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Date : 20230509


Dossier : IMM-7473-21

Référence : 2023 CF 663

Ottawa (Ontario), le 9 mai 2023

En présence de l’honorable juge Roy

ENTRE :

M.N. et al

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

et

Me S.V.

intervenant

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés [SAR], confirmant une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR]. La demande de contrôle judiciaire est autorisée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [Loi ou LIPR]. Je note que l’anonymat des demandeurs a été ordonné en vertu d’une ordonnance de la Cour du 28 octobre 2022.

[2] Les demandeurs ont allégué effectivement deux motifs à l’égard de leur demande de contrôle judiciaire. La décision sous attaque ne serait pas raisonnable et ils n’auraient pas bénéficié d’une représentation adéquate devant la SAR.

[3] Ni l’un ni l’autre des motifs invoqués ne peuvent être retenus. Il en résulte que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

I. Les faits

[4] Les demandeurs constituent une famille. Ils sont des citoyens algériens. La demande d’asile de la famille est fondée sur les allégations du demandeur principal, le père des deux enfants et le mari de la demanderesse.

[5] On apprend du fondement de la demande d’asile (29 août 2019) [FDA] que les demandeurs ont quitté l’Algérie le 3 juillet 2019 avec des visas de visiteurs pour accéder au pays. Les deux enfants sont jumeaux et ont maintenant 25 ans.

[6] Le demandeur principal était dans le domaine de l’import-export en Algérie. Il se plaint de la concurrence déloyale et de la corruption dans son domaine où il était devenu le gérant d’une société.

[7] Il se plaint de la concurrence subie, qui rendait son commerce difficile pour qui voulait maintenir son intégrité : il eut fallu, dit-il, soudoyer des politiciens, ce qu’il se refusait à faire. En 2015, il aurait porté plainte contre une autre société pour l’importation d’une contrefaçon de son produit déposé et enregistré. Aucune suite n’aurait été donnée.

[8] En 2016, il dit avoir constaté des vols à hauteur de plus de 20 millions de dinars. Des plaintes contre cinq personnes ont alors été déposées auprès de tribunaux algériens. Il est écrit dans le FDA :

14. Depuis 2018 je n’ai pas cessé de recevoir des menaces, des coups de fils anonymes qui me demandaient de faire attention à moi et à ma famille, mais je me suis toujours battu, j'avais compris que c’était des employés qui m’avaient volé, qui me menaçaient pour retirer ma plainte soit les concurrents qui ne voulaient pas partager le marché et voulaient écarter les concurrents.

Cela a fait en sorte que les déplacements des demandeurs se faisaient sous le sceau de la prudence.

[9] Deux incidents particuliers sont notés. Le 19 avril 2019, le demandeur principal a trouvé à la porte d’entrée de sa demeure « un sac qui contenait des draps […] et des affaires pour laver et enterrer les morts » (FDA au para 16). Cela est interprété comme une menace de mort. La police fut contactée. Puis, le 28 mai 2019, les pneus de la voiture du demandeur ont été crevés.

[10] Le demandeur principal semble résumer sa situation ainsi au paragraphe 22 du FDA :

22. J’ai contacté la police pour enquêter sur les personnes qui me menaçaient pour savoir si c’étaient d'anciens employés qui m’avaient volé ou bien l’importateur qui importait les produits contres faits [sic] avec qui je suis encore en justice ou alors les concurrents qui ne voulaient pas voir mon projet de conserverie de thon voir le jours [sic], mais la police n’a pas levé le petit doigt, mon pays ne veut pas protéger ma famille.

Disant que les menaces pourrissent sa vie, le demandeur principal dit avoir tout laissé pour venir au Canada.

II. La Section de la protection des réfugiés

[11] Tant la SPR que la SAR n’ont pas retenu les allégations des demandeurs comme justifiant une demande en vertu des articles 96 et 97 de la Loi. Les demandeurs y étaient représentés par des personnes différentes. C’est évidement la décision de la SAR qui fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire, mais étant donné que les demandeurs allèguent maintenant l’incompétence de l’avocat qui les représentait devant la SAR en remplacement du représentant devant la SPR, il est nécessaire de passer en revue la décision de la SPR dont il y a eu appel devant la SAR.

[12] Comme il a été vu, le FDA ne révèle pas une trame factuelle complexe. La SPR note en ouverture que les allégations portent sur des craintes d’anciens employés et d’anciens concurrents. Puisqu’aucun lien avec l’article 96 de la LIPR n’est présent, la demande de protection ne peut qu’être étudiée qu’en fonction de l’article 97 : y-a-t-il balance des probabilités que les demandeurs « seraient personnellement exposés à un risque à leur vie ou un risque de traitements ou peines cruels et inusités, advenant un retour en Algérie » (Décision de la SPR au para 7).

[13] La SPR considère les demandeurs comme généralement crédibles à l’égard de leurs allégations. Les difficultés avec des employés et concurrents sont crues. La SPR accepte que des menaces téléphoniques ont été faites, que des draps servant à l’inhumation de personnes décédées ont été déposés chez les demandeurs et que les pneus de voitures ont été crevés. Cependant, la SPR devait conclure que les demandeurs ont une possibilité de refuge interne en Algérie.

[14] Cette possibilité repose en partie sur l’absence de motivation des agents de persécution de retrouver et de menacer les demandeurs advenant leur retour en Algérie. En effet, lorsqu’interrogé à l’audience, le demandeur principal a témoigné que c’est la vengeance qui serait la motivation. Il a tenté de soutenir cela en prétendant que la personne qui garde son appartement à Alger continue de recevoir des appels; de plus son beau-frère aurait reçu une visite d’« amis » qui recherchaient l’adresse des demandeurs. Or, cette motivation n’a pas été acceptée par la SPR parce qu’elle a été présentée très tardivement. En effet, un narratif amendé avait été soumis la veille de l’audience devant la SPR, sans que la motivation de la vengeance ne soit explicitée alors même qu’il s’agit là d’information d’importance dite « centrale ». La SPR se déclare ne pas croire le demandeur principal pour ce qui est de personnes à leur recherche comme le prétend le demandeur principal.

[15] La SPR en viendra à la conclusion qu’existe une possibilité de refuge interne en Algérie selon la grille d’analyse en place depuis plus de trois décennies :

  • 1)y-a-t-il possibilité sérieuse de persécution ailleurs en Algérie?

  • 2)serait-il objectivement déraisonnable de trouver refuge à cet autre lieu?

[16] La SPR a été incapable de voir dans les témoignages des réponses suffisantes pour justifier que les agents de persécution auraient les moyens et la motivation de les retrouver s’ils s’installaient ailleurs qu’à Alger. Non seulement les réponses données étaient vagues, le demandeur principal alléguant que sa qualité de commerçant le rendait vulnérable à une identification (registre de commerce, carte bancaire, fichier). De plus, la SPR note que le demandeur principal disait ne pas connaître les auteurs des menaces. Il en résulte que les demandeurs ne peuvent satisfaire, sur la base de la prépondérance des probabilités, au premier volet.

[17] Le deuxième volet n’est pas davantage satisfait. Trois villes algériennes sont identifiées. Pour ce qui a trait à la capacité de vivre dans ces lieux, la SPR est d’avis que les quatre demandeurs sont des personnes débrouillardes et éduquées, ce qui favorisera leur réinstallation dans leur pays de citoyenneté. La liberté de mouvement en Algérie (sauf au sud du pays) favorise cette réinstallation. La mère et la fille ont évoqué la difficulté qui consiste en le port du voile dans les endroits proposés, sans pouvoir être précises à cet égard, car elles ne savaient pas comment ce serait à ces endroits. Répondant à cette préoccupation, le « tribunal note que rien dans la preuve documentaire objective ne permet d’affirmer qu’il existe pour ces dernières une possibilité sérieuse de persécution ou qu’elles seraient personnellement exposées à un risque à leur vie, ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités si elles ne portent pas le voile dans l’une des villes proposées » (Décision au para 35).

[18] Ayant conclu à la possibilité de refuge interne, la SPR rejette la demande d’asile ou de personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi.

III. La Section d’appel des réfugiés

[19] Les demandeurs ont fait deux choses à la suite de la décision de la SPR. D’abord, ils ont retenu les services d’un avocat spécialisé en immigration. Ensuite, ils se sont pourvus en appel devant la SAR.

[20] Il m’apparaît essentiel de faire ressortir dès maintenant certaines règles minimales qui gouvernent l’appel possible devant la SAR. Ainsi, l’appel peut porter sur une question de droit, de fait ou mixte, mais l’appel se fait sur dossier (para 110(3) de la Loi). Des cas précis sont prévus par la Loi où la SAR pourrait recevoir de nouveaux éléments de preuve. Ils sont

  • des éléments de preuve survenus depuis le rejet de la demande, ou

  • qui n’étaient alors pas normalement accessibles, ou

  • s’ils l’étaient, que la personne en cause n’aurait pu normalement les présenter au moment du rejet.

[21] Une audience est exceptionnelle et elle n’est pas possible que si les trois conditions du paragraphe 110(6) sont remplies :

(6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois :

(6) The Refugee Appeal Division may hold a hearing if, in its opinion, there is documentary evidence referred to in subsection (3)

a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause;

(a) that raises a serious issue with respect to the credibility of the person who is the subject of the appeal;

b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile;

(b) that is central to the decision with respect to the refugee protection claim; and

c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

(c) that, if accepted, would justify allowing or rejecting the refugee protection claim.

Pour dire les choses simplement, les appels sont tenus par des règles relativement contraignantes. Par ailleurs, la SAR n’est pas tenue à la déférence comme l’est la cour de révision sur contrôle judiciaire.

[22] Comme pour la SPR, la question déterminante est la possibilité de refuge interne en Algérie et l’appel est rejeté, la SAR retenant l’une des trois villes identifiées par la SPR comme pouvant être un refuge approprié.

[23] La question n’est pas relative aux événements qui se sont produits en Algérie avant le départ des demandeurs. Cela est acquis. C’est plutôt qu’ils n’ont pas établi que des agents de préjudice sont toujours à leur recherche. La SAR partage l’avis de la SPR que le témoignage du demandeur principal au sujet de tentatives d’inconnus de les retrouver manque de crédibilité. Alors que les demandeurs ont amendé leur narratif à peine quelques jours avant l’audience devant la SPR, le demandeur principal a pour la première fois témoigné à l’audience que des individus les recherchaient. C’était du nouveau. Ces tentatives de les retrouver seraient déterminantes pour les demandeurs et le demandeur principal ne pouvait en ignorer l’importance. Qui plus est, aucune preuve corroborant de telles informations, comme des affidavits de personnes avec qui les inconnus seraient venus en contact, n’a été offerte :

[19] Les appelants auraient pu amender leur FDA en ajoutant un simple paragraphe, ce qui n’aurait pas allongé indûment leur narratif. Ce défaut d’amender leur histoire est d’autant plus important qu’ils ont amendé deux informations dans leur FDA quelques jours avant l’audience. Ils n’ont pas non plus informé la SPR de ces nouveaux événements en début d’audience, ils ont même affirmé que les informations de leur FDA étaient complètes, véridiques, exactes et à jour. Lorsque la SPR pose cette question, ce n’est pas une simple formalité. Si de nouveaux faits importants se sont produits, ils doivent le signaler avant l’audience. Il est important que les demandeurs d’asile présentent l’ensemble des informations importantes de leur histoire.

(Décision de la SAR).

Une inférence négative est donc tirée faisant en sorte que la véracité de ces allégations est mise en doute.

[24] La SAR passe ensuite à l’examen de la relocalisation des demandeurs dans une ville importante d’Algérie autre qu’Alger. Elle se déclare largement d’accord avec la SPR. Les demandeurs n’ont pas démontré la volonté d’agents de persécution de poursuivre les demandeurs en Algérie. Les demandeurs n’ont pas davantage établi que ceux-ci auraient les moyens de les retrouver.

[25] La preuve considérée par la SAR est à l’effet que les agents de préjudice ne se sont pas manifestés depuis plus de deux ans (en septembre 2021) et il est improbable qu’ils s’en prendraient aux demandeurs alors même que les plaintes, quant à un concurrent auraient été déposées en 2013, et quant aux employés en 2016.

[26] Même s’il y avait intérêt ou motivation, la SAR conclut que les demandeurs n’ont pas établi que les agents de préjudice auraient même la capacité de les retrouver. Aucune preuve à cet égard n’a été offerte et le cartable national de documentation sur l’Algérie est sans secours pour les demandeurs. De fait, un rapport du Home Office britannique estime que la relocalisation est raisonnable lorsque les agents de préjudice ne sont pas des agents gouvernementaux. Aucune indication n’a été trouvée qu’il soit facile de retrouver quelqu’un à l’aide de ses informations personnelles dans un pays de 40 millions d’habitants, pays dont la superficie est la plus grande en Afrique. Enfin, aucune allégation, et encore moins de la preuve, ne suggère que les agents de préjudice soient partie d’organisations puissantes ou importantes.

[27] La SAR a aussi consacré une partie de son analyse au risque de persécution des femmes algériennes. Comme indiqué plus haut, la SAR a retenu l’une des trois villes considérées par la SPR, celle des trois qui est la plus populeuse. La SAR a procédé à sa propre recherche d’information sur la question du port du voile. Le cartable national d’information traite bien de la situation des femmes algériennes. Mais c’est de la discrimination au plan légal, de l’absence de parité dans la famille, dans l’emploi ou dans le cadre de divorces, ou d’abus domestiques, dont il est question. La SAR dit ne pas avoir « trouvé d’information sur les discriminations subies par des femmes qui ne portent pas le voile […]. Les discriminations vécues par les femmes en général ne sont pas non plus du niveau de la persécution lorsqu’elles sont cumulées » (Décision de la SAR au para 45).

[28] On passe alors au second volet, celui sur la raisonnabilité d’aller s’installer dans son propre pays de citoyenneté. La SAR ne retient pas un argument selon lequel le demandeur principal ne peut accomplir des travaux physiques et sa compétence se situe dans le domaine de commerce. Ce n’est pas ainsi que la question se pose. C’est plutôt de savoir si le demandeur principal pourrait trouver un emploi lui permettant de subvenir à ses besoins et ceux de sa famille. Son fardeau était de démontrer qu’il n’avait aucune perspective raisonnable s’il ne pouvait être employé comme commerçant. Il ne s’en est pas déchargé.

