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Date : 20230512


Dossier : T-1120-22

Référence : 2023 CF 678

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 mai 2023

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

NATALIA MIKOULA

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse a présenté une demande au titre de la Prestation canadienne de relance économique (la PCRE) pour 22 périodes de deux semaines comprises entre le 6 décembre 2020 au 23 octobre 2021. Pour être admissible à cette prestation, elle devait notamment avoir gagné au moins 5 000 $ à titre de revenus d’emploi ou de revenus nets provenant d’un travail indépendant pour l’année 2019 ou 2020, ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle elle a présenté sa demande : voir la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, art 3(1)e).

[2] Après avoir examiné la demande présentée par la demanderesse, un agent de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) a déterminé que la demanderesse ne répondait pas aux critères d’admissibilité de nature financière. La demanderesse a été informée de cette décision dans une lettre datée du 1er décembre 2021. Dans cette lettre, l’ARC informait la demanderesse que, en cas de désaccord, elle pouvait demander un second examen dans un délai de 30 jours à compter de la date de la lettre. L’ARC indiquait également que, si elle demandait un second examen de la décision, la demanderesse devait préciser les raisons de son désaccord et fournir tout nouveau document ou fait pertinent, ou toute nouvelle correspondance pertinente, de même que ses coordonnées et son numéro de téléphone actuels.

[3] La demanderesse a sollicité un second examen. Dans sa demande, elle indiquait avoir trouvé un document pour appuyer sa demande, à savoir un état des résultats de la Financière Manuvie attestant, selon les termes employés par la demanderesse, sa [traduction] « rémunération d’emploi » pour l’année 2019. La demanderesse a joint une copie de ce document à sa demande de second examen. Il y est indiqué que, pour la période se terminant le 15 janvier 2019, la demanderesse a reçu de la Financière Manuvie une rémunération brute de 117 790,96 $. L’état des résultats indique également qu’après déduction de l’impôt fédéral, une somme nette de 82 453,67 $ a été déposée dans le compte bancaire de la demanderesse le 15 janvier 2019. La demanderesse a également fourni ses numéros de téléphone résidentiel et cellulaire avec sa demande de réexamen.

[4] À la lumière des renseignements dont elle disposait, l’agente chargée du second examen n’était pas convaincue que la demanderesse avait touché ces revenus. Ainsi, l’agente a tenté de joindre la demanderesse au numéro de téléphone cellulaire que celle-ci avait fourni, afin de lui poser quelques questions supplémentaires. N’ayant pas réussi à joindre la demanderesse ni à lui laisser un message, et ce, malgré trois tentatives en deux jours, l’agente a conclu que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle satisfaisait aux critères d’admissibilité de nature financière relatifs à la PCRE. La demanderesse a été informée de la décision par laquelle il a été confirmé qu’elle n’était pas admissible à la PCRE dans une lettre datée du 6 mai 2022.

[5] La demanderesse demande maintenant le contrôle judiciaire de cette décision en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7. Elle soutient que la décision est inéquitable sur le plan procédural, étant donné que l’agente chargée du second examen n’a pas déployé suffisamment d’efforts pour obtenir des réponses aux questions supplémentaires qu’elle voulait poser à la demanderesse au sujet des revenus que la Financière Manuvie lui aurait versés. Selon la demanderesse, étant donné que l’agente chargée du second examen n’avait pas réussi à la joindre au moyen de son numéro de téléphone cellulaire, elle aurait dû essayer de la joindre en utilisant son numéro de téléphone résidentiel, qui avait également été fourni. La demanderesse conteste également la conclusion selon laquelle elle n’a pas établi son admissibilité à la PCRE d’un point de vue financier.

[6] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de l’agente chargée du second examen, selon laquelle la demanderesse n’a pas établi qu’elle était admissible à la PCRE d’un point de vue financier, est déraisonnable. L’affaire devra donc être soumise à un nouvel examen. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’analyser l’argument de la demanderesse relatif à l’équité procédurale.

[7] La demanderesse, qui agit pour son propre compte, n’a pas soulevé la question de la norme de contrôle qui devrait s’appliquer à l’examen du bien-fondé de la décision. Le défendeur soutient que la décision devrait être examinée selon la norme de la décision raisonnable, citant Santaguida c Canada (Procureur général), 2022 CF 523, au paragraphe 11. Je suis d’accord. La norme de la décision raisonnable est maintenant la norme présumée s’appliquer dans tous les cas de contrôle des décisions administratives, et il n’y a pas lieu de déroger à cette présomption en l’espèce : voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au para 10.

