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Date : 20230420


Dossier : IMM-3890-22

Référence : 2023 CF 573

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 avril 2023

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

VAHID MOUIVAND

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Vahid Mouivand [le demandeur] est un citoyen de l’Iran. Il a présenté une demande d’admission et a été accepté à la maîtrise en sciences de l’administration [le programme] à l’Université Fairleigh Dickinson à Vancouver, en Colombie-Britannique. Par la suite, il a demandé un permis d’études pour pouvoir entrer au Canada afin de poursuivre ces études.

[2] Dans une lettre du 6 avril 2022, le demandeur a été informé que sa demande de permis d’études avait été rejetée par un agent des visas [l’agent], car l’agent n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée, comme le requiert le paragraphe 216(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR]. L’agent a déclaré que cette décision était fondée sur les liens familiaux du demandeur au Canada et dans son pays de résidence, ainsi que sur le but de sa visite. Le demandeur a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision.

[3] Pour les motifs qui suivent, j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire.

Les dispositions législatives applicables

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS 2002-227

Délivrance du permis d’études

Permis d’études

216 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), l’agent délivre un permis d’études à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

a) l’étranger a demandé un permis d’études conformément à la présente partie;

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable au titre de la section 2 de la partie 9;

c) il remplit les exigences prévues à la présente partie;

d) s’il est tenu de se soumettre à une visite médicale en application du paragraphe 16(2) de la Loi, il satisfait aux exigences prévues aux paragraphes 30(2) et (3);

e) il a été admis à un programme d’études par un établissement d’enseignement désigné.

La décision faisant l’objet du contrôle

[4] Le fondement de la décision de l’agent est énoncé ci-dessus. Les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC] font aussi partie des motifs de la décision de l’agent. Elles sont ainsi rédigées :

[traduction]
J’ai examiné la demande. J’ai tenu compte des facteurs favorables présentés par le demandeur, y compris les déclarations et les autres éléments de preuve. Le demandeur a 31 ans et veut s’inscrire à la maîtrise en sciences de l’administration avec spécialisation dans l’administration de la technologie dans le monde. Je souligne que le demandeur a obtenu un baccalauréat en génie civil en 2014. Il n’y a aucune indication qu’il a fait d’autres études depuis. Le demandeur travaille à titre d’ingénieur superviseur en structures depuis 2016. Le plan d’études ne semble pas raisonnable compte tenu du parcours professionnel et scolaire du demandeur. Je constate ce qui suit : – Les études déjà faites par le client n’étaient pas dans un domaine connexe – le programme d’études proposé par le client n’est pas raisonnable compte tenu de son cheminement de carrière. Le demandeur ne soulève pas de raisons suffisantes pour me convaincre que ce programme d’études serait avantageux. Je ne suis pas convaincu que le demandeur quittera le Canada à la fin de son séjour à titre de résident temporaire. Je souligne ce qui suit : – le demandeur est célibataire et mobile, il n’est pas bien établi et il n’a aucune personne à charge. Le demandeur n’a pas démontré l’existence de liens assez solides le rattachant à son pays de résidence. Le but de sa visite ne semble pas raisonnable compte tenu de la situation socioéconomique du demandeur, et je ne suis donc pas convaincu qu’il quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisé. Pondération des facteurs de la présente demande. Je ne suis pas convaincu que le demandeur quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Pour les motifs qui précèdent, je rejette la présente demande.

Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[5] Le demandeur a soulevé les deux questions suivantes dans le cadre du présent contrôle judiciaire de la décision de l’agent :

  1. La décision était-elle raisonnable?

  2. La décision a-t-elle été prise d’une manière contraire à l’équité procédurale?

[6] Je conviens avec les parties que, pour évaluer le bien-fondé de la décision de l’agent des visas, la norme de contrôle de la décision raisonnable doit être appliquée (Canada (Ministre de l’Immigration et de la Citoyenneté) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux para 23, 25 [Vavilov]) et que la norme de contrôle de la décision correcte s’applique pour les questions d’équité procédurale.

La décision était-elle raisonnable?

[7] Le demandeur soutient que le raisonnement de l’agent selon lequel le demandeur ne quittera pas le Canada en raison de ses liens familiaux le rattachant au Canada et à l’Iran est déraisonnable. Il soutient que l’agent a commis une erreur en se fondant sur le fait qu’il est [traduction] « célibataire et mobile, [qu’]il n’est pas bien établi et [qu’]il n’a aucune personne à charge » et en n’expliquant pas en quoi la preuve du demandeur concernant ses liens familiaux n’était pas satisfaisante et en quoi le fait d’être célibataire affaiblissait ces liens. L’agent n’a pas non plus apprécié et soupesé le fait que la sœur du demandeur réside au Canada ni l’établissement du demandeur en Iran comme il l’a expliqué dans son plan d’études. Le demandeur affirme également que la préoccupation de l’agent quant au but de sa visite, compte tenu de son parcours professionnel et scolaire, n’était pas raisonnable, car l’agent n’avait pas pris en considération tous les éléments de preuve présentés par le demandeur, y compris la possibilité d’une promotion à la fin du programme, son perfectionnement professionnel et les avantages du programme pour sa carrière. De plus, le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en concluant que le but de sa visite n’était pas raisonnable compte tenu de sa situation socioéconomique, conclusion qu’il n’a pas justifiée.