[29] L’épouse du demandeur principal et ses enfants, tous deux adultes, n’ont pas satisfait davantage leur fardeau. L’épouse travaillait dans une garderie et rien n’indique qu’elle en serait incapable une fois de retour dans une grande ville algérienne. Quant aux enfants, ils ont atteint l’âge adulte. Aucune preuve n’établit qu’ils ne peuvent subvenir à leurs besoins en Algérie alors que les deux occupent des emplois au Canada. De toute manière, il eut fallu que les demandeurs fournissent des preuves réelles et concrètes de conditions qui mettraient un péril leur vie et leur sécurité dans une ville algérienne importante et populeuse. Ils ne l’ont pas fait.

[30] La SAR conclut que la décision de la SPR était correcte. L’appel est donc rejeté.

IV. La demande de contrôle judiciaire

[31] Un nouvel avocat est venu remplacer l’avocat qui agissait pour les demandeurs lors de leur appel devant la SAR. L’avocat devant la SAR remplaçait une autre représentante qui avait agi lors de la demande initiale devant la SPR.

[32] Les demandeurs prétendent que la décision de la SAR est déraisonnable, mais ils allèguent aussi l’incompétence de l’avocat qui les a représentés devant la SAR. Cette incompétence est alléguée s’être manifestée au départ en ne remettant pas en question la compétence de la représentation effectuée par une autre personne devant la SPR. Dit autrement, les demandeurs présentent maintenant que la représentation reçue devant la SAR et la SPR était incompétente. Outre que l’avocat devant la SAR n’a pas su reconnaître l’incompétence du conseil devant la SPR, cette incompétence devant la SAR se serait manifestée :

  • en ne justifiant pas pourquoi aucune mise à jour de la situation en Algérie n’avait été faite;

  • en omettant de préciser devant la SAR le fait que l’un des demandeurs (l’un des jumeaux) souffrirait de schizophrénie;

  • en négligeant d’ajouter de la preuve relative à la situation des femmes en Algérie.

[33] Fort étonnamment, les demandeurs se sont lancés dans des attaques tous azimuts, de façon souvent chaotique. En effet, leurs prétentions étaient l’incompétence de leur avocat devant la SAR et que la SAR avait conclu de façon déraisonnable qu’ils avaient une possibilité de refuge interne en Algérie. Mais les deux se sont retrouvées entremêlées dans le mémoire des faits et du droit et à l’audience. Ces deux types de prétentions ne sont pas particulièrement complexes, car elles sont soumises à des règles précises. Ce n’est que lorsque ces règles auront été établies qu’on peut alors mesurer les prétentions par en jauger la qualité.

[34] À la place de cela, le mémoire des faits et du droit (qui lui-même dépasse largement les balises permises sans qu’une autorisation soit obtenue) fait la présentation devant la Cour d’un amalgame d’assertions dont il n’est pas facile de voir la pertinence ou en quoi elles rencontrent les normes requises en droit. On mesure les assertions en fonction de ce qui est requis pour établir qu’une décision ne rencontre la norme de la décision correcte ou de la décision raisonnable, selon le cas. C’est aux demandeurs de faire cette démonstration.

[35] Les demandeurs prétendent que la SAR n’a pas pris en compte la situation objective des femmes en Algérie. On peut penser qu’il s’agit là d’un argument sur la raisonnabilité du refuge interne. Mais on aura cherché à faire reproche à l’avocat devant la SAR de ne pas avoir poussé la recherche plus loin pour possiblement présenter une nouvelle preuve. Leur prétention est que la mère et sa fille « ne paraissent pas comme des Algériennes conformes » (mémoire des faits et du droit au para 14). Alors que la SAR a conclu de la preuve que les demandeurs ne feraient pas face à une possibilité sérieuse de persécution dans une grande ville autre qu’Alger, les demandeurs semblent situer leur critique ailleurs. C’est de la situation des femmes dont ils veulent se plaindre où, malgré des progrès sensibles, il continue d’exister des situations préoccupantes, dont la violence faite aux femmes dans leur famille, le harcèlement sexuel, la stigmatisation et l’hostilité envers les mères célibataires et des femmes vivant seules. On insiste sur la discrimination dont les femmes algériennes sont victimes, où leur liberté est limitée par la pression sociale.

[36] Deux observations s’imposent. D’abord, sans jamais tenter même d’en faire la démonstration, les demandeurs déclarent qu’il s’agit de persécution dont pourraient être victimes les demandeurs dans une ville importante et populeuse, plutôt que dans des lieux plus conservateurs. Ensuite, aucune tentative n’est faite de démontrer le lien avec l’un ou l’autre des volets de l’analyse de la possibilité de refuge interne en vertu de notre droit. Cette persécution, si elle existait, devrait rencontrer le test du deuxième volet. Ainsi, on ne traite pas d’un quelconque déficit de raisonnabilité de la conclusion de la SAR à cet égard. Comme on le sait, c’est le fardeau d’un demandeur que de démontrer le caractère déraisonnable d’une conclusion (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653 au para 100).

[37] Dans la catégorie des amalgames, les demandeurs critiquent aussi leur avocat devant la SAR pour ne pas avoir ajouté à la preuve devant la SAR sur la situation générale des femmes an Algérie.

[38] Ici aussi, des observations doivent être faites. Les demandeurs n’expliquent pas comment une telle nouvelle preuve, si elle était pertinente, pourrait être faite. L’audition devant la SAR se fait à partir du dossier créé devant la SPR. L’ajout de preuve est l’exception et doit rencontrer des contraintes précises. Il n’est pas contredit nulle part que la cause des demandeurs exposée dans leur FDA était fondée sur les difficultés rencontrées par le demandeur principal dans ses affaires commerciales (avec des concurrents et des employés). Tant la SAR que l’avocat des demandeurs devant la SAR n’ont pu retrouver de la documentation spécifique sur la situation problématique dans la ville populeuse sélectionnée par la SAR comme refuge interne possible. De fait, devant la SPR les demandeurs ont référé à des difficultés rencontrées dans une petite ville lorsqu’ils s’y étaient cachés. Enfin, je note que le mémoire des demandeurs devant la SAR, qui a été expressément approuvé par eux, discutait lors de l’examen du deuxième volet de la grille d’analyse de la possibilité de refuge interne des problèmes rencontrés par la mère et sa fille en raison de leur style de vie, le fait qu’elles ne soient pas voilées (mémoire devant la SAR aux pp 7-9). Ce dont se plaignent les demandeurs était nommément soulevé par leur avocat :

La situation pour les femmes en Algérie est une considération qui devait être prise en compte en raison des problématiques vécues par ces dernières dans l’emploi, l’accession à la propriété, les inégalités à tous niveaux, sans compter des violences sexuelles non punies.

[39] Les demandeurs se plaignent aussi que la SAR n’avait pas de motifs valables pour remettre en question la crédibilité du demandeur principal au sujet de sa crainte que des étrangers le recherchent en Algérie. Qu’on se rappelle que tant la SPR que la SAR avaient vu le témoignage du demandeur principal présenté pour la première fois à l’audience de la SPR, sans même amender son FDA alors qu’il l’avait amendé la veille de l’audience pour y ajouter, comme n’étant pas crédible. Les tribunaux administratifs ne croyaient pas à ces interventions venues sur le tard.

[40] À cet égard, les demandeurs semblent fonder leur argument sur la prétention qu’une omission n’est pas une contradiction. Ainsi, le rejet du témoignage du demandeur principal parce que son témoignage sur les recherches à son sujet qui seraient faites par des étrangers, alors même qu’il n’en avait pas parlé avant, ne serait pas justifié. Les demandeurs voient une différence entre omettre de dire quelque chose qui est au cœur de leurs prétentions, laissant ainsi ouverture à une conclusion qu’il s’agit d’une invention récente, et une contradiction dans un témoignage.

[41] Je commence avec les allégations d’incompétence de l’avocat retenu pour procéder à l’appel devant la SAR. Les demandeurs y consacrent la majorité de leur factum. En fait, il s’agit aussi d’un amalgame, cette fois avec l’incompétence alléguée de leur conseil devant la SPR. On peut y voir une tentative quelque peu maladroite d’attirer lors du contrôle judiciaire de la décision de la SAR celle de la SPR qui, elle, n’est pas devant la Cour et ne peut l’être.

[42] J’ai déjà reproduit au paragraphe 32 les reproches faits à l’avocat devant la SAR. Il a déjà été traité de la situation objective des femmes libérales en Algérie.

[43] Les demandeurs cherchent à prétendre à incompétence du fait que l’explication pour les présumées recherches des demandeurs en Algérie, dont on vient de traiter à un autre titre, aient été tardives, ce qui fait conclure au doute sur la véracité de ces allégations. Le demandeur principal a témoigné à cet égard après avoir déclaré que son FDA était complet alors qu’il on traitait aucunement de cet aspect important d’une demande d’asile.

[44] On ne sait pas trop de quelle mise à jour du FDA aurait pu valablement être faite devant la SAR. Le témoignage du demandeur principal devant la SPR était sans équivoque. On ne peut que répéter que l’appel se fait sur dossier. D’ailleurs, l’avocat a soulevé la question devant la SAR, rappelant qu’il n’existerait aucune obligation de mettre à jour le narratif. Mais alors, de quoi les demandeurs peuvent-il se plaindre? Qu’aurait dû être fait au juste? Quel aurait été le remède qui aurait grossièrement été négligé? Aucune indication ou allégation n’est offerte.

[45] Au mieux, les demandeurs prétendent maintenant que l’avocat aurait dû les questionner davantage sur cet aspect de l’affaire pour possiblement expliquer pourquoi le FDA n’avait pas été ajusté avant l’audition devant la SPR. Or, le mémoire devant la SAR, qui a été approuvé par les demandeurs, comporte cinq paragraphes sur cette seule question. Essentiellement, les demandeurs disent que leur avocat aurait dû les questionner davantage malgré les paragraphes qui sont explicites et qui auraient pu faire l’objet de questionnement s’il y en avait eu un. Mais alors, qu’y aurait-il eu d’autre à faire? Même s’il était possible de faire preuve de sagesse rétrospective, ce qui est fort douteux, les demandeurs ne présentent rien qui aurait pu, ou dû, avoir valablement lieu.

[46] On fait aussi reproche à l’avocat de ne pas avoir soulevé une allégation d’incompétence de la part de la représentante devant la SPR. Le défaut de reconnaître l’incompétence de cette dernière serait une preuve de l’incompétence de l’avocat devant la SAR.

[47] Cette proposition quelque peu inhabituelle est fondée en partie sur l’allégation que l’avocat avait soulevé dans une autre affaire d’immigration complétement différente des erreurs qu’auraient commises la même représentante que celle ayant agi au profit des demandeurs en l’espèce. Devant la Cour, les demandeurs ont référé à des passages d’un mémoire des faits et du droit devant notre Cour dans cette autre affaire.

[48] Lorsque questionné au sujet de cette allégation, l’avocat des demandeurs en cette Cour a reconnu que l’affaire n’avait connu aucun dénouement puisqu’elle n’a jamais été plaidée : il y aurait eu un règlement quelconque dont on ne connait pas la teneur.

[49] Ainsi, alors que les demandeurs disent déclarer l’incompétence de leur représentante devant la SPR que leur avocat devant la SAR aurait dû identifier, ils ne fournissent aucun détail. Au mieux, ils déclarent l’incompétence de la représentante et s’en prennent aux explications fournies par l’avocat qui explique que le désaccord sur la préparation d’un dossier ne saurait correspondre à l’incompétence ou même la négligence. D’ailleurs, comme on l’aura vu, cette représentante avait offert à la SPR des corrections au FDA et de nombreux documents. Encore faut-il rencontrer les critères pour alléguer incompétence alors même qu’une personne est régie par un organisme de règlementation reconnu. Il s’agit là d’une question sérieuse et lourde de conséquences sur laquelle on devra revenir.

[50] Les demandeurs allèguent aussi que leur avocat a fait preuve d’incompétence en ne soulevant pas que le fils aurait été diagnostiqué au Canada comme souffrant de schizophrénie. La sœur jumelle prétend que l’avocat savait l’état de son frère, ce que nie avec véhémence l’avocat. Quoi qu’il en soit, le dossier ne révèle pas la sévérité de la maladie. Au mieux, le dossier récite un affidavit du malade qui dit recevoir une médication qui lui permet d’occuper un emploi stable et de mener une vie équilibrée et stable. Comme ce fut le cas partout ailleurs, les demandeurs se contentent de déclarer que l’avocat aurait dû mentionner la maladie du fils. Ils ne disent pas la gravité de la maladie et à quel égard ce serait pertinent au dossier devant la SAR, si bien que cela aurait pu faire une différence quelconque. Dit autrement, cette allégation arrive ex post facto sans que les demandeurs fassent quelque lien de rattachement, si tant est que l’avocat avait su au sujet de la condition médicale du fils en temps utile. L’allégation est de la nature d’une déclaration et non d’une démonstration. D’ailleurs, les prétentions des demandeurs viennent s’amalgamer à des soumissions qui sont bien davantage des arguments de la nature d’une demande pour motif d’ordre humanitaire où on prétend aux carences du service médical en Algérie, sans pour autant démontrer en quoi il s’agit précisément. D’ailleurs, est-il besoin de rappeler l’alinéa 97(1)b)iv) de la loi :

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

[…]

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

[…]

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

V. Les arguments du défendeur et de l’avocat accusé d’incompétence

[51] Ce litige a été ponctué d’incidents autour de la participation de l’avocat accusé d’incompétence [partie intervenante]. On s’est plaint du côté de la partie intervenante de manquements graves de la part des demandeurs au Protocole concernant les allégations formulées contre les avocats et contre d’autres représentants autorisés au cours des instances de la Cour fédérale en matière de citoyenneté, d’immigration et de personnes à protéger (du 17 mars 2014). Les demandeurs se sont opposés à l’affidavit de l’avocat; ils ont aussi prétendu que les Règles n’avaient pas été suivies par l’avocat. Ultimement, la Cour aura permis l’intervention de l’avocat avec la possibilité de plaider devant la Cour, en plus de déposer un mémoire sur l’allégation d’incompétence à son égard.

[52] J’ai choisi de disposer des allégations d’incompétence malgré l’argument de l’avocat de la partie intervenante qui requérait que la Cour refuse d’entendre l’allégation d’incompétence parce que les nombreuses incartades au Protocole par les demandeurs ne permettaient pas la minutie requise face à des accusations graves au plan personnel et professionnel.

[53] N’est pas sans valeur l’argument que « la conduite des demandeurs dans une affaire alléguant l’incompétence doit être irréprochable et digne de préserver l’intégrité du système judiciaire et des moyens qui y sont revendiqués » (mémoire en cette Cour de l’avocat devant la SAR au para 9). Mais il est préférable de disposer de l’argument d’incompétence au mérite puisque, à mon avis, l’allégation est dénuée de tout fondement.

[54] Le défendeur et la partie intervenante plaident tous deux que le fardeau de qui invoque l’incompétence est lourd. Des circonstances extraordinaires sont requises. On retient l’articulation du test tel que présenté dans Abuzeid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 34 au paragraphe 21 :

[21] Dans Badihi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 64, j’ai examiné le critère à appliquer si l’incompétence d’un avocat est alléguée :

[17] Le juge James Russell a établi le critère à appliquer pour examiner les allégations de représentation inefficace ou incompétente de la part d’un avocat dans Galyas, en formulant les observations ci-après au paragraphe 84 :

[84] Il est généralement reconnu que si un demandeur souhaite établir un manquement à l’équité procédurale sur ce point, il doit :

a. corroborer [« provide corroboration »] l’allégation en avisant l’ancien conseil et en lui donnant la possibilité de répondre;

b. établir que les actes ou les omissions de l’ancien conseil relevaient de l’incompétence, indépendamment de l’avantage de l’analyse et de la sagesse rétrospectives;

c. établir que le résultat aurait été différent n’eût été l’incompétence. [Sources omises]

[18] Il incombe au demandeur de prouver à la fois le volet de la compétence et du préjudice du critère pour démontrer un manquement à l’équité procédurale. Les parties s’entendent pour dire que le critère est très rigoureux. Comme le juge Richard Mosley l’a fait remarquer au paragraphe 9 dans Jeffrey c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 605 :

[9] [...] La partie qui invoque l’incompétence doit établir qu’elle a subi un préjudice important et que ce préjudice découle des actions ou omissions du conseil incompétent. Il faut démontrer qu’il est raisonnablement probable que, n’eût été les erreurs commises par le conseil par manque de professionnalisme, l’issue de l’instance aurait été différente

[19] Dans R. c G.D.B., 2000 CSC 22, la Cour suprême du Canada a affirmé ce qui suit au paragraphe 29 :

[29] Dans les cas où il est clair qu’aucun préjudice n’a été causé, il n’est généralement pas souhaitable que les cours d’appel s’arrêtent à l’examen du travail de l’avocat. L’objet d’une allégation de représentation non effective n’est pas d’attribuer une note au travail ou à la conduite professionnelle de l’avocat. Ce dernier aspect est laissé à l’appréciation de l’organisme d’autoréglementation de la profession. S’il convient de trancher une question de représentation non effective pour cause d’absence de préjudice, c’est ce qu’il faut faire (Strickland c Washington, 466 US 668 [1984], au paragraphe 697).

Un demandeur doit donc établir incompétence, préjudice et résultat différent n’eut été l’incompétence.

[55] Alors que le défendeur argue que les demandeurs n’ont satisfait aucun des trois volets, la partie intervenante se contente de plaider qu’aucune incompétence n’a été démontrée, ce qui suffit à rejeter l’argument puisque les trois volets du test doivent être satisfaits.

[56] Ainsi, pour la partie intervenante, l’état de santé du fils n’était pas connu au moment de la rédaction du mémoire devant la SAR. Si les demandeurs voulaient contester l’assertion sous serment de l’avocat, il leur fallait contester à l’aide du contre-interrogatoire de l’avocat puisque le fardeau de la preuve à cet égard repose sur leurs épaules. De fait, la seule preuve médicale au dossier est une note qui est venue après la décision de la SAR. Aucune preuve claire et convaincante n’a été avancée de la connaissance de l’état de santé du fils (si tant est que cela aurait pu être pertinent).

[57] La même absence de preuve est soulevée à l’égard de la situation dans la ville sélectionnée par la SAR comme refuge interne possible. La preuve disponible a été soumise à la SAR.

[58] La partie intervenante fait remarquer qu’en aucun temps les demandeurs n’ont offert au cours des semaines qui ont précédé le dépôt du mémoire devant la SAR quelle que preuve que ce soit qui aurait été négligée. Bien au contraire, après avoir révisé le mémoire à être déposé devant la SAR, ils se sont déclarés « contents » du travail fait.

[59] Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle il y a eu incompétence quant au FDA en n’expliquant par pourquoi il négligeait les recherches menées par des étrangers en Algérie, la partie intervenante rappelle que le demandeur principal avait tenté de fournir une explication à l’audience devant la SPR, explication qui est loin d’avoir été retenue.

[60] Finalement, il est plaidé que l’allégation voulant que la partie intervenante aurait dû reconnaître l’incompétence de la représentante des demandeurs devant la SPR, ce qui démontrerait sa propre incompétence, est sans fondement. La partie intervenante a posé un jugement selon lequel il ne pouvait être prouvé incompétence. C’est une chose de voir un dossier sous un angle, cela en est une autre que de démontrer incompétence. De toute manière, les demandeurs n’ont en aucun temps fait cette suggestion d’invoquer l’incompétence de la représentation devant la SPR, encore moins n’ont-ils donné un mandat quelconque en ce sens.

[61] La partie intervenante requiert des dépens laissés à la discrétion de la Cour pour ce qu’elle croit être une conduite oppressive ou inappropriée. On y relève des propres offensants qui ne sont aucunement justifiés par le dossier tel qu’il existe. L’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, donne ouverture à des dépens dans ces circonstances qui seraient les « raisons spéciales » dont parle la règle 22.

[62] Le défendeur ne s’est pas arrêté au premier volet du test tripartite à rencontrer pour justifier une allégation d’incompétence. Il a argumenté qu’aucun de ceux-ci n’a été rencontré par les demandeurs.

[63] On soumet qu’il n’y a aucune preuve claire et précise d’incompétence, tel que cela est requis. On relève que la partie intervenante a écouté l’enregistrement de l’audience devant la SPR et a conclu qu’il n’était pas possible d’alléguer l’incompétence de la représentante devant la SPR qui avait choisi d’amender le FDA et avait ajouté de la preuve documentaire, sans pour autant amender le narratif au sujet des recherches alléguées par des inconnus en Algérie. Il s’agissait d’un jugement professionnel qui ne participe pas de l’incompétence. Quant à la situation des femmes en Algérie, le défendeur met en exergue l’affidavit de la partie intervenante selon lequel les demandeurs n’ont pas même suggéré de quelle nouvelle preuve on aurait pu s’inspirer; d’ailleurs il n’a jamais été question de quelle que difficulté rencontrée à Alger, seulement de certaines situations dans une petite ville où les demandeurs s’étaient réfugiés. Aucune preuve spécifique n’avait été trouvée au sujet de la grande ville sélectionnée comme refuge interne. De plus, rien de ce qui a émergé depuis traite de cette ville. De fait, cela confirme l’absence de preuve à l’égard de cette ville.

[64] Le défendeur s’appuie sur l’affidavit de la partie intervenante où il est dit que la maladie dont souffre le fils n’avait pas été dévoilée. Être en désaccord ex post facto avec l’avocat ne constitue pas une preuve d’incompétence menant à une conclusion de violation de l’équité procédurale. Les demandeurs n’ont donc pas prouvé le préjudice requis, pas plus que le résultat aurait été différent.

[65] Le défendeur plaide par la suite que la décision de la SAR est raisonnable. Il était approprié pour la SAR de voir dans les assertions faites devant la SPR, selon lesquelles des étrangers étaient soudainement, dix-neuf mois après le départ d’Algérie, à la recherche du demandeur principal, qu’il s’agissait là d’assertions en manque de crédibilité. L’omission de soulever ce nouvel élément a été analysé par la SAR qui aura noté, avec raison, que les personnes qui auraient été contactées en Algérie au sujet des demandeurs n’ont même pas corroboré les dires du demandeur principal. Pour le défendeur, non seulement les contradictions peuvent constituer un fondement pour jauger la crédibilité d’un témoin, mais les omissions aussi sont pertinentes (Ogaulu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 547 au para 20; Talanov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 484 au para 61).

