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Dossier : IMM-2628-22

Référence : 2023 CF 530

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 12 avril 2023

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

KARAMJIT KAUR BHULLAR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Mme Karamjit Kaur Bhullar [la demanderesse] est une citoyenne de l’Inde âgée de 37 ans. Le 30 juillet 2021, elle a présenté une demande de permis de travail après avoir reçu le résultat favorable d’une étude d’impact sur le marché du travail favorable le 12 mai 2021 ainsi qu’une offre d’emploi le 5 juin 2021. La demanderesse a été choisie pour travailler comme superviseure des services alimentaires dans un restaurant Tim Hortons situé à Fort St. John, en Colombie-Britannique.

[2] Le 10 février 2022, un agent d’immigration [l’agent] du Haut-commissariat du Canada à New Delhi, en Inde, a rejeté la demande que la demanderesse avait présentée pour entrer au Canada au moyen d’un permis de travail [la décision]. L’agent n’était pas d’avis que la demanderesse serait capable d’exercer l’emploi de façon adéquate, comme l’exige l’alinéa 200(3)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR].

[3] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision. Pour les motifs exposés plus bas, j’estime qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale et que la décision est raisonnable. Je rejetterai donc la demande.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[4] La demanderesse soulève les questions suivantes :

  • a.L’agent a manqué à l’équité procédurale en tirant des conclusions voilées en matière de crédibilité concernant l’expérience de travail de la demanderesse.

  • b.L’appréciation par l’agent de la preuve relative à l’expérience de travail de la demanderesse était déraisonnable.

[5] La demanderesse soutient que les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte, et les parties conviennent que les questions liées au bien-fondé de la décision sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], aux para 10 et 23.

[6] Le caractère raisonnable est une norme de contrôle empreinte de déférence, mais rigoureuse : Vavilov, aux para 12-13. La cour de révision doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle est transparente, intelligible et justifiée, ce qui comprend notamment le raisonnement suivi et le résultat obtenu : Vavilov, au para 15. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85. Le caractère raisonnable de la décision dépend du contexte administratif, du dossier dont le décideur est saisi et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences : Vavilov, aux para 88-90, 94 et 133-135.

[7] Pour que la décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer qu’elle souffre de lacunes suffisamment capitales ou importantes : Vavilov, au para 100. Ce ne sont pas toutes les erreurs ou causes de préoccupation relatives à une décision qui justifieront une intervention. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, elle ne doit pas modifier les conclusions de fait de celui-ci : Vavilov, au para 125. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision ou constituer une « erreur mineure » : Vavilov, au para 100.

III. Analyse

[8] La demanderesse soutient que l’agent a manqué à l’équité procédurale parce qu’il a tiré une conclusion voilée en matière de crédibilité et qu’il ne lui a pas donné l’occasion d’y répondre. Plus précisément, la demanderesse souligne l’extrait des motifs de l’agent portant sur les éléments de preuve relatifs à son expérience de travail, qui met en évidence, entre autres, des erreurs de langue et l’absence de dates sur les documents.

[9] La demanderesse compare les motifs de l’agent à ceux dans l’affaire Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 691 [Singh], dans laquelle l’agent en question avait invoqué l’absence de documents corroborant l’expérience de travail que le demandeur prétendait posséder, comme des talons de paie, et avait conclu à l’insuffisance de la preuve concernant le niveau d’expérience requis selon la Classification nationale des professions [la CNP] : au para 12. La Cour a jugé que cette conclusion était en fait une conclusion voilée en matière de crédibilité, et que les motifs de l’agent ne démontraient pas une appréciation de la capacité du demandeur à effectuer le travail : Singh, au para 12.

[10] De même, la demanderesse soutient que les conclusions de l’agent en l’espèce n’étaient pas fondées sur la suffisance de la preuve, comme elles ont été présentées, mais plutôt sur des réserves liées à la véracité et à l’authenticité des documents de la demanderesse concernant son expérience de travail. Elle affirme donc que l’agent avait l’obligation de lui donner l’occasion de répondre aux réserves en matière de crédibilité : Bajwa c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 202 [Bajwa], aux para 60-67.

[11] Les arguments de la demanderesse ne me convainquent pas.