Analyse

a) Les liens familiaux et l’établissement

[8] L’agent a déclaré qu’il n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour à titre de résident temporaire, puisque le demandeur est célibataire et mobile, qu’il est peu établi et qu’il n’a pas de personne à charge. L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas démontré l’existence de liens assez solides le rattachant à l’Iran, son pays de résidence.

[9] Dans son plan d’études, le demandeur affirme qu’il est le seul fils de ses parents qui sont dans la cinquantaine et la soixantaine, qui sont très attachés à lui et qui auront davantage besoin de lui au cours des prochaines années. Il dit qu’il est très attaché à ses parents et qu’il lui sera difficile d’être séparé d’eux. Il indique également qu’il a une sœur qui est résidente permanente du Canada, qui vit à Toronto et qui lui a offert un soutien financier pendant ses études au Canada. Il affirme également qu’il ne résidera pas avec sa sœur, qu’il a des liens solides avec sa famille en Iran, qu’il a l’intention de retourner en Iran et que le fait que sa sœur réside au Canada n’a pas d’incidence sur cet engagement.

[10] Comme je l’ai conclu dans la décision Tehrani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 159 [Tehrani], en principe, un agent des visas ne pas commet d’erreur lorsqu’il souligne qu’un demandeur est célibataire et mobile, qu’il n’est pas bien établi et qu’il n’a pas de personne à charge, puisque ces facteurs sont directement pertinents pour l’évaluation des liens du demandeur avec son pays. Toutefois, la Cour a reconnu à de nombreuses reprises que l’absence d’enfants ou de conjoint à charge ne devrait pas, sans autre analyse, être considérée comme un facteur défavorable dans le contexte d’une demande de permis d’études. Autrement, « de nombreux étudiants ne pourraient pas être admissibles » (Hassanpour c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1738 au para 20 [Hassanpour]; voir également Barril c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 400 au para 20 [Barril]; Gilavan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1698 aux para 22, 23 [Gilavan]; Seyedsalehi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1250 au para 11).

[11] Ainsi, l’état matrimonial et la mobilité d’un demandeur ainsi que l’absence de personnes à charge sont des facteurs personnels pertinents que l’agent des visas peut prendre en considération dans l’analyse globale, mais qui ne devraient pas, sans autre analyse, être considérés comme des facteurs défavorables (Tehrani, aux para 18, 19; Hassanpour, au para 19; Gilavan, au para 22).

[12] En l’espèce, l’agent n’a pas expliqué pourquoi ces facteurs ne l’ont pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin du séjour autorisé. L’agent ne mentionne pas que le demandeur a indiqué dans sa demande que deux autres de ses sœurs résident en Iran. Il ne mentionne pas la relation du demandeur avec ses parents en Iran et sa sœur au Canada, ni ne soupèse les observations du demandeur au sujet de la présence de sa sœur au Canada par rapport aux liens le rattachant à l’Iran. L’agent ne dit pas si la présence de la sœur du demandeur au Canada est, de manière générale, un facteur défavorable ou, compte tenu de sa volonté de fournir un soutien financier au demandeur, un facteur favorable (voir Barril, au para 20; Bteich c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1230 aux para 2, 34; Rivaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 198 aux para 21-22). De plus, il ne ressort du dossier aucune justification claire du raisonnement de l’agent.

[13] Dans son plan d’études, le demandeur a également indiqué travailler pour son employeur actuel à titre d’ingénieur superviseur depuis cinq ans et avoir compris, après une discussion avec son employeur, qu’il aurait besoin d’un diplôme d’études supérieures pour obtenir un poste au sein de la haute direction. Il a ajouté que, lorsqu’il a informé son employeur de son admission au programme, ce dernier lui a offert une promotion au poste de gestionnaire de projet/gestion de la recherche et du développement à un salaire plus élevé qu’il pourrait occuper à la fin de ses études. Une lettre de son employeur confirme le changement de poste potentiel. Le demandeur a dit que l’obtention de ce diplôme l’aiderait dans son cheminement de carrière. L’agent n’a pas mentionné les observations du demandeur à propos de son emploi en Iran et n’a pas expliqué le poids qu’il a accordé à ce facteur dans son analyse de l’établissement du demandeur en Iran.