[66] Qu’en est-il alors de la possibilité de refuge interne ailleurs en Algérie? C’est aux demandeurs de démontrer que cette possibilité, à laquelle tant la SPR que la SAR ont adhéré, ne satisfait pas à la norme de la décision raisonnable. On doit se demander s’il y a absence de risque sérieux de persécution au lieu choisi et s’il serait objectivement déraisonnable d’y trouver refuge.

[67] Quant au premier volet les demandeurs n’ont pas démontré l’intérêt et la volonté des agents de préjudice de s’en prendre à eux. Ceux-ci n’ont pas plus la capacité démontrée de porter préjudice. La SAR a examiné la preuve documentaire du cartable national de documentation pour se satisfaire que la relocalisation interne tient particulièrement lorsque les agents de préjudice ne sont pas gouvernementaux, comme en l’espèce. Les suppositions des demandeurs ne valent pas à titre de preuve.

[68] Le second volet n’est pas plus fructueux pour les demandeurs. Aucune preuve n’est présentée qui justifierait une conclusion qu’il serait déraisonnable de trouver refuge dans la ville désignée par les tribunaux administratifs.

VI. Analyse

[69] L’existence d’une possibilité de refuge interne nie la demande d’asile parce que, avant de rechercher la protection internationale, une personne doit d’abord trouver refuge dans son propre pays de nationalité. Cette règle, qui est inhérente à la définition même de « réfugié », est bien connue et était affirmée par la Cour d’appel fédérale il y a déjà plus de trente ans (Rasaratnam c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (CA), 1991 CanLII 13517 (CAF), [1992] 1 CF 706).

[70] La jurisprudence de la Cour d’appel a établi une analyse sur deux volets. Il faut être convaincu, selon la balance des probabilités, que la personne ne risque pas sérieusement d’être persécutée au lieu du refuge interne et il ne serait pas déraisonnable d’y chercher refuge.

[71] Dans Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (CA), 1993 CanLII 3011 (CAF), [1994] 1 CF 589 [Thirunavukkarasu], la Cour d’appel a continué d’articuler l’analyse requise, répétant que la possibilité de refuge interne n’est pas une défense légale ou une théorie juridique, mais plutôt la conséquence de la définition de « réfugié ». C’est ainsi que le fardeau d’un demandeur est d’établir qu’il satisfait à tous les éléments de la définition de « réfugié » : cela inclut de démontrer que le demandeur ne jouit pas d’un refuge interne. Comme le dit la Cour « je ne crois pas qu’il soit possible de conclure, sur la question de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays, que le fardeau de la preuve qui revenait à l’origine au demandeur du statut de réfugié devrait, d’une manière ou d’une autre, être transféré au ministre » (aux pp 594-595). Le demandeur de statut doit donc prouver selon la balance des probabilités, une fois la possibilité de refuge interne soulevée, qu’il risque sérieusement à être persécuté dans cette autre partie du pays.

[72] En ce qui a trait au second volet, la Cour d’appel en traite en établissant les paramètres suivants :

La possibilité de refuge dans une autre partie du même pays ne peut pas être seulement supposée ou théorique; elle doit être une option réaliste et abordable. Essentiellement, cela veut dire que l'autre partie plus sûre du même pays doit être réalistement accessible au demandeur. S'il y a des obstacles qui pourraient se dresser entre lui et cette autre partie de son pays, le demandeur devrait raisonnablement pouvoir les surmonter. On ne peut exiger du demandeur qu'il s'expose à un grand danger physique ou qu'il subisse des épreuves indues pour se rendre dans cette autre partie ou pour y demeurer. Par exemple, on ne devrait pas exiger des demandeurs de statut qu'ils risquent leur vie pour atteindre une zone de sécurité en traversant des lignes de combat alors qu'il y a une bataille. On ne devrait pas non plus exiger qu'ils se tiennent cachés dans une région isolée de leur pays, par exemple dans une caverne dans les montagnes, ou dans le désert ou dans la jungle, si ce sont les seuls endroits sûrs qui s'offrent à eux. Par contre, il ne leur suffit pas de dire qu'ils n'aiment pas le climat dans la partie sûre du pays, qu'ils n'y ont ni amis ni parents ou qu'ils risquent de ne pas y trouver de travail qui leur convient. S'il est objectivement raisonnable dans ces derniers cas de vivre dans une telle partie du pays sans craindre d'être persécuté, alors la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays existe et le demandeur de statut n'est pas un réfugié.

En conclusion, il ne s'agit pas de savoir si l'autre partie du pays plait ou convient au demandeur, mais plutôt de savoir si on peut s'attendre à ce qu'il puisse se débrouiller dans ce lieu avant d'aller chercher refuge dans un autre pays à l'autre bout du monde. Ainsi, la norme objective que j'ai proposée pour déterminer le caractère raisonnable de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays est celle qui se conforme le mieux à la définition de réfugié au sens de la Convention. Aux termes de cette définition, il faut que les demandeurs de statut ne puissent ni ne veuillent, du fait qu'ils craignent d'être persécutés, se réclamer de la protection de leur pays d'origine et ce, dans n'importe quelle partie de ce pays. Les conditions préalables de cette définition ne peuvent être respectées que s'il n'est pas raisonnable pour le demandeur de chercher et d'obtenir la protection contre la persécution dans une autre partie de son pays.

[73] Si on a l’impression que la barre est haute pour qui se réclame du statut de réfugié, cette impression est confirmée par le troisième arrêt de la trilogie, Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (CA), 2000 CanLII 16789 (CAF), [2001] 2 CF 164 [Ranganathan], où la Cour d’appel refuse d’abaisser la barre (para 16). On lit au paragraphe 15 :

[15] Selon nous, la décision du juge Linden, pour la Cour d’appel, indique qu’il faille placer la barre très haute lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est déraisonnable. Il ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions. L’absence de parents à l’endroit sûr, prise en soi ou conjointement avec d’autres facteurs, ne peut correspondre à une telle condition que si cette absence a pour conséquence que la vie ou la sécurité du revendicateur est mise en cause. Cela est bien différent des épreuves indues que sont la perte d’un emploi ou d’une situation, la diminution de la qualité de vie, le renoncement à des aspirations, la perte d’une personne chère et la frustration des attentes et des espoirs d’une personne.

[Je souligne.]

Non seulement la barre est-elle haute au sujet du type d’épreuve qui pourrait faire en sorte que le refuge soit déraisonnable, mais en plus il en faut une preuve réelle et concrète. Je note au surplus que la Cour d’appel met en garde contre la confusion qui brouillerait la revendication du statut de réfugié et la demande fondée sur de motifs d’ordre humanitaire.

[74] Sur contrôle judiciaire, les demandeurs doivent convaincre la cour de révision que la décision de la SAR n’a pas les apanages de la raisonnabilité, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, la justification devant exister eu égard aux contraintes factuelles et juridiques pertinentes (Vavilov au para 99). Comme chacun le sait maintenant, la cour de révision fait preuve de retenue judiciaire et adopte une attitude de respect à l’égard de la décision du tribunal administratif à qui a été déféré par le Parlement le soin de décider de ces questions au mérite.

[75] De fait, les demandeurs ont passé le plus clair de leur temps à prétendre que leur représentation par avocat devant la SAR était déficiente au point où il y aurait eu incompétence.

[76] L’argument des demandeurs quant à l’allégation d’incompétence souffre d’un vice fondamental : il procède de la sagesse rétrospective (« 20/20 hindsight »). Monsieur le juge Russell écrivait dans I.P.P. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 123 au paragraphe 153, que « [l]es demandeurs qui ne sont pas satisfaits d’une décision défavorable blâment souvent ceux qui les ont représentés. Il est facile de porter de telles accusations. La Cour a clairement fait savoir que ceux qui souhaitent invoquer ce motif doivent s’acquitter d’un fardeau important […] ». C’est ainsi que la preuve soumise par qui allègue incompétence professionnelle « doit être si claire et sans équivoque et les circonstances si déplorables que l’injustice causée au requérant crèverait pratiquement les yeux […] » (Parast c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 660 au para 11). Cette déclaration aura fait jurisprudence en notre Cour (Arana Del Angel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 253 [Arana Del Angel] au para 22). Comme le disait le juge LeBlanc dans Arana Del Angel, il faudra des circonstances des plus exceptionnelles.

[77] À mon sens, ma collègue la juge Strickland a encapsulé de façon fort utile les règles qui gouvernent en cette matière dans Gombos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 850 :

[17] Le critère pour répondre aux allégations d’assistance inefficace ou incompétente de l’avocat a été bien défini par la jurisprudence (Zhu c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 626, aux paragraphes 39 à 43). Dans un premier temps, le demandeur doit établir que les actes ou omissions de l’avocat concerné relevaient de l’incompétence et, dans un deuxième temps, qu’une erreur judiciaire en a résulté (R c GDB, 2000 CSC 22, au paragraphe 26 (GDB)). Il incombe au demandeur de prouver les volets relatifs à l’examen du travail et au préjudice pour démontrer qu’il s’est produit un manquement à l’équité procédurale (Guadron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1092, au paragraphe 17). L’incompétence de l’ancien avocat doit ressortir de la preuve de façon suffisamment claire et précise (Shirwa c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 CF 51, au paragraphe 12 (Shirwa); Memari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1196, au paragraphe 36 (Memari)). Il y a également une forte présomption que la conduite de l’avocat se situe à l’intérieur du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable (GDB, au paragraphe 27; Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 269, aux paragraphes 16 et 18). L’incompétence entraînera un manquement à l’équité procédurale seulement dans des « circonstances exceptionnelles » (Shirwa, au paragraphe 13; Memari, au paragraphe 36; Pathinathar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1225, au paragraphe 38; Nizar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 557, au paragraphe 24). En outre, un protocole procédural de la Cour, Concernant les allégations formulées contre les avocats ou contre d’autres représentants autorisés au cours des instances de la Cour fédérale en matière de citoyenneté, d’immigration et de personnes à protéger (le Protocole procédural), établit la procédure que les demandeurs doivent respecter lorsqu’ils allèguent l’incompétence de l’avocat, ce qui comprend la signification d’un avis à l’ancien avocat.

L’incompétence doit donc être établie de façon claire et précise puisque l’avocat est présumé agir à l’intérieur de sa discrétion professionnelle. De plus, il ne suffit pas d’invoquer l’incompétence professionnelle. La sagesse rétrospective n’aura pas bonne presse. Il faut aussi établir le préjudice qui sera tel qu’il est raisonnablement probable que l’issue de l’instance eut été différente.

[78] En l’espèce, les demandeurs n’ont satisfait aucune des conditions. En fin de compte, ils n’ont même pas tenté d’établir préjudice qui aurait mené à une issue différente de l’instance. C’est que le cadre juridique prévalant en matière de possibilité de refuge interne situe la barre à un niveau élevé pour qui se réclame du statut de réfugié, alors que les allégations d’incompétence telles que formulées n’auraient pas fait en sorte que le résultat aurait été différent.

[79] Comme il a été noté lors de la revue des arguments des demandeurs, ils n’ont pas fait une preuve d’incompétence qui soit claire et sans équivoque, au point de sauter aux yeux. J’irais plus loin. On ne peut déceler où serait l’incompétence. De déclarer que la représentante devant la SPR n’était pas compétente, ce que l’avocat aurait dû déceler, n’établit pas l’incompétence de l’une et de l’autre. Il faut plus qu’une déclaration. Ainsi, le demandeur principal avait témoigné devant la SPR au sujet d’allégations selon lesquelles des étrangers auraient été à sa recherche en Algérie à peine quelques jours avant l’audition; son explication était très boiteuse, d’autant qu’il n’avait pas ajusté son narratif au préalable comme il aurait pu le faire, et l’a fait à certains égards mais non au sujet de cette question fondamentale. Pour dire les choses crument, cela pouvait ressembler à une invention récente. La sagesse rétrospective n’établit pas une quelconque incompétence. Ce n’est pas parce que la SPR, puis la SAR, ont conclu que l’omission d’ajuster le narratif au préalable était problématique que cela devient une marque d’incompétence qui mène à la conclusion qu’il est raisonnablement probable que le résultat devant les tribunaux administratifs aurait été différents. À tout prendre, la preuve était remarquablement faible.

[80] De même, les prétentions que l’incompétence proviendrait de l’absence de documentation relative à la « situation objective des femmes libérales en Algérie » ne font pas le poids. Aucune telle preuve quant à la ville où il y avait refuge interne n’existait alors, pas plus d’ailleurs que devant cette Cour. De façon encore plus importante, cette preuve n’établirait pas une persécution que les demandeurs devaient démontrer pour avoir gain de cause sur la possibilité de refuge interne, que ce soit au premier ou au deuxième volet. Qu’il suffise de rappeler qu’il doit s’agir alors de persécution ou d’un péril à la vie ou à la sécurité. Outre des généralités non soutenues par la preuve, rien n’a été présenté qui puisse supporter telle allégation. D’ailleurs, cette allégation semble confondre le statut de réfugié et une demande qui serait présentée sur la base de considérations humanitaires.

[81] L’état de santé du fils tombe dans la même catégorie. On ne parle certes pas de persécution; on devait comprendre fort probablement que la prétention aurait dû être présentée au titre du deuxième volet, à savoir le caractère raisonnable de la possibilité de refuge interne. La jurisprudence de la Cour d’appel fédérale est sans ambiguïté : il faut que la vie soit en péril ou que la sécurité soit en jeu. Non seulement il n’y a aucune preuve à cet effet, mais il n’y avait même pas d’allégation en ce sens. Il est bien évident que le grief qu’il y aurait incompétence du fait qu’aucune preuve de la situation objective en Algérie concernant les malades du type du fils est sans mérite : les demandeurs font une malheureuse confusion des genres. J’ajoute que la preuve tend à démontrer que l’avocat devant la SAR a témoigné ne pas été prévenu de cette situation, alors que les demandeurs avaient le fardeau de la preuve d’en faire la démonstration. Comme indiqué plus haut, il n’était de toute façon pas raisonnable de croire que cette assertion eut pu changer le résultat puisque le fardeau au sujet des deux volets est relativement lourd. De fait, les demandeurs n’ont même pas tenté de démontrer que le résultat aurait été différent.

[82] Il n’y a donc aucun argument qui tienne voulant que l’avocat devant la SAR était incompétent. La preuve à cet effet n’est pas que mince : elle est à mon avis inexistante.

