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Date : 20060511

Dossier : T-452-05

Référence : 2006 CF 544

ENTRE :

BENOIT COLLIN

Demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Défendeur

MOTIFS DE JUGEMENT

Le juge Pinard

[1]                Il s'agit ici d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision du chef des services alimentaires de l'Établissement Leclerc prise le 28 février 2005, par laquelle celui-ci a refusé la demande du demandeur pour l'obtention d'une diète végétarienne au motif qu'il avait antérieurement jugé que le désir du demandeur relevait d'avantage d'une préférence alimentaire que d'une conviction profonde. Cette demande de contrôle judiciaire a été entendue par conférence téléphonique le 13 avril 2006.

[2]                Le demandeur n'a pas contesté cette prise de position du chef des services alimentaires de l'Établissement Leclerc par le biais de la procédure de règlement des griefs dont bénéficient les détenus aux termes de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. (1992), ch. 20, et son règlement d'application.

[3]                De plus, la preuve révèle que depuis le 7 novembre 2005, le demandeur bénéficie, en fait, d'une diète végétarienne.

[4]                À mon avis, le demandeur aurait dû épuiser la procédure de règlement des griefs avant de déposer sa demande de contrôle judiciaire.

[5]                La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit un mécanisme global de règlement des griefs. La jurisprudence démontre que la procédure interne de règlement des griefs prévue par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et son règlement d'application doit être épuisée avant de déposer une demande de contrôle judiciaire (Leach c. Établissement Fenbrook, 2004 CF 1570; Veley c. Établissement Fenbrook, [2004] A.C.F. no 1902 (1re inst.) (QL); Giesbrecht c. Canada, [1998] A.C.F. no 621 (1re inst.) (QL)). La décision définitive rendue à l'issue de la procédure de règlement des griefs est, elle, susceptible de faire l'objet d'une demande de contrôle judiciaire.

[6]                Dans l'affaire Leach, ci-dessus, madame la juge Layden-Stevenson a bien résumé la jurisprudence concernant le besoin d'épuiser la procédure interne de règlement des griefs :

[10]      Avant l'audience, le greffe, à ma demande, a communiqué aux avocats des deux parties ma directive selon laquelle ils devaient se préparer à s'exprimer sur les principes exposés dans la décision Giesbrecht c. Canada (1998), 148 F.T.R. 81, 10 Admin. L.R. (3d) 246(C.F. 1re inst.), dans la décision Condo c. Canada (Procureur général) (2003), 239 F.T.R. 158, 301 N.R. 355 (C.A.F.) et dans la décision Anderson c. Canada (Officier des opérations, Quatrième groupe des opérations maritimes) (1996), 141 D.L.R. (4th) 54, 205 N.R. 350 (C.A.F.). L'arrêt Anderson nous enseigne qu'un contrôle judiciaire ne sera pas accordé s'il existe un autre recours adéquat qui n'a pas été épuisé. La décision Giesbrecht applique l'arrêt Anderson au contexte correctionnel, et en particulier aux circonstances entourant le transfèrement non sollicité d'un détenu. Le juge Rothstein, alors juge de la Section de première instance, estimait qu'il était prématuré de déposer une demande de contrôle judiciaire avant que ne soit épuisée la procédure de règlement des griefs prévue dans la Loi et le Règlement. Un contrôle judiciaire n'est opportun qu'après qu'est rendue une décision définitive dans la procédure de règlement des griefs. L'arrêt Condo confirme les principes exposés dans la décision Giesbrecht.

[7]                Comme articulé dans Giesbrecht, « [a]ucun élément porté à l'attention de la Cour ne laisse croire que la procédure interne de règlement des griefs prévue par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et son règlement d'application ne constitue pas une autre voie de recours appropriée par rapport au contrôle judiciaire. » À mon avis, la jurisprudence est claire que le mécanisme de règlement des griefs constitue un recours adéquat qui n'a pas été épuisé, et alors la Cour est justifiée de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire pour cette seule raison.

[8]                Quoi qu'il en soit, depuis le 7 novembre 2005, le demandeur bénéficie en fait d'une diète végétarienne. À cet égard, il n'a pas davantage présenté de grief formel, ni présenté de demande de contrôle judiciaire. L'affaire est donc théorique.

[9]                Comme expliqué dans l'affaire Butler c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [2004] A.C.F. no 1710 :

            [7]      La première étape de la question de savoir si une affaire est théorique consiste à se demander si le différend tangible et concret qui est requis a disparu et si les questions sont devenues hypothétiques (Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, au paragraphe 16). En l'espèce, il n'est pas contesté que M. Butler n'est plus soumis à l'ordonnance de suspension. Le comité subséquent de la CNLC a examiné les circonstances de l'ordonnance de suspension et a décidé de l'annuler.

[10]            Ainsi, même si le chef des services alimentaires avait commis une erreur lorsqu'il a refusé la demande du demandeur, le 28 février 2005, cette détermination n'aurait maintenant aucune conséquence pratique directe. L'annulation de la décision du chef des services alimentaires ne modifierait pas la position du demandeur, qui bénéficie maintenant d'une diète végétarienne. Le différend tangible et concret qui est requis a donc disparu.

[11]            Dans Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, le juge Sopinka souligne qu'il y a trois aspects à considérer pour savoir s'il convient ou non de décider qu'une procédure théorique devrait néanmoins aller de l'avant :

(i) l'existence d'un système contradictoire;

(ii) l'économie des ressources judiciaires; et

(iii) l'obligation pour le tribunal d'être conscient de sa fonction juridictionnelle.

[12]            En appliquant ici le premier critère, je ne suis pas convaincu qu'il reste de débat contradictoire. La demande de contrôle judiciaire vise une décision du chef des services alimentaires de refuser la demande du demandeur pour l'obtention d'une diète végétarienne. Maintenant que le demandeur bénéficie d'une diète végétarienne, il semble que le débat contradictoire est terminé.

[13]            Concernant le deuxième critère, il n'y a aucun argument auquel je peux penser qui justifierait de consacrer des ressources judiciaires à l'affaire. Une détermination en l'espèce n'aurait pas d'effets accessoires pratiques sur les droits des parties.

[14]            Le troisième critère n'offre pas d'assistance parce qu'en l'espèce, il n'y a pas de question de grande importance à décider.

[15]            À mon avis, en tenant compte de ces trois critères, cette Cour ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire pour décider de l'affaire devenue théorique.

[16]            Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n'y a pas d'adjudication de dépens, le défendeur n'en demandant pas.

« Yvon Pinard »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 11 mai 2006


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-452-05

INTITULÉ :                                        BENOIT COLLIN c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 13 avril 2006

MOTIFS DE JUGEMENT :              Le juge Pinard

DATE DES MOTIFS :                       Le 11 mai 2006

COMPARUTIONS:

M. Benoit Collin

LE DEMANDEUR EN SON NOM

Me Marc Ribeiro

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

M. Benoit Collin

St-Vincent-de-Paul (Québec)

LE DEMANDEUR EN SON NOM

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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