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                                                     T-2044-94

ENTRE

                         GARY BARNETT,

                                                    requérant,

                              et

            SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

      LE COMMISSAIRE DE LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA,

LE SOUS-COMMISSAIRE AUX RESSOURCES HUMAINES, J. BEAULAC, et

               LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA,

                                                      intimés.

                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SIMPSON


Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée conformément à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, se rapportant à la décision rendue le 7 juillet 1994 (la « décision » ) par Herman J.R. Beaulac, sous-commissaire aux Ressources humaines (le « sous-commissaire » ) de la Gendarmerie royale du Canada (la « GRC » ). Par cette décision, le sous-commissaire, qui jouait le rôle d'un arbitre de niveau II, a rejeté le grief déposé par le requérant contre une politique de la GRC connue sous le nom de Bulletin 1646 du Manuel d'administration (ou la politique « MA 1646 » ).

LE CONTEXTE

Le requérant a été embauché par la GRC à titre de gendarme spécial en août 1979. Les gendarmes spéciaux recevaient une formation d'une moins grande ampleur que celle fournie aux gendarmes proprement dits. La formation des gendarmes spéciaux était restreinte à leurs fonctions, soit, entre autres, assurer le maintien de l'ordre dans les aéroports, la protection des diplomates et la protection des biens. En 1988, les gendarmes spéciaux recevaient un salaire équivalent approximativement à 82 p. 100 du salaire des gendarmes proprement dits.


En 1988, la GRC a décidé de modifier les services qu'elle fournissait aux aéroports, éliminant les gendarmes spéciaux des aéroports et les remplaçant par des agents de la GRC qui avaient reçu une formation complète. Cette décision a été motivée par la prise de conscience selon laquelle les détournements d'avion n'étaient plus la seule menace à la sécurité dans les aéroports; le terrorisme était aussi devenu une menace, et on croyait que l'on ne pourrait y faire face qu'en ayant recours à des agents ayant reçu une formation complète.

Il ressort d'une note de service envoyée le 2 février 1994 par le directeur du personnel au sous-commissaire (Administration) que le plan initial de la GRC était de supprimer graduellement les postes de gendarmes spéciaux aux aéroports, de même que pour les tâches de surveillance et de protection des diplomates et des dirigeants. Cependant, environ deux ans plus tard, on a décidé que tous les gendarmes spéciaux aptes à la promotion, quelles que soient leurs fonctions, seraient promus. Ces modifications ont été apportées au moyen de deux nouvelles politiques.

La première politique

Cette politique concernait les gendarmes spéciaux affectés aux aéroports et aux tâches de surveillance et était connue sous le nom de Bulletin 1245 du Manuel d'administration (ou la politique « MA 1215 » ). Elle a été communiquée le 3 mars 1988 et elle prévoyait:

1.    Les agents désireux d'être promus devaient présenter une demande.

2.    Pour présenter une demande, les intéressés devaient être admissibles, c'est-à-dire qu'ils devaient, entre autres, être disposés à déménager.

3.    Les candidats seraient acceptés s'ils satisfaisaient à certains critères précis en matière de promotion et de fin d'emploi.


4.    Les candidats retenus seraient promus et recevraient une affectation juste avant d'avoir leur formation.

5.    L'augmentation de salaire prenait effet dès la promotion.

6.    Les candidats promus qui ne terminaient pas avec succès leur formation seraient rétrogradés à leurs anciens postes de gendarmes spéciaux.

Une modification a été apportée à la MA 1215 ( « MA 1215-A » ) le 10 novembre 1989. Elle comportait les deux principaux éléments suivants:

-     Le consentement au déménagement n'était plus un critère d'admissibilité.

-     La rétrogradation n'avait plus lieu en cas d'échec lors de la formation.

Le requérant a été promu en vertu de la politique modifiée. Dans la période où la MA 1215 a été appliquée, il n'était pas disposé à déménager et était, par conséquent, inadmissible à une promotion. Toutefois, lorsque l'exigence relative au déménagement a été supprimée par l'adoption de la MA 1215-A, sa candidature a été présentée. Le 6 mai 1990, soit 6 mois après l'entrée en vigueur de la MA 1215-A, il a été promu et envoyé à sa formation. Il a reçu une augmentation de salaire à compter de mai 1990.


