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Date : 20230412


Dossier : T-621-22

Référence : 2023 CF 526

Toronto (Ontario), le 12 avril 2023

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

JOSE MIGUEL REYES CASTILLO

demandeur

et

SERVICE D’ADMINISTRATION P.C.R. LTÉE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Jose Miguel Reyes Castillo, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision arbitrale rendue le 16 février 2022 [Décision] par l’arbitre Jean-Alain Corbeil [Arbitre]. La Décision porte sur la réparation octroyée à M. Reyes Castillo en compensation de son congédiement injustifié.

[2] Dans une première décision arbitrale portant sur la plainte de congédiement injustifié de M. Reyes Castillo [Première Décision], l’Arbitre avait conclu au congédiement injuste de M. Reyes Castillo et s’était réservé compétence sur la réparation à accorder. M. Reyes Castillo affirme que, dans la Décision, l’Arbitre aurait erronément refusé d’exercer sa compétence et que les fautes commises par la défenderesse, Service d’administration P.C.R. Ltée [PCR], auraient dû permettre d’accueillir les réclamations de dommages demandées. M. Reyes Castillo demande à la Cour d’annuler la Décision et de déterminer la réparation qui aurait dû être octroyée ou, subsidiairement, de renvoyer le dossier devant un autre arbitre.

[3] La seule question en litige concerne le caractère raisonnable de la Décision de l’Arbitre.

[4] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire de M. Reyes Castillo sera rejetée. Après avoir examiné les motifs de l’Arbitre, la preuve au dossier et le droit applicable, je ne vois aucune raison d’infirmer la Décision de l’Arbitre. Compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes, le raisonnement et le résultat auquel arrive l’Arbitre ne comportent aucune lacune fondamentale qui aurait pour effet de rendre la Décision déraisonnable. M. Reyes Castillo ne s’est tout simplement pas déchargé de son fardeau de preuve quant au caractère déraisonnable de la Décision.

II. Contexte

A. Les faits

[5] M. Reyes Castillo commence à travailler comme réparateur de palettes pour PCR à compter de la fin août 2014. PCR est une filiale du Groupe Robert inc., une entreprise de transport par camion. Elle fournit des services de main-d’œuvre à d’autres entités du Groupe Robert inc.

[6] Le 16 septembre 2015, M. Reyes Castillo se blesse au dos en manipulant une palette sur son lieu de travail. Il effectue alors une réclamation à la Commission des normes de l’équité, de la santé, et de la sécurité du travail [CNESST] en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, LRQ, c A-3.001 [LATMP]. Le 1er octobre 2015, la CNESST conclut que M. Reyes Castillo est victime d’une lésion professionnelle, mais rejette ensuite sa réclamation pour rechute-récidive-aggravation [RRA]. Ainsi, M. Reyes Castillo se voit contraint de retourner au travail à temps partiel, et ensuite à temps plein à partir du mois de juillet 2016. Il le fait contre son gré, mais avec l’autorisation de son médecin traitant.

[7] Suite au refus de considérer sa réclamation pour RRA, M. Reyes Castillo conteste la décision de la CNESST devant le Tribunal administratif du travail [TAT]. Le 28 août 2017, le TAT détermine que M. Reyes Castillo a subi une entorse dorsale-lombaire sur une condition personnelle de discopathie dégénérative précoce, et qu’il est donc victime d’une lésion professionnelle intervenue le 16 septembre 2015, suivie d’une RRA de la lésion professionnelle à compter du 19 janvier 2016. Le TAT déclare que M. Reyes Castillo est donc en droit de recevoir les prestations prévues à la LATMP, parmi lesquelles figure une indemnité de remplacement de revenu représentant 90% de son salaire. Par conséquent, M. Reyes Castillo a reçu, rétroactivement au 16 septembre 2015, ainsi qu’à la suite de sa fin d’emploi, une indemnité de remplacement de revenu et d’autres bénéfices en vertu de la LATMP.

[8] Entre-temps, et à la suite de son retour au travail à temps plein, le 14 septembre 2016, M. Reyes Castillo est congédié par PCR en raison de comportements et de langage inappropriés. PCR lui reproche d’avoir crié en gesticulant des mains à l’endroit d’un collègue avec lequel il avait un différend, d’avoir volontairement bousculé ce collègue à la cafétéria, et d’avoir traité ce même collègue de « viejo maricòn » devant d’autres employés.

[9] Le 18 octobre 2016, M. Reyes Castillo dépose une plainte pour congédiement injustifié, conformément aux articles 240 et suivants du Code canadien du travail, LRC 1985, c L‐2 [Code canadien du travail].

[10] Le 9 avril 2019, l’Arbitre rend la Première Décision portant sur la plainte de congédiement injustifié de M. Reyes Castillo. L’Arbitre y déclare que M. Reyes Castillo a effectivement fait l’objet d’un congédiement injustifié de la part de PCR et ordonne sa réintégration à certaines conditions, dans la mesure où son état de santé le permet. Cependant, l’Arbitre se réserve le pouvoir d’accorder une réparation adéquate lors d’une décision ultérieure, puisqu’il n’est pas encore possible, à l’époque, de déterminer si M. Reyes Castillo sera en mesure de retourner au travail. Dans la Première Décision, l’Arbitre conclut que M. Reyes Castillo a commis des fautes justifiant une intervention disciplinaire, mais que le congédiement était une mesure trop sévère.

[11] PCR demande le contrôle judiciaire de la Première décision devant cette Cour, mais cette demande est rejetée (Services d’administration PCR Ltée c Reyes, 2020 CF 659 [Reyes]). À la suite de ce rejet, l’Arbitre entend les parties à nouveau et rend la Décision le 16 février 2022, laquelle porte exclusivement sur la réparation à octroyer à M. Reyes Castillo. C’est cette Décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

B. La Décision contestée

[12] À l’audience devant l’Arbitre, M. Reyes Castillo demande d’être indemnisé pour sa perte de salaire et sa fin d’emploi pour une somme approchant 260 000 $, des dommages-intérêts majorés de 85 000 $, des dommages punitifs à hauteur de 200 000 $, ainsi que les frais judiciaires et extrajudiciaires qu’il a supportés. Dans une Décision lourde de plus de 300 paragraphes, l’Arbitre reprend un à un les chefs d’indemnisation demandés par M. Reyes Castillo.