[8] Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Une décision qui présente ces qualités exige de la cour de révision qu’elle fasse preuve de déférence (ibid). Lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable, la cour de révision n’a pas pour rôle d’apprécier ou d’évaluer de nouveau la preuve prise en compte par le décideur ni de modifier des conclusions de fait en l’absence de circonstances exceptionnelles (Vavilov, au para 125). Avant d’infirmer une décision au motif qu’elle est déraisonnable, la cour de révision doit être convaincue qu’elle « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

[9] Il ressort des notes de l’agente chargée du second examen et de son affidavit, déposé dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, qu’elle avait des réserves, non pas quant à la question de savoir si les revenus déclarés par la demanderesse lui permettaient de bénéficier de la PCRE, mais bien quant à celle de savoir si elle avait effectivement touché ces revenus. Dans son affidavit, elle s’exprime comme suit : [traduction] « Sur la base de l’état des résultats uniquement, je n’ai pas été en mesure de confirmer que la demanderesse a gagné les revenus qu’elle a déclarés ». L’agente chargée du second examen a donc essayé de joindre la demanderesse dans le [traduction] « but de confirmer » que cette dernière avait bien touché les revenus en question. Dans ses notes, l’agente indique qu’elle avait l’intention de demander à la demanderesse [traduction] « des documents permettant de vérifier ces revenus, comme des relevés bancaires, des talons de paie, des feuillets T4, des factures, des copies de chèques ». N’ayant pas été en mesure d’obtenir ces documents (étant donné qu’elle n’a pas pu joindre la demanderesse au numéro que celle-ci avait fourni), l’agente n’était pas convaincue que la demanderesse avait touché les revenus. Elle a donc conclu que la demanderesse n’était pas admissible à la PCRE.

[10] Pour être raisonnable, une décision doit être fondée sur un raisonnement à la fois rationnel et logique (Vavilov, au para 102). Une décision n’est pas raisonnable « [s’]il est impossible de comprendre, lorsqu’on lit les motifs en corrélation avec le dossier, le raisonnement du décideur sur un point central » (Vavilov, au para 103). En outre, la décision doit notamment pouvoir « se justifie[r] au regard des faits » (Vavilov, au para 126). Le décideur « doit prendre en considération la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui a une incidence sur sa décision et celle-ci doit être raisonnable au regard de ces éléments » (ibid).

[11] À mon avis, il était déraisonnable de la part de l’agente chargée du second examen de douter du fait que la demanderesse avait réellement touché les revenus qu’elle a déclaré avoir reçus de la Financière Manuvie, compte tenu des renseignements dont elle disposait. L’agente savait que la demanderesse avait déclaré ces revenus dans sa déclaration fiscale de 2019. Elle savait que la demanderesse avait payé de l’impôt sur ces revenus. Elle savait également que la demanderesse avait déclaré ces revenus à Service Canada dans le cadre de sa demande de prestations d’assurance-emploi, et que le versement de ces prestations avait été retardé en conséquence. Sans vouloir trop m’attarder sur ce point, il est tout simplement incompréhensible que l’agente chargée du second examen ait jugé nécessaire de demander un talon de paie ou une copie d’un chèque de paie, alors que c’est exactement ce que la demanderesse avait déjà fourni sous la forme d’un état des résultats (lequel comprenait la confirmation d’une somme versée par dépôt direct dans le compte bancaire de la demanderesse). Par ailleurs, l’agente n’indique aucunement dans les notes au dossier pourquoi elle a jugé que les renseignements figurant au dossier étaient insuffisants pour démontrer que la demanderesse avait bien touché les revenus en question.

[12] Cette lacune observée dans la décision est grave à un point tel qu’on ne peut pas dire que la décision satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. L’affaire doit donc être soumise à un nouvel examen. Si l’ARC est toujours d’avis qu’une preuve supplémentaire de la réception des revenus en question est nécessaire, la demanderesse doit avoir la possibilité raisonnable de la fournir. Il va sans dire que la demanderesse doit s’assurer que l’ARC dispose d’informations récentes quant à la meilleure façon de communiquer avec elle, au besoin.

[13] Enfin, l’intitulé initial original désigne le ministre du Revenu national à titre de défendeur. Le défendeur qui doit être désigné, en l’espèce, est le procureur général du Canada : voir l’art 303(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Dans le cadre de la présente ordonnance, l’intitulé de la cause est modifié en conséquence.


ORDONNANCE dans le dossier T-1120-22

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. L’intitulé de la cause est modifié de manière à désigner le procureur général du Canada à titre de défendeur.

  2. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  3. La décision de l’Agence du revenu du Canada du 6 mai 2022 est annulée et l’affaire est renvoyée pour nouvelle décision, conformément aux présents motifs.

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1120-22

 

INTITULÉ :

NATALIA MIKOULA c Procureur général du Canada

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 novembre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 mai 2023

 

COMPARUTIONS :

Natalia Mikoula

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Desmond Jung

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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