En pratique, pendant la période où les MA 1215 et MA 1215-A étaient en vigueur, le moment auquel les promotions étaient accordées dépendait du calendrier de la formation. Les installations de formation de la GRC, situées en Saskatchewan, avaient des possibilités d'accueil limitées et tous les candidats retenus ne pouvaient pas recevoir leur formation en même temps. Par conséquent, étant donné qu'un gendarme spécial ne pouvait être promu qu'au tout dernier moment avant le début de sa formation, les promotions et les augmentations de salaire n'ont pas toutes été accordées en même temps. Cependant, alors que le processus de formation et de promotion se déroulait, les fonctions de la GRC aux aéroports sont restées les mêmes pour les gendarmes spéciaux et les gendarmes proprement dits. Cela signifiait que d'anciens gendarmes spéciaux qui avaient été promus et avaient reçu leur formation et qui touchaient le salaire d'un gendarme proprement dit effectuaient les mêmes tâches que les gendarmes spéciaux admissibles à une promotion en compagnie desquels ils travaillaient, qui, eux, n'avaient pas encore été promus et n'avaient pas reçu leur formation, et, par conséquent, ne recevaient encore que le salaire de gendarme spécial. Bien que tous recevaient leur augmentation de salaire lors de la promotion, ces promotions étaient accordées à différents moments en raison du calendrier normal de la formation.

La seconde politique


Plus de deux ans après le début du processus de promotion des gendarmes spéciaux au moyen de la MA 1215, une seconde politique a été mise en vigueur le 6 juin 1990, la MA 1646. Cette dernière concernait la promotion de tous les autres gendarmes spéciaux et elle prévoyait:

1.    Les candidatures devaient être appuyées par une recommandation.

2.    S'il bénéficiait d'une recommandation, le candidat recevait immédiatement une promotion conditionnelle. (Cela signifiait, en pratique, qu'il était promu de façon conditionnelle à compter du 7 juin 1990.)

3.    La formation devait durer de 4 à 15 semaines, selon la formation antérieure du candidat.

4.    Après avoir terminé avec succès la formation, le candidat touchait l'augmentation de salaire et il recevait une affectation.

5.    Les candidats ayant reçu une promotion conditionnelle, mais qui ne terminaient pas avec succès leur formation, étaient rétrogradés à leur ancien statut de gendarmes spéciaux.

Pour l'application de la MA 1646, le calendrier de la formation dictait encore les dates de la promotion et de l'augmentation de salaire qui y était rattachée. Par ailleurs, en 1990, les effectifs ordinaires recevaient aussi une formation devant leur permettre de satisfaire à la demande accrue en personnel adressée par les divisions contractantes de la GRC. Cela a eu pour résultat que la formation des gendarmes spéciaux nouvellement promus ne s'est pas déroulée comme prévu, et que les agents qui avaient reçu leur formation ont eu droit à leur augmentation de salaire avant ceux qui n'avaient pas reçu leur formation, même si tous les gendarmes spéciaux avaient la même date de promotion.


L'iniquité de la situation a été reconnue lors d'une réunion entre les commandants divisionnaires et les représentants des relations de travail qui a eu lieu en novembre 1990, et la MA 1646 a par la suite été modifiée le 31 janvier 1991 ( « MA 1646-A » ). Le texte modificatif comportait une admission relative à l'iniquité et prévoyait une solution: tous les gendarmes spéciaux ayant reçu à partir du 7 juin 1990 une promotion conditionnelle recevraient, s'ils terminaient avec succès leur formation, une augmentation de salaire rétroactive à leur date de promotion. Le requérant ne pouvait cependant pas se prévaloir de cette modification, étant donné que la MA 1646-A ne s'appliquait pas aux gendarmes promus en vertu des MA 1215 ou 1215-A. Je nomme ci-après « première politique » la MA 1215 et la MA 1215-A prises ensemble, et « seconde politique » , la MA 1646 et la MA 1646-A prises ensemble.

Le grief


Le grief du requérant a été présenté sur la formule 3081 en date du 2 mars 1992, et a été complété par une note de service en date du 10 avril 1991 (le « grief » ). Le requérant donne à entendre que le raisonnement justifiant la modification MA 1646-A aurait dû être appliqué à l'ensemble du processus de promotion et à tous ceux promus en vertu de la première politique. Selon le requérant, cela aurait été accompli si les augmentations de salaire pour tous les gendarmes spéciaux promus en vertu de la première ou de la seconde politique avaient été accordées rétroactivement, soit à partir du 24 juin 1988, date de la première promotion de gendarmes spéciaux. Plus particulièrement, le grief invoque la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 et demande pourquoi tous les agents de la GRC qui travaillaient aux aéroports ne recevaient pas un salaire égal pour un travail de valeur égale.

La décision

Il est important de se rappeler que ce ne sont pas les première et seconde politiques qui sont mises en question par la présente procédure de contrôle judiciaire. Le contrôle judiciaire porte sur la décision du sous-commissaire. La partie de la décision qui traite du fond de la question est très brève et est rédigée de la façon suivante:

[TRADUCTION]

À mon avis, la modification de la politique constituait un exercice correct des droits de la direction et il est inévitable que des membres s'estiment désavantagés lorsqu'une nouvelle politique est mise en oeuvre. Le plaignant et les autres dans la même situation que lui ont tous été traités équitablement, c'est-à-dire que l'ancienne politique leur a été uniformément appliquée.