[13] L’Arbitre refuse d’abord d’accorder une indemnisation pour la perte de salaire et une indemnité de fin d’emploi, puisque M. Reyes Castillo bénéficie des prestations en vertu du régime de la LATMP à cet égard. Selon l’Arbitre, le fait d’accorder des montants supplémentaires sous ces chefs de dommages constituerait de « l’enrichissement sans cause ». L’Arbitre refuse également d’indemniser M. Reyes Castillo pour la période de suspension sans solde et pour la période où il a été rémunéré à un salaire moindre en raison de son retour progressif au travail puisqu’à son avis, il n’a compétence qu’en matière de congédiement en vertu de l’article 240 du Code canadien du travail.

[14] Pour ce qui est des dommages-intérêts majorés — soit des dommages moraux —, M. Reyes Castillo soutient auprès de l’Arbitre que PCR a commis une série de fautes, notamment en ayant amputé injustement ses perspectives d’emploi, en l’ayant contraint à reprendre le travail malgré sa douleur, en le prenant en filature illégale, en portant atteinte à sa réputation dans la collectivité, et en exerçant des représailles illégales à son endroit. PCR aurait également commis une série de fautes dans le cadre de sa rencontre avec M. Reyes Castillo pour lui annoncer son congédiement. M. Reyes Castillo identifie plus particulièrement le fait d’avoir refusé que l’avocat de M. Reyes Castillo s’exprime, le refus de fournir la preuve de son comportement fautif, le défaut de fournir sur le champ une copie de son dossier disciplinaire, l’omission d’avoir obtenu sa version des faits, l’ordre qui lui a été fait de ne pas entrer en contact avec ses collègues, et l’adoption d’un ton condescendant, désobligeant et irrespectueux à son égard.

[15] Dans la Décision, l’Arbitre examine chacun de ces arguments, en expliquant d’abord pourquoi il n’a pas compétence à l’égard de certains d’entre eux, et en indiquant ensuite pourquoi les autres événements ne peuvent pas être considérés comme des fautes donnant ouverture à une réparation pour dommages moraux dans le contexte du droit du travail. En bout de ligne, l’Arbitre détermine que la seule faute attribuable à PCR dans le cadre du congédiement injuste de M. Reyes Castillo est d’avoir mis ce dernier à l’écart lors de son retour au travail, ce qui constituait, dans les circonstances, une mesure punitive intimement liée au congédiement lui-même. L’Arbitre attribue donc une somme de 5 000 $ à M. Reyes Castillo pour compenser la souffrance morale occasionnée par cette faute.

[16] En ce qui concerne les dommages punitifs, l’Arbitre soutient que ceux-ci sont très limités au Québec. Bien que le Code canadien du travail s’applique en premier lieu, l’Arbitre soumet que le droit civil applicable — en l’espèce le droit québécois, puisque le domicile de PCR se trouve au Québec — s’applique aussi, mais de manière supplétive. En s’appuyant sur l’article 1621 du Code civil du Québec, RLRQ, c C‐1991 ainsi que sur l’article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c C‐12 [Charte], l’Arbitre conclut que la preuve au dossier ne permet pas l’octroi de dommages punitifs puisqu’aucun droit protégé par la Charte n’a été violé et qu’aucune autre disposition législative ne permettrait l’octroi de dommages punitifs.

[17] Finalement, l’Arbitre refuse l’octroi des honoraires et frais extrajudiciaires demandés par M. Reyes Castillo au motif que seul l’abus du droit d’ester en justice est susceptible de donner ouverture à une telle compensation. Or, l’Arbitre conclut que M. Reyes Castillo n’a pas démontré que PCR se serait comporté de manière abusive dans le cadre des procédures relatives à son congédiement.

C. La norme de contrôle

[18] Lors de l’audience devant la Cour, l’avocat de M. Reyes Castillo soumet que la norme de la décision raisonnable s’applique aux conclusions de l’Arbitre sur l’ensemble des chefs de dommages, sauf pour ce qui est de l’indemnité de remplacement de revenu et de l’indemnité de fin d’emploi. M. Reyes Castillo maintient que la norme de contrôle applicable à l’octroi de ces indemnités est celle de la décision correcte, puisque l’Arbitre aurait en fait erronément décliné compétence en refusant l’octroi de plusieurs chefs de dommages en raison de la LATMP. Selon M. Reyes Castillo, ce serait là une question de délimitation de compétence au sens des paragraphes 63 et 64 de l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[19] PCR soumet pour sa part que la norme du caractère raisonnable s’applique à l’ensemble des chefs de dommages, puisque l’Arbitre a en fait pleinement agi à l’intérieur de sa compétence exclusive en interprétant la LATMP. Il n’y aurait donc pas de question de délimitation de compétence qui nécessite l’application de la norme de la décision correcte en vertu de l’arrêt Vavilov.

[20] Je partage l’avis de PCR sur la norme de contrôle applicable.

[21] La norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer chaque fois qu’une cour de révision est appelée à trancher une demande de contrôle judiciaire portant sur le mérite d’une décision administrative. Deux exceptions permettent de réfuter cette présomption et exigent plutôt l’utilisation de la norme de la décision correcte : lorsque l’intention du législateur le prévoit par un mécanisme d’appel et lorsque la règle de la primauté du droit commande l’application de cette norme (Vavilov au para 17). Cette deuxième situation survient pour certaines catégories de questions, « soit les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs » (Vavilov au para 17).

[22] Les questions de compétence qui requièrent l’application de la norme de la décision correcte se limitent à celles qui portent sur la délimitation des compétences respectives d’organismes administratifs (Vavilov au para 63). La primauté du droit commande « l’intervention des cours de justice lorsqu’un organisme administratif interprète l’étendue de ses pouvoirs d’une manière qui est incompatible avec la compétence d’un autre organisme administratif » (Vavilov au para 64; Canada (Public Safety and Emergency Preparedness) v Gaytan, 2021 FCA 163 au para 24).

[23] Or, les arguments avancés par M. Reyes Castillo sur l’indemnité de remplacement de revenu et l’indemnité de fin d’emploi ne soulèvent pas une question de délimitation de compétence. Comme le décrit le professeur Paul Daly, cette catégorie est définie comme en étant une de « overlapping jurisdiction », ou de « chevauchement des compétences » (Paul Daly, « Exceptional Circumstances? O.K. Industries Ltd. v. District of Highlands, 2022 BCCA 12 » (14 janvier 2022), en ligne (blogue) : Administrative Law Matters <https://www.administrativelawmatters.com/blog/2022/01/14/exceptional-circumstances-o-k-industries-ltd-v-district-of-highlands-2022-bcca-12/>). C’est également l’interprétation qui est donnée par Sara Blake, qui reconnaît que la norme de la décision correcte s’applique à la catégorie des questions de compétence uniquement en cas de « conflicting tribunal orders », ou d’« ordonnances contradictoires des tribunaux » :

If a tribunal order prohibits what an order of another tribunal compels, such that compliance with both orders is not possible, the court applies a correctness standard to its review of each tribunal’s statutory authority to issue its order. This is the one exception to the reasonableness standard of review of questions of statutory interpretation.

[Traduction]

Si une ordonnance d’un tribunal interdit ce qu’une ordonnance d’un autre tribunal impose, de sorte que le respect des deux ordonnances n’est pas possible, la Cour applique la norme de la décision correcte à l’examen du pouvoir légal de chaque tribunal d’émettre son ordonnance. Il s’agit de la seule exception à la norme de la décision raisonnable pour les questions d’interprétation des lois.

Sara Blake, Administrative Law in Canada, 7e éd, Toronto, LexisNexis, 2022 à la p 246.

[24] La norme de la décision correcte s’applique donc uniquement dans ces rares cas où l’interprétation que fait un organisme administratif de ses pouvoirs est incompatible avec la compétence d’un autre organisme administratif. Comme le rappelle la Cour suprême du Canada dans Vavilov au paragraphe 64, « [l]a raison d’être de cette catégorie de questions est simple : la primauté du droit ne saurait tolérer des ordonnances et des procédures qui entraînent un véritable conflit opérationnel entre deux organismes administratifs, de sorte qu’une partie se retrouve aux prises avec deux décisions contradictoires » [soulignements ajoutés]. En l’occurrence, je ne décèle aucun risque de décisions contradictoires, puisque l’Arbitre a en fait restreint sa compétence à la lumière de l’ensemble des dispositions législatives applicables, précisément pour éviter d’entrer en conflit avec les dispositions de la LATMP.

[25] En fait, les arguments de M. Reyes Castillo sur l’indemnité de remplacement de revenu et l’indemnité de fin d’emploi appartiennent plutôt à la catégorie des questions de compétence au sens large — et non à celle des questions de délimitation. Comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada dans Vavilov au paragraphe 66, « en théorie, toute contestation d’une décision administrative peut être qualifiée de question qui “touche à la compétence”, en ce sens qu’elle sème un doute à savoir si le décideur était habilité à agir comme il l’a fait ». C’est d’ailleurs pourquoi de telles questions sont désormais révisées en fonction de la norme de la décision raisonnable. Dans l’affaire 1120732 BC Ltd v Whistler (Resort Municipality), 2020 BCCA 101, au paragraphe 35, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique rappelle incidemment, dans les termes suivants, l’importance de distinguer les questions de compétence au sens large de celles qui touchent la délimitation de compétences respectives entre organismes administratifs:

[35] For the purposes of [the Vavilov appeal], the [Supreme Court of Canada] decided that, while the rule of law requires the correctness standard to be applied to questions related to the jurisdictional boundaries between two or more administrative bodies, it does not require the correctness standard to be applied to all jurisdictional questions. The Court specifically stated that jurisdictional questions will no longer be recognized as a distinct category attracting correctness review: para. 65. The result is that the jurisdictional power of an administrative body is to now be reviewed on the reasonableness standard unless there is a competing administrative body that may have jurisdiction.

[Traduction]

[35] Pour les fins de [l’appel dans Vavilov], la Cour suprême du Canada a déterminé que, même si la règle de la primauté du droit requiert d’appliquer la norme de la décision correcte aux questions de délimitations de compétence entre deux ou plusieurs organismes administratifs, elle n’impose toutefois pas que cette norme de la décision correcte soit retenue pour toutes les questions de compétence. La Cour a spécifiquement établi que les questions de compétence ne seront plus reconnues comme une catégorie distincte devant faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte : para. 65. Il en découle que les questions liées à la compétence d’un organisme administratif doivent maintenant être révisées selon la norme de la décision raisonnable à moins qu’il y ait un autre organisme administratif concurrent pouvant avoir compétence sur la question.

[Soulignements ajoutés.]

[26] J’ajouterais que, dans la décision Reyes portant sur le contrôle judiciaire de la Première Décision, la Cour s’était aussi dite d’avis que le dossier de M. Reyes Castillo ne soulevait pas de « questions juridictionnelles » ou de conflit de compétence simplement parce que la LATMP avait un impact sur l’analyse de l’Arbitre (Reyes aux para 9, 39). Le seul fait qu’un décideur administratif tienne compte de règles ou de principes provenant de lois autres que sa loi constitutive n’est pas un conflit de compétence envisagé aux paragraphes 63 et 64 de l’arrêt Vavilov (Reyes au para 39).

[27] En l’espèce, l’appréciation de l’indemnité de remplacement de revenu et l’indemnité de fin d’emploi se présente plutôt comme une question d’interprétation de la loi et des dispositions législatives qui régissent la compétence de l’Arbitre (Kilgour c Canada (Procureur général), 2022 CF 472 au para 12). Or, il est clair depuis l’arrêt Vavilov que c’est à l’aune de la norme de la décision raisonnable que doit être déterminée la légalité d’une décision administrative portant sur de telles questions. D’ailleurs, la Cour a reconnu à quelques reprises que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique aux questions portant sur la réparation choisie par un arbitre en vertu de l’article 242 du Code canadien du travail (Première Nation de Atikamekw de Manawan c Boisvert, 2020 CF 1057 [Atikamekw de Manawan] au para 12; Première Nation Tl’azt’en c Joseph, 2013 CF 767 au para 22; Nation des Cris de Opaskwayak c Booth, 2009 CF 225 aux para 23–24).

[28] Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle d’une cour de révision est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). La cour de révision doit donc se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov au para 99, citant notamment Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 aux para 47, 74). La norme de la décision raisonnable se concentre sur la décision prise par le décideur administratif, ce qui englobe à la fois le raisonnement suivi et le résultat (Vavilov aux para 83, 87). C’est à la partie qui conteste une décision administrative que revient le rôle de démontrer son caractère déraisonnable.

[29] L’exercice du contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit comporter une évaluation rigoureuse des décisions administratives. Toutefois, dans le cadre de son analyse du caractère raisonnable d’une décision, la cour de révision doit examiner les motifs donnés avec « une attention respectueuse », et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion (Vavilov au para 84). La cour de révision doit adopter une attitude de retenue et n’intervenir que « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov au para 13). La norme de la décision raisonnable tire son origine du principe de la retenue judiciaire et de la déférence, et elle exige des cours de révision qu’elles témoignent d’un respect envers le rôle distinct que le législateur a choisi de conférer aux décideurs administratifs plutôt qu’aux cours de justice (Vavilov aux para 13, 46, 75). Une décision ne sera pas infirmée sur la base de simples erreurs superficielles ou accessoires, et ce n’est pas le rôle d’une cour de révision d’« apprécier à nouveau la preuve prise en compte » par le décideur administratif (Vavilov au para 125). Pour justifier l’intervention de la cour de révision, la décision attaquée doit comporter de graves lacunes, telles qu’un raisonnement intrinsèquement incohérent (Vavilov aux para 100–101).

III. Analyse

[30] M. Reyes Castillo soumet que la Décision de l’Arbitre est déraisonnable, car ce dernier n’aurait pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes qui ont mené à son congédiement injustifié et que, dans sa détermination des différents chefs de dommages, il aurait ignoré ses propres conclusions de fait qu’il avait émises dans la Première Décision. Selon M. Reyes Castillo, l’Arbitre aurait erré dans son analyse et sa détermination de chacun des chefs de dommages qu’il réclamait, à savoir les indemnités de remplacement de revenu et de fin d’emploi, les dommages-intérêts majorés (ou dommages moraux), les dommages punitifs, et les frais et honoraires extrajudiciaires. Je vais les analyser tour à tour.

A. Les conclusions de fait de la Première Décision

[31] Avant d’aborder les différents chefs de réclamation de M. Reyes Castillo, je m’arrête un instant sur les conclusions de fait tirées par l’Arbitre dans la Première Décision, et que M. Reyes Castillo invite la Cour à tenir comme prouvées.

[32] Dans ses soumissions écrites, M. Reyes Castillo a notamment fait état, au paragraphe 25, de 18 conclusions de fait auxquelles l’Arbitre en serait arrivé, et qui démontreraient que PCR a contraint M. Reyes Castillo à reprendre le travail alors qu’il était toujours médicalement incapable d’accomplir ses tâches, et a tout fait pour rendre sa vie au travail misérable et difficile.

[33] Je souligne toutefois que, contrairement aux propos de M. Reyes Castillo, plusieurs des conclusions de fait que ce dernier attribue à l’Arbitre reflètent en fait le témoignage et la position que M. Reyes Castillo a présentés à l’Arbitre sur différents faits, et non les conclusions qu’a adoptées l’Arbitre. Je ne suis donc pas prêt à accepter la position de M. Reyes Castillo quant à la portée des conclusions de fait que la Cour peut considérer comme prouvées, et considère plutôt qu’une approche plus nuancée doit prévaloir.

B. Indemnités de remplacement de revenu et de fin d’emploi

[34] Au niveau des indemnités de remplacement de revenu et de fin d’emploi, M. Reyes Castillo réclame une somme équivalente à la différence entre le salaire qu’il dit avoir perdu auprès de PCR et les montants reçus à titre d’indemnités de la CNESST. M. Reyes Castillo maintient que l’Arbitre a commis une erreur en confondant les dommages à octroyer pour la perte d’emploi en raison de sa lésion professionnelle avec ceux qui sont disponibles en vertu de son congédiement injustifié. Il avance d’ailleurs que l’Arbitre a erronément appliqué l’immunité civile de l’employeur sous l’article 438 de la LATMP à l’ensemble des fautes civiles commises par PCR.

[35] Avec égards, je ne partage pas l’avis de M. Reyes Castillo.

[36] Je ne conteste pas le principe voulant qu’un employé congédié injustement ait droit à une indemnité additionnelle lorsque la réintégration est impossible. Toutefois, dans le cas de M. Reyes Castillo, il faut tenir compte du fait que deux recours se sont chevauchés : un recours pour compenser une lésion professionnelle en vertu de la LATMP, et un recours pour congédiement injustifié en vertu du Code canadien du travail.

[37] L’alinéa 242(4)c) du Code canadien du travail mentionne très clairement que les pouvoirs additionnels d’un arbitre visent à « contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier ». L’Arbitre était donc justifié de refuser l’octroi d’indemnités pour perte de salaire et pour fin d’emploi, parce que ces chefs de dommages sont de nature compensatoire. Or, M. Reyes Castillo reçoit déjà une indemnité en vertu de la LATMP, laquelle vise précisément à remplacer le salaire qu’il gagnerait s’il n’avait pas subi de lésion professionnelle et de RRA et qu’il pouvait toujours effectuer son emploi de réparateur de palettes. Dans de telles circonstances, il n’y a plus « d’effets du congédiement » à contrebalancer, puisque M. Reyes Castillo se trouve déjà dans la position économique dans laquelle il aurait été en l’absence de congédiement.

[38] D’ailleurs, l’Arbitre a clairement noté dans la Décision (aux paragraphes 17 et 18) que les instances de la LATMP ont déterminé que M. Reyes Castillo n’est plus capable d’exercer les tâches de son emploi de réparateur de palettes en raison de son accident du travail de septembre 2015 et de son RRA de janvier 2016. En d’autres termes, au moment de son congédiement pour motifs disciplinaires, M. Reyes Castillo n’était plus en mesure d’effectuer sa prestation de travail de réparateur de palettes en raison de ses limitations fonctionnelles.

[39] Il est vrai que l’indemnité reçue en vertu de la LATMP ne représente pas 100% du salaire que M. Reyes Castillo recevait avant son accident de travail. Toutefois, n’eut été de son congédiement, c’est exactement la situation dans laquelle M. Reyes Castillo se serait retrouvé. En effet, même avant son congédiement, M. Reyes Castillo recevait déjà l’indemnité de la CNESST. L’Arbitre pouvait donc raisonnablement conclure qu’il n’y a pas lieu d’accorder une nouvelle indemnité de remplacement du revenu, puisque les effets du congédiement sont déjà compensés.

