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     T-118-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 18 JUIN 1997

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :

     THE KUN SHOULDER REST INC.,

     demanderesse,

     - et -

     JOSEPH KUN VIOLIN AND BOW MAKER INC.,

     MARIKA KUN et MICHAEL KUN,

     défendeurs.

     ORDONNANCE

     La requête est rejetée avec dépens.

                         " Danièle Tremblay-Lamer "
                    
                                 JUGE
Traduction certifiée conforme     
                             Martine Guay, LL.L.

     T-118-97

ENTRE :

     THE KUN SHOULDER REST INC.,

     demanderesse,

     - et -

     JOSEPH KUN VIOLIN AND BOW MAKER INC.,

     MARIKA KUN et MICHAEL KUN,

     défendeurs.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER

     Il s'agit d'une requête présentée par la demanderesse en vue d'obtenir une ordonnance enjoignant aux défendeurs d'expliquer pour quelle raison une ordonnance pour outrage au tribunal ne devrait pas être accordée relativement à l'injonction provisoire accordée le 13 février 1997 ainsi qu'une autre injonction provisoire concernant :

     1)      les droits allégués de la demanderesse afférents à un brevet visant des épaulières pour violon et alto;
     2)      les droits allégués de la demanderesse afférents au dessin, à l'apparence et à la présentation d'épaulières pour violon et alto;
     3)      la marque de commerce KUN relativement à laquelle la demanderesse a présenté une demande d'enregistrement de marque de commerce;
     4)      les droits allégués qu'invoque la demanderesse à l'égard du fait que les défendeurs déclarent au public qu'ils sont les successeurs de M. Joseph Kun, relativement au commerce des épaulières pour violon et alto.

     La demanderesse sollicite aussi une ordonnance provisoire enjoignant aux défendeurs de remettre tous les documents, dossiers, prototypes, modèles et objets en leur possession, sous leur garde ou leur contrôle se rapportant aux épaulières pour violon et alto qui ont été obtenus de M. Joseph Kun, avant ou après son décès.

FAITS ET CONTEXTE

     La demanderesse, The Kun Shoulder Rest Inc., conçoit et fabrique des épaulières pour violon et alto, et son siège social est situé dans la ville d'Ottawa. Mme Marina Kun en est la présidente, chef de la direction et actionnaire majoritaire. Kun Shoulder Rest Inc. est le successeur de M. Joseph Kun, aujourd'hui décédé, et elle est propriétaire de tous les droits de ce dernier, y compris les droits de propriété industrielle, les marques de commerce, les brevets d'invention, l'achalandage et l'entreprise se rapportant aux épaulières pour violon et alto. Mme Marina Kun est la veuve de M. Joseph Kun.

     Les personnes physiques défenderesses sont les enfants de M. Joseph Kun, issus d'un mariage antérieur. La défenderesse, Joseph Kun Violin and Bow Maker Inc., est une société qui a été constituée par les personnes physiques défenderesses.

     M. Joseph Kun concevait et fabriquait des épaulières pour violon et alto à Ottawa au Canada et les vendait dans le monde entier depuis 1970 environ. M. Kun exploitait aussi une entreprise de fabrication de violons et d'archets. Vers 1975, Mme Marina Kun a commencé à travailler auprès de M. Kun, dont l'entreprise n'était pas alors constituée en société. M. Kun a épousé Mme Marina Kun en 1993. La convention matrimoniale des époux prévoyait le partage de l'entreprise entre eux. M. Kun a conservé l'entreprise de fabrication de violons et d'archets tandis que l'entreprise de fabrication d'épaulières a été cédée à Mme Marina Kun.

     Après la convention de 1993, M. Kun a continué à exploiter l'entreprise de fabrication de violons et d'archets. La demanderesse, dont Mme Marina Kun était présidente, a continué à exploiter l'entreprise de fabrication d'épaulières en tant qu'entité juridique distincte et indépendante.

