temporaire de la demanderesse?

  • 2)L’agent a‐t‐il commis une erreur dans son évaluation de la preuve psychologique concernant la demanderesse?

  • 3)L’agent a-t-il commis une erreur dans son appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant de la demanderesse?

  • 4)L’agent a‐t‐il commis une erreur en ne tenant pas compte des attentes légitimes de la demanderesse?

[22] Le défendeur soutient que l’agent n’a commis aucune erreur et que la demanderesse a mal appliqué le principe des attentes légitimes.

[23] La question en litige consiste à savoir si la décision de l’agent était raisonnable.

V. La norme de contrôle

A. La norme de la décision raisonnable

[24] Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, qui a été rendu en même temps que l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], le juge Rowe, s’exprimant au nom des juges majoritaires, explique les attributs que doit présenter une décision raisonnable et les exigences imposées à la cour de révision qui procède au contrôle de la décision selon la norme de la décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ... ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [...] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).

[Non souligné dans l’original.]

[25] Cela dit, la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov indique clairement qu’à moins de « circonstances exceptionnelles », le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve. Il n’existe aucune circonstance exceptionnelle en l’espèce. La Cour suprême du Canada donne les instructions suivantes :

[125] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur » : CCDP, par. 55; voir également Khosa, par. 64; Dr Q, par. 41‐42. D’ailleurs, bon nombre des mêmes raisons qui justifient la déférence d’une cour d’appel à l’égard des conclusions de fait tirées par une juridiction inférieure, dont la nécessité d’assurer l’efficacité judiciaire, l’importance de préserver la certitude et la confiance du public et la position avantageuse qu’occupe le décideur de première instance, s’appliquent également dans le contexte du contrôle judiciaire : voir Housen, par. 15-18; Dr Q, par. 38; Dunsmuir, par. 53.

[Non souligné dans l’original.]

[26] De plus, la Cour d’appel fédérale a récemment conclu dans l’arrêt Doyle c Canada (Procureur général), 2021 CAF 237 [Doyle] que le rôle de notre Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve :

[3] La Cour fédérale avait tout à fait raison d’agir ainsi. Selon ce régime législatif, le décideur administratif, en l’espèce le directeur, examine seul les éléments de preuve, tranche les questions d’admissibilité et d’importance à accorder à la preuve, détermine si des inférences doivent en être tirées, et rend une décision. Lorsqu’elle effectue le contrôle judiciaire de la décision du directeur en appliquant la norme de la décision raisonnable, la cour de révision, en l’espèce la Cour fédérale, peut intervenir uniquement si le directeur a commis des erreurs fondamentales dans son examen des faits, qui minent l’acceptabilité de la décision. Soupeser à nouveau les éléments de preuve ou les remettre en question ne fait pas partie de son rôle. S’en tenant à son rôle, la Cour fédérale n’a relevé aucune erreur fondamentale.

[4] En appel, l’appelant nous invite essentiellement dans ses observations écrites et faites de vive voix à soupeser à nouveau les éléments de preuve et à les remettre en question. Nous déclinons cette invitation.

[Non souligné dans l’original.]

VI. Analyse

A. L’intérêt supérieur de l’enfant

[27] Avant que la demanderesse présente ses observations orales, son avocate a indiqué de manière générale que la décision était beaucoup trop axée sur les difficultés. Si c’était effectivement le cas, la décision contreviendrait bien sûr aux enseignements de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy].

[28] Or, je ne crois pas que ce soit le cas, pour deux raisons. Premièrement, il y a relativement peu de références aux difficultés dans la décision.

[29] Deuxièmement, les décisions comme celle en l’espèce ne sont pas prises dans l’abstrait, mais répondent plutôt aux observations de la partie concernée. À mon sens, ce facteur est pertinent, car la demanderesse a entre autres invoqué les difficultés dans sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, y donnant un titre en lettres majuscules dans ses observations : LES DIFFICULTÉS. Je fais également remarquer que l’agent a conclu que l’intérêt supérieur de l’enfant était [traduction] « le facteur le plus déterminant » dans l’évaluation des considérations d’ordre humanitaire.

[30] Quoi qu’il en soit, il n’existe aucune règle qui exclut la prise en compte des difficultés dans l’analyse d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, compte tenu de l’arrêt Kathansamy et de son insistance sur le fait que « tous » les facteurs doivent être examinés : voir Kargbo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 FC 1376 au paragraphe 33 :

[traduction[
[33] Dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, dans son analyse de l’article 25 de la LIPR en général, la Cour suprême du Canada nous dit que l’obligation de quitter le Canada comportera inévitablement son lot de difficultés. Toutefois, elle ajoute que cette réalité à elle seule ne saurait généralement justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire (Kanthasamy, au para 23). Quant à l’exigence prévue au paragraphe 25(1) de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché, la Cour suprême affirme que l’application du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant dépend fortement du contexte en raison de la multitude de facteurs qui risquent de faire obstacle à l’intérêt de l’enfant. Le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt (Kanthasamy, au para 38). La décision rendue en application du paragraphe 25(1) de la LIPR sera jugée déraisonnable lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant qu’elle touche n’est pas suffisamment pris en compte. L’agent ne peut donc pas se contenter de mentionner qu’il prend cet intérêt en compte; l’intérêt supérieur de l’enfant doit être examiné avec beaucoup d’attention eu égard à l’ensemble de la preuve [la Cour suprême elle‐même met le mot « ensemble » en italique].

[31] Bien que la demanderesse ait fait valoir que l’agent avait mal exprimé l’importance de l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant, je ne suis pas convaincu que les termes qu’il a utilisés étaient sensiblement différents de ceux employés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy, au paragraphe 38 :

[38] Même avant que le principe ne figure expressément au par. 25(1), la Cour y voyait un volet « important » de l’appréciation des motifs d’ordre humanitaire, notamment dans l’arrêt Baker :

... l’attention et la sensibilité à l’importance des droits des enfants, de leur intérêt supérieur et de l’épreuve qui pourrait leur être infligée par une décision défavorable sont essentielles pour qu’une décision d’ordre humanitaire soit raisonnable ...

... pour que l’exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Cela ne veut pas dire que l’intérêt supérieur des enfants l’emportera toujours sur d’autres considérations, ni qu’il n’y aura pas d’autres raisons de rejeter une demande d’ordre humanitaire même en tenant compte de l’intérêt des enfants. Toutefois, quand l’intérêt des enfants est minimisé, d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable. [par. 74-75]

[32] On m’a invité à lire les lettres du fils de la demanderesse, mais je constate que l’agent n’a pas seulement fait référence à ces lettres, il les a aussi citées. D’autres points ont été soulevés, mais, puisque j’ai conclu que l’agent n’avait commis aucune erreur susceptible de contrôle dans la façon dont il a énoncé les principes juridiques contraignants, je décline respectueusement l’invitation de l’avocate, qui consiste, à mon avis, à apprécier à nouveau la preuve relative à l’intérêt supérieur de l’enfant et les inférences qui en découlent, conformément aux arrêts Vavilov et Doyle cités précédemment.

B. La preuve psychologique

[33] J’ai énoncé précédemment la preuve médicale, celle d’un psychiatre, déposée à l’appui de la demande de la demanderesse, qui est selon moi la preuve substantielle. Je ne vois rien de déraisonnable dans la façon dont l’agent l’a analysée. Le psychiatre (un médecin dûment autorisé et qualifié) n’a rencontré la demanderesse que deux fois, pour une durée totale de seulement une heure et dix minutes. En pareil cas, on s’attend à ce que l’expert se fonde sur les déclarations du demandeur, et c’est ce qui s’est produit en l’espèce. Il convient de souligner que le psychiatre a refusé de poser un diagnostic et qu’il a seulement établi un diagnostic probable. Je suis à peu près certain que ce diagnostic était fondé sur le peu de temps dont le psychiatre a disposé pour faire des observations. L’agent avait le droit de l’écarter en conséquence. Autrement, je refuse d’apprécier à nouveau la preuve à cet égard.

C. Les attentes légitimes

[34] Dans ses observations écrites, la demanderesse a fait valoir que l’erreur commise par l’agent en lui remettant un titre de voyage de résident permanent pourrait servir de fondement à un recours pour manquement aux attentes légitimes. Rien ne permet d’étayer cette observation et, à mon avis, elle ne répond pas aux critères bien établis pour conclure à un tel manquement. Cette observation n’est pas fondée; s’il en était autrement, je ne suis pas certain des limites qu’il faudrait imposer à ces attentes. Il convient de souligner que l’avocate de la demanderesse elle‐même a dit qu’il ne s’agissait pas d’un véritable cas donnant naissance à des attentes légitimes. Je suis du même avis.

D. Le permis de séjour temporaire

[35] Dans ses observations à l’appui de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, la demanderesse a sollicité un permis de séjour temporaire à titre subsidiaire, et ce, [traduction] « pour les mêmes raisons que celles énoncées précédemment ». Comme l’agent a raisonnablement rejeté la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, je ne suis pas convaincu qu’il était déraisonnable de sa part de rejeter la demande de permis de séjour temporaire pour les mêmes raisons, étant donné que ces deux demandes étaient fondées sur les mêmes motifs. Qui plus est, la décision de rejeter la demande de permis de séjour temporaire était évidemment fondée sur les motifs pour lesquels la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire avait été rejetée. Il convient de souligner que l’agent a appliqué le critère établi relativement à ce type de permis, indiquant que la demanderesse devait avoir des « raisons impérieuses ». Il ne s’agit pas d’un cas où les arguments n’ont pas été examinés; il s’agit plutôt d’un cas où une analyse, une évaluation et un examen que je juge raisonnables et complets ont été effectués, mais qui ont mené au rejet de la demande.

VII. Conclusion

[36] Comme je ne vois rien de déraisonnable dans la décision et qu’il n’y a pas eu manquement aux attentes légitimes, la demande sera rejetée.

VIII. Question à certifier

[37] Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2666-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant : La demande est rejetée, aucune question n’est certifiée et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2666-22

 

INTITULÉ :

KAWALJEET KAUR SIDHU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 AVRIL 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 11 AVRIL 2023

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman

POUR LE DEMANDEUR

Julian Jubenville

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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