[12] Les raisons pour lesquelles l’agent a rejeté la demande sont contenues dans les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC]. L’agent s’est notamment exprimé ainsi :

[TRADUCTION]

[La demanderesse principale] déclare travailler comme superviseure des services alimentaires au Big B Bar & Restaurant depuis 2005. Les documents fournis à l’appui comprennent une lettre de recommandation de mai 2021, une lettre d’embauche non datée, une lettre de promotion non datée et quelques talons de paie de 2020-2021 indiquant le paiement en espèces. Je ne suis pas convaincu qu’une preuve suffisante de l’expérience déclarée a été fournie. La lettre de recommandation contient des erreurs de langue, deux lettres ne sont pas datées et aucune preuve plus ancienne de salaire ou de paiement n’a été fournie. La demanderesse principale ne déclare aucun autre emploi ni aucune autre expérience. Compte tenu de l’insuffisance de la preuve, je ne suis pas convaincu que la demanderesse principale réponde aux exigences de l’emploi. La demande est rejetée au titre de l’alinéa 200(3)a).

[13] Les notes contenues dans le SMGC indiquent également que, pour le poste de « superviseur des services alimentaires », le code 6311 de la CNP exige que la demanderesse ait obtenu un diplôme d’études collégiales en gestion des services alimentaires ou qu’elle ait acquis plusieurs années d’expérience dans le domaine des services alimentaires. En l’espèce, il ne fait aucun doute que la demanderesse ne satisfaisait pas la première exigence et qu’elle devait donc fournir des éléments de preuve suffisants pour attester l’expérience de travail requise.

[14] Dans ses notes du SMGC, l’agent a fait remarquer que les documents fournis par la demanderesse comme preuve de son expérience de travail soulevaient un certain nombre de doutes. La demanderesse soutient que l’agent avait des réserves quant à l’authenticité de ces lettres. Je ne suis pas convaincue que c’était le cas.

[15] Contrairement à l’affaire Singh, l’agent ne s’est pas penché sur ce que la demanderesse pouvait ou aurait dû produire pour prouver sa capacité d’exécuter le travail : au para 12. L’agent a plutôt souligné les lacunes présentes dans les documents présentés par la demanderesse. De plus, il n’a pas déterminé que la demanderesse n’était pas une travailleuse de bonne foi, comme c’était le cas dans la décision Bajwa : aux para 60-61.

[16] Suivant l’alinéa 200(3)a) du RIPR, le permis de travail ne peut être délivré si l’agent a des motifs raisonnables de croire que la demanderesse est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé. Le fardeau incombe à la demanderesse de fournir des éléments de preuve suffisants pour démontrer sa capacité à effectuer le travail d’une superviseure des services alimentaires, en l’espèce en prouvant qu’elle détenait plusieurs années d’expérience de travail dans le domaine des services alimentaires. Les lacunes relevées par l’agent étaient liées à la preuve présentée par la demanderesse pour démontrer son expérience. Les doutes de l’agent quant à la suffisance de ces éléments de preuve n’équivalaient pas à une conclusion au sujet de leur authenticité.

[17] Comme la Cour l’a confirmé dans la décision Solopova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 690 [Solopova] :

[38] Il est bien établi que l’agent des visas n’a pas l’obligation légale de tenter d’éclaircir une demande déficiente, ni l’obligation d’aider un demandeur à établir le bien-fondé de sa demande, ni l’obligation de faire connaître au demandeur ses doutes se rapportant aux conditions énoncées dans la loi, ni encore l’obligation de dire au demandeur ce qu’est le résultat de sa demande à chaque étape du processus (Sharma c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 786, au paragraphe 8; Fernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 994 (QL), au paragraphe 13; Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 152 FTR 316 (CF 1re inst.), au paragraphe 4) […]

[18] Considérant que le degré approprié d’équité procédurale est bas pour les demandes de visa et que les conclusions de l’agent découlaient des lacunes dans la preuve présentée par la demanderesse, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’agent n’avait pas l’obligation de demander des précisions sur une demande incomplète : Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 573 aux para 14 et 20; Solopova, au para 38.

[19] En ce qui a trait au caractère raisonnable de la décision, l’agent avait le droit de déterminer si la demanderesse satisfaisait aux conditions du code 6311 de la CNP. D’après la preuve présentée, l’agent n’était tout simplement pas convaincu que la demanderesse avait la capacité d’effectuer le travail demandé, comme l’exige l’alinéa 200(3)a) du RIPR. L’agent a fourni des motifs suffisants pour tirer cette conclusion et n’a pas omis de considérer ni mal interprété les éléments de preuve. Par conséquent, je ne vois aucune raison de modifier les conclusions de l’agent.

IV. Conclusion

[20] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[21] Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2628-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Avvy Yao-Yao Go »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2628-22

 

INTITULÉ :

KARAMJIT KAUR BHULLAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 MARS 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS :

Le 12 avril 2023

 

COMPARUTIONS :

Sandra Dzever

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Leila Jawando

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sandra Dzever

Law Office of Ronen Kurzfeld

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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