Décisions de la Cour fédérale

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Date : 20230307

Dossier : IMM-2586-23

Référence : 2023 CF 317

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 mars 2023

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

FILIPPO LONGO FECAROTTA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

ORDONNANCE

[1] La Cour est saisie d’une requête présentée par le demandeur en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prévue le 8 mars 2023 vers Sao Paulo, en attendant qu’il soit statué sur sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant la décision de refuser le report de son renvoi, ou en vue d’obtenir toute autre réparation que la Cour juge indiquée. J’ai examiné les documents au dossier et entendu les avocats de toute urgence par téléconférence le 7 mars 2023.

[2] Pour avoir gain de cause, le demandeur doit satisfaire aux exigences du critère à trois volets établi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Toth c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1988 CanLII 1420 (CAF), et par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311, et plus récemment dans l’arrêt R c Société Radio‐Canada, 2018 CSC 5 au paragraphe 12, à savoir (1) qu’il existe une question sérieuse à juger, c’est‐à‐dire une question qui n’est ni futile ni vexatoire, (2) que le demandeur subirait un préjudice irréparable du fait de son renvoi et (3) que la prépondérance des probabilités milite en faveur du demandeur.

[3] Cela dit, en ce qui concerne le volet de la question sérieuse, lorsque le refus de reporter le renvoi fait l’objet de la demande d’autorisation principale, comme en l’espèce, le demandeur doit également satisfaire à une norme très rigoureuse établie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c Société Radio‐Canada, précité, au paragraphe 12, et antérieurement établie par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81. Selon cette norme, la Cour doit examiner attentivement la requête en sursis du demandeur et déterminer si la demande principale sera vraisemblablement accueillie, c’est‐à‐dire si les arguments du demandeur sont assez solides.

[4] La norme de contrôle applicable à la décision de refuser le report est celle de la décision raisonnable. Lorsqu’elle procède au contrôle selon cette norme, la Cour examine si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques imposées au décideur et si elle est transparente, intelligible et exempte d’erreur fatale, comme il est énoncé dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] de la Cour suprême du Canada.

[5] J’aimerais également souligner qu’il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve et les conclusions tirées par l’agent lorsqu’elle procède au contrôle judiciaire de la décision principale, sauf dans des circonstances exceptionnelles, et il ne lui appartient pas non plus de surseoir à l’exécution de la décision principale lorsqu’elle examine une requête comme celle en l’espèce : voir Vavilov, au para 125 : « [125] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir “d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur” » [renvoi omis]. Dans la même veine, citons l’arrêt Doyle c Canada (Procureur général), 2021 CAF 237 [Doyle] de la Cour d’appel fédérale : « [3] La Cour fédérale avait tout à fait raison d’agir ainsi. Selon ce régime législatif, le décideur administratif, en l’espèce le directeur, examine seul les éléments de preuve, tranche les questions d’admissibilité et d’importance à accorder à la preuve, détermine si des inférences doivent en être tirées, et rend une décision. Lorsqu’elle effectue le contrôle judiciaire de la décision du directeur en appliquant la norme de la décision raisonnable, la cour de révision, en l’espèce la Cour fédérale, peut intervenir uniquement si le directeur a commis des erreurs fondamentales dans son examen des faits, qui minent l’acceptabilité de la décision. Soupeser à nouveau les éléments de preuve ou les remettre en question ne fait pas partie de son rôle. » [Non souligné dans l’original.]

[6] Il est également établi en droit que la séparation forcée des membres de la famille et ses conséquences ne sont pas des motifs suffisants pour établir l’existence d’un préjudice irréparable : voir l’arrêt Singh Atwal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CAF 427 [Atwal], où la Cour d’appel fédérale a conclu que le préjudice irréparable concernant « la séparation d’avec [la] famille est inhérent aux conséquences habituelles d’une expulsion. Il ne s’agit pas d’un des préjudices irréparables prévus par le critère à trois volets relatif à l’octroi d’un sursis. Comme l’a dit le juge Pelletier dans Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000 CanLII 15140 (CF),] (2000), 188 F.T.R. 39, au paragraphe 21 : [...] pour que l’expression “préjudice irréparable” conserve un peu de sens, elle doit correspondre à un préjudice au‐delà de ce qui est inhérent à la notion même d’expulsion. Être expulsé veut dire perdre son emploi, être séparé des gens et des endroits connus. L’expulsion s’accompagne de séparations forcées et de cœurs brisés. » En fait, comme il est établi, notre Cour doit aborder le refus de l’ASFC de reporter le renvoi avec respect et beaucoup de retenue.

[7] En l’espèce, le demandeur est arrivé au Canada en 2011 muni d’un visa de six mois, puis est reparti. Il est revenu en 2013 muni d’un visa étudiant, aurait dû partir en 2014, mais a plutôt décidé de rester au pays sans permission. Je ne suis pas convaincu que le demandeur est susceptible d’avoir gain de cause dans sa contestation du caractère raisonnable de la décision de ne pas reporter son renvoi. Toutefois, mais uniquement pour les fins de la présente discussion, je présumerai que le premier volet du critère est rempli.

[8] En ce qui concerne le deuxième volet du critère, il incombe au demandeur de démontrer, au moyen d’une preuve du préjudice irréparable qui soit claire, convaincante et non fondée sur des conjectures, que le recours extraordinaire qu’est un sursis d’exécution d’une mesure de renvoi est justifié : Atwal, précité. Un tel préjudice doit être prospectif. De plus, le préjudice doit comporter plus qu’une simple suite de possibilités et ne doit pas être fondé sur de simples suppositions, conjectures ou hypothèses et éventualités. Comme je l’ai souligné plus haut, sauf dans des circonstances exceptionnelles, il n’appartient pas à la Cour de réexaminer ou d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait l’agent de l’ASFC. La requête en sursis n’est pas non plus un appel de la décision de l’agent, ni un nouvel examen du dossier en vue de parvenir à une autre conclusion. De plus, il faut accorder beaucoup d’importance à l’évaluation effectuée par l’agent. Compte tenu de la déférence dont la Cour doit faire preuve envers l’agent de l’ASFC et des conditions rigoureuses à remplir avant de pouvoir apprécier à nouveau la preuve qu’il a déjà examinée, je ne suis pas convaincu que la décision est de nature si exceptionnelle qu’elle justifie l’intervention de la Cour. Compte tenu des observations présentées par les avocats des deux parties, l’exigence de présenter une preuve du préjudice irréparable qui soit claire, convaincante et non fondée sur des conjectures n’est pas remplie en l’espèce, de sorte que le demandeur ne satisfait pas au volet du préjudice irréparable.

[9] Dans le cadre du troisième volet du critère, il faut examiner si la prépondérance des inconvénients milite en faveur du demandeur ou du ministre. Compte tenu de mes conclusions, la situation du demandeur ne l’emporte pas sur l’obligation du ministre de le renvoyer « dès que possible » et, par conséquent, le demandeur ne satisfait pas au volet de la prépondérance des inconvénients.

[10] Le demandeur n’a pas satisfait à deux des trois volets pour justifier un sursis. Pour avoir gain de cause, il devait satisfaire aux trois. Par conséquent, la requête en sursis doit être rejetée.

LA COUR ORDONNE que la requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi soit rejetée.

vide

« Henry S. Brown »

vide

Juge

 

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