[40] Contrairement à ce que prétend M. Reyes Castillo, l’immunité civile de l’employeur sous l’article 438 de la LATMP empêche tout recours qui vise à combler l’écart salarial entre le salaire perdu et les indemnités reçues en raison d’une lésion professionnelle. Dans l’arrêt Béliveau St-Jacques c Fédération des employées et employés, [1996] 2 RCS 345, la Cour suprême du Canada explique au paragraphe 133 que la LATMP représente un compromis qui offre certains avantages, mais qui empêche les recours civils visant à obtenir une autre forme de compensation :

Je suis donc d’avis que l’art. 438 a pour effet de validement interdire à la victime d’une lésion professionnelle l’usage du recours en dommages-intérêts prévu à la Charte. Par cette exclusion, la LATMP ne contrevient évidemment pas à l’un des droits garantis aux art. 1 à 38 de la Charte. D’ailleurs, la victime d’une lésion professionnelle ne se trouve pas privée de toute forme de compensation monétaire. Elle se voit plutôt soumise à un régime particulier, qui offre nombre d’avantages, mais qui ne permet d’obtenir qu’une indemnisation partielle et forfaitaire. En ce sens, et bien que cela ne soit pas déterminant, il n’est pas sans intérêt de remarquer que notre Cour a déjà jugé qu’une prohibition semblable des recours civils aux victimes d’accidents du travail ne contrevenait pas à l’art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (Renvoi: Workers’ Compensation Act, 1983 (T.-N.), 1989 CanLII 86 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 922).

[41] Le régime mis en place par la LATMP est un compromis. Et ce compromis veut que l’indemnisation soit plus facilement accessible à un employé qui subit une lésion professionnelle, mais qu’en revanche, ce dernier doive accepter une indemnisation partielle tout en renonçant à la possibilité d’intenter un recours civil. En d’autres termes, la LATMP facilite l’accès à une indemnisation pour lésion professionnelle mais, du même souffle, elle pose certaines balises et certaines limites au quantum de cette indemnisation. En l’espèce, la preuve non contredite démontre que M. Reyes Castillo ne peut pas retourner à son emploi antérieur de réparateur de palettes en raison de sa lésion professionnelle. Qu’il ait été congédié ou non, son revenu correspondrait, dans un cas comme dans l’autre, au montant des indemnités versées sous le régime de la LATMP. Même en trouvant un emploi différent, M. Reyes Castillo continue de recevoir une indemnité pour combler l’écart salarial entre le revenu tiré de son nouvel emploi et le revenu établi par la LATMP pour l’emploi qu’il occupait au moment de sa lésion professionnelle.

[42] Il en est de même pour l’indemnité de fin d’emploi réclamée par M. Reyes Castillo. Cette indemnité vise à offrir au travailleur qui perd son emploi une indemnité additionnelle pour lui permettre de se retrouver un emploi équivalent. M. Reyes Castillo cite l’affaire 9179-8538 Québec inc c Leclerc, 2011 CanLII 97989 (CA SA) aux paragraphes 34 et 35, où un arbitre mentionne qu’une telle indemnité vise à « contrebalancer les effets du congédiement » et est sujette au pouvoir discrétionnaire de l’arbitre.

[43] Avec égards, je suis d’avis que cet extrait reflète plutôt le raisonnement suivi par l’Arbitre dans la Décision, et n’appuie aucunement les arguments de M. Reyes Castillo. Dans le dossier de M. Reyes Castillo, l’Arbitre a jugé qu’en l’occurrence, les effets du congédiement étaient déjà compensés par les indemnités reçues en vertu de la LATMP. M. Reyes Castillo n’avait pas besoin d’une indemnité de fin d’emploi pour lui donner le temps de se trouver un emploi équivalent, puisque l’indemnité sous la LATMP lui est versée tant que la lésion professionnelle ne sera pas consolidée, et ce malgré la fin de son emploi chez PCR. Il était donc loisible pour l’Arbitre de conclure que M. Reyes Castillo « ne subit donc pas de dommage du fait d’avoir été congédié puisqu’il n’aurait pas été en mesure d’effectuer sa prestation de travail, n’[eût] été du congédiement » (Décision au para 130).

[44] Dans Brochu c Commission des relations du travail, 2009 QCCS 3309 [Brochu], un argument similaire à celui de M. Reyes Castillo avait été présenté par la demanderesse alors qu’elle avait fait l’objet d’un congédiement sans cause, mais recevait une indemnité de remplacement de revenu en vertu de la LATMP pour compenser une lésion professionnelle qu’elle avait subie. Le commissaire chargé du dossier avait jugé que, malgré le congédiement sans cause juste et suffisante, la situation exceptionnelle créée par l’indemnité versée en vertu de la LATMP et par l’impossibilité de retourner travailler pour l’employeur faisait en sorte qu’aucune somme d’argent n’était due à la demanderesse à titre d’indemnité de remplacement de revenu (Brochu au para 51). La Cour supérieure du Québec a conclu que le raisonnement du commissaire était tout à fait raisonnable. Dans cette affaire, le tribunal réitère d’ailleurs les propos des commissaires chargés de la révision, où ces derniers soulignent que l’indemnité pour perte d’emploi n’est pas punitive, mais plutôt compensatoire, ce qui signifie qu’il n’y a pas de droit automatique à celle-ci et qu’il appartient donc au commissaire de juger la nécessité d’une telle indemnité en fonction des circonstances de l’affaire (Brochu au para 52).

[45] Ainsi, compte tenu de la présence d’une indemnité de remplacement de revenu en vertu de la LATMP et de la fonction compensatoire des indemnités de perte de revenu et de fin d’emploi que M. Reyes Castillo demande, je suis d’avis que l’Arbitre a raisonnablement utilisé son pouvoir discrétionnaire en concluant qu’il n’y a pas lieu d’accorder d’indemnités additionnelles à M. Reyes Castillo. Tel que discuté plus tôt, les effets du congédiement ont déjà été corrigés. M. Reyes Castillo n’a pas démontré en quoi une telle conclusion est déraisonnable.

[46] M. Reyes Castillo demande également une indemnisation pour les mesures disciplinaires antérieures à son congédiement, et soutient que ces mesures sont indissociables du congédiement lui-même, car elles s’inscrivent dans une tentative de congédiement déguisé orchestrée par PCR. M. Reyes Castillo affirme que l’Arbitre a refusé d’exercer sa compétence en minimisant son pouvoir discrétionnaire d’octroyer d’autres réparations en vertu de l’alinéa 242(4)c) du Code canadien du travail.