     Le 5 avril 1994, dans une autre convention qui modifiait leur convention matrimoniale originale, M. Kun a expressément cédé à la demanderesse la totalité de ses droits afférents à un brevet et droits de propriété industrielle et intellectuelle sur les épaulières. Aux termes de la convention modificatrice, les obligations de M. Kun liaient ses héritiers, exécuteurs et administrateurs.

     Les épaulières pour violon et alto sont annoncées et vendues dans le monde entier depuis 1971 au moins en liaison avec la marque de commerce Kun, et sont reconnues comme les meilleures au monde pour les violonistes et les altistes d'orchestre ainsi que les solistes. La publicité associe maintenant les épaulières Kun à la demanderesse.

     M. Kun est décédé en avril 1996. Les deux personnes physiques défenderesses, Michael et Marika Kun, sont deux des quatre héritiers de la succession Joseph Kun et ils en sont aussi les fiduciaires. Ils n'ont hérité d'aucun intérêt dans l'entreprise de fabrication d'épaulières Kun. Toutefois, ils ont hérité de l'entreprise de fabrication de violons et d'archets de leur père. Ils ont constitué la société défenderesse, Joseph Kun Violin and Bow Maker Inc., dans le but de poursuivre les activités de l'entreprise de leur père.

     Le 29 juillet 1996, Michael et Marika Kun ont constitué une société en vue de fabriquer des épaulières. Cette société se dénomme M & M Kun Violin and Bow Maker Inc. Les personnes physiques défenderesses et leur société nouvellement constituée entendaient employer la marque de commerce KADENZA pour commercialiser leurs épaulières.

     En décembre 1996, la demanderesse a avisé les défendeurs qu'elle s'opposait à l'entreprise de fabrication d'épaulières projetée par les défendeurs et qu'elle allait prendre des mesures pour protéger ses droits. Néanmoins, les défendeurs ont fait parvenir à des distributeurs et des clients du monde entier une carte de " salutations " annonçant une [TRADUCTION] " nouvelle génération d'épaulières ". Les défendeurs ont ajouté à la carte une note mentionnant que ces épaulières seraient exposées à la foire musicale de Francfort en Allemagne, à compter du 26 février 1997.

     Le 23 janvier 1997, la demanderesse a présenté une requête en vue d'obtenir une injonction provisoire interdisant aux défendeurs, notamment, de présenter des épaulières à la foire de Francfort en liaison avec le nom Joseph Kun Violin and Bow Maker Inc. Le 13 février 1997, le juge Nadon a octroyé une injonction provisoire applicable uniquement à la foire de Francfort et aux foires musicales subséquentes, interdisant aux défendeurs, essentiellement, de promouvoir et de vendre leurs nouvelles épaulières KADENZA en liaison avec les noms " Kun " ou " Joseph Kun, Violin and Bow Maker " ou " Joseph Kun Violin and Bow Maker Inc. ". Toutefois, dans ses motifs, le juge Nadon a déclaré que " rien n'empêche Michael et Marika Kun d'assister au festival de Francfort et de promouvoir leur épaulière KADENZA ".

     Des épaulières portant les marques de commerce KADENZA KLASIK et KADENZA KOMPAK ont été exposées à la foire de Francfort et elles ont subséquemment été fabriquées et vendues au public. Ces événements ont incité la demanderesse à déposer la présente requête.

     J'examinerai tour à tour les deux questions découlant de la requête de la demanderesse.

ORDONNANCE DE SE JUSTIFIER

     La demanderesse souligne d'abord que malgré l'injonction provisoire accordée par le juge Nadon, les défendeurs ont participé à la foire musicale de Francfort pour présenter leurs épaulières KADENZA à un stand identifié dans le programme de la foire musicale sous la dénomination de Joseph Kun Violin and Bow Maker Inc. Les défendeurs ont distribué des cartes d'affaires et des lettres sur lesquelles figurait le nom KUN en liaison avec la publicité et la présentation de leurs épaulières.

