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Date : 20230428


Dossier : IMM-8691-21

Référence : 2023 CF 623

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 28 avril 2023

En présence de madame la juge Go

ENTRE:

MAHER MAHFOUZ MOHAMMED ASSI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Maher Mahfouz Mohammed Assi, est un Palestinien apatride de 50 ans. Il allègue qu’il risque d’être tué ou gravement blessé dans les territoires palestiniens occupés [les TPO], aussi connus sous le nom de la Cisjordanie, parce qu’il doit de l’argent à différentes personnes et qu’il a facilité la vente de terres en Cisjordanie à un citoyen israélien.

[2] Selon l’exposé circonstancié dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [le FDA], le demandeur vivait dans les TPO et a démarré une entreprise de livraison en 2001 à Ramallah. L’entreprise a perdu 100 000 $ en raison de la détérioration d’aliments lorsque les autorités israéliennes ont coupé l’électricité à Ramallah. Le demandeur prétend que le fournisseur a obtenu un jugement contre lui pour qu’il lui rembourse ce montant en versements et, lorsque le demandeur a omis d’effectuer ces versements, le fournisseur l’aurait enlevé en 2009. Le demandeur allègue que le fournisseur a menacé de le tuer s’il ne recommençait pas le versement des paiements. Par conséquent, il a utilisé le produit de la vente de marchandises d’un deuxième fournisseur pour rembourser le premier fournisseur. Par la suite, il a reçu des menaces de mort de la part du deuxième fournisseur. Le demandeur affirme qu’il a ensuite répété ce stratagème avec un troisième fournisseur, qui a découvert ce qu’il faisait et qui a menacé de le tuer, lui et sa famille, en 2015. Le demandeur allègue qu’il a déménagé dans un autre quartier à ce moment-là.

[3] En janvier 2019, le demandeur s’est enfui en Jordanie. Craignant toujours ses fournisseurs, il s’est rendu aux États-Unis, puis au Canada peu de temps après, pour présenter une demande d’asile.

[4] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté sa demande d’asile en mars 2020 pour des motifs de crédibilité. Dans le cadre de l’appel interjeté devant la Section d’appel des réfugiés [la SAR], le demandeur a tenté de présenter de nouveaux éléments de preuve en application du paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Dans une décision datée du 12 août 2021, la SAR a rejeté tous les nouveaux éléments de preuve et a confirmé que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la LIPR [la décision].

[5] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision. J’accueille la demande puisque je conclus que la décision est déraisonnable.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[6] Le demandeur a soulevé les deux questions suivantes :

  1. La SAR a-t-elle commis une erreur en rejetant les nouveaux éléments de preuve?
  1. La SAR a-t-elle commis une erreur en confirmant la conclusion de la SPR quant à la crédibilité?

[7] Le défendeur soutient que la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65.

[8] Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov, au para 85. Il incombe au demandeur de démontrer que la décision est déraisonnable : Vavilov, au para 100. Pour infirmer la décision pour ce motif, « la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » : Vavilov, au para 100.

III. Analyse

[9] À mon avis, la question décisive est celle de savoir si la SAR a commis une erreur en rejetant les nouveaux éléments de preuve.

[10] Dans son appel devant la SAR, le demandeur a présenté une déclaration sous serment dans laquelle il affirme que son épouse, qui demeure dans les TPO, a récemment reçu des menaces de mort en raison de ses activités. Il a également fourni un rapport médical récent dans lequel il est indiqué qu’il souffre de problèmes cardiaques. Enfin, le demandeur a présenté des éléments de preuve selon lesquels il est inscrit auprès de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient [l’UNRWA].

[11] La SAR a rejeté tous les nouveaux éléments de preuve au motif qu’ils ne répondaient pas aux critères requis de nouveauté, de crédibilité et de pertinence : Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 96 aux para 38 et 49. Plus précisément, la SAR a conclu que le statut du demandeur auprès de l’UNRWA et son rapport médical n’étaient pas pertinents, et que la déclaration qui contenait des renseignements fournis par des tiers n’était pas crédible.

[12] Devant la Cour, le demandeur conteste le rejet par la SAR de son inscription auprès de l’UNRWA au motif qu’elle n’était pas pertinente. Le demandeur fait référence à la jurisprudence de la Cour selon laquelle le défaut de tenir compte de l’existence d’un document de l’UNRWA constitue une erreur susceptible de contrôle : El-Bahisi c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 2 [El-Bahisi] au para 5. Par exemple, aux paragraphes 16 à 19 de la décision Kukhon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 69 [Kukhon], la Cour a confirmé que l’existence d’une inscription auprès de l’UNRWA doit être expressément prise en considération, en s’appuyant sur le paragraphe 5 de la décision El-Bahisi; voir aussi Abu-Fahra c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 860 [Abu-Fahra] au para 10.

[13] Le demandeur s’appuie également sur le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié (Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, 1989) [le Guide du HCR], qui stipule, au paragraphe 143 :

En ce qui concerne les réfugiés de Palestine, on notera que l’UNRWA n’opère que dans certaines zones du Moyen-Orient et qu’elle n’accorde sa protection ou son assistance que dans ces zones. Ainsi, un réfugié de Palestine qui se trouve en dehors de ces zones ne bénéficie pas de l’assistance de l’UNRWA et la reconnaissance de son statut de réfugié en vertu de la Convention de 1951 peut alors être envisagée. Il suffit normalement d’établir que les circonstances qui, à l’origine, lui ont permis de se réclamer d’une protection ou d’une assistance de la part de l’UNRWA continuent d’exister, qu’il n’a pas cessé d’être un réfugié en vertu d’une des clauses de cessation d’applicabilité de la Convention et qu’il n’est pas non plus exclu du champ d’application de la Convention par l’une des clauses d’exclusion.

[14] Ainsi, le demandeur soutient que, puisqu’il est toujours un réfugié au sens de l’UNRWA et que les circonstances à l’origine de ce statut de réfugié continuent d’exister, la preuve de son inscription auprès de l’UNRWA est pertinente. Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle en concluant différemment.

[15] Je conviens avec le demandeur que la SAR a commis une erreur en refusant d’admettre l’inscription du demandeur auprès de l’UNRWA comme nouvel élément de preuve au motif que ce n’était [traduction] « pas pertinent ».

[16] Comme le confirment les décisions citées par le demandeur, le fait que la Commission du statut de réfugié n’ait pas tenu compte de l’inscription auprès de l’UNRWA constitue une erreur susceptible de contrôle : Kukhon, au para 19; Abu-Fahra, au para 10. Bien que ces décisions ne portaient pas sur l’admission de l’inscription auprès de l’UNRWA comme nouvel élément de preuve en soi, je suis d’accord avec le demandeur pour dire que la jurisprudence ne suggère pas deux normes pertinentes différentes, l’une pour admettre de nouveaux éléments de preuve et l’autre pour statuer sur la demande d’asile. En effet, le fait que l’inscription auprès de l’UNRWA a été admise en preuve dans les décisions susmentionnées en raison de sa pertinence met l’accent sur l’erreur commise par la SAR lorsqu’elle a refusé d’admettre l’inscription auprès de l’UNRWA du demandeur.

[17] Le défendeur fait remarquer que l’inscription auprès de l’UNRWA présentée par le demandeur ne contenait pas de détails factuels sur le risque qu’il alléguait devant la SPR et la SAR, ni de détails sur les circonstances qui lui ont permis d’obtenir le statut de réfugié aux termes de l’UNRWA. De plus, le défendeur fait remarquer que le document de l’UNRWA a été présenté à titre de pièce à l’affidavit du demandeur pour prouver sa nationalité, mais que la nationalité du demandeur n’était pas en cause devant la SPR ou la SAR.

[18] Le défendeur fait une distinction entre les décisions invoquées par le demandeur, car elles ne portaient pas sur la détermination de la pertinence aux fins de l’admission de nouveaux éléments de preuve en application du paragraphe 110(4) de la LIPR. De plus, le défendeur fait remarquer que la décision El-Bahisi reposait sur l’extrait du Guide du HCR cité par le demandeur ci-dessus, qui indique que l’inscription d’un demandeur à l’UNRWA est pertinente pour déterminer le statut de réfugié, si les circonstances qui, à l’origine, lui ont permis d’obtenir la protection de réfugié continuent d’exister. En l’espèce, le défendeur soutient que, puisque le certificat de l’UNRWA présenté ne contient pas de renseignements sous-jacents concernant la demande du demandeur soumise à l’UNRWA, le document ne contient aucun détail factuel pouvant prouver un fait pertinent au regard de sa demande d’asile. Par conséquent, le défendeur soutient que la SAR a raisonnablement refusé d’admettre les nouveaux éléments de preuve.

[19] Je ne suis pas convaincue par les arguments du défendeur pour les motifs suivants.

[20] Premièrement, la SAR n’a pas fait la moindre analyse du certificat de l’UNRWA et de la raison pour laquelle ce document n’était pas pertinent au regard de la demande d’asile du demandeur, notamment la question de savoir si les conditions qui, à l’origine, ont permis au demandeur d’obtenir ce certificat continuaient d’exister. Par conséquent, les observations du défendeur ne servent qu’à étayer le raisonnement de la SAR après le fait.

[21] Deuxièmement, bien que l’inscription du demandeur auprès de l’UNRWA pourrait ne pas être décisive pour sa demande d’asile, il s’agit néanmoins d’un facteur pertinent que la SAR aurait dû traiter dans sa décision.

[22] Enfin, je ne souscris pas avec l’interprétation du défendeur selon laquelle la décision El-Bahisi laisse entendre que ce sont les détails sous-jacents de l’inscription auprès de l’UNRWA qui importent. La Cour ne le dit nulle part explicitement dans la décision El-Bahisi. Au paragraphe 5 de la décision, la Cour s’est exprimée en ces termes :

La première erreur tient au fait que le tribunal n’a pas pris expressément en considération l’existence du document de l’UNRWA. Bien que le tribunal ne soit pas tenu de mentionner tous les éléments de preuve documentaire produits, j’estime qu’il devrait considérer les preuves importantes ou celles qui portent expressément sur la revendication particulière du requérant, surtout lorsque le document en cause mentionne nommément le requérant et lui reconnaît le statut de réfugié.

[Non souligné dans l’original.]

[23] Après avoir cité l’extrait du Guide du HCR sur lequel se fonde le demandeur, la Cour, dans la décision El-Bahisi, fait remarquer que « la reconnaissance antérieure du requérant comme réfugié, qui lui a valu la protection de l’UNRWA, est convaincante, sans être il est vrai décisive, et la Commission aurait dû en traiter dans sa décision » : au para 5.

[24] La même conclusion, à mon avis, doit être tirée dans le présent cas.

[25] Étant donné les conclusions que j’ai tirées ci-dessus, il n’est pas nécessaire que je me penche sur les autres questions soulevées par le demandeur.

IV. Conclusion

[26] La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[27] Il n’y a pas de question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-8691-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.

  3. Il n’y a pas de question à certifier.

« Avvy Yao-Yao Go »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8691-21

 

INTITULÉ :

MAHER MAHFOUZ MOHAMMED ASSI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 avril 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS :

Le 28 avril 2023

 

COMPARUTIONS :

Menal Al Fekih

Pour le demandeur

Sydney Ramsay

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Menal Al Fekih

Agassiz Community Law Centre

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

Pour le défendeur

 

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