[14] L’agent n’a pas non plus expliqué comment, étant donné le contenu du plan d’études et la demande présentée par le demandeur, il en était venu à la conclusion que le demandeur n’avait pas démontré l’existence de liens assez solides le rattachant à l’Iran. Par conséquent, la conclusion selon laquelle le demandeur ne quitterait pas le Canada en raison de ses liens familiaux et de son établissement en Iran n’est pas fondée sur une justification et une analyse rationnelle (Vavilov, aux para 85, 103-104).

b) Le parcours professionnel et scolaire

[15] L’agent a écrit dans ses notes que le demandeur veut obtenir une maîtrise en sciences de l’administration avec spécialisation en administration de la technologie dans le monde, qu’il a obtenu un baccalauréat en génie civil en 2014 et qu’il est employé à titre d’ingénieur superviseur en structures depuis 2016. L’agent a conclu que le plan d’études ne semblait pas raisonnable compte tenu du parcours professionnel et scolaire du demandeur. L’agent a affirmé que les études antérieures du demandeur n’étaient pas dans un domaine connexe et que le programme d’études proposé n’était pas raisonnable compte tenu de son cheminement de carrière, avant de conclure que le demandeur n’avait pas démontré en quoi ce programme d’études serait avantageux.

[16] Bien que l’agent ait indiqué qu’il avait examiné la lettre d’explications du demandeur (vraisemblablement le plan d’études), il n’explique pas pourquoi la justification donnée par le demandeur ne le convainc pas. Comme je le mentionne plus haut, le demandeur a décrit la possibilité d’une promotion au sein de son entreprise actuelle, le salaire plus élevé qu’il gagnerait et le fait que l’obtention de ce diplôme l’aiderait dans son cheminement de carrière. Il a également indiqué qu’il voulait suivre le programme parce qu’il pourrait acquérir des connaissances et des compétences en gestion, en administration et en leadership dont il aurait besoin dans son nouveau poste. Il a ensuite décrit comment les cours offerts lui permettraient d’apprendre à utiliser la technologie dans le cadre de projets réalisés par l’entreprise afin d’accroître l’efficacité et la rentabilité, et d’acquérir d’autres compétences, comme la gestion stratégique, la prise de décisions et la gestion critique, et il a décrit certains des cours qui lui seraient utiles à cet égard.

[17] Même si l’agent n’était pas tenu de mentionner tous les aspects des observations du demandeur, ces renseignements appuyaient le caractère raisonnable du plan d’études proposé compte tenu du cheminement de carrière prévu du demandeur (voir Ahadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 25 au para 15). À mon avis, comme il n’a pas fait mention de ces renseignements dans son analyse, l’agent a manqué à son obligation de formuler un raisonnement rationnel à l’appui de ses conclusions, ce qui rend sa conclusion déraisonnable (Fallahi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 506 au para 17).

[18] La conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur n’a pas démontré en quoi le programme « serait avantageux » est tout aussi déraisonnable.

c) Les considérations socioéconomiques

[19] L’agent a conclu que le but de la visite du demandeur ne paraissait pas raisonnable [traduction] « compte tenu de la situation socioéconomique du demandeur ». Il a donc indiqué qu’il n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. L’agent n’a fourni aucune justification à l’appui de cette conclusion. Selon les documents dont disposait l’agent, le demandeur avait déjà payé la totalité des droits de scolarité pour la première année, soit 23 830 $ CA, et il avait des économies pour payer ses études au Canada. Je ne suis pas en mesure de déterminer, d’après les motifs ou le dossier, ce que l’agent pensait de la situation économique du demandeur ou comment les documents dont il était saisi appuyaient sa conclusion selon laquelle le demandeur ne quitterait pas le Canada après avoir terminé le programme d’études proposé (voir Aghdam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1685 aux para 10-11).

[20] Pour tous les motifs exposés ci-dessus, je conclus que la décision était déraisonnable et que la demande doit être accueillie.

L’équité procédurale

[21] Le demandeur soutient que l’agent, même s’il n’a pas indiqué clairement dans les notes du SMGC qu’il doutait de la véracité des documents ou des renseignements fournis par le demandeur, doit avoir tiré des conclusions relatives à la crédibilité pour rendre sa décision puisque le demandeur a fourni une preuve solide et que, par conséquent, l’agent était tenu de lui donner la possibilité de répondre à ses préoccupations.

[22] Je ne suis pas d’accord. Rien dans les motifs de l’agent n’indique que la crédibilité du demandeur était une préoccupation ou qu’il a tiré une conclusion voilée à ce sujet.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3890-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour une nouvelle décision.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

  4. Aucune question de portée générale à certifier n’a été proposée ni n’est soulevée.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3890-22

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

VAHID MOUIVAND c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence au moyen de Zoom

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 avril 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 20 avril 2023

 

COMPARUTIONS :

Zeynab Ziaie Moayyed

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Jocelyn Espejo-Clarke

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Visa Law Group PC

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 

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