[83] Quant au caractère raisonnable de la décision de la SAR de conclure à possibilité raisonnable de refuge interne, les demandeurs ont invoqué deux « erreurs » : la SAR n’aurait pas tenu compte de la situation objective des femmes en Algérie et il n’existait pas de motifs valables pour remettre en question la crédibilité du témoignage du demandeur principal sur des étrangers dont il ne connaît pas l’identité, mais qui auraient été à sa recherche en Algérie. Ni l’une ni l’autre n’ont quelque mérite.

[84] Les demandeurs ne peuvent pas que soulever des prétendues erreurs : ils doivent plutôt démontrer que la décision n’est pas raisonnable. Pour ce faire, il faut évidemment que ce soit en fonction de la question à décider, soit que les demandeurs ne sont pas réfugiés parce qu’ils bénéficient d’un refuge interne. Ainsi, aucune preuve n’existait d’une persécution dans la ville choisie comme refuge interne. Il faut rappeler qu’il faut persécution, qui n’a jamais été établie par une preuve quelconque.

[85] J’ai déjà traité de la situation objective des femmes en Algérie dans le contexte d’allégation d’incompétence de leur avocat devant la SAR. Dans le contexte de la possibilité de refuge interne, non seulement il n’a pas été démontré que les agents de préjudice pourraient et voudraient retrouver les demandeurs pour leur causer préjudice là où ils trouveraient refuge, mais il n’a aucunement été établi en quoi le refuge dans la ville proposée pourrait avoir le type d’environnement relatif à la situation objective des femmes dont traitent les arrêts Thirunavukkarasu et Ranganathan. Les conditions en ce lieu doivent mettre en péril la vie ou la sécurité et il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de ces conditions. Cette preuve n’a pas été faite. La décision de la SAR quant à la crédibilité du demandeur principal au sujet d’étrangers à sa recherche est justifiée, transparente et intelligible. Non seulement il était moins que plausible que des étrangers, 19 mois après le départ des demandeurs, se manifestent, mais le demandeur principal avait omis de relater le tout dans son FDA et de fournir quelle que corroboration qui aurait pu bonifier leur position. Le fardeau des demandeurs n’a été aucunement déchargé. Le caractère raisonnable de la décision n’a pas été inquiété.

[86] Notre Cour rappelait dans Sani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1337, ce qui suit :

[20] Selon moi, M. Sani cherche à renverser le fardeau de la preuve en ce qui concerne l’établissement ou la négation d’une PRI viable. Il ne revient pas à la SAR d’expliquer pourquoi la PRI proposée serait sûre; il incombe à M. Sani de montrer qu’elle ne l’est pas (Photskhverashvili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 415 au para 32).

[21] La juge Roussel a affirmé ce qui suit au paragraphe 23 de la décision Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 459 :

[23] Les conclusions de la SAR sur l’existence d’une PRI sont essentiellement factuelles et reposent sur son évaluation de l’ensemble de la preuve, incluant la preuve documentaire qui comprend plus que les extraits sur lesquels s’appuient les demandeurs. Elles relèvent de son champ d’expertise et commandent un degré élevé de retenue de la part de cette Cour. À la lumière de l’ensemble de la preuve, la SAR pouvait raisonnablement conclure que le demandeur n’avait pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était à risque dans les villes proposées à titre de PRI. Il n’appartient pas à cette Cour de réévaluer et de soupeser la preuve pour en arriver à une conclusion qui serait favorable aux demandeurs. Son rôle est d’évaluer si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable (Vavilov aux para 99, 125; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59). La Cour estime que c’est le cas.

[22] Essentiellement, M. Sani me demande d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait la SAR et d’arriver à une autre conclusion. Je ne le ferai pas. De plus, je conclus moi aussi que la décision rendue par la SAR en l’espèce possède les caractéristiques d’une décision raisonnable. Par conséquent, je rejetterai la présente demande de contrôle judiciaire.

Je me trouve dans la même situation.

VII. Les dépens

[87] La partie intervenante a requis de la Cour l’imposition de dépens contre les demandeurs ou leur avocat. J’avoue avoir considéré la question sérieusement et avoir été tenté d’en imposer pour sanctionner ce que d’aucuns auraient vu comme de l’insouciance.

[88] Après mûre réflexion, j’ai conclu qu’il était préférable de ne pas en imposer. D’une part, l’avocat doit pouvoir représenter vigoureusement les intérêts d’un client en matière d’immigration sans pour autant agir avec une Épée de Damoclès au-dessus de sa tête et devoir payer les dépens qui viendraient sanctionner son action. Étant donné le caractère exceptionnel de l’imposition de dépens en matière d’immigration, il faut que le comportement soit à la hauteur de l’exception qui requiert les raisons spéciales. D’autre part, il est vrai que certains des commentaires faits en défense des intérêts de ses clients étaient inappropriés. La rhétorique de l’avocat ne peut être un substitut à la qualité des arguments qui sont mesurés en fonction du régime juridique en place et des questions en jeu. La circonspection continue d’être une vertu. Certains commentaires auraient dû être évités. En fin de compte, je ne suis pas satisfait qu’il y a eu mauvaise foi. Il s’agissait en l’espèce d’un enthousiasme mal placé qui aura généré de malheureux débordements. Quant aux demandeurs eux-mêmes, ils ont tenté de faire feu de tout bois. C’était mal avisé. La qualité de leur dossier faisait défaut. La Cour conclut que l’imposition de dépens n’était pas requise pour sanctionner le comportement des demandeurs et de leur avocat.

VIII. Conclusion

[89] Les demandeurs ont présenté deux arguments dans l’espoir de voir la décision de la SAR être renversée. Leur argumentaire au sujet de l’incompétence alléguée de leur avocat devant la SAR faisait défaut alors que la preuve n’était ni précise, ni sans équivoque. La présentation participe davantage de l’insinuation et de la sagesse rétrospective.

[90] Quant à la qualité de la décision de la SAR, les demandeurs devaient en établir le caractère déraisonnable, selon la balance des probabilités. Cela n’a pas été fait. Les « erreurs » soulevées n’en étaient pas, d’autant qu’il fallait mesurer les « erreurs » alléguées à la seule question devant la Cour pour en démontrer les lacunes graves : existait-il une possibilité de refuge interne où les demandeurs, pour avoir gain de cause, ont le fardeau de démontrer qu’ils y subiraient de la persécution et que le refuge sélectionné ne serait pas raisonnable parce que les conditions mettraient en péril leur vie ou leur sécurité. Comme l’écrit la Cour suprême dans Vavilov au paragraphe 100, la cour de révision doit « être convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable ». La décision de la SAR n’a pas été démontrée comme ne satisfaisant pas la norme de la décision raisonnable.

[91] Les parties ont convenu qu’il n’y a pas de question à être certifiée aux termes de l’article 74 de la Loi. La Cour en convient.

 


JUGEMENT au dossier IMM-7473-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

  3. Des dépens ne sont pas adjugés.

« Yvan Roy »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7473-21

 

INTITULÉ :

M.N. et al c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 janvier 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE Roy

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 mai 2023

 

COMPARUTIONS :

Me Dan Bohbot

Pour leS demandeurS

Me Édith Savard

Pour le défendeur

Me Guillaume Cliche-Rivard

POUR L’INTERVENANT

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Dan Bohbot, Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour leS demandeurS

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

Cliche-Rivard, Avocats et Avocates

Montréal (Québec)

POUR L’INTERVENANT

 

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