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Date : 20230419


Dossier : T-1055-21

Référence : 2023 CF 565

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 19 avril 2023

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

FRANCIS HIGHWAY

demandeur

et

NATION CRIE DE PETER BALLANTYNE, TRIBUNAL D’APPEL DE PETER BALLANTYNE, ELIZABETH MICHEL,

RONALD MICHEL JR.,

THOMAS LINKLATER JR., SARAH SWAN ET MYRTLE BALLANTYNE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] Francis Highway [le demandeur] sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 14 juin 2021 par laquelle le tribunal d’appel de la Nation crie de Peter Ballantyne [la NCPB] [le tribunal d’appel] a fait droit à son appel, mais a jugé valide l’élection générale du 13 avril 2021 [l’élection] au motif que les agissements reprochés n’auraient pas pu raisonnablement influer sur son résultat [la décision].

[2] La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II. Aperçu général

A. Point préliminaire

[3] Le dossier relatif à la présente affaire comporte des incohérences. Le dossier certifié du tribunal [le DCT] fourni par la NCPB est lacunaire. Il contient certains renseignements afférents à l’audition de l’appel, comme l’avis d’appel, l’affidavit du demandeur et la lettre d’avocat envoyée au tribunal d’appel. Ces documents ne figurent pas dans le dossier du demandeur. Les parties n’ont soulevé aucune objection quant à l’état du DCT avant l’audience. J’estime que ces trois documents sont utiles, car ils permettent d’inscrire en contexte les éléments soumis au tribunal d’appel. En outre, l’avis d’appel est fiable parce qu’il est directement corroboré par la décision.

[4] Qui plus est, les parties n’ayant pas contre-interrogé les personnes qui ont produit des affidavits au dossier de la Cour, le dossier est d’autant moins étoffé.

B. Contexte

[5] Le demandeur est membre de la NCPB, une « bande » au sens de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5. La NCPB est divisée en sept circonscriptions électorales : Pelican Narrows, Deschambault Lake, Southend, Sandy Bay, Amisk Lake (Denare Beach), Sturgeon Landing et Prince Albert (district urbain).

[6] L’élection a été tenue conformément au code électoral de la NCPB [le code électoral], une loi électorale coutumière adoptée en 2014. Comme nous le verrons de façon détaillée plus loin, l’article 5 du code électoral autorise la tenue du vote par anticipation dans chacune des circonscriptions électorales, et l’article 7 du code électoral institue le tribunal d’appel.

C. Élection générale de 2021

[7] Le 13 avril 2021, la NCPB a tenu une élection pour les postes de chef et de conseillers, dans chacune des circonscriptions électorales. L’élection ne s’est pas déroulée sans heurts dans la circonscription de Pelican Narrows.

[8] Pour assurer la tenue des élections, la NCPB a nommé Burke Ratte au poste de président d’élection. Celui-ci a sélectionné six présidents d’élection adjoints : Serena Ballantyne, Donald Linklater, James Swan, Maureen Linklater, Louise Michelle et Cheryl Michel.

[9] Le demandeur et les défendeurs Elizabeth Michel, Ronald Michel Jr., Thomas Linklater Jr., Sarah Swan et Myrtle Ballantyne [les défendeurs, à titre individuel], se sont portés candidats aux cinq postes de conseillers à pourvoir dans la circonscription de Pelican Narrows. Les défendeurs, à titre individuel, sont ceux qui ont remporté l’élection. Le demandeur a obtenu 10 votes de moins que le conseiller élu qui a obtenu le nombre de votes le moins élevé.

[10] Le 13 avril 2021, le président d’élection a publié un avis intitulé [traduction] « Report du dépouillement du scrutin », selon lequel l’élection dans la circonscription de Sturgeon Landing serait reportée en raison d’une éclosion de COVID-19. L’explication suivante était également donnée dans l’avis : [traduction] « [L]es bulletins de vote déposés relativement à l’élection générale [tenue dans la NCPB] […] ne seront pas dépouillés tant que la réserve de Sturgeon Landing n’aura pas terminé le processus d’élection. »

[11] Le 14 avril 2021, le président d’élection a publié un avis intitulé [traduction] « Annulation des bulletins de vote déposés dans la circonscription de Pelican Narrows lors du vote par anticipation et le jour du scrutin ». Selon l’avis, l’annulation des bulletins de vote était fondée sur le fait qu’un président d’élection adjoint avait dépouillé les bulletins de vote pour les postes de conseillers dans la circonscription de Pelican Narrows les 13 et 14 avril 2021, en contravention à la directive donnée par le président d’élection. De nouvelles dates devaient donc être fixées relativement à l’élection dans la circonscription de Pelican Narrows.

[12] Le 19 avril 2021, le président d’élection a publié un avis intitulé [traduction] « Dates de la tenue du scrutin – NCPB », lequel annonçait deux dates, soit les 26 et 27 avril 2021, relativement à la nouvelle élection devant être tenue dans les circonscriptions de Pelican Narrows et de Sturgeon Landing.

[13] À la même époque, le demandeur a écrit au président d’élection pour demander un recomptage. Dans une lettre datée du 26 avril 2021, le demandeur a expliqué qu’il [traduction] « demandait le recomptage des voix pour les postes de conseillers, relativement au dépouillement du scrutin qui avait eu lieu à la salle de la bande à Pelican Narrows le soir du 13 avril 2021 ». Il a reconnu que la demande de recomptage devait être présentée par écrit [traduction] « dans les quarante-huit (48) heures suivant la fermeture des bureaux de vote » conformément au sous-alinéa 5(l)(xi) du code électoral. Le demandeur ajoutait dans sa lettre : [traduction] « Je crois que le dernier bureau de vote ferme aujourd’hui, le 21 avