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Date : 20230213


Dossier : T‐484‐21

Référence : 2023 CF 208

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 février 2023

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

THE NOCO COMPANY, INC.

demanderesse/

défenderesse reconventionnelle

et

GUANGZHOU UNIQUE ELECTRONICS CO., LTD.,

SUI CHENG LIMITED,

SHENZHEN GOOLOO E‐COMMERCE CO., LTD.,

AUKEY TECHNOLOGY CO. LTD.

 

défenderesses/

demanderesses reconventionnelles

et

SHENZHEN YIKE ELECTRONICAS CO., LTD.,

SHENZHEN DINGJIANG TECHNOLOGY CO. LTD.,

SHENZHEN LIANKE ELECTRON TECHNOLOGY CO., LTD.,

SHENZHEN TOPDON ELECTRONIC CO., LTD.,

HUNAN LIANKE ELECTRONIC COMMERCE CO., LTD.,

SUBSTANBO INNOVATIONS TECHNOLOGY LIMITED

LIABILITY COMPANY ET SUBSTANBO INC.

 

défenderesses

ORDONNANCE ET MOTIFS PUBLICS

(Ordonnance et motifs confidentiels rendus le 13 février 2023)

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une requête en procès sommaire présentée par Guangzhou Unique Electronics Co Ltd, Sui Cheng Limited, Shenzhen Gooloo E‐Commerce Co Ltd et Aukey Technology Co Ltd (les défenderesses requérantes) à la suite d’une action en contrefaçon de brevet qui a été intentée contre ces dernières et les autres défenderesses. Les autres défenderesses n’ont pas participé à la requête.

[2] Dans son action, la demanderesse (NOCO) allègue que certains des appareils d’assistance au démarrage pour batterie de véhicule offerts en vente au Canada par les défenderesses contrefont les revendications 1 à 3, 9 à 15, 17 et 19 du brevet canadien no 2 916 782, intitulé « Appareil portable d’assistance au démarrage pour batterie de véhicule avec protection de sûreté » (le brevet 782). En réponse à ces allégations, les défenderesses requérantes soutiennent que leurs appareils d’assistance au démarrage ne contrefont pas les revendications invoquées dans le brevet 782 et que la totalité des revendications se rapportant au brevet 782 est invalide. De plus, les défenderesses requérantes font une demande reconventionnelle en vue d’obtenir diverses mesures, dont un jugement déclaratoire portant que leurs nouveaux appareils d’assistance au démarrage munis d’une carte de circuits imprimés CC‐209 (les produits CC‐209) ne contrefont aucune revendication du brevet 782.

[3] En l’espèce, les défenderesses requérantes demandent à la Cour de statuer sur leur demande reconventionnelle avant la tenue d’un procès en application de l’article 216 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‐106 (les Règles). Plus précisément, elles sollicitent, en vertu du paragraphe 60(2) de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P‐4, un jugement déclaratoire portant que leurs produits CC‐209 ne contrefont aucune revendication du brevet 782.

[4] Les défenderesses requérantes allèguent que le jugement déclaratoire demandé s’appliquerait à certains des produits désignés comme des produits contrefaits dans la déclaration modifiée de NOCO, sans toutefois s’y limiter. Il s’appliquerait à tous leurs produits munis d’une carte de circuits imprimés CC‐209.

[5] Même si des points demeureraient litigieux à la suite d’un jugement déclaratoire portant que les produits CC‐209 ne constituent pas une contrefaçon, les défenderesses requérantes affirment qu’un jugement sommaire concernant les questions en litige en l’espèce simplifiera le déroulement de l’action et pourrait donner lieu à un règlement. Pour cette raison, elles demandent à la Cour d’ordonner que les conclusions relatives à l’interprétation des revendications tirées en l’espèce soient appliquées à l’action sous‐jacente dans son ensemble.

[6] Pour les motifs qui suivent, la requête en jugement est rejetée. Les défenderesses requérantes ne se sont pas acquittées du fardeau qui leur incombait de démontrer que l’affaire se prête à un procès sommaire sous le régime de l’article 216 des Règles. Bien que NOCO soutienne que la requête constitue en fait une requête en jugement sommaire au titre de l’article 215 des Règles et qu’elle doit être rejetée parce qu’il existe une véritable question litigieuse, ma décision ne porte pas sur la nature de cette requête. Cela dit, les questions soulevées par les défenderesses requérantes ne peuvent pas non plus faire l’objet d’un jugement sommaire au titre de l’article 215 des Règles.

[7] En plus de la requête en procès sommaire des défenderesses requérantes, les présents motifs portent sur deux requêtes concernant la preuve qui ont été déposées par NOCO : une requête en radiation de certaines parties de l’affidavit en réponse du témoin expert des défenderesses requérantes et une requête en autorisation de déposer l’affidavit complémentaire du témoin expert de NOCO. Les parties ont débattu les requêtes concernant la preuve le même jour que la requête en jugement.

[8] Les requêtes de NOCO concernant la preuve sont accueillies. À l’exception de l’un des paragraphes contestés, la contre‐preuve contestée énoncée dans l’affidavit en réponse de l’expert des défenderesses requérantes est radiée au motif qu’elle est irrégulière. La requête de NOCO en autorisation de déposer l’affidavit complémentaire de son expert est accueillie.

[9] Je tiens à préciser que j’aurais rejeté la requête en jugement même si je n’avais pas accueilli les requêtes de NOCO concernant la preuve. Ainsi, ma décision ne dépend pas de l’issue des requêtes concernant la preuve. Cependant, les arguments des parties en ce qui a trait aux requêtes concernant la preuve étaient liés à leurs arguments à l’égard de la requête principale, et les points qu’elles ont soulevés sont pertinents quant à savoir s’il y a lieu de tenir un procès sommaire en l’espèce. De plus, les éléments de preuve figurant dans les dossiers de ces requêtes sont pertinents au regard des facteurs que j’ai examinés et soupesés pour rendre ma décision sur la requête en procès sommaire. J’énonce donc les motifs pour lesquels j’accueille les requêtes concernant la preuve dans l’ensemble de mes motifs à l’appui du rejet de la requête en procès sommaire.

[10] Après une description du contexte, j’énonce les motifs de ma décision relativement aux requêtes concernant la preuve, puis les motifs de ma décision en ce qui a trait à la requête principale en procès sommaire.

II. Le contexte

[11] NOCO a intenté l’action sous‐jacente en mars 2021. Les avocats des défenderesses requérantes ont accepté la signification de la déclaration modifiée de NOCO en octobre 2021 et ont présenté une défense conjointe et une demande reconventionnelle en novembre 2021. En décembre 2021, les défenderesses requérantes ont modifié leur demande reconventionnelle afin de fournir plus de détails sur le jugement déclaratoire qu’elles sollicitent concernant les produits CC‐209. À ce moment‐là, elles ont exprimé leur intention de déposer la présente requête et ont remis un projet d’avis de requête à NOCO. Elles ont déposé leur avis de requête en janvier 2022.

[12] Avant 2021, les défenderesses requérantes vendaient des appareils d’assistance au démarrage sur Amazon.ca. Selon les défenderesses requérantes, NOCO a convaincu Amazon.ca de retirer leurs appareils d’assistance au démarrage de son offre de produits, ce qui constitue en substance une interdiction au motif que les défenderesses requérantes n’avaient accès à aucun autre réseau de vente au détail au Canada. Elles sollicitent un jugement déclaratoire portant que leurs produits CC‐209 ne constituent pas une contrefaçon [traduction] « dans le but de déjouer les stratégies commerciales de NOCO ».

[13] L’avis de requête porte le titre [traduction] « Jugement sommaire/Procès sommaire ». Selon les défenderesses requérantes, la raison en est que, au moment du dépôt de leur avis de requête, elles ne s’étaient pas entendues quant à savoir s’il était plus approprié d’invoquer l’article 215 des Règles pour obtenir un jugement sommaire ou l’article 216 des Règles pour obtenir un procès sommaire. Elles ont par la suite choisi de se prévaloir de la procédure prévue par l’article 216 des Règles. NOCO soutient que cette décision ne change pas la nature de leur requête. NOCO affirme que leur requête, qui a été plaidée en une journée sur la foi d’un dossier écrit, est une requête en jugement sommaire au titre de l’article 215 des Règles.

[14] La preuve d’expert présentée à l’appui de l’allégation de contrefaçon porte sur un produit : l’appareil d’assistance au démarrage Tacklife T8 Pro d’Aukey Technology Co Ltd (l’appareil T8 Pro). Pour ce qui est de déterminer s’il y a contrefaçon, les défenderesses requérantes allèguent que l’appareil T8 Pro (i) est muni d’une carte de circuits imprimés CC‐209 et (ii) est représentatif de tous les produits CC‐209. Pour établir le bien‐fondé de ces allégations, les défenderesses requérantes s’appuient sur les affidavits de deux employés de Shenzhen Carku Technology Co Ltd (Carku). Carku a conçu les cartes de circuits imprimés CC‐209 et fabrique les produits CC‐209 pour les défenderesses requérantes. Carku n’est pas partie à l’action.

[15] Ces employés sont M. XingLiang (Leon) Lei, qui est le directeur commercial responsable de la gestion des ventes d’appareils d’assistance au démarrage de véhicule de Carku, et M. Ming Cheng, qui est le directeur de la recherche et du développement responsable des différents produits d’assistance au démarrage conçus et fabriqués par Carku, dont les cartes de circuits imprimés utilisées dans les appareils d’assistance au démarrage. Ces employés affirment que Carku a fabriqué des appareils d’assistance au démarrage de véhicule pour les défenderesses requérantes et les leur ont vendus et livrés en Chine en tant que produits finis et emballés prêts pour la vente au détail au Canada.

[16] M. Cheng affirme que Carku a conçu les cartes de circuits imprimés CC‐209 en |||||||||||||||||||| et que Carku les a installées dans les appareils d’assistance au démarrage de véhicule fabriqués après ||||||||||||||||||||. Il affirme en outre que tous les produits munis d’une carte de circuits imprimés CC‐209 fonctionnent de la même manière. Il a joint à son affidavit six documents préparés et mis à jour par Carku, dont les spécifications techniques et le code source, qui, selon lui, décrivent le fonctionnement de [traduction] « tout produit fabriqué par Carku muni de cette carte de circuits imprimés CC‐209 ». Les documents de Carku ont été traduits en anglais par Morningside, une entreprise qui offre des services de traduction de documents techniques et juridiques.

[17] NOCO est d’avis que l’appareil T8 Pro n’est pas représentatif des produits CC‐209 et soutient que la preuve dont dispose la Cour est insuffisante pour qu’elle rende un jugement sommaire.

[18] Les parties s’appuient sur l’opinion d’experts pour faire valoir leurs arguments quant aux questions liées à l’interprétation des revendications et à la contrefaçon. Les défenderesses requérantes s’appuient sur l’opinion de M. Martin Walker, qui a obtenu un doctorat en génie électrique à l’Université Stanford en 1979. NOCO s’appuie sur l’opinion en réponse de M. Jonathan Wood, qui a obtenu un doctorat en génie électrique du Massachusetts Institute of Technology en 1973.

[19] Dans son affidavit, M. Walker mentionne qu’il a été appelé à témoigner dans une instance devant la United States International Trade Commission mettant en cause NOCO. Dans cette instance, il s’est exprimé au nom de l’une des défenderesses requérantes (Shenzhen Gooloo E‐Commerce Co Ltd) sur la question de savoir si les appareils d’assistance au démarrage munis d’une carte de circuits imprimés CC‐209 contrefaisaient la revendication 1 du brevet américain no 9 007 015 (le brevet américain 015), qui, selon lui, est identique à la revendication 1 du brevet 782. Il affirme que, dans l’instance aux États‐Unis, l’appareil T8 Pro était représentatif des appareils d’assistance au démarrage munis d’une carte de circuits imprimés CC‐209 et que les experts qui ont effectué les analyses de contrefaçon ont examiné les mêmes documents produits par Carku que ceux qui sont joints à l’affidavit de M. Cheng.

[20] L’expert de NOCO, M. Wood, a également participé à l’instance aux États‐Unis. Dans son affidavit présenté à l’appui de la présente requête, il fait état des résultats des tests qu’il a effectués sur l’appareil T8 Pro pour les besoins de cette instance. Bien que les défenderesses requérantes n’aient pas assisté à ces tests, les parties ont convenu que les défenderesses requérantes ne contesteraient pas l’admissibilité des résultats des tests de M. Wood et que NOCO ne contesterait pas l’admissibilité de la contre‐preuve de M. Walker concernant ces tests. La requête de NOCO en radiation de certaines parties de l’affidavit en réponse de M. Walker, que j’examine dans la section III ci‐dessous, indique que certains passages de cet affidavit ne font pas partie des éléments sur lesquels les parties se sont entendues et constituent une contre‐preuve irrégulière.

[21] M. Wood est également témoin expert de NOCO dans le dossier de la Cour no T‐343‐20, The NOCO Company, Inc c Canadian Tire Corporation, Limited. Dans cette action, NOCO allègue que la défenderesse (Canadian Tire) vend des appareils d’assistance au démarrage qui contrefont le brevet 782. Par sa requête en autorisation de déposer l’affidavit complémentaire de M. Wood, NOCO cherche à présenter des éléments de preuve concernant les tests qu’a effectués M. Wood sur les appareils d’assistance au démarrage vendus par Canadian Tire qui ont été fabriqués par Carku et qui sont munis d’une carte de circuits imprimés CC‐209. NOCO soutient que les tests de M. Wood révèlent que les appareils d’assistance au démarrage munis d’une carte de circuits imprimés CC‐209 vendus par Canadian Tire ne fonctionnent pas de la même manière que l’appareil T8 Pro qui a été soumis à des tests aux fins de l’instance aux États‐Unis, ce qui donne à penser que Carku utilise différentes versions de la carte de circuits imprimés CC‐209 ou différentes versions du code source de cette carte dans les appareils d’assistance au démarrage qu’elle fabrique. NOCO affirme que ces éléments de preuve sont pertinents pour déterminer si l’appareil T8 Pro est représentatif des produits CC‐209 des défenderesses requérantes et, par conséquent, si un jugement déclaratoire d’absence de contrefaçon doit être rendu sur le fondement d’opinions d’experts à l’égard d’un seul produit qui serait représentatif, l’appareil T8 Pro.

[22] Les employés de Carku et les témoins experts des parties ont été contre‐interrogés hors cour. Les témoins experts ont été contre‐interrogés au sujet de leurs affidavits, y compris les parties de l’affidavit en réponse de M. Walker qui sont contestées dans la requête en radiation, et l’affidavit complémentaire de M. Wood que souhaite déposer NOCO. Les transcriptions de ces contre‐interrogatoires et les pièces versées durant ceux‐ci figurent dans les dossiers de requête.

[23] Je me penche maintenant sur les deux requêtes concernant la preuve déposées par NOCO.

III. La requête de NOCO en radiation de certaines parties de la réponse de M. Walker

[24] NOCO sollicite une ordonnance radiant les paragraphes 5 à 37, 49 et 50, 51 (la première phrase) et 52 à 60, ainsi que les pièces correspondantes K à M et O à R, de l’affidavit en réponse qui a été souscrit par M. Walker le 16 mai 2022 (la réponse de M. Walker). La réponse de M. Walker figure dans le dossier de requête en procès sommaire qu’ont déposé les défenderesses requérantes.

A. Les observations des parties

[25] Comme je l’ai mentionné plus haut, NOCO soutient que les éléments de preuve contestés ne constituent pas une contre‐preuve adéquate et ne font pas partie des éléments sur lesquels les parties se sont entendues, parce qu’ils ne portent pas sur les tests effectués par M. Woodaux fins de l’instance aux États‐Unis.

[26] NOCO fait valoir que les paragraphes contestés constituent un fractionnement inacceptable de la preuve, car ils énoncent les opinions de M. Walker concernant l’interprétation de plusieurs des termes de la revendication 1 du brevet 782 que M. Walker a employés ou aurait dû employer dans son affidavit principal – soit les termes [traduction] « microcontrôleur », [traduction] « bloc d’alimentation interne », [traduction] « capteur d’isolement de batterie de véhicule » et [traduction] « hors tension ». NOCO affirme que les interprétations de ces termes n’étaient pas inattendues; en fait, elles faisaient partie intégrante de l’opinion qu’avait formulée M. Walker dans son premier affidavit concernant l’absence de contrefaçon. Les revendications doivent être interprétées avant l’analyse de la contrefaçon et M. Walker aurait dû énoncer ses opinions concernant l’interprétation des termes employés dans les revendications dans son affidavit principal. Qui plus est, dans son premier affidavit, M. Walker affirmait qu’il n’était pas nécessaire d’interpréter certains de ces termes et qu’on ne devrait pas lui permettre de revenir sur sa position. De plus, NOCO soutient qu’une grande partie des éléments de preuve ne visent qu’à contester l’affidavit de M. Wood ou ne font que répéter les opinions que donne M. Walker dans son affidavit principal.

[27] Les défenderesses requérantes notent que les paragraphes 34 à 37 et 52 à 60 de la réponse de M. Walker ne sont plus utiles à la Cour pour trancher les questions en litige en l’espèce. Toutefois, elles soutiennent que les éléments de preuve présentés par M. Walker dans les autres paragraphes contestés constituent une contre‐preuve adéquate et que, même s’ils ne le sont pas, la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour admettre les autres paragraphes contestés dans l’intérêt de la justice.

[28] Les défenderesses requérantes soutiennent que les paragraphes contestés doivent être admis afin de permettre à M. Walker de répondre aux opinions inattendues de M. Wood. M. Wood et M. Walker se sont tous deux exprimés dans l’instance aux États‐Unis sur la question de savoir si les produits munis d’une carte de circuits imprimés CC‐209 contrefaisaient la revendication 1 du brevet américain 015. Les défenderesses requérantes allèguent que plusieurs des opinions sur l’interprétation des revendications qu’a exprimées M. Wood en l’espèce étaient nouvelles et inattendues, parce qu’elles étaient différentes de celles qu’il avait auparavant énoncées concernant la signification des termes correspondants des revendications du brevet américain 015 et qu’elles étaient également différentes de la manière dont une personne versée dans l’art définirait ces termes. Dans sa réponse, M. Walker affirme qu’il n’aurait pas pu prévoir les opinions de M. Wood en ce qui a trait à plusieurs des termes des revendications qui ont été interprétés.

[29] Les défenderesses requérantes affirment qu’elles ont été désavantagées par l’ordre de présentation de la preuve en l’espèce. Elles ont fait valoir leurs arguments quant à l’absence de contrefaçon en premier, ce qui [traduction] « allait à l’encontre de l’ordre habituel ». Elles affirment qu’elles étaient [traduction] « prêtes à faire valoir leurs arguments en premier, du moins en partie parce qu’elles croyaient que la position de NOCO sur la contrefaçon était connue ». Selon elles, NOCO et M. Wood ont changé d’opinion concernant des aspects importants depuis l’instance aux États‐Unis.

B. Analyse

[30] Dans la cadre d’une requête en procès sommaire, le requérant peut présenter des éléments de preuve qui seraient admissibles en contre‐preuve à l’instruction : art 216(2)a) des Règles.

[31] Les principes fondamentaux qui régissent l’admissibilité de la contre‐preuve à l’instruction sont exposés dans la décision Halford c Seed Hawk Inc, 2003 CFPI 141, aux paragraphes 15 et 16 [Halford] :

  1. La preuve qui sert uniquement à corroborer une preuve déjà soumise au tribunal n’est pas admissible.

  2. La preuve qui porte sur une question qui a été soulevée pour la première fois en contre‐interrogatoire et qui aurait dû faire partie de la preuve principale du demandeur n’est pas admissible. Toute autre nouvelle question qui se rapporte à une des questions en litige et qui ne vise pas uniquement à contredire un des témoins de la défense est admissible.

  3. La preuve qui sert uniquement à réfuter un élément de preuve qui a été présenté en défense et qui aurait pu être présenté dans le cadre de la preuve principale n’est pas admissible.

  4. Le tribunal acceptera d’examiner la preuve qui est exclue parce qu’elle aurait dû être présentée dans le cadre de la preuve principale, pour déterminer s’il doit admettre cette preuve en vertu de son pouvoir discrétionnaire.

[32] Les principes établis dans la décision Halford s’appliquent aux rapports d’expert en réponse dans les affaires de brevet : Janssen Inc c Teva Canada Limited, 2019 CF 1309 aux para 16‐17 [Janssen c Teva], citant Dow Chemical Co c NOVA Chemicals Corporation, 2014 CF 844 aux para 5‐8 de l’annexe A; voir aussi T‐Rex Property AB c Pattison Outdoor Advertising Limited Partnership, 2022 CF 1008 au para 34.

[33] Lorsqu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire pour admettre la preuve même si celle‐ci peut ne pas se prêter à une réplique, la Cour peut tenir compte de facteurs tels que la question de savoir si l’admission de la preuve supplémentaire servirait l’intérêt de la justice, aiderait la Cour à se prononcer sur le fond ou causerait un préjudice important à l’autre partie : Solvay Pharma Inc c Apotex Inc, 2007 CF 913 aux para 9‐12.

[34] Les règles qui limitent la portée de la contre‐preuve favorisent les objectifs d’équité et d’efficacité en permettant de garantir que le requérant connaît les moyens qui lui sont opposéset d’éviter une suite sans fin de présentation d’éléments de preuve : Bauer Hockey Ltd c Sports Maska Inc, 2020 CF 212 au para 13, citant Amgen Canada Inc c Apotex Inc, 2016 CAF 121 au para 12.

[35] Un simple désaccord avec les déclarations d’un autre témoin expert ne se prête pas à une réplique et les désaccords entre experts peuvent être examinés au cours du contre‐interrogatoire ou mis en évidence dans les débats : Janssen c Teva au para 17; Bauer Hockey Ltd c Sports Maska Inc, 2020 CF 212 au para 16.

[36] L’affirmation de M. Walker selon laquelle il n’aurait pas pu prévoir les opinions de M. Wood n’a qu’une importance secondaire. La Cour doit déterminer s’il aurait été possible de prévoir la contre‐preuve au moyen d’une analyse objective : Merck‐Frosst c Canada (Santé), 2009 CF 914 aux para 17‐18, citant Astrazeneca Canada Inc c Novopharm Limited, 2009 CF 902.

[37] Je retiens la these de NOCO portant que les paragraphes contestés de la réponse de M. Walker, à l’exception du paragraphe 50, ne font pas partie des éléments sur lesquels les parties se sont entendues et ne constituent pas une contre‐preuve adéquate. Je ne puis conclure que les défenderesses requérantes devraient être autorisées à présenter les paragraphes contestés de la réponse de M. Walker au motif qu’elles ne pouvaient pas prévoir l’interprétation qu’a faite M. Wood des termes des revendications du brevet 782. Je ne suis pas non plus convaincue que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour admettre ces paragraphes dans l’intérêt de la justice.

[38] Je note que, pour tenter de démontrer qu’il était impossible de prévoir les opinions de M. Wood, les défenderesses requérantes ont présenté des éléments de preuve en réponse à la requête en radiation et ont posé des questions à M. Wood durant son contre‐interrogatoire dans un autre but que celui d’établir la pertinence de la contre‐preuve de M. Walker. Elles tentent également de discréditer les opinions de M. Wood concernant l’interprétation des revendications en alléguant que les opinions qu’il a données sous serment dans l’instance aux États‐Unis et l’instance au Canada ne sont pas cohérentes, ce que conteste vigoureusement NOCO. Il s’agit d’une question de crédibilité et, comme je l’indique plus loin, la nécessité de trancher des questions sérieuses en matière de crédibilité doit être prise en compte lorsque la Cour est appelée à statuer sur une affaire par voie sommaire, particulièrement sur la foi d’un dossier écrit.

[39] Quoi qu’il en soit, pour ce qui est de savoir si la réponse de M. Walker est admissible, je ne puis conclure que les paragraphes contestés répondent à des éléments de preuve qu’il était raisonnablement impossible de prévoir. Les défenderesses requérantes n’ont pas établi qu’il était raisonnablement impossible de prévoir les opinions de M. Wood à la lumière de celles qu’il avait exprimées dans l’instance aux États‐Unis. De plus, il n’était pas raisonnable qu’elles supposent que l’interprétation de certains des termes employés dans les revendications ne serait pas en litige en l’espèce, compte tenu de l’opinion qu’avait donnée M. Wood dans l’instance aux États‐Unis.

[40] Premièrement, les opinions formulées par M. Wood dans l’instance aux États‐Unis semblent correspondre aux hypothèses qu’on lui avait demandé de tirer. Les défenderesses requérantes ont contre‐interrogé M. Wood à ce sujet et ont déposé des extraits du rapport qu’il avait présenté dans l’instance aux États‐Unis. Ces extraits révèlent qu’on n’avait pas demandé à M. Wood d’interpréter la revendication 1 du brevet américain 015 dans l’instance aux États‐Unis. On lui avait demandé de donner son avis sur la question de la contrefaçon en s’appuyant sur les interprétations des revendications qui lui avaient été fournies.

[41] Deuxièmement, bien que je ne dispose d’aucun élément de preuve sur le droit américain, il est évident que les principes juridiques applicables à l’interprétation des revendications ne sont pas les mêmes au Canada et aux États‐Unis. Dans la décision Google LLC c Sonos, Inc, 2021 CF 1462 [Google], notre Cour a rejeté la requête en jugement sommaire dans laquelle la défenderesse alléguait que les parties à l’instance introduite au Canada avaient convenu, dans une instance correspondante menée aux États‐Unis à l’égard de revendications de brevet dont le libellé était identique, que les mêmes produits que ceux en cause dans l’instance au Canada ne constituaient pas une contrefaçon. La Cour a conclu que, même s’il était possible de conclure que les parties s’étaient entendues sur l’interprétation des revendications du brevet américain dont le libellé était identique à celui des revendications du brevet canadien, il se pouvait que l’interprétation des revendications du brevet canadien soit différente, car les principes applicables en droit américain et en droit canadien ne sont pas les mêmes : Google, au para 53. En effet, dans son premier affidavit, M. Walker indique qu’on lui avait demandé de suivre les directives des avocats canadiens, et non celles que lui avaient données les avocats américains.

[42] De plus, je ne suis pas convaincue par l’argument des défenderesses requérantes selon lequel elles ont été désavantagées parce que l’ordre de présentation de la preuve ne correspondait pas au fardeau de la preuve qui incombait à chacune des parties en ce qui concerne la question de la contrefaçon. Je ne vois pas en quoi les défenderesses requérantes sont désavantagées parce qu’elles ont présenté leurs éléments de preuve en premier alors qu’elles sont les auteures de la requête en procès sommaire. Les questions à trancher dans une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire se limitent aux allégations ou aux moyens de défense soulevés par le requérant dans l’action sous‐jacente : Janssen Inc c Pharmascience Inc, 2022 CF 62 au para 59 [Janssen c Pharmascience]. Dans leur avis de requête, les défenderesses requérantes ne précisent pas les questions liées à l’interprétation des revendications ou à la contrefaçon sur lesquelles la Cour doit statuer en l’espèce et NOCO ne pouvait pas savoir quelles questions devraient être tranchées par voie sommaire avant d’avoir reçu les éléments de preuve des défenderesses requérantes.

[43] En outre, je ne puis conclure que le fardeau de la preuve incombe à NOCO. Les défenderesses requérantes demandent à la Cour de statuer sur leur demande reconventionnelle avant la tenue d’un procès. Plus particulièrement, elles souhaitent obtenir, en vertu du paragraphe 60(2) de la Loi sur les brevets, un jugement déclaratoire portant que leurs produits munis d’une carte de circuits imprimés CC‐209 ne contrefont aucune revendication du brevet 782. Je rejette l’argument des défenderesses requérantes portant que la requête en procès sommaire fait suite à la déclaration modifiée et que leur demande reconventionnelle n’est qu’une simple formalité. Dans leur avis de requête, elles indiquent qu’elles doivent obtenir un jugement déclaratoire d’absence de contrefaçon en vertu du paragraphe 60(2) pour pouvoir offrir leurs « nouveaux » produits sur Amazon. Ce jugement déclaratoire s’appliquerait, de façon générale, à tous leurs appareils d’assistance au démarrage munis d’une carte de circuits imprimés CC‐209, quel que soit le nom ou le numéro du modèle, et même à leurs futurs produits. À mon avis, il appartient aux défenderesses requérantes de s’acquitter du fardeau qui leur incombe en ce qui concerne les questions qu’elles ont soulevées dans leur requête et donc de démontrer qu’elles ont le droit d’obtenir un jugement déclaratoire au vu de leur demande reconventionnelle. Quoi qu’il en soit, une grande partie de la contre‐preuve en question concerne l’interprétation des revendications, ce qui, selon les défenderesses requérantes, est une question de droit à l’égard de laquelle aucun fardeau ne leur incombe.

[44] Pour ce qui est des paragraphes contestés de la réponse de M. Walker, (i) les paragraphes 5 à 26, (ii) les paragraphes 27 à 30, (iii) les paragraphes 31 à 33 et (iv) les paragraphes 49 et 50 et la première phrase du paragraphe 51, respectivement, répondent à l’interprétation que fait M. Wood des termes des revendications (i) [traduction] « microcontrôleur », (ii) [traduction] « bloc d’alimentation interne », (iii) [traduction] « capteur d’isolement de batterie de véhicule » et (iv) [traduction] « hors tension ».

[45] Les termes [traduction] « microcontrôleur », [traduction] « capteur d’isolement de batterie de véhicule » et [traduction] « hors tension » sont tout à fait pertinents en ce qui concerne l’avis de M. Walker quant à l’absence de contrefaçon. M. Walker s’est exprimé sur l’interprétation des termes [traduction] « capteur d’isolement de batterie de véhicule » et [traduction] « hors tension » dans son affidavit principal. Il n’a pas donné son opinion sur l’interprétation du terme [traduction] « microcontrôleur », même si les défenderesses requérantes soutiennent que la question de savoir si les produits CC‐209 sont munis du même [traduction] « microcontrôleur » que celui décrit dans la revendication 1 du brevet 782 est une question importante qui doit être tranchée par voie sommaire. M. Walker traite des microcontrôleurs dans divers paragraphes de son affidavit principal et il a déclaré en contre‐interrogatoire qu’il avait une interprétation en tête lorsqu’il a exprimé son opinion sur l’absence de contrefaçon et qu’il a interprété ce terme conformément aux principes canadiens applicables à l’interprétation des revendications. M. Walker a affirmé qu’étant donné que le terme [traduction] « microcontrôleur » est bien connu dans l’industrie, il ne croyait pas que sa signification suscitait la controverse et qu’il était nécessaire de le définir.

[46] Bien que M. Walker soit d’avis que le [traduction] « bloc d’alimentation interne » est un élément essentiel de la revendication 1, les défenderesses requérantes reconnaissent que les produits CC‐209 sont munis d’un bloc d’alimentation interne. Il n’est donc pas nécessaire d’interpréter ce terme pour trancher les questions soulevées dans la requête en procès sommaire. Les défenderesses requérantes estiment que la Cour pourra admettre la contre‐preuve de M. Walker à ce sujet, si elle décide de fournir une interprétation pour d’autres termes des revendications pour orienter l’action.

[47] Je suis d’avis que, à l’exception du paragraphe 50 de la réponse de M. Walker, aucun des paragraphes et des pièces contestés ne fait partie des éléments sur lesquels les parties se sont entendues et n’est admissible. Au paragraphe 50, M. Walker répond à l’opinion de M. Wood concernant le fonctionnement du circuit de détection de la batterie du véhicule dont est muni l’appareil T8 Pro en s’appuyant sur les mesures de tension obtenues à la suite d’une lecture à l’oscilloscope effectuée lors des tests auxquels M. Wood a procédé pour les besoins de l’instance aux États‐Unis. L’opinion de M. Walker sur ce sujet aide la Cour à comprendre les tests.

[48] Les paragraphes 5 à 26 (microcontrôleur), les paragraphes 27 à 30 (bloc d’alimentation interne), les paragraphes 31 à 33 (capteur d’isolement de batterie de véhicule), le paragraphe 49 et la première phrase du paragraphe 51 (hors tension), ainsi que les pièces correspondantes K à M et O à Q, ne répondent à aucune question qu’il était raisonnablement impossible de prévoir. Ils répondent plutôt à des questions qui auraient pu être examinées dans la preuve principale ou ils confirment simplement les opinions qui ont été formulées dans la preuve principale. De plus, les paragraphes 27 à 30 ne sont pas pertinents. Tous ces paragraphes sont radiés parce qu’ils ne constituent pas une contre‐preuve adéquate et que je ne puis conclure qu’ils devraient être admis dans l’intérêt de la justice.

[49] Les défenderesses requérantes reconnaissent que les paragraphes 34 à 37 et 52 à 60 et la pièce R de la réponse de M. Walker, qui portent sur d’autres termes des revendications, ne sont plus utiles à la Cour pour trancher sur le fond la question de la contrefaçon. Ces paragraphes ne sont pas pertinents et sont également radiés.

[50] Enfin, au paragraphe 50 de sa réponse, M. Walker répond aux résultats des tests effectués par M. Wood pour les besoins de l’instance aux États‐Unis et ce paragraphe fait partie des éléments sur lesquels les parties se sont entendues. Le paragraphe 50 de la réponse de M. Walker n’est pas radié. Tous les autres paragraphes contestés et leurs pièces correspondantes ne sont pas admissibles et sont radiés du dossier. Les paragraphes 5 à 26, 27 à 30, 49 et 51 (la première phrase) et les pièces correspondantes ne satisfont pas aux exigences relatives à la contre‐preuve et la Cour ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire pour admettre ces éléments. Les paragraphes 34 à 37 et 52 à 60 et la pièce correspondante ne sont pas pertinents, car ils sont inutiles pour trancher les questions soulevées dans la requête en procès sommaire.

IV. La requête de NOCO en autorisation de déposer l’affidavit complémentaire de M. Wood

[51] NOCO demande, en vertu du paragraphe 216(2) des Règles, l’autorisation de déposer l’affidavit complémentaire souscrit par M. Wood le 9 août 2022. M. Wood a été contre‐interrogé au sujet de cet affidavit le 29 août 2022.

A. Les observations des parties

[52] NOCO fait valoir que l’affidavit complémentaire de M. Wood est tout à fait pertinent en ce qui concerne les questions soulevées dans la requête principale, qu’il est utile à la Cour et qu’il n’avait pas encore été souscrit lorsque les contre‐interrogatoires ont eu lieu. L’admission de cet affidavit serait dans l’intérêt de la justice et ne causerait aucun préjudice aux défenderesses requérantes.

[53] Dans son affidavit complémentaire, M. Wood affirme qu’il a effectué des tests en juillet 2022 sur les quatre appareils d’assistance au démarrage vendus par Canadian Tire en cause dans le dossier de la Cour no T‐343‐20, soit deux modèles d’appareils d’assistance au démarrage fabriqués par Carku munis d’une carte de circuits imprimés CC‐201 ou CC‐209. Les appareils d’assistance au démarrage munis d’une carte de circuits imprimés CC‐209 en cause dans ce dossier ne fonctionnaient pas de la même manière que l’appareil T8 Pro. Par conséquent, M. Wood affirme qu’il a des raisons de croire que l’hypothèse sur laquelle repose son premier affidavit en l’espèce est inexacte. Pour son premier affidavit, on avait demandé à M. Wood de supposer que l’appareil T8 Pro était représentatif des produits CC‐209 en cause en l’espèce qui constitueraient une contrefaçon. M. Wood croit maintenant que Carku utilise différentes versions de la carte de circuits imprimés CC‐209 et différentes versions du code source dans différents appareils, et peut‐être dans différents lots de fabrication des mêmes appareils, et que certains des produits CC‐209 pourraient fonctionner différemment de l’appareil T8 Pro.

[54] NOCO affirme qu’elle n’a jamais admis que l’appareil T8 Pro est représentatif des produits CC‐209 et que l’affidavit complémentaire de M. Wood confirme que ses doutes sont légitimes. Pour établir que l’appareil T8 Pro est représentatif des produits CC‐209, les défenderesses requérantes ont fait valoir que M. Cheng avait simplement affirmé que les produits en cause dans la requête en procès sommaire sont munis d’une carte de circuits imprimés CC‐209 et fonctionnent de la même manière que l’appareil T8 Pro. M. Cheng soutient que les schémas, le code source, les diagrammes et les manuels d’utilisation de l’appareil T8 Pro qu’il a joints à son affidavit s’appliquent à chacun des produits CC‐209 des défenderesses requérantes, mais il ne fournit aucun élément de preuve documentaire pour corroborer cette affirmation. NOCO affirme qu’elle n’a pas eu l’occasion de vérifier l’exactitude des affirmations de M. Cheng, car les défenderesses requérantes n’ont fourni aucun échantillon de produit et les parties n’ont pas échangé les documents présentés ni procédé à des interrogatoires préalables.

[55] Les défenderesses requérantes font valoir que l’affidavit complémentaire de M. Wood n’est pas pertinent parce que la requête en procès sommaire concerne des produits qui ont une configuration technique spécifique. Les appareils d’assistance au démarrage vendus par Canadian Tire sont munis de la même carte de circuits imprimés CC‐209 que l’appareil T8 Pro, mais ils ne fonctionnent pas de la même manière parce que leur microcontrôleur utilise un code source différent – soit le code source CC‐209LXL au lieu du code source CC‐209. Les défenderesses requérantes soutiennent que NOCO aurait dû être au courant de cette distinction, car elle avait accès aux nombreux documents qui avaient été présentés dans l’instance aux États‐Unis. À cet égard, les défenderesses requérantes s’appuient sur l’affidavit d’un parajuriste principal du cabinet d’avocats qui représentaient Carku et Shenzhen Gooloo E‐Commerce Co Ltd dans l’instance aux États‐Unis. Elles affirment que cet affidavit confirme que NOCO avait reçu les schémas et le code source de la carte de circuits imprimés dont sont munis les produits en cause dans l’instance aux États‐Unis et que NOCO avait été informée que les produits de Carku ne sont pas tous munis de la même carte de circuits imprimés et que les produits munis de la même carte de circuits imprimés peuvent avoir un autre code source.

[56] Les défenderesses requérantes font valoir que NOCO tente de nuire au processus d’interrogatoire préalable alors que des différences évidentes dans le code source expliquent pourquoi les appareils ne fonctionnent pas de la même manière. Lorsque NOCO a présenté des éléments de preuve en réponse à la requête en procès sommaire, elle n’a pas invoqué de faits pour contester l’allégation selon laquelle l’appareil T8 Pro est un produit représentatif. De plus, les défenderesses requérantes affirment que NOCO essaie de se servir de l’affidavit complémentaire de M. Wood pour contredire l’affidavit de M. Cheng qui n’a pas été contesté en contre‐interrogatoire, ce qui constitue une violation de la doctrine établie dans l’arrêt Browne v Dunn.

[57] Les défenderesses requérantes font valoir que le fonctionnement des appareils d’assistance au démarrage vendus par Canadian Tire n’est pas pertinent, car elles sollicitent un jugement déclaratoire portant qu’aucun de leurs produits fabriqués selon la configuration technique énoncée dans l’affidavit de M. Cheng – qui s’applique à la fois aux câbles et au code source – ne contrefait le brevet 782. Les conclusions de la Cour quant à l’interprétation de la revendication 1 peuvent ou non s’appliquer aux appareils d’assistance au démarrage vendus par Canadian Tire, selon que les conclusions relatives à l’absence de contrefaçon portent ou non sur les spécifications du code source. Quoi qu’il en soit, les défenderesses requérantes soutiennent que le jugement déclaratoire d’absence de contrefaçon qu’elles sollicitent ne s’appliquerait pas aux produits vendus par Canadian Tire, car ni Canadian Tire ni le fabricant, Carku, ne sont parties à la présente instance.

[58] NOCO réplique qu’il était impossible de prévoir les problèmes que poserait l’affidavit de M. Cheng lorsqu’il a été contre‐interrogé et que la doctrine consacrée par l’arrêt Browne v Dunn ne s’applique pas. De plus, NOCO affirme qu’elle sait maintenant, grâce à l’affidavit du parajuriste en réponse à la requête en autorisation de déposer l’affidavit complémentaire, que M. Cheng a parlé à un spécialiste interne de Carku lors d’une pause pendant son interrogatoire dans l’instance aux États‐Unis afin de confirmer l’exactitude d’un tableau contenant une liste des différents appareils d’assistance au démarrage fabriqués par Carku et des cartes de circuits imprimés dont chacun d’eux est muni. NOCO soutient que ce fait suscite d’autres doutes quant à l’affidavit de M. Cheng, car il donne à penser que ce dernier n’était pas celui qui possédait les meilleurs renseignements qui soit chez Carku concernant les cartes de circuits imprimés utilisées dans les appareils d’assistance au démarrage fabriqués par Carku et que son affidavit reposait vraisemblablement sur des ouï‐dire.

B. Analyse

[59] Comme NOCO souhaite déposer l’affidavit complémentaire après la tenue des contre‐interrogatoires, le paragraphe 84(2) des Règles s’applique. Les facteurs à prendre en compte comprennent la pertinence de l’affidavit proposé, son utilité pour la Cour, l’absence de préjudice causé à l’autre partie, l’intérêt général de la justice, ainsi que la question de savoir si l’affidavit proposé était disponible ou s’il était possible de le prévoir à une date antérieure : Havi Global Solutions LLC c IS Container PTE Ltd, 2020 CF 803 au para 6 [Havi]; Canmar Foods Ltd c TA Foods Ltd, 2019 CF 1229 aux para 11‐12. Ces facteurs ne sont pas une série de critères à respecter ni les conditions distinctes et obligatoires d’un critère cumulatif; ce sont plutôt des facteurs que la Cour doit prendre en considération et soupeser lorsqu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire : Havi, au para 58; Apotex Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1401 aux para 14, 36, conf par 2005 CAF 397. L’absence de l’un de ces facteurs n’est pas nécessairement fatale : Havi, au para 58.

[60] Je conviens avec NOCO que l’affidavit complémentaire de M. Wood est pertinent pour déterminer si la Cour dispose d’une preuve suffisante pour rendre le jugement déclaratoire que les défenderesses requérantes sollicitent — à savoir un jugement déclarant que leurs produits munis d’une carte de circuits imprimés CC‐209 ne contrefont aucune revendication du brevet 782. L’affidavit de M. Wood est utile à la Cour. Les tests qu’il a menés sur les produits vendus par Canadian Tire ont été effectués en juillet 2022 et je suis convaincue que les résultats de ces tests n’étaient pas disponibles avant les contre‐interrogatoires. L’admission de cet affidavit est dans l’intérêt de la justice et ne causerait aucun préjudice aux défenderesses requérantes.

[61] Je rejette l’argument des défenderesses requérantes selon lequel l’affidavit complémentaire de M. Wood ne devrait pas être admis parce qu’il existe une raison simple pour expliquer pourquoi les appareils ne fonctionnent pas de la même manière, ce qui montre que son affidavit ne s’applique pas aux produits en cause en l’espèce. L’affidavit de M. Wood révèle que Carku fabrique des appareils d’assistance au démarrage qui fonctionnent différemment, même s’ils sont munis d’une carte de circuits imprimés CC‐209. L’explication des défenderesses requérantes quant au fait que ces appareils fonctionnent différemment est fondée sur les recherches qu’avaient menées leurs avocats après que NOCO eut déposé sa requête en autorisation de déposer l’affidavit complémentaire de M. Wood. De plus, cette explication est présentée dans l’affidavit d’un auxiliaire juridique du cabinet d’avocats qui les représente. L’affidavit de cet auxiliaire juridique comprend des courriels des avocats des défenderesses requérantes, qui font état des résultats de leurs recherches préliminaires et complémentaires, ainsi que des échanges qui ont eu lieu avec M. Cheng, qui affirmait que les produits vendus par Canadian Tire utilisent un autre code source que le code source CC‐209 – soit le code source CC‐209LXL.

[62] Le fait que les avocats des défenderesses requérantes ont dû effectuer des recherches après la réception de l’affidavit complémentaire de M. Wood témoigne en soi de la pertinence de cet élément de preuve.

[63] En outre, le fait que les défenderesses requérantes souhaitent s’appuyer sur les renseignements qu’avaient trouvés leurs avocats durant leurs recherches pour étayer la mesure qu’elles sollicitent dans la requête en procès sommaire – en présentant la preuve par ouï‐dire de leurs avocats à l’égard d’un point litigieux – révèle que la preuve dans la requête en procès sommaire est insuffisante. Dans son affidavit, M. Cheng n’explique pas le code source qu’utilise Carku avec sa carte de circuits imprimés CC‐209 ni l’incidence qu’a l’utilisation de différents codes sources sur le fonctionnement des appareils, et les défenderesses requérantes n’ont déposé aucun autre affidavit de M. Cheng. Aucun élément de preuve direct provenant de Carku n’explique les différentes versions du code source programmé sur les puces de tiers des cartes de circuits imprimés CC‐209 de Carku, et rien ne permet de conclure que le fonctionnement différent observé par M. Wood est exclusivement lié à l’utilisation du code source CC‐209LXL qui est propre aux produits vendus par Canadian Tire.

[64] L’affidavit du parajuriste soulève d’autres questions quant à savoir si l’appareil T8 Pro est représentatif de tous les produits CC‐209 des défenderesses requérantes. Il soulève également des questions quant à savoir si la présence d’une carte de circuits imprimés CC‐209 constitue un fondement fiable et non équivoque pour définir ce qui serait une catégorie d’appareils d’assistance au démarrage non contrefaits, qui englobe non seulement les produits existants, mais aussi les produits futurs. Par exemple, l’affidavit du parajuriste indique que le code source des appareils d’assistance au démarrage CC‐209 en cause dans l’instance aux États‐Unis avait été mis à jour vers octobre 2021 et que, dans cette instance, l’appareil T8 Pro était désigné comme étant représentatif des produits munis d’une carte de circuits imprimés CC‐209 de version 1.2, pas seulement des produits munis d’une carte de circuits imprimés CC‐209.

[65] Je ne puis conclure que NOCO ou ses avocats canadiens auraient su tout cela parce que NOCO avait accès aux documents qui avaient été présentés dans l’instance aux États‐Unis. L’affidavit du parajuriste indique que les renseignements qu’il contient sont des renseignements confidentiels [traduction] « réservés aux seuls avocats » et que les schémas et le code source des produits de Carku en cause dans l’instance aux États‐Unis avaient été fournis aux avocats américains de NOCO. NOCO soutient qu’on lui avait fourni très peu de renseignements et que ceux‐ci n’incluaient pas la déposition ou l’affidavit de M. Cheng. De plus, je me serais attendue à ce que Carku et les défenderesses requérantes qui étaient également parties à l’instance aux États‐Unis en sachent plus que NOCO au sujet des caractéristiques techniques qui distinguent les différents produits de Carku, mais les avocats canadiens des défenderesses requérantes ont dû effectuer des recherches après la réception de l’affidavit complémentaire de M. Wood, ce qui leur a pris près de deux semaines.

[66] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que les facteurs consacrés par la décision Havi militent en faveur de l’admission de l’affidavit complémentaire de M. Wood, même s’il a été souscrit après les contre‐interrogatoires. NOCO est autorisée à déposer l’affidavit complémentaire de M. Wood.

V. La requête en procès sommaire des défenderesses requérantes

A. Aperçu des observations des parties

[67] Les défenderesses requérantes font valoir qu’un virage culturel manifeste s’est opéré en ce qui a trait aux jugements sommaires, notamment dans les affaires de brevet. En 2014, la Cour suprême du Canada a rendu l’arrêt Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7 [Hryniak], dans lequel elle a déclaré que les règles régissant les jugements sommaires doivent recevoir une « interprétation large et propice à la proportionnalité et à l’accès équitable à un règlement abordable, expéditif et juste des demandes » : Hryniak, au para 5.

[68] Les défenderesses requérantes soutiennent que les questions en litige en l’espèce sont simples et directes et qu’elles peuvent être tranchées par voie sommaire. La Cour doit seulement examiner un produit représentatif, trois documents et une revendication de brevet. Les experts ne s’entendent pas sur la question de la contrefaçon; toutefois, leur désaccord porte sur la bonne interprétation de la revendication 1, qui est une question de droit qu’il appartient à la Cour de trancher. Selon les défenderesses requérantes, lorsque la Cour aura interprété la revendication 1, il n’y aura pas de désaccord quant à la manière dont cette interprétation sera appliquée à l’appareil T8 Pro pour déterminer s’il contrefait le brevet 782.

[69] Les défenderesses requérantes affirment que leur requête est conforme à la directive donnée au paragraphe 29 de la décision Bauer Hockey Ltd c Sport Maska Inc (CCM Hockey), 2020 CF 624 [Bauer], où la Cour préconise la tenue d’un procès sommaire après un procès en contrefaçon de brevet portant sur l’interprétation de revendications :

[29] Le procès a duré 21 jours. Néanmoins, comme le montreront les présents motifs, la question de l’interprétation des revendications est largement déterminante. On dit souvent que l’interprétation des revendications est une question de droit, bien que certaines formes de preuve soient admissibles pour faciliter le processus. Lorsque plus de 90 % de la valeur de la réclamation repose sur une question de droit, les parties devraient envisager de présenter une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire. Une économie considérable de ressources judiciaires aurait été possible si les parties avaient procédé ainsi en l’espèce, et les frais judiciaires de chaque partie auraient été considérablement réduits. [...]

[70] Les défenderesses requérantes font valoir qu’une seule condition doit être remplie avant la tenue d’un procès sommaire — la preuve doit être suffisante pour trancher l’affaire — et qu’il est facile de satisfaire à cette condition en l’espèce. Si la preuve est suffisante pour trancher l’affaire, la Cour peut rendre un jugement, indépendamment des sommes en cause, de la complexité des questions en litige et de l’existence d’une preuve contradictoire. Les défenderesses requérantes affirment que la preuve est suffisante pour que la Cour conclue que l’appareil T8 Pro est représentatif de leurs produits CC‐209. L’affidavit de M. Cheng révèle que les produits des défenderesses requérantes munis d’une carte de circuits imprimés CC‐209 ont la même architecture technique et fonctionnent tous de la même manière. Comme je l’ai mentionné plus haut, les défenderesses requérantes soutiennent que NOCO ne peut pas contester maintenant cet élément de preuve.

[71] D’après les défenderesses requérantes, la force de l’ordonnance qu’elles sollicitent réside dans les motifs de la Cour quant à l’absence de contrefaçon. NOCO a poursuivi 12 entreprises en intentant l’action en l’espèce et d’autres actions et, lorsque les revendications sont interprétées correctement, aucun des produits en cause dans ces actions ne contrefait le brevet 782. NOCO tente de donner à la revendication 1 l’interprétation la plus large possible afin de démontrer que cette revendication s’applique à des produits qui sont très différents de ceux décrits dans le brevet 782. Les défenderesses requérantes demandent respectueusement à la Cour de se prononcer maintenant sur l’interprétation des revendications afin que le public puisse bien comprendre quels produits sont visés par le brevet 782. Pour assurer la bonne compréhension du public, elles demandent à la Cour d’établir, dans son ordonnance, des liens entre le jugement déclaratoire d’absence de contrefaçon et les éléments des revendications qui, selon la Cour, ne sont pas repris dans les produits CC‐209. Par exemple, les défenderesses requérantes affirment que la revendication 1 indique que les appareils visés par le brevet sont munis d’un microcontrôleur configuré pour recevoir des signaux d’entrée spécifiques et émettre des signaux de sortie spécifiques, et que la Cour pourrait déclarer que les produits CC‐209 ne contrefont pas le brevet 782, car le microcontrôleur des produits CC‐209 n’est pas configuré pour recevoir ou émettre un ou plusieurs de ces signaux.

[72] Les défenderesses requérantes soutiennent qu’un jugement sommaire d’absence de contrefaçon concernant les produits CC‐209 leur permettra de reprendre sans délai la vente de leurs produits en attendant la tenue d’un procès, car ce jugement tranchera en partie la question du retrait de leurs produits de leur principal réseau de vente au Canada, Amazon.ca. Une décision en l’espèce permettra donc d’atténuer le préjudice qui perdure depuis que NOCO a imposé, en substance, une interdiction. De plus, l’interprétation de la revendication 1 par la Cour permettra de circonscrire les questions en litige, car la Cour s’appuiera sur cette interprétation pour trancher la question de la contrefaçon visant d’autres produits qui seraient contrefaits et les questions de la validité.

[73] NOCO affirme qu’il n’est pas approprié de trancher les questions en litige en l’espèce par jugement sommaire. Bien que les défenderesses requérantes aient choisi de se prévaloir de la procédure prévue par l’article 216 des Règles, NOCO soutient que leur requête est, en substance, une requête en jugement sommaire au titre de l’article 215 des Règles. NOCO renvoie à l’arrêt Gemak Trust c Jempak Corporation, 2022 CAF 141 [Gemak], dans lequel la Cour d’appel fédérale a annulé la décision de la Cour fédérale sur une requête en jugement sommaire concernant l’interprétation de seulement deux revendications. Elle affirme que bon nombre des mises en garde formulées par la Cour d’appel fédérale s’appliquent en l’espèce.

[74] NOCO affirme que les questions liées à l’interprétation des revendications et à la contrefaçon soulevées en l’espèce reposent sur des opinions d’experts contradictoires et que les deux parties ont soulevé des questions sérieuses quant à la crédibilité de l’expert de l’autre partie qui doivent être tranchées à l’instruction. NOCO soutient que les défenderesses requérantes essaient de pousser [traduction] « à l’extrême » la procédure en jugement sommaire en tentant de faire tenir un procès en contrefaçon soulevant plusieurs questions sur une seule journée d’audience en s’appuyant sur un dossier écrit incomplet et peu fiable, sans se prévaloir des protections procédurales que constituent, par exemple, les affidavits de documents et les interrogatoires préalables. Selon NOCO, il existe une distinction nette entre la présente affaire et les affaires touchant les brevets dans lesquelles notre Cour a rendu un jugement sommaire avant l’instruction en l’absence de témoignages de vive voix.

[75] Quoi qu’il en soit, NOCO affirme que la preuve dont dispose la Cour est insuffisante pour qu’elle puisse se prononcer sur la question de la contrefaçon concernant les produits CC‐209 et que des témoignages de vive voix n’auraient pas permis de surmonter les difficultés liées au prononcé d’un jugement sommaire relativement aux questions en litige en l’espèce, et ce, pour deux raisons.

[76] Premièrement, les éléments de preuve factuels sont insuffisants pour que la Cour rende un jugement sommaire quant à savoir si l’appareil T8 Pro est représentatif des produits CC‐209. NOCO affirme qu’elle n’a jamais admis et qu’elle n’admet pas que l’appareil T8 Pro est représentatif des produits CC‐209. Puisque, selon leur demande reconventionnelle, les défenderesses requérantes sollicitent une mesure, NOCO soutient qu’il leur incombe de démontrer qu’elles ont droit au jugement déclaratoire qu’elles demandent. NOCO fait valoir qu’elle n’a pas pu bénéficier du processus d’interrogatoire préalable pour vérifier l’affirmation des défenderesses requérantes selon laquelle l’appareil T8 Pro est représentatif des produits CC‐209, et que l’affidavit complémentaire de M. Wood confirme que ses doutes sont légitimes. Bien que les défenderesses requérantes affirment que les produits fabriqués par Carku pour Canadian Tire sont munis d’une carte de circuits imprimés CC‐209 qui a été programmée au moyen d’un autre code source, cet argument démontre seulement que l’affidavit de M. Cheng est inexact ou trompeur. De plus, l’affidavit du parajuriste américain donne à penser que l’affidavit de M. Cheng contient des ouï‐dire qui sont fondés sur des renseignements qu’il avait obtenus d’un autre employé de Carku.

[77] Deuxièmement, NOCO soutient que les défenderesses requérantes ont refusé de maintenir leur requête dans des proportions raisonnables. Les défenderesses requérantes demandent à la Cour de trancher de nombreuses questions liées à l’interprétation des revendications et à la contrefaçon en s’appuyant sur des opinions d’experts contradictoires. Au lieu de soulever les questions qu’elles jugent essentielles, elles [traduction] « s’éparpillent » et avancent tous les arguments imaginables. Elles ont soulevé pas moins de huit questions relativement à l’interprétation des revendications et à la contrefaçon et ont même présenté des éléments de preuve et des arguments concernant des éléments des revendications qui ne sont pas en litige. Ainsi, selon NOCO, les défenderesses requérantes voudraient que la Cour tranche la totalité des questions en litige dans une action en contrefaçon de brevet au cours d’une audience d’une journée sur la foi d’un dossier écrit qui contient des éléments de preuve contradictoires.

[78] Les défenderesses requérantes répliquent que les nombreuses questions en litige en l’espèce sont révélatrices de la faiblesse des arguments de NOCO, selon lesquels l’appareil T8 Pro ne possède pas plusieurs des éléments essentiels de la revendication 1. Elles affirment néanmoins que la Cour devrait rendre un jugement déclaratoire d’absence de contrefaçon, à condition qu’elle soit en mesure de conclure que l’appareil T8 Pro ne possède pas ne serait‐ce qu’un seul des éléments essentiels de la revendication 1.

[79] En ce qui a trait au préjudice découlant du délai qui s’écoulera avant la tenue d’un procès, NOCO fait valoir qu’aucune des défenderesses requérantes n’a présenté d’éléments de preuve démontrant qu’il s’agit d’un cas d’urgence ou qu’elles subiraient un préjudice si les questions soulevées dans la requête ne font pas l’objet d’un jugement sommaire. Le retrait des produits s’est fait un an avant la signification de l’avis de requête, les défenderesses requérantes sollicitent déjà des dommages‐intérêts à l’encontre de NOCO dans leur demande reconventionnelle, et la décision de retirer les produits ne constitue pas, en substance, une interdiction parce que rien n’empêche les défenderesses requérantes d’utiliser d’autres réseaux pour vendre leurs produits au Canada.

[80] NOCO soutient quant à elle qu’elle subira un préjudice si la Cour statue par voie sommaire sur les questions en litige en l’espèce sur la foi du dossier de preuve sans qu’elle puisse bénéficier de la protection procédurale qu’offrent la tenue d’interrogatoires préalables et la communication de documents. Elle affirme que le dossier de sa requête en autorisation de déposer l’affidavit complémentaire de M. Wood révèle les faiblesses des éléments de preuve des défenderesses requérantes, lesquelles faiblesses devraient être examinées au cours d’interrogatoires préalables.

[81] Enfin, NOCO affirme qu’un procès sommaire ne constituerait pas une utilisation efficace des ressources judiciaires. Des questions similaires quant à savoir si les produits munis de la carte de circuits imprimés CC‐209 de Carku contrefont le brevet 782 doivent être entendues dans le dossier de la Cour no T‐343‐-20, qui doit faire l’objet d’un procès complet à compter du 20 février 2023.

B. Analyse

[82] La première question à examiner consiste à savoir si la Cour devrait statuer par voie sommaire sur les questions soulevées dans la requête des défenderesses requérantes — autrement dit, la Cour doit déterminer si un jugement sommaire ou un procès sommaire est une mesure « appropriée » : Canmar Foods Ltd c TA Foods Ltd, 2021 CAF 7 au para 12 [Canmar]; Janssen c Pharmascience, au para 35, citant Teva Canada Limited c Wyeth LLC and Pfizer Canada Inc, 2011 CF 1169 au para 35, inf pour d’autres motifs, 2012 CAF 141. Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt ViiV Healthcare Company c Gilead Sciences Canada, Inc, 2021 CAF 122, au paragraphe 42 [ViiV], la Cour doit être d’avis qu’il est satisfait aux conditions préalables relatives au jugement ou au procès sommaire et qu’elle peut rendre un jugement sommaire d’une manière juste et équitable sur le fondement des éléments de preuve présentés et du droit.

[83] Il incombe aux défenderesses requérantes de démontrer que la Cour devrait statuer par voie sommaire sur les questions en litige. Je conclus qu’elles ne se sont pas acquittées de ce fardeau. Les questions soulevées par les défenderesses requérantes ne se prêtent pas à la tenue d’un procès sommaire et je ne puis conclure qu’un jugement sommaire soit susceptible de contribuer efficacement au règlement de l’action. La preuve n’est pas suffisante pour trancher les questions soulevées en l’espèce et il serait injuste de statuer sur celles‐ci par voie sommaire. Par conséquent, la première question en litige est déterminante en l’espèce.

[84] Dans l’arrêt ViiV, la Cour d’appel fédérale a précisé l’approche applicable en matière de jugement sommaire et de procès sommaire :

[32] L’article 215 des Règles précise dans quelles circonstances la Cour peut rendre un jugement sommaire. Il prévoit que la Cour fédérale rend un jugement sommaire si elle « est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense ». Il n’existe « pas de véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès » lorsque le juge dispose de « la preuve nécessaire pour trancher justement et équitablement le litige » de façon sommaire, c’est‐à‐dire lorsque « la procédure de jugement sommaire (1) permet au juge de tirer les conclusions de fait nécessaires, (2) lui permet d’appliquer les règles de droit aux faits et (3) constitue un moyen proportionné, plus expéditif et moins coûteux d’arriver à un résultat juste » (Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87, par. 49 et 66; voir aussi Ethiopian Orthodox Tewahedo Church of Canada St. Mary Cathedral c. Aga, 2021 CSC 22, par. 25 et Manitoba c. Canada, 2015 CAF 57, par. 11).

[33] En d’autres termes, « un procès, avec toutes les conséquences qui en résulteraient pour les parties et les coûts associés à l’administration de la justice, n’est tenu que s’il existe une véritable question litigieuse qui ne peut être tranchée autrement » (Canmar Foods Ltd. c. TA Foods Ltd., 2021 CAF 7, par. 24).

[34] Même s’il existe une « véritable question de fait ou de droit litigieuse à l’égard d’une déclaration ou d’une défense », la Cour peut « néanmoins trancher cette question par voie de procès sommaire » (par. 215(3) des Règles). En pareils cas, les juges disposent de pouvoirs accrus pour trancher des questions de fait litigieuses (Manitoba, par. 16; Milano Pizza Ltd. c. 6034799 Canada Inc., 2018 CF 1112, par. 32).

[35] L’article 216 des Règles régit le pouvoir de décider s’il convient de tenir un procès sommaire. La Cour peut refuser de tenir un tel procès si « les questions soulevées ne se prêtent pas à la tenue d’un procès sommaire » ou si « un procès sommaire n’est pas susceptible de contribuer efficacement au règlement de l’action » (par. 216(5) des Règles). Cette disposition des Règles prévoit également que, même si les sommes d’argent en cause sont élevées, que les questions en litige sont complexes ou que la preuve est contradictoire, la Cour « peut rendre un jugement sur l’ensemble des questions ou sur une question en particulier » à moins « qu’elle ne soit d’avis qu’il serait injuste de trancher les questions en litige dans le cadre de la requête » (par. 216(6) des Règles).

[85] Les expressions « les questions [...] ne se prêtent pas à la tenue d’un procès sommaire » et « contribuer efficacement au règlement de l’action » et le mot « injuste » doivent recevoir une interprétation et une application larges qui est conforme aux objets de l’article 3 des Règles et qui est propice à la proportionnalité et à l’accès équitable à un règlement abordable, expéditif et juste des demandes : ViiV, aux para 18, 36‐37.

[86] La nature et la suffisance de la preuve sont des facteurs clés pour déterminer si le procès sommaire constitue une procédure appropriée pour trancher les questions dont est saisie la Cour : Règles, art 216(6); Milano Pizza Ltd c 6034799 Canada Inc, 2018 CF 1112 au para 36 [Milano Pizza]; Janssen Inc c Apotex Inc, 2022 CF 107 aux para 44‐45 [Janssen c Apotex].

[87] La Cour dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour déterminer s’il serait injuste de rendre un jugement. La Cour peut tenir compte du montant en cause, de la complexité de l’affaire, de son urgence, de tout préjudice susceptible de découler d’un retard, du coût de la tenue d’un procès traditionnel par rapport au montant en cause, du déroulement de l’instance, de la question de savoir s’il s’agit d’un long contentieux et si le procès sommaire prendra beaucoup de temps, de la question de savoir si la crédibilité est un facteur crucial et si les déposants des affidavits contradictoires ont été contre‐interrogés, de la question de savoir si le procès sommaire comporte un risque important de perte de temps et d’effort et de complexité inutile ou entraînera le morcellement du contentieux, et de toute autre question qui se pose : Wenzel Downhole Tools Ltd c National‐Oilwell Canada Ltd, 2010 CF 966 aux para 36‐37 [Wenzel]; voir aussi ViiV, au para 38.

(1) La nature de la requête

[88] Comme je l’ai mentionné plus haut, NOCO soutient que la requête des défenderesses requérantes est essentiellement une requête en jugement sommaire. NOCO affirme que, dans l’arrêt Gemak, la Cour d’appel fédérale a annulé la décision d’accueillir la requête en jugement sommaire dans une affaire de contrefaçon de brevet où la Cour fédérale devait trancher un moins grand nombre de questions relatives à la contrefaçon qu’en l’espèce sur la foi d’un dossier écrit. Après avoir reconnu qu’un jugement sommaire peut avoir de graves conséquences pour la partie n’ayant pas gain de cause, qui perdra « la possibilité de se faire entendre en cour », la Cour d’appel fédérale a déclaré que les litiges devraient faire l’objet d’un procès lorsqu’il existe des questions sérieuses quant à la crédibilité des témoins et a fait remarquer que la difficulté à évaluer la crédibilité de témoins experts en se fondant sur un dossier écrit a été longtemps reconnue comme une lacune dans les affaires tranchées en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‐133, et constituait l’un des facteurs qui ont mené aux modifications apportées à ce règlement en 2017 : Gemak, aux para 68‐73. La Cour d’appel fédérale a fait observer que, même si le sujet de la contrefaçon de brevets peut relever du jugement sommaire, il a tendance à soulever des questions de fait et de droit complexes qu’il est habituellement préférable de n’examiner qu’au procès : Gemak, au para 91.

[89] NOCO fait valoir que la décision des défenderesses requérantes de demander la tenue d’un procès sommaire ne change pas la nature de leur requête, qui, selon les principes applicables, n’est pas différente de la requête dans l’arrêt Gemak. Par conséquent, les mises en garde formulées par la Cour d’appel fédérale s’appliquent également, voire plus rigoureusement, compte tenu des questions soulevées par les défenderesses requérantes. NOCO soutient que les jugements sommaires ne devraient être réservés qu’aux affaires particulièrement claires et que les défenderesses requérantes ne se sont pas acquittées du fardeau qui leur incombait de démontrer qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse.

[90] Les défenderesses requérantes soutiennent qu’elles ont choisi de se prévaloir de la procédure prévue par l’article 216 des Règles et qu’elles n’ont pas à remplir les conditions énoncées à l’article 215 des Règles. Elles exhortent à la prudence dans l’application de la jurisprudence en matière de jugement sommaire en faisant remarquer que, dans l’arrêt Gemak, la Cour d’appel fédérale a établi une distinction nette entre les jugements sommaires et les procès sommaires. La Cour d’appel fédérale a déclaré que, lorsqu’il existe une véritable question de fait ou de droit litigieuse, les juges peuvent tenir un procès sommaire conformément aux dispositions de l’article 216 des Règles et que, dans ces cas, les juges disposent d’un pouvoir accru pour trancher des questions de fait : Gemak, au para 65.

[91] Je conviens avec les défenderesses requérantes qu’elles ont déposé une requête au titre de l’article 216 et que celle‐ci ne doit pas être rejetée parce qu’elles ne satisfont pas aux conditions établies dans l’article 215 des Règles. Toutefois, les facteurs dont doit tenir compte la Cour pour décider si une affaire peut faire l’objet d’un jugement sommaire au titre de l’article 215 des Règles ou se prête à la tenue d’un procès sommaire au titre de l’article 216 des Règles se recoupent. Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt ViiV :

[40] Certaines affaires invoquées dans la décision Milano Pizza montrent que, dans certains cas, les procédures sommaires ne font qu’accroître les frais et la durée des procédures. Cependant, d’autres affaires mentionnées dans cette jurisprudence montrent que les procédures sommaires peuvent améliorer dans certains cas l’accès à une justice expéditive et économique.

[41] Il est déjà difficile pour les parties de piloter leur instance jusqu’au procès et jusqu’au prononcé de la décision sur le fond – leur destination finale. Si leurs progrès sont interrompus par une procédure sommaire, la difficulté est accrue. Or, une procédure sommaire peut parfois offrir aux parties un raccourci vers leur destination finale. Tout dépend des circonstances. Le tribunal doit exercer de manière judicieuse son pouvoir discrétionnaire : interpréter le libellé des Règles à la lumière des objets de l’article 3 des Règles et des exemples de la jurisprudence, puis appliquer cette interprétation aux circonstances particulières de l’espèce.

[42] Au bout du compte, la Cour doit être d’avis qu’il est satisfait aux conditions préalables définies dans les Règles relatives au jugement ou au procès sommaires, interprétées à la lumière de l’article 3 des Règles, et qu’elle peut rendre un jugement sommaire d’une manière juste et équitable sur le fondement des éléments de preuve présentés et du droit.

[Non souligné dans l’original.]

[92] Par ailleurs, je rejette l’idée que les conditions énoncées à l’article 215 des Règles sont aussi strictes que l’affirme NOCO. Les jugements sommaires ne sont pas réservés aux affaires les plus claires comme le soutient NOCO : Gemak, au para 66, citant Milano Pizza, au para 33. L’existence d’une apparente contradiction de preuves n’empêche pas en soi le tribunal de prononcer un jugement sommaire, et il peut être satisfait à la condition de l’« absence de véritable question litigieuse » si le juge saisi de la requête dispose de la preuve nécessaire pour trancher justement et équitablement le litige : Milano Pizza, aux para 29‐31.

[93] Par conséquent, les juges saisis de requêtes en procédure sommaire fondées sur un dossier écrit peuvent tenir compte de facteurs similaires pour déterminer si l’affaire peut faire l’objet d’une procédure sommaire, que la requête ait été présentée en vertu de l’article 215 ou de l’article 216 des Règles.

[94] Dans certains cas, les questions relatives aux brevets appelant le témoignage d’un expert peuvent être tranchées justement et équitablement sur la foi d’un dossier écrit. En effet, le fait d’insister pour que les parties soient disponibles pendant plusieurs jours pour la tenue d’un procès sommaire dans les affaires de brevet afin de permettre à la Cour d’entendre les témoignages de vive voix d’experts peut, dans certains cas, entraîner des retards et des frais qui ne seraient pas conformes aux objets de l’article 3 des Règles et aux principes de proportionnalité. De plus, le juge saisi de la requête, que celle‐ci ait été déposée au titre de l’article 215 ou de l’article 216 des Règles, dispose d’outils qu’il peut parfois utiliser pour remédier aux lacunes du dossier écrit s’il conclut par ailleurs qu’une procédure sommaire est appropriée. Bien entendu, les parties doivent tout de même se demander si des témoignages de vive voix sont nécessaires avant de mener des contre‐interrogatoires hors cour, car les outils disponibles sont moins nombreux et moins utiles une fois que les contre‐interrogatoires sont terminés.

[95] Bien qu’une bonne partie des motifs pour lesquels je conclus que la présente affaire ne se prête pas à la tenue d’un procès sommaire puisse s’appliquer à une requête en jugement sommaire, ma décision ne porte pas sur la « véritable nature » de la requête. Cela ne veut pas dire que le choix qu’ont fait les défenderesses requérantes de faire entendre leur requête au cours d’une audience d’une journée sur la foi d’un dossier écrit, alors que les deux parties avaient soulevé des questions sérieuses quant à la crédibilité, n’est pas pertinent pour ce qui est de déterminer si la tenue d’un procès sommaire est appropriée dans les circonstances de l’espèce. Ces points demeurent pertinents et je conviens avec NOCO que les mises en garde formulées dans l’arrêt Gemak s’appliquent en l’espèce. Cependant, le fait d’entendre la requête sur plusieurs jours ou de tenir des contre‐interrogatoires en cour n’aurait pas dissipé mes doutes quant au prononcé d’un jugement sommaire concernant les questions en litige.

[96] Les défenderesses requérantes affirment que la seule condition qui doit être remplie avant la tenue d’un procès sommaire est que la preuve doit être suffisante pour trancher l’affaire, mais cela est inexact. Le paragraphe 216(5) des Règles dispose que la Cour peut rejeter la requête si les questions soulevées ne se prêtent pas à la tenue d’un procès sommaire ou si un procès sommaire n’est pas susceptible de contribuer efficacement au règlement de l’action. Le paragraphe 216(6) des Règles dispose que la Cour peut rendre un jugement sur l’ensemble des questions ou sur une question en particulier si elle est convaincue de la suffisance de la preuve pour trancher l’affaire, à moins qu’elle ne soit d’avis qu’il serait injuste de trancher les questions en litige dans la requête. Je traite de ces points ci‐dessous.

(2) Les questions soulevées par les défenderesses requérantes ne se prêtent pas à un jugement sommaire

[97] À mon avis, les questions soulevées par les défenderesses requérantes quant à l’absence de contrefaçon ne sont pas suffisamment circonscrites et bien définies pour faire l’objet d’un jugement sommaire. Les questions à trancher ne sont pas circonscrites et les défenderesses requérantes n’ont pas maintenu leur requête à des proportions raisonnables. Je conviens avec NOCO que les questions en litige dans la requête sont trop nombreuses, trop générales et trop complexes pour être tranchées de façon équitable et adéquate au moyen d’un jugement sommaire. Qui plus est, les questions en litige sont mal définies. Les défenderesses requérantes présentent de nombreux arguments subsidiaires pour étayer leur affirmation selon laquelle il n’y a pas de contrefaçon et préciser les produits qui seraient visés par le jugement déclaratoire d’absence de contrefaçon qu’elles sollicitent.

[98] Comme je l’ai mentionné plus haut, les défenderesses requérantes souhaitent obtenir, en vertu du paragraphe 60(2) de la Loi sur les brevets, un jugement déclaratoire portant que leurs produits munis d’une carte de circuits imprimés CC‐209 ne contrefont aucune revendication du brevet 782. Selon les défenderesses requérantes, ce jugement déclaratoire s’appliquerait plus particulièrement aux appareils d’assistance au démarrage munis d’une carte de circuits imprimés CC‐209 qui sont désignés par leur nom ou leur numéro de modèle dans la déclaration modifiée de NOCO et s’appliquerait, de façon plus générale, à tous leurs appareils d’assistance au démarrage munis d’une carte de circuits imprimés CC‐209, quel que soit le nom ou le numéro du modèle. Les défenderesses requérantes ont présenté des éléments de preuve démontrant que Carku peut indiquer sur les emballages si les appareils d’assistance au démarrage qu’ils contiennent sont munis d’une carte de circuits imprimés CC‐209.

[99] Les défenderesses requérantes soutiennent que, pour déterminer s’il y a contrefaçon, il suffit à la Cour de rechercher si leurs produits reprennent un élément essentiel de la revendication 1 du brevet 782; cependant, leurs arguments ne se limitent pas aux termes de la revendication que doit interpréter la Cour pour conclure qu’il n’y a pas de contrefaçon en raison de l’absence d’un élément essentiel de la revendication 1. Les défenderesses requérantes ont plutôt invoqué tous les arguments possibles concernant l’absence de contrefaçon au regard de la revendication 1. Elles demandent à la Cour d’« assurer la bonne compréhension » du jugement déclaratoire portant que leurs produits ne constituent pas une contrefaçon en y expliquant les éléments des revendications qui, selon la Cour, ne se trouvent au bout du compte pas dans leurs produits CC‐209.

[100] En outre, certains des éléments essentiels qui seraient absents des produits CC‐209, comme la [traduction] « prise de sortie », ne font pas partie de la carte de circuits imprimés CC‐209 ou, du moins, ne sont pas utilisés que dans cette carte. Les défenderesses requérantes affirment que la carte de circuits imprimés CC‐209 contient [traduction] « les circuits qui contrôlent le fonctionnement de l’appareil », mais elles n’ont pas bien expliqué comment la présence de cette carte constitue un fondement fiable et non équivoque pour définir ce qui, selon elles, serait une catégorie d’appareils d’assistance au démarrage non contrefaits.

[101] Par ailleurs, les défenderesses requérantes invitent instamment la Cour à interpréter l’ensemble de la revendication 1 en l’espèce, afin que le public puisse bien comprendre quels produits sont visés par le brevet 782. Pour simplifier le déroulement de l’action et circonscrire les questions en litige, elles demandent à la Cour d’ordonner que les conclusions relatives à l’interprétation des revendications tirées en l’espèce soient appliquées pour trancher les questions de validité et la question de la contrefaçon visant d’autres produits qui seraient contrefaits. Elles soutiennent que les questions soulevées en l’espèce se prêtent à la tenue d’un procès sommaire, car l’interprétation des revendications d’un brevet est une question de droit qu’il appartient à la Cour de trancher, et que leur approche est conforme à celle préconisée dans la décision Bauer.

[102] L’interprétation des revendications d’un brevet n’est toutefois pas une « pure » question de droit. Les brevets doivent être interprétés du point de vue de la personne versée dans l’art qui interprète le brevet en possédant les connaissances générales usuelles qui s’appliquent à l’art auquel se rapporte le brevet en question, ce qui ajoute un aspect factuel à l’analyse : Tearlab Corporation c I‐MED Pharma Inc, 2019 CAF 179 aux para 28‐29.

[103] Le niveau de complexité factuelle nécessaire à l’interprétation des revendications d’un brevet varie. Dans certains cas, pour interpréter des revendications, la Cour doit s’appuyer davantage sur des témoignages d’experts pour comprendre des concepts scientifiques ou techniques dont elle n’a aucune expérience ou connaissance et, dans d’autres cas, elle peut décider de l’interprétation à donner aux revendications en accordant moins d’importance aux témoignages d’experts, ou même en n’y accordant aucune importance : voir, par exemple, Canmar Foods Ltd c TA Foods Ltd, 2019 CF 1233 au para 81, conf par Canmar. Lors des débats, les défenderesses requérantes ont reconnu que des éléments électrotechniques font [traduction] « obstacle à l’entrée » en l’espèce et que certains des concepts sur lesquels il faut s’appuyer pour trancher les questions en litige peuvent être difficiles à comprendre par les profanes. En somme, les questions relatives à l’interprétation des revendications ne se prêtent pas automatiquement à une procédure sommaire parce qu’elles constituent des questions de droit.

[104] Je rejette la these des défenderesses requérantes portant que la tenue d’un procès sommaire est appropriée, à condition que la Cour soit en mesure de conclure qu’un seul produit – l’appareil T8 Pro – ne possède pas un élément essentiel de la revendication 1 du brevet 782. Même si l’on fait abstraction des questions relatives à la pertinence ou à la crédibilité des éléments de preuve techniques, les défenderesses requérantes n’ont présenté aucun élément de preuve pour expliquer pourquoi la question de savoir si l’appareil T8 Pro contrefait le brevet 782 doit être tranchée séparément avant la tenue d’un procès. Si la Cour conclut que l’appareil T8 Pro n’est pas représentatif d’une catégorie de produits, restreindre l’examen à un seul des produits des défenderesses requérantes et à un seul élément essentiel n’accélérerait pas le règlement du litige et ne permettrait pas de circonscrire les questions en litige et de simplifier l’action ou ne contribuerait pas efficacement au règlement de l’action. Cela équivaut à un morcellement du litige, comme je l’explique dans la section suivante : Wenzel, aux para 37‐38.

[105] Plus important encore, les défenderesses requérantes n’ont pas formulé ainsi leur requête. Les défenderesses requérantes ont présenté de nombreux arguments se rapportant à l’absence de contrefaçon, ainsi que plusieurs des déclarations que pourrait faire la Cour en ce qui a trait à l’absence de contrefaçon, en espérant que cette dernière tranche leur requête en se fondant sur des motifs plus restreints ou redéfinisse la mesure qu’elles sollicitent. Compte tenu des questions qui ont été soulevées et des témoignages d’experts et des faits qui ont été présentés, NOCO devait répondre à une action complète fondée sur l’absence de contrefaçon visant d’autres produits que ceux qu’elle avait désignés comme des produits qui seraient contrefaits dans son acte de procédure avant la tenue d’interrogatoires préalables ou la communication de documents. À mon avis, une telle approche est incompatible avec les valeurs qui sous‐tendent la procédure sommaire, qui fournit un moyen d’obtenir un règlement du litige proportionné, économique et expéditif en assurant un équilibre raisonnable entre la rapidité et l’équité du règlement des questions en litige : Hryniak, aux para 1‐2; Canmar, au para 23.

[106] En l’espèce, la requête soulève de nombreuses questions complexes relatives à l’interprétation des revendications et à la contrefaçon qui n’ont pas été formulées de manière à ce qu’elles puissent faire l’objet d’un jugement sommaire.

(3) Un jugement sommaire n’est pas susceptible de contribuer efficacement au règlement de l’action

[107] Comme je l’ai mentionné plus haut, l’expression « contribuer efficacement au règlement de l’action » doit être interprétée et appliquée en conformité avec les objets de l’article 3 des Règles et les principes de la proportionnalité : Viiv, aux para 18, 36‐37. Les défenderesses requérantes reconnaissent que des questions relatives à la contrefaçon et à la validité demeureront en litige à la suite d’un jugement déclaratoire portant que les produits CC‐209 ne constituent pas une contrefaçon. Pour ce qui est des gains d’efficacité, elles font valoir que si la Cour se prononce maintenant sur l’interprétation de la revendication 1, cela permettra de simplifier le déroulement de l’action et pourrait donner lieu à un règlement.

[108] Je ne puis conclure que le fait de rendre un jugement sommaire quant à l’interprétation de la revendication 1 contribuera efficacement au règlement de l’action en l’espèce.

[109] Les requêtes en jugement sommaire ou en procès sommaire sont chronophages et n’offrent pas nécessairement aux parties un « raccourci » vers le règlement du litige : ViiV, au para 41. La proportionnalité est forcément de nature comparative; même les procédures lentes et coûteuses peuvent s’avérer proportionnées lorsqu’elles constituent la solution la plus rapide et la plus efficace : Hryniak, au para 33.

[110] Les étapes menant à un procès, dont les interrogatoires préalables et la communication de documents, peuvent également servir à simplifier l’affaire, à circonscrire les questions en litige et à favoriser un règlement. Les éléments de preuve présentés en l’espèce démontrent qu’il existe des questions sérieuses à trancher quant au fondement factuel à partir duquel les questions relatives à la contrefaçon seront tranchées, y compris celle de savoir si l’appareil T8 Pro est représentatif des produits CC‐209. À mon avis, laisser le processus d’interrogatoire préalable suivre son cours constituerait un moyen plus proportionné et efficace de trancher ces questions, particulièrement dans le cadre de la gestion de l’instance.

[111] Le prononcé d’un jugement se limitant à l’appareil T8 Pro, qui ne tranche pas la question de savoir si cet appareil est représentatif des autres produits, n’est pas un moyen efficace de procéder et équivaut à un morcellement du litige. Cette façon de faire ne permettrait pas de circonscrire les questions à poser lors des interrogatoires préalables en ce qui a trait aux autres produits en cause, dont les produits des défenderesses qui ne sont pas parties à la présente requête. De plus, ltrancher les questions soulevées par les défenderesses requérantes sans comprendre l’incidence qu’auraient sur les autres produits en cause les conclusions tirées pourrait donner lieu à une répétition des questions ou même compliquer les questions à trancher à l’instruction sur le fondement d’un dossier factuel plus complet.

[112] Bien que les défenderesses requérantes invoquent la possibilité d’un règlement, je constate que la Cour d’appel fédérale a rejeté un argument similaire dans l’arrêt Realsearch Inc c Valon Kone Brunette Ltd, 2004 CAF 5 [Realsearch]. Dans cet arrêt, il était question d’une requête qui avait été présentée au titre de l’article 107 des Règles pour demander à la Cour de statuer séparément sur l’interprétation de deux expressions d’une revendication avant la poursuite de l’action concernant la contrefaçon et la validité — une procédure qui, à certains égards, ressemble à la procédure en contrefaçon de type Markman aux États‐Unis : Realsearch, aux para 4, 8. Même s’il ne s’agissait pas d’une requête en procès sommaire, les observations de la Cour d’appel fédérale quant au fait de trancher les questions en litige avant l’instruction de l’action pour augmenter les chances de règlement sont instructives. À cet égard, la Cour d’appel fédérale a déclaré que l’article 3 des Règles, qui vise à permettre d’apporter une « solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible », confère à la Cour la capacité de trancher les questions en litige, mais ne permet pas aux parties de conclure un règlement hors cour de leur différend : Realsearch, au para 16. La Cour d’appel fédérale a également noté qu’il est important d’accorder suffisamment d’attention à la question de savoir si statuer rapidement sur l’interprétation des revendications permettrait de trancher le litige sur le fond en y apportant une solution qui soit juste : Realsearch, au para 17.

[113] Pour les motifs qui précèdent, je ne puis conclure que le fait de trancher les questions soulevées en l’espèce contribuerait efficacement au règlement de l’action, compte tenu de la possibilité de simplifier l’instance ou d’augmenter les chances de règlement.

(4) La preuve n’est pas suffisante pour trancher l’affaire

[114] Les procès en contrefaçon de brevets et les questions qui s’y rattachent sont intrinsèquement complexes et techniques : Wenzel, au para 38. Cependant, le paragraphe 216(6) des Règles dispose que la complexité des questions n’empêche pas la tenue d’un procès sommaire lorsque la preuve est suffisante pour trancher l’affaire et qu’il ne serait pas injuste de trancher les questions en litige dans la requête.

[115] À mon avis, NOCO a « présent[é] [ses] meilleurs arguments », comme elle était tenue de le faire : Gemak, au para 67, citant notamment Milano Pizza, au para 34; voir aussi Janssen c Apotex, au para 52. NOCO a pleinement répondu à la requête et a fourni des raisons claires et bien étayées pour expliquer pourquoi elle croit qu’il existe de sérieux doutes quant à la suffisance de la preuve pour rendre un jugement sommaire en l’espèce.

[116] Je conclus que la preuve en l’espèce n’est pas suffisante pour trancher justement et équitablement la question de savoir si les produits CC‐209 contrefont la revendication 1 du brevet 782. Comme j’ai déjà expliqué plusieurs des doutes que suscite la suffisance de la preuve ailleurs dans mes motifs, je résume dans la présente section certains points clés.

[117] À mon avis, les éléments de preuve ne sont pas suffisants en ce qui concerne la manière dont la carte de circuits imprimés CC‐209 des appareils d’assistance au démarrage des défenderesses requérantes détermine nécessairement les éléments qui composent l’architecture technique des appareils qui sont pertinents pour trancher la question de la contrefaçon. La Cour n’est pas en mesure de rendre un jugement sommaire portant que les appareils d’assistance au démarrage « munis d’une carte de circuits imprimés CC‐209 » constitueraient un fondement fiable et non équivoque pour définir une catégorie de produits, incluant les produits futurs, aux fins d’un jugement déclaratoire d’absence de contrefaçon.

[118] De plus, les éléments de preuve ne sont pas suffisants pour que la Cour puisse conclure que l’appareil T8 Pro est représentatif des produits CC‐209. Les éléments de preuve des défenderesses requérantes à cet égard ne sont pas suffisamment clairs ni complets et NOCO a soulevé de sérieux doutes quant à ces éléments de preuve. L’affidavit complémentaire de M. Wood indique que les appareils d’assistance au démarrage munis d’une carte de circuits imprimés CC‐209 qui ont été fabriqués pour deux clients de Carku ne fonctionnent pas de la même manière, et l’argument des défenderesses requérantes selon lequel une raison simple explique cette différence repose sur la preuve par ouï‐dire de leurs avocats. Les éléments de preuve ne sont pas suffisants pour conclure que la différence observée par M. Wood est exclusivement liée à l’utilisation du code source CC‐209LXL qui est propre aux produits vendus par Canadian Tire, et les éléments de preuve ne sont pas suffisants quant à l’incidence qu’a l’utilisation de différents codes sources sur le fonctionnement des appareils d’assistance au démarrage.

[119] De plus, chacune des parties a soulevé des doutes quant à la crédibilité du témoin de l’autre partie. NOCO met en cause la crédibilité de M. Walker et les défenderesses requérantes allèguent que M. Wood a exprimé des opinions contradictoires relativement aux questions relatives à l’interprétation des revendications et a refusé de répondre à des questions lors de son contre‐interrogatoire. Elles affirment qu’une partie des réponses qu’il a données durant son contre‐interrogatoire révèle qu’il défend la position de NOCO.

[120] Les juges doivent « se pencher de près » sur l’affaire avant de décider s’il y a des questions de crédibilité à trancher : Milano Pizza, au para 39. La crédibilité n’est pas nécessairement cruciale; de plus, il ne ressort pas nécessairement d’affidavits contradictoires ou de désaccords entre les déposants que l’un ou l’autre des déposants n’est pas crédible : Collins c Canada, 2015 CAF 281 aux para 78‐80.

[121] Souvent, il est possible de dissiper les doutes concernant la crédibilité ou d’éclaircir la preuve par la présentation de témoignages oraux au moment de l’audition de la requête elle‐même; toutefois, il peut y avoir des cas où, vu la nature des questions soulevées et la preuve à produire, le juge ne peut tirer les conclusions de fait nécessaires ni appliquer les principes juridiques qui permettent d’arriver à une décision juste et équitable : Hryniak, au para 51.

[122] La Cour d’appel fédérale a récemment confirmé que les litiges devraient faire l’objet d’un procès lorsqu’il existe des questions sérieuses quant à la crédibilité des témoins : Gemak, au para 71. Elle a précisément fait remarquer qu’il est difficile d’évaluer la neutralité et l’objectivité de témoins experts, particulièrement dans les affaires complexes touchant les brevets qui sont fondées sur un dossier écrit : Gemak, aux para 68‐70, 88‐89.

[123] En l’espèce, les déposants ont été contre‐interrogés hors cour et la requête en procès sommaire est fondée sur un dossier écrit. La Cour d’appel fédérale a formulé une mise en garde en précisant qu’il est difficile de conclure à une attitude hostile à partir de la lecture d’une transcription (Gemak, au para 87) et qu’il est difficile de déterminer si un témoin a franchi la ligne de démarcation entre le fait de témoigner de façon ferme et objective et le fait de défendre la thèse de son client sans avoir eu la chance de l’entendre témoigner de vive voix (Gemak, au para 89). Cette mise en garde s’applique aux questions qu’ont soulevées les défenderesses requérantes quant à la crédibilité du témoignage de M. Wood.

[124] Je me suis penchée de près sur les questions qui ont été soulevées quant à la crédibilité. À mon avis, il est impossible en l’espèce de tirer les conclusions nécessaires qui permettent d’arriver à une décision juste et équitable. Les questions quant à la crédibilité influent sur de nombreuses questions importantes que doit trancher la Cour par voie sommaire et il est impossible de statuer justement et équitablement sur ces questions au moyen d’une procédure sommaire.

[125] Pour ces motifs, je conclus que la preuve n’est pas suffisante pour trancher les questions soulevées en l’espèce par voie sommaire.

(5) Il serait injuste de trancher les questions en litige par voie sommaire

[126] Enfin, après avoir examiné et soupesé les facteurs résumés dans la décision Wenzel, je conclus qu’il serait injuste de trancher les questions soulevées en l’espèce par voie sommaire. De plus, comme j’ai déjà exposé ailleurs dans les présents motifs plusieurs des points qui ont été soulevés, je ne résume que les principaux points ci‐dessous. À mon avis, les facteurs énoncés dans la décision Wenzel militent contre le prononcé d’un jugement sommaire.

[127] Les montants en cause par rapport au coût de la tenue d’un procès traditionnel : Aucun des éléments de preuve ne fait état des montants en cause en l’espèce ou du volume de ventes d’appareils d’assistance au démarrage des défenderesses requérantes au Canada. En l’absence de ces données, il est impossible de conclure que le coût de la tenue d’un procès serait disproportionné par rapport aux sommes réclamées ou que le délai avant la tenue d’un procès complet nuirait injustement aux activités des défenderesses requérantes.

[128] La complexité de l’affaire : Pour statuer sur le fond de la requête, la Cour devrait tirer des conclusions de fait concernant les produits ou la catégorie de produits en cause, ainsi que trancher plusieurs questions relatives à l’interprétation des revendications et à la contrefaçon en s’appuyant sur les opinions contradictoires d’experts techniques et un dossier écrit. Les divergences d’opinions concernant l’interprétation des revendications et les éléments essentiels de la revendication 1 du brevet 782 sont nombreuses. Lorsque l’on effectue une comparaison avec d’autres décisions portant sur des requêtes en jugement sommaire et en procès sommaire dans lesquelles notre Cour a jugé qu’il était approprié de trancher les questions relatives à la contrefaçon de brevet par voie sommaire, on constate que la présente requête est plus complexe, notamment en ce qui concerne les produits en cause et les termes des revendications qui doivent être interprétés.

[129] L’urgence de l’affaire et le préjudice susceptible de découler d’un retard : Les défenderesses requérantes soutiennent qu’il est urgent de régler l’affaire en raison du retrait de leurs produits du site Amazon.ca. Les éléments de preuve à cet égard ont été fournis par un employé de Carku et reposent en partie sur des ouï‐dire. Cet employé affirme que Carku n’a reçu aucune commande des défenderesses requérantes pour des appareils d’assistance au démarrage emballés pour la vente au détail au Canada depuis la fin de 2020 et que les défenderesses requérantes sont incapables de vendre leurs appareils d’assistance au démarrage sur Amazon.ca depuis que NOCO a déposé une plainte au début de 2021. Aucune des défenderesses requérantes n’a présenté d’éléments de preuve concernant la valeur ou le volume de leur perte de revenus ou encore l’incidence qu’a eue le retrait de leurs produits sur leurs activités.

[130] La question de savoir si la crédibilité est un facteur crucial : Les questions sérieuses quant à la crédibilité ne peuvent pas être tranchées sur la foi du dossier écrit, notamment les questions qu’ont soulevées les défenderesses requérantes relativement à la crédibilité.

[131] Le déroulement de l’instance, la question de savoir s’il s’agit d’un long contentieux et si un procès sommaire prendra beaucoup de temps et la question de savoir si le prononcé d’un jugement sommaire comporte un risque important de perte de temps et d’effort et de complexité inutile et entraîne le morcellement du contentieux : Le prononcé d’un jugement à l’égard des questions en litige en l’espèce ne serait pas déterminant quant aux questions en litige dans l’action et le prononcé d’un jugement sommaire concernant l’interprétation de la revendication 1 est peu susceptible de contribuer efficacement au règlement de l’action. Laisser le processus d’interrogatoire préalable suivre son cours constitue un moyen plus proportionné et équitable de simplifier l’affaire et de circonscrire les questions en litige. Le prononcé d’un jugement sommaire sur les questions en litige en l’espèce ne contribuerait pas à la réalisation de l’objectif d’assurer le règlement juste, expéditif et le plus économique possible des questions soulevées dans l’ensemble de l’action qui doivent être tranchées par la Cour.

[132] Toute autre question qui se pose : Un procès complet concernant le brevet 782 doit commencer le 20 février 2023 dans l’action contre Canadian Tire. Le prononcé d’un jugement sommaire sur les questions liées à l’interprétation des revendications soulevées en l’espèce pourrait faire double emploi avec cette instance et pourrait mener à des conclusions incompatibles ou rendre plus complexes les questions à trancher dans cette action.

VI. Conclusion

[133] La requête de NOCO en radiation de certaines parties de la réponse de M. Walker, à l’exception du paragraphe 50, est accueillie. La requête de NOCO en autorisation de déposer l’affidavit complémentaire de M. Wood est également accueillie.

[134] La requête en procès sommaire est rejetée. Les défenderesses requérantes ne se sont pas acquittées du fardeau qui leur incombait de démontrer que les questions soulevées en l’espèce se prêtent à une procédure sommaire.

[135] À l’audience, j’ai demandé aux parties de discuter d’une possible entente sur les dépens et je les ai informées que, si elles ne parvenaient pas à s’entendre, la Cour leur accorderait la possibilité de présenter des observations écrites sur les dépens. Les parties ont été incapables de s’entendre sur les dépens. Comme NOCO doit participer au procès dans le dossier T‐343‐20 qui commencera ce mois‐ci, la Cour entendra les parties avant d’établir le calendrier de présentation des observations écrites sur les dépens. Les parties doivent déposer une lettre conjointe ou des lettres distinctes dans lesquelles elles proposeront un calendrier et un nombre limite de pages pour les observations écrites sur les dépens dans la semaine suivant la présente ordonnance. Les parties doivent motiver leur choix si elles proposent de fixer le nombre limite de pages à plus de 10 pages, excluant leurs mémoires de dépens ou la liste de la jurisprudence et de la doctrine qui seront invoquées.


ORDONNANCE dans le dossier T‐484‐21

LA COUR DÉCIDE :

  1. La requête de NOCO en radiation de certaines parties de la réponse de M. Walker est accueillie en partie. Les paragraphes 5 à 26, 27 à 30, 31 à 37, 49 et 51 (la première phrase) et les pièces correspondantes K à M et O à R de la réponse de M. Walker sont radiés.

  2. La requête de NOCO en autorisation de déposer l’affidavit complémentaire de M. Wood est accueillie.

  3. La requête en procès sommaire des défenderesses requérantes est rejetée.

  4. La question des dépens sera tranchée ultérieurement. Les parties doivent proposer, conjointement ou séparément, un calendrier pour la présentation des observations écrites sur les dépens et un nombre limite de pages pour celles‐ci dans les sept jours suivant la présente ordonnance, et la Cour émettra des directives concernant les observations sur les dépens.

« Christine M. Pallotta »

Juge

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‐484‐21

 

INTITULÉ :

THE NOCO COMPANY, INC. c GUANGZHOU UNIQUE ELECTRONICS CO., LTD., SUI CHENG LIMITED, SHENZHEN GOOLOO E‐COMMERCE CO., LTD., AUKEY TECHNOLOGY CO. LTD., et c SHENZHEN YIKE ELECTRONICAS CO., LTD., SHENZHEN DINGJIANG TECHNOLOGY CO. LTD., SHENZHEN LIANKE ELECTRON TECHNOLOGY CO., LTD., SHENZHEN TOPDON ELECTRONIC CO., LTD., HUNAN LIANKE ELECTRONIC COMMERCE CO., LTD., SUBSTANBO INNOVATIONS TECHNOLOGY LIMITED LIABILITY COMPANY ET SUBSTANBO INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 SEPTEMBRE 2022

 

ORDONNANCE ET MOTIFS PUBLICS :

LA JUGE PALLOTTA

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 FÉVRIER 2023

 

COMPARUTIONS :

Daniel Davies

Matthew Norton

 

POUR LA DEMANDERESSE/

DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

William Boyer

Alex Camenzind

 

POUR LES DÉFENDERESSES/

DEMANDERESSES RECONVENTIONNELLES

GUANGZHOU UNIQUE ELECTRONICS CO., LTD.,

SUI CHENG LIMITED,

SHENZHEN GOOLOO E‐COMMERCE CO., LTD. ET AUKEY TECHNOLOGY CO. LTD.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Gowling WLG (Canada), S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDERESSES/

DEMANDERESSES RECONVENTIONNELLES

GUANGZHOU UNIQUE ELECTRONICS CO., LTD.,

SUI CHENG LIMITED,

SHENZHEN GOOLOO E‐COMMERCE CO., LTD. ET AUKEY TECHNOLOGY CO. LTD.

 

JZC Intellectual Property Law

Avocats

Richmond Hill (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES

SUBSTANBO INNOVATIONS TECHNOLOGY

LIMITED LIABILITY COMPANY ET SUBSTANBO INC.

 

 

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