Si toute politique devait être rétroactive afin de convenir à toutes les situations, nous serions constamment en train de modifier les actions passées. Les gendarmes embauchés au cours d'une année n'ont pas nécessairement reçu le même salaire que ceux embauchés au cours d'une autre année.

Le grief est rejeté. Veuillez vous assurer que le gendarme Barnett reçoive une copie de ma décision.


J'ai déduit de ce passage que le sous-commissaire a conclu que, puisque le requérant a reçu le même traitement que tous les autres auxquels la première politique s'appliquait, il a été traité équitablement. Il apparaît aussi qu'il a conclu qu'il n'y a rien de répréhensible à ce que la seconde politique n'ait pas été appliquée rétroactivement à ceux qui ont été promus en vertu de la première politique. Cette conclusion s'appuie apparemment sur le raisonnement suivant lequel imposer une telle rétroactivité créerait des difficultés administratives.

LES QUESTIONS EN LITIGE

Le requérant affirme que le sous-commissaire a commis une erreur de droit parce qu'il a omis de tenir compte de deux considérations pertinentes dans son appréciation du grief. Premièrement, il a omis de tenir compte du fait que les fonctions assumées aux aéroports par les gendarmes spéciaux et les gendarmes étaient identiques; deuxièmement, il a omis de tenir compte du fait que, en vertu de la première politique, le moment de la promotion et l'obtention de l'augmentation de salaire qui l'accompagnait n'étaient pas du ressort des gendarmes spéciaux, étant donné que ces facteurs dépendaient du calendrier de la formation. Ces objections signifient au fond que le sous-commissaire a commis une erreur parce qu'il a omis de statuer sur l'argument du requérant invoquant la Loi canadienne sur les droits de la personne.

ANALYSE


La question en litige soulevée par le grief est de savoir si la seconde politique aurait dû être appliquée rétroactivement, soit à partir d'une date qui aurait fait en sorte qu'elle s'applique à ceux promus en vertu de la première politique. On fait valoir que cela aurait permis à tous les gendarmes spéciaux admissibles en cours de promotion de recevoir un salaire égal pour un travail égal[1]. Il ne m'appartient pas dans le cadre de la présente procédure de contrôle judiciaire de trancher cette question. Toutefois, sa résolution nécessitera que l'on définisse ce qui constitue un traitement égal. Le fait que tous les gendarmes spéciaux ont été traités de la même manière, soit qu'ils ont reçu des augmentations de salaire au moment de la promotion en vertu des deux politiques, ne veut pas nécessairement dire qu'ils ont obtenu un traitement égal, ou ce qui a été appelé l' « égalité matérielle » .


À mon avis, le sous-commissaire a commis une erreur de droit en ne rendant pas une décision qui tranchait carrément les questions en litige. Il n'a fait aucune mention de la Loi canadienne sur les droits de la personne, ni du fait que les gendarmes spéciaux et les gendarmes s'acquittaient de tâches identiques dans les aéroports, ni du fait que, sous le régime de la première politique, le moment auquel les augmentations de salaire étaient accordées était déterminé par le calendrier de la formation et que cette situation a été jugée inéquitable par la seconde politique.

Par conséquent, l'affaire est renvoyée aux fins d'une nouvelle décision par le commissaire ou un autre sous-commissaire.

                                             Sandra J. Simpson        

                               _______________________________

                                                          Juge              

Ottawa (Ontario),

le 21 décembre 1995.

Traduction certifiée conforme: _______________________________

                                             Jacques Deschênes      


                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                 SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

           AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE:                      T-2044-94

INTITULÉ DE LA CAUSE:              GARY BARNETT

c.

SA MAJESTÉ LA REINE ET AUTRES

LIEU DE L'AUDIENCE:                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE:                LE 21 NOVEMBRE 1995

MOTIFS DE L'ORDONNANCE RENDUS PAR:     LE JUGE SIMPSON

DATE:                              LE 21 DÉCEMBRE 1995

ONT COMPARU:

STACEY R. BALL                     POUR LE REQUÉRANT

CHARLEEN BRENZALL                  POUR LES INTIMÉS

PROCUREURS AU DOSSIER:

HARRIS & PARTNERS                  POUR LE REQUÉRANT

TORONTO (ONTARIO)

M. GEORGE THOMSON                  POUR LES INTIMÉS

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

OTTAWA (ONTARIO)



     [1]     Je dois faire remarquer que l'argument du requérant ne s'applique pas à sa propre affaire, étant donné que, ne consentant pas à déménager, il n'était pas admissible à une promotion lorsque les premiers agents ont été promus.

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