[47] Encore une fois, je ne suis pas convaincu par l’argument de M. Reyes Castillo. M. Reyes Castillo n’a pas démontré en quoi ces mesures disciplinaires antérieures sont « indissociables » du congédiement lui-même. En fait, les mesures disciplinaires en question ont été prises pour remédier à des événements tout à fait distincts de ceux qui ont mené au congédiement. Les sanctions au dossier disciplinaire de M. Reyes Castillo ne concernaient que la qualité de son travail de réparation des palettes, et non son comportement. Par ailleurs, ces mesures disciplinaires ne semblent pas avoir été contestées lors de la Première Décision, tout au contraire. Dans son argumentation (résumée par l’Arbitre), M. Reyes Castillo lui-même y décrit son dossier disciplinaire antérieur comme étant de nature différente de celle des fautes comportementales reprochées dans le cadre du congédiement (voir Première Décision au para 180). Dans le cadre de la Première Décision, M. Reyes Castillo fait l’argument que « [l]es fautes comportementales reprochées [dans le cadre du congédiement] n’ont aucun lien avec [son] dossier disciplinaire antérieur ». Disons qu’une telle affirmation de M. Reyes Castillo enlève beaucoup de poids à l’argument contraire qu’il avance maintenant devant la Cour.

[48] L’analyse de l’Arbitre à l’égard des mesures disciplinaires antérieures au congédiement possède donc tous les attributs d’une décision raisonnable.

[49] En somme, sur tous les volets de l’indemnité de remplacement de revenu et de fin d’emploi, la Décision de l’Arbitre tient compte des contraintes factuelles et juridiques pertinentes, et je ne décèle aucune lacune fondamentale qui me ferait perdre confiance dans la Décision de l’Arbitre.

C. Dommages-intérêts majorés

[50] Je me tourne maintenant vers les dommages-intérêts majorés. M. Reyes Castillo soumet que PCR a porté atteinte à son bien-être psychologique, à sa santé physique, à sa dignité et à sa réputation étant donné la manière dont il a été congédié, et qu’il doit donc recevoir un dédommagement approprié. M. Reyes Castillo avance que l’Arbitre a erré en minimisant le caractère fautif des comportements de PCR.

[51] Je ne partage pas l’avis de M. Reyes Castillo.

[52] Comme le souligne PCR, citant l’affaire Atikamekw de Manawan au paragraphe 47, « [c]’est une chose de conclure que les motifs invoqués pour mettre fin à l’emploi [du travailleur] sont insuffisants pour justifier son congédiement, c’en est une toute autre de conclure qu’ils donnent ouverture à des dommages moraux et punitifs ». S’appuyant sur l’affaire Honda Canada Inc c Keays, 2008 CSC 39 [Keays] au paragraphe 60, la Cour dans Atikamekw de Manawan rappelle que les dommages moraux doivent « toujours viser l’indemnisation » (Atikamekw de Manawan au para 47).

[53] Suite à son analyse détaillée des reproches formulés à l’endroit de PCR, l’Arbitre a d’abord écarté les dommages moraux liés à des reproches faits à PCR relativement à son comportement relatif à la lésion professionnelle. Puisque ces dommages moraux ne sont pas liés au congédiement injustifié, l’Arbitre a décliné compétence pour compenser de tels préjudices. Il n’y a rien de déraisonnable dans cette conclusion. L’Arbitre n’a trouvé qu’une seule faute dans le comportement de PCR en rapport avec les circonstances du congédiement, soit la négligence dont PCR a fait preuve en assignant à M. Reyes Castillo, à son retour au travail suite à sa RRA, un poste de travail à l’écart de ses collègues de travail, et moins bien pourvu en palettes par les caristes. Il s’agit là, a estimé l’Arbitre, d’une faute contributive qui a attisé la frustration et la colère de M. Reyes Castillo, et a ultimement mené aux excès de comportements de ce dernier. L’Arbitre a octroyé des dommages moraux raisonnables de 5 000 $ qui visent l’indemnisation de ce comportement fautif, sans plus.

[54] Par ailleurs, j’observe que, dans la Décision, l’Arbitre s’est longuement attardé (sur près de 100 paragraphes) sur les fautes que M. Reyes Castillo reprochait à PCR lors de la rencontre de congédiement. L’Arbitre y a épluché, un à un, les éléments factuels entourant les reproches faits par M. Reyes Castillo, pour éventuellement conclure que PCR n’a commis, lors de cette rencontre, aucune faute qui puisse justifier des dommages moraux.

[55] L’appréciation des dommages à octroyer relève du pouvoir discrétionnaire de l’Arbitre. Son exercice est intimement lié aux circonstances du congédiement de M. Reyes Castillo, et la Cour doit faire preuve de déférence face aux conclusions factuelles de l’Arbitre à ce chapitre (Vavilov au para 125; Mudjatik Thyssen Mining coentreprise minière c Billette, 2020 CF 255 au para 70). Ici, l’analyse de l’Arbitre est étoffée et la Décision fournit des motifs détaillés et intelligibles sur chacune des fautes alléguées par M. Reyes Castillo. Ce dernier ne soulève aucune lacune grave qui pourrait m’amener à perdre confiance dans le résultat auquel l’Arbitre a abouti (Vavilov au para 106). M. Reyes Castillo ne présente pas non plus d’éléments de preuve particuliers que l’Arbitre aurait omis de prendre en compte dans son analyse des fautes alléguées. Son argument porte plutôt sur le peu de poids accordé par l’Arbitre à ces événements dans l’octroi de dommages-intérêts majorés. Ce que suggère M. Reyes Castillo relève donc plutôt d’un réexamen de la preuve au dossier. Or, dans le cadre d’un contrôle judiciaire sous la norme du caractère raisonnable, ce n’est pas le rôle de la cour de révision de réévaluer la preuve (Vavilov au para 125; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 au para 55) et de substituer sa propre appréciation à celle du décideur administratif.

[56] Lorsque la Cour examine des conclusions de fait selon la norme de la décision raisonnable, il ne lui appartient pas de réévaluer l’importance relative accordée par le décideur aux facteurs pertinents ou aux éléments de preuve. Ces conclusions de fait commandent déférence et retenue de la part de la cour de révision. En d’autres termes, M. Reyes Castillo ne m’a pas convaincu que les conclusions de l’Arbitre ne sont pas fondées sur la preuve dont il était effectivement saisi (Vavilov au para 126) ou qu’il s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte.