     Par ailleurs, les défendeurs ont indiqué que la totalité des épaulières qu'ils ont fabriquées et vendues l'ont été sous la marque de commerce KADENZA KLASIK ou KADENZA KOMPAK. Ils n'ont jamais employé les mots Joseph Kun Violin and Bow Maker Inc. ou M & M Kun Violin and Bow Maker Inc. sur les emballages d'épaulières KADENZA vendues ou distribuées au public.

     Premièrement, je ne suis pas d'accord avec la demanderesse pour dire que les défendeurs n'auraient pas dû participer à la foire musicale de Francfort. Au contraire, ainsi qu'il a été mentionné, l'ordonnance du juge Nadon leur permettait expressément d'y assister. En outre, il ressort de la correspondance que les organisateurs de l'exposition ont été avisés à la dernière minute de supprimer la dénomination KUN de tout document faisant référence au stand tenu par les défendeurs à la foire. Toutefois, les catalogues avaient déjà été imprimés et distribués. Ainsi, les défendeurs ne pouvaient aucunement remédier à cette situation. Dans ces circonstances, on ne peut conclure qu'ils ont désobéi à l'ordonnance du juge Nadon.

     Quant à l'utilisation des cartes d'affaires et des signatures, à mon avis, il est évident que, sur le plan juridique, rien ne peut empêcher une personne d'employer son propre nom.

     La preuve versée au dossier appuie les prétentions des défenderesses et indique que l'épaulière KADENZA et son emballage ne portaient que la marque de commerce KADENZA. La marque de commerce " KUN " n'a pas été employée au stand de KADENZA ni sur les documents qui y étaient distribués; le mot KUN ne figurait que dans les catalogues déjà imprimés au moment où le juge Nadon a rendu son ordonnance.

     Ainsi que l'a dit le juge Marceau, en rendant le jugement de la Cour dans Valmet OY c. Beloit Canada Ltd.1 :

         ... il est bien établi que l'activité qui, prétend-on, constitue l'outrage doit de toute évidence être visée par l'interdiction, ce qui implique qu'elle soit expressément ou par " inférence certaine " mentionnée dans l'ordonnance.                 

     Manifestement, tel n'est pas le cas en l'espèce. Ainsi, à mon avis, il ne conviendrait pas de rendre une ordonnance enjoignant aux défendeurs de se justifier.

INJONCTION PROVISOIRE

     Ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, le juge Nadon a émis une ordonnance provisoire le 13 février 1997. La demande d'injonction interlocutoire de la demanderesse doit être entendue en septembre 1997. Entre-temps, les défendeurs se sont engagés envers la Cour à ne pas employer les mots " M & M Kun Violin and Bow Maker Inc. ", " Joseph Kun ", " Joseph Kun Violin and Bow Maker " ou " Joseph Kun Violin and Bow Maker Inc. " sur les emballages ou les documents publicitaires concernant les épaulières pour violon et alto jusqu'à ce qu'un jugement en leur faveur soit rendu à l'issue d'un procès sur le fond de l'affaire. Les défendeurs se sont aussi engagés à comptabiliser jusqu'au procès la totalité des ventes d'épaulières KADENZA fabriquées et vendues au public. Malgré cela, la demanderesse sollicite maintenant une autre injonction provisoire ainsi qu'une injonction provisoire enjoignant aux défendeurs de remettre les documents se rapportant aux épaulières pour violon et alto.

Principes généraux

     L'injonction provisoire ne vise pas à remplacer l'injonction interlocutoire. Il s'agit généralement d'une demande présentée " ex parte " lorsque l'urgence est telle que le requérant ne peut attendre que la demande d'injonction interlocutoire soit entendue. L'injonction est alors accordée pour une période n'excédant pas dix jours. Lorsque les deux parties, comme en l'espèce, comparaissent, présentent des arguments juridiques exhaustifs et des éléments de preuve par affidavit détaillés, elles se trouvent dans les faits à plaider une demande d'injonction interlocutoire. En procédant de la sorte et en lui donnant le titre trompeur de requête en injonction provisoire, les parties contournent indûment les exigences de la Règle 321.1 des Règles de la Cour fédérale (les " Règles ")2, soit le dépôt d'un dossier au moins dix jours francs avant la date d'audience. Selon moi, il s'agit d'une tentative pour contourner les règles de procédure qui ont été adoptées, notamment, pour aider les juges à trancher des demandes de cette importance.

