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Date : 20230414

Dossier : IMM-3357-22

Référence : 2023 CF 363

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 avril 2023

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

PINQUI MORALES AZUCENA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’égard d’une décision d’un agent principal [l’agent] d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada prise le 29 mars 2022, par laquelle la demande de permis de séjour temporaire [PST] ainsi que la demande de permis de travail de la demanderesse ont été rejetées. En application du paragraphe 24(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], l’agent a estimé que la demanderesse n’avait pas établi des circonstances particulières avec des motifs impérieux pour lever son interdiction de territoire. Comme la demande de PST de la requérante a été rejetée, l’agent a considéré qu’elle n’était pas admissible à un permis de travail.

[2] À titre d’information, la demanderesse est une citoyenne des Philippines âgée de 33 ans. Elle est arrivée au Canada en décembre 2019, après avoir obtenu un visa de résident temporaire pour entrées multiples, valide jusqu’au 30 avril 2022. La demanderesse est restée au Canada par la suite, car elle croyait qu’elle conservait le statut de visiteuse pour la durée de son visa, ce qui n’était pas le cas.

[3] Le 29 juin 2020, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des « gardiens d’enfants en milieu familial ».

[4] Le 31 décembre 2021, l’employeur de la demanderesse a reçu une étude d’impact sur le marché du travail (EIMT) favorable, valable jusqu’au 3 septembre 2022.

[5] Le 24 février 2022, la demanderesse a présenté ses demandes de PST et de permis de travail fondé sur l’EIMT, qui comprenaient des observations détaillant un certain nombre de raisons à l’appui de sa demande de PST.

[6] La seule question à trancher est de savoir si la décision de l’agent de rejeter la demande de PST de la demanderesse était raisonnable.

[7] Les parties conviennent, et c’est aussi mon avis, que la décision en cause est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit déterminer si la décision faisant l’objet du contrôle, y compris son raisonnement et son résultat, est transparente, intelligible et justifiée. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 15, 85). La Cour n’interviendra que si elle est convaincue que la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence [voir Adeniji‑Adele c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 418 au para 11].

[8] Le paragraphe 24(1) de la Loi prévoit ce qui suit :

Permis de séjour temporaire

24 (1) Devient résident temporaire l’étranger, dont l’agent estime qu’il est interdit de territoire ou ne se conforme pas à la présente loi, à qui il délivre, s’il estime que les circonstances le justifient, un permis de séjour temporaire — titre révocable en tout temps.

Temporary resident permit

24 (1) A foreign national who, in the opinion of an officer, is inadmissible or does not meet the requirements of this Act becomes a temporary resident if an officer is of the opinion that it is justified in the circumstances and issues a temporary resident permit, which may be cancelled at any time.

[9] Le PST est un moyen par lequel une personne qui est par ailleurs interdite de territoire peut rester au Canada ou y entrer si elle est en mesure de convaincre l’agent que la nécessité de sa présence au Canada l’emporte sur tout risque pour la population ou la société du Canada. Les instructions et lignes directrices opérationnelles des PST comprennent une liste, à l’intention des agents, de facteurs non exhaustifs à prendre en compte dans l’examen d’une demande de PST, notamment les raisons de la présence de la personne au Canada, l’intention du législateur, la catégorie de la demande et la composition de la famille, ainsi que les avantages pour la personne visée et autrui [voir Stewart c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 858 au para 33]. Par conséquent, l’évaluation d’une demande de PST par un agent nécessite une pondération de nombreux facteurs, et ces décisions discrétionnaires doivent se voir accorder un niveau élevé de retenue, étant donné qu’elles renvoient généralement à des questions factuelles et qu’elles sont liées à l’expertise reconnue aux agents [voir Ekpenyong c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 1245 aux para 12, 13].

[10] L’obligation pour l’agent de fournir des motifs lors de l’évaluation d’un PST est minimale, mais le fait de ne pas examiner ou analyser véritablement les motifs impérieux présentés par un demandeur rendra la décision déraisonnable [voir Mousa c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2016 CF 1358 aux para 12-14, 19; Osmani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 872 aux para 19-25, 32); Stewart, précitée, au para 30]. L’agent doit fournir des motifs adéquats qui expliquent son processus de réflexion de manière intelligible et qui permettent de comprendre comment il a interprété la preuve pour justifier sa décision [voir Ekpenyong, précitée, au para 23].