D. Dommages punitifs

[57] Au niveau des dommages punitifs, M. Reyes Castillo se fonde principalement sur l’arrêt Whiten c Pilot Insurance Co, 2002 CSC 18 pour demander des dommages punitifs de l’ordre de 200 000 $ à PCR. M. Reyes Castillo allègue que la décision de l’Arbitre de ne pas attribuer de dommages punitifs est déraisonnable eu égard aux conclusions de faits et à la jurisprudence qu’il a invoquée.

[58] Encore une fois, je ne suis pas d’accord avec M. Reyes Castillo. Comme l’a correctement souligné l’Arbitre, au Québec, ce chef de dommages ne peut être attribué que si une loi particulière le prévoit spécifiquement (Cinar Corporation c Robinson, 2013 CSC 73 au para 113). Ainsi, l’Arbitre a dûment considéré la possibilité que l’article 49 de la Charte puisse permettre l’octroi de dommages punitifs, mais a conclu qu’il n’y avait en fait aucune violation de la Charte qui donnerait ouverture à l’application de cet article. D’ailleurs, l’Arbitre souligne qu’il ne peut identifier aucune autre disposition législative permettant l’octroi de dommages punitifs en l’occurrence.

[59] Il y a donc une absence totale de preuve d’intention de nuire ou de dispositions législatives qui pourraient justifier l’octroi de dommages punitifs à M. Reyes Castillo (Keays aux para 62–68; Québec (Curateur public) c Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 RCS 211 au para 121).

[60] Au regard de ces contraintes juridiques et factuelles, je ne vois rien de déraisonnable dans la Décision au sujet des dommages punitifs.

E. Honoraires et frais extrajudiciaires

[61] M. Reyes Castillo affirme enfin que ce serait « juste et cohérent avec la jurisprudence » qu’il soit indemnisé pour ses frais d’avocat en ce qui concerne les procédures entamées autant devant le tribunal d’arbitrage que devant la Cour, considérant le caractère injuste et malveillant du congédiement et considérant que PCR n’a pas cherché à trouver une solution à l’amiable. M. Reyes Castillo soumet encore une fois que les conclusions de l’Arbitre sont déraisonnables à ce chapitre, puisqu’elles restreignent indûment son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’alinéa 242(4)c) du Code canadien du travail. Il allègue que l’attribution des frais et honoraires extrajudiciaires n’est pas limitée aux situations d’abus du droit d’ester en justice, comme l’a conclu l’Arbitre.

[62] Je ne suis pas d’accord. Comme l’a correctement plaidé PCR, l’Arbitre a de bon droit souligné que le remboursement des honoraires et frais extrajudiciaires représente l’exception plutôt que la règle. Ce chef de dommages « vise à punir la conduite de l’une des parties pendant l’instance et non la conduite de l’employeur lors du congédiement » (Atikamekw de Manawan au para 63). C’est donc le comportement de PCR lors des procédures relatives au congédiement qui est ici en jeu.

[63] Or, je ne vois pas en quoi le refus de l’Arbitre d’octroyer les honoraires et frais extrajudiciaires est déraisonnable. M. Reyes Castillo n’a soumis ou identifié aucune preuve qui appuierait un comportement abusif, scandaleux ou de mauvaise foi de la part de PCR dans sa conduite pendant les procédures, et qui permettrait d’accorder de tels frais.

[64] Dans ses soumissions, M. Reyes Castillo tente de se fonder sur deux décisions qui ne lui viennent pas vraiment en aide. La première, l’affaire Morel c Société canadienne des postes, 2003 CanLII 43818 (QC CS), a été renversée en appel (Société canadienne des postes c Morel, 2004 CanLII 21187 (QC CA)) et ne constitue donc pas un précédent qui peut être retenu. Quant à l’arrêt Viel c Entreprises immobilières du terroir Ltée, 2002 CanLII 41120 (QC CA), il confirme qu’un abus sur le fond ne conduit pas nécessairement à un abus du droit d’ester en justice.

[65] Encore une fois, l’analyse de l’Arbitre dans la Décision est rigoureuse, claire et conforme aux contraintes légales et factuelles auxquelles il était assujetti. Il n’y a aucune raison pour la Cour d’intervenir.

F. Conclusion sur le caractère raisonnable

[66] Une décision raisonnable en est une qui est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). Je suis convaincu que c’est le cas en l’espèce, et M. Reyes Castillo ne m’a pas convaincu que la Décision de l’Arbitre souffre de lacunes graves à un point tel qu’on pourrait dire que la Décision ne satisfait pas aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence (Vavilov aux para 96, 97, 100).

[67] Il ne s’agit ni d’une situation où le processus logique, par lequel les faits ont été déduits de la preuve, était vicié, ni d’une situation où l’Arbitre s’est fondamentalement mépris sur la preuve dont il était saisi ou n’en a pas tenu compte, ni d’une situation où il a tiré une conclusion qui allait à l’encontre de l’essentiel de la preuve (Vavilov au para 126). L’Arbitre disposait de tous les faits et il a tenu compte des facteurs pertinents. Autrement dit, les erreurs alléguées par M. Reyes Castillo ne révèlent aucune faille décisive sur le plan de la rationalité ou de la logique globale et ne m’incitent pas à douter du résultat auquel est arrivé l’Arbitre (Vavilov au para 122).

[68] Selon l’arrêt Vavilov, les motifs donnés par un décideur constituent le point de départ de l’analyse. Ceux‐ci constituent le principal outil permettant aux décideurs administratifs « de montrer aux parties concernées que leurs arguments ont été pris en compte et démontrent que la décision a été rendue de manière équitable et licite » (Vavilov au para 79). En l’espèce, je suis convaincu que la Décision explique les conclusions tirées par l’Arbitre de manière complète, transparente et intelligible (Vavilov au para 81).

[69] Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, ce n’est pas le rôle de la cour de révision d’apprécier à nouveau les éléments de preuve au dossier (Vavilov au para 125). M. Reyes Castillo n’a démontré rien d’autre que son désaccord avec les conclusions tirées par l’Arbitre; or, ce n’est pas là un motif autorisant la Cour à intervenir. Le raisonnement de l’Arbitre est fondé sur la preuve qui lui a été soumise et se justifie à l’égard de la loi applicable. Ses motifs illustrent une logique interne sans failles, et il n’appartient pas à la Cour d’y substituer une conclusion qui pourrait lui sembler préférable. En l’espèce, M. Reyes Castillo n’a pas réussi à démontrer que la Décision est déraisonnable et que l’intervention de cette Cour serait justifiée.