     La Règle 469(2) des Règles prévoit l'octroi d'injonctions provisoires. Cette disposition s'écarte des règles procédurales qui s'appliquent aux demandes ordinaires d'injonction interlocutoire. Tant les Règles que la nature particulière d'une demande d'injonction provisoire exigent que le requérant fasse la preuve d'une urgence d'une importance telle qu'il n'existe aucune autre façon de procéder pour empêcher le préjudice qui est en train de se produire ou qui risque d'arriver.

Application aux faits de l'espèce

     En l'espèce, la demanderesse fait valoir qu'elle ne peut attendre que sa demande d'injonction interlocutoire soit entendue en septembre parce que le succès considérable des défendeurs au cours de l'intervalle de trois mois continuerait à dévaster son entreprise. La demanderesse fait valoir que ce délai lui fera subir un préjudice incommensurable.

     En décidant si la demanderesse a prouvé l'existence d'une " grande urgence " qui justifierait l'octroi d'une injonction provisoire, je souligne que la requête en injonction provisoire antérieure de la demanderesse a été accueillie le 13 février 1997. Toutefois, la demanderesse n'a pas réussi à présenter sa demande d'injonction interlocutoire avant mai 1997 lorsqu'elle a demandé qu'une date d'audience soit fixée . La demanderesse prétend maintenant qu'il y a " une grande urgence "3. Toutefois, son comportement dénote le contraire. Pour cette seule raison, je suis d'avis qu'il faut rejeter la requête de la demanderesse en vue d'obtenir une autre injonction provisoire.

     De plus, puisque les défendeurs se sont engagés envers la Cour à ne pas employer les noms contestés sur les emballages et les documents publicitaires concernant les épaulières pour violon et alto et à comptabiliser séparément toutes les ventes d'épaulières KADENZA, je suis convaincue que la requérante n'a pas prouvé qu'elle subirait un préjudice irréparable non compensable par des dommages-intérêts pécuniaires si sa demande était rejetée. En fait, toute perte de part de marché causée par les violations alléguées pourrait, selon moi, être aisément déterminable.



     Par ces motifs, la requête de la demanderesse est rejetée avec dépens.

OTTAWA (ONTARIO)

Le 18 juin 1997

                         " Danièle Tremblay-Lamer "
                                 JUGE
Traduction certifiée conforme     
                             Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :              T-118-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :      THE KUN SHOULDER REST INC. c. JOSEPH KUN AND BOW MAKER INC. ET AL.
LIEU DE L'AUDIENCE :          OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :          12 JUIN 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS

                     PAR MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

EN DATE DU :              18 JUIN 1997

ONT COMPARU :

Me William H. Richardson          POUR LA DEMANDERESSE
Me Ronald E. Dimock          POUR LES DÉFENDEURS

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy & Tétrault          POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Dimock, Stratton, Clarizio          POUR LES DÉFENDEURS

Toronto (Ontario)


__________________

1      (1988), 20 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.), à la p. 17.

2      C.R.C. (1978), ch. 663, et ses modifications.

3      Voir, par analogie, Entreprise Rent-A-Car Co. c. Singer, (1993) 49 C.P.R. (3d) 537 (C.F. 1re inst.), où le juge Noël a affirmé ce qui suit :
         Une injonction provisoire peut être rendue en l'absence de la partie adverse afin de permettre à une partie d'écarter le dommage immédiat qui pourrait résulter d'actes unilatéraux commis en violation des droits de cette dernière. Par sa nature même, une telle mesure suppose qu'il est urgent d'agir. Il serait inhabituel de prendre une mesure de cet ordre lorsque les agissements de la partie que l'on veut empêcher sont, depuis assez longtemps, connus de la partie lésée, et tolérés par elle.

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