[11] Dans la présente affaire, les motifs de l’agent sont consignés dans les notes du Système mondial de gestion des cas [le SMGC]. Les notes versées au SMGC sont ainsi formulées :

[traduction]

Le 30 juin 2020, la cliente a présenté une demande de permis de travail et de résidence permanente dans le cadre du programme pilote concernant les aides familiaux. Aucune des évaluations n’a commencé.

Demandes de PST initial et de PT reçues le 01 mars 2022; la cliente est interdite de territoire au titre de l’article 41 de la LIPR.

La cliente cherche un emploi au Canada, elle a fourni une EIMT favorable et une offre d’emploi pour travailler en tant qu’aide familiale pour Oliver Berg à York, en Ontario.

La cliente a reçu un visa de visiteur valable jusqu’au 30 avril 2022. Le représentant déclare que la cliente pensait que, puisque son visa était valide jusqu’en avril 2022, elle pouvait rester au Canada pendant toute la durée du visa; toutefois, il incombe au client de s’assurer qu’il prend les bonnes mesures pour conserver un statut valide pendant son séjour au Canada.

L’interdiction de territoire actuelle de la cliente est liée à son statut, et il existe un mécanisme lui permettant de rectifier cette interdiction en quittant le Canada et en obtenant les documents dont elle a besoin pour régulariser son statut. La cliente détient actuellement un visa de visiteur valide et pourrait l’utiliser pour régulariser son statut. La cliente n’a pas démontré qu’elle serait aux prises avec des difficultés si elle devait quitter le pays.

[Elle] a déjà réussi à obtenir un visa de visiteur par le passé pour venir au Canada. La cliente a démontré qu’elle comprenait parfaitement comment utiliser les moyens mis à sa disposition pour obtenir un PT depuis l’étranger. La cliente dispose également d’une EIMT valide jusqu’en septembre 2022 et, une fois qu’elle aura régularisé son statut de visiteur, elle pourra demander un PT à partir du Canada, conformément à la politique publique actuellement en vigueur.

Au titre [du paragraphe 24(1)] de la LIPR, un PST peut être délivré à des personnes qui ne se sont pas conformées à la LIPR, mais qui peuvent avoir des motifs impérieux de se voir délivrer un PST. Il incombe au client de convaincre l’agent qu’il est justifié dans les circonstances, par des motifs impérieux, de lever l’interdiction de territoire.

J’ai examiné la demande de PST et toutes les observations dans leur intégralité, et j’estime que la cliente n’a pas prouvé qu’elle se trouvait dans une situation unique et qu’elle avait des motifs impérieux justifiant de lever son interdiction de territoire par la délivrance d’un PST.

[Non souligné dans l’original.]

[12] Je conclus que les notes du SMGC sont loin de démontrer que l’agent a effectué une analyse sérieuse des motifs impérieux avancés par la demanderesse à l’appui de sa demande de PST. Les motifs de l’agent sont uniquement des conclusions et ne reflètent pas l’exercice de pondération requis au titre du paragraphe 24(1), ce qui empêche la Cour de comprendre pourquoi l’agent a refusé le PST. À ce titre, je conclus que la décision manque de justification, de transparence et d’intelligibilité.

[13] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de l’agent sera annulée, et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

[14] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3357-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. La décision de l’agent, datée du 29 mars 2022, par laquelle le permis de séjour temporaire et le permis de travail de la demanderesse ont été refusés est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision;

  3. Il n’y a pas de question à certifier.

« Mandy Aylen »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3357-22

 

INTITULÉ :

PINQUI MORALES AZUCENA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 MARS 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AYLEN

 

DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :

LE 14 AVRIL 2023

 

COMPARUTIONS :

Amanat Sandhu

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Leanne Briscoe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Matkowsky Immigration Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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