[70] Tant dans ses représentations écrites que dans sa plaidoirie devant la Cour, l’avocat de M. Reyes Castillo a répété, avec passion et conviction, qu’il ne pouvait pas être raisonnable de ne pas accueillir les réclamations de M. Reyes Castillo, et que les fautes de PCR ayant débouché sur le congédiement injustifié auraient dû permettre de le faire. Il a martelé que la Décision de l’Arbitre représente un résultat pervers et injuste qui ne devrait d’aucune façon être cautionné par la Cour. À son avis, l’injustice qu’a subie M. Reyes Castillo en étant congédié injustement est flagrante, et le « gros bon sens » ne peut mener qu’à une seule conclusion, soit que la Décision de l’Arbitre refusant d’accorder toute forme de réparation adéquate à M. Reyes Castillo doit être invalidée et annulée.

[71] Je peux comprendre la frustration éprouvée par M. Reyes Castillo face à la réparation fort timide de 5 000 $ que l’Arbitre lui a accordée, dans un contexte où la Première Décision de l’Arbitre avait conclu à un congédiement injuste et injustifié.

[72] Mais le critère qu’une cour de révision doit appliquer lors d’un contrôle judiciaire comme celui-ci est la norme de la décision raisonnable. Les cours de révision doivent toujours examiner les conclusions d’un décideur administratif sous l’angle du caractère raisonnable et de la retenue, avec une attention respectueuse aux motifs du décideur et à son expertise. Cette retenue judiciaire impose aux cours de révision de faire preuve de discipline. Lors d’un contrôle judiciaire, il n’appartient pas à la cour de révision de substituer son point de vue à celui du décideur, même si elle aurait pu arriver à une conclusion différente. La cour de révision doit centrer son attention sur la décision même qu’a rendue le décideur administratif, notamment sur sa justification, et non sur la conclusion à laquelle elle serait elle-même parvenue si elle s’était trouvée dans les souliers du décideur.

[73] Une cour de révision ne doit pas conclure que la décision d’un décideur administratif est déraisonnable simplement parce que le résultat lui déplaît, qu’il lui semble injuste ou qu’elle aurait pu en disposer autrement. Même dans des situations où le contexte factuel d’une demande peut inciter à une certaine sympathie, la cour de révision doit résister à la tentation de se prononcer sur la demande de contrôle judiciaire en se fondant sur la conclusion qu’elle aurait pu elle-même tirer si elle avait occupé la place du décideur (Braud c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 132 aux para 51–52).

[74] Dans l’arrêt Trigonakis v Sky Regional Airlines Inc, 2022 FCA 170, la Cour d’appel fédérale a récemment rappelé les limites du rôle des cours de révision. Il est utile de reproduire les propos qu’elle a tenus au paragraphe :

[9] In oral argument, the appellant emphasized, with passion and eloquence, what he personally viewed as the general injustice of this situation, especially in light of his background and motives and his employer’s conduct and motives. However, when conducting reasonableness review, the task of the Federal Court and this Court is limited: in cases like this, we can only vet the acceptability and defensibility of an administrative decision, such as the decision of the adjudicator here, based on the legal standards set in the legislation, any other legal documents such as contracts, and the facts found in the evidentiary record. We cannot operate outside of these constraints. We cannot do whatever might strike someone—or us—as right or just in a general sense.

[Traduction]

[9] Dans ses représentations orales, l’appelant a insisté, avec passion et éloquence, sur ce qu’il considérait personnellement comme l’injustice générale de la situation, en regard plus particulièrement de son historique et de ses raisons ainsi que des motifs et de la conduite de son employeur. Cependant, lorsqu’elles effectuent une révision suivant la norme de la décision raisonnable, la Cour fédérale et cette Cour ont une tâche limitée : dans des cas comme celui-ci, nous ne pouvons que déterminer si la décision administrative — comme la présente décision de l’arbitre — est acceptable et défendable en fonction des exigences légales établies par la loi, tout autre document légal comme les contrats pertinents, et les faits se trouvant dans la preuve au dossier. Nous ne pouvons agir à l’extérieur de ces contraintes. Nous ne pouvons décider de faire quoi que ce soit qui pourrait apparaître à quelqu’un — ou nous sembler à nous — comme étant correct ou juste dans un sens général.

[75] Je ne peux qu’adopter ces principes énoncés par la Cour d’appel fédérale. Contrairement à ce qu’a suggéré l’avocat de M. Reyes Castillo, ce n’est pas là une solution de facilité pour les cours de révision chargées de la surveillance des décideurs administratifs. Tout au contraire, la norme de la décision raisonnable impose une discipline aux cours de justice qui se doivent de respecter le choix du législateur et de ne pas usurper l’autorité décisionnelle qui ce dernier a confiée aux décideurs administratifs.

IV. Conclusion

[76] Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire de M. Reyes Castillo est rejetée. Les motifs fournis dans la Décision de l’Arbitre justifient l’ensemble des conclusions par rapport aux différents chefs de dommages demandés par M. Reyes Castillo et permettent à la Cour de suivre le raisonnement suivi par l’Arbitre (Vavilov aux para 86, 104). M. Reyes Castillo n’a pas fait la preuve de lacunes fondamentales qui nécessiteraient l’intervention de la Cour (Vavilov au para 100).

[77] PCR a droit à ses dépens. Dans l’exercice de ma discrétion, j’estime qu’une somme forfaitaire de 2 000 $ est raisonnable dans les circonstances.

 


JUGEMENT au dossier T-621-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  2. Le demandeur est condamné à payer au défendeur une somme de 2 000 $ à titre de dépens, incluant les taxes et les débours.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-621-22

INTITULÉ :

JOSE MIGUEL REYES CASTILLO c SERVICE D’ADMINISTRATION P.C.R. LTÉE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 décembre 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

LE 12 AVRIL 2023

COMPARUTIONS :

Me Claude Lévesque

Me Alex Villemure

 

Pour lE demandeUR

Me Véronique Aubé

 

Pour la défenderessE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LEVESQUE JURISCONSULT INC.

Avocats

Montréal (Québec)

Pour lE demandeUR

CAIN LAMARRE

Avocats

Montréal (Québec)

Pour la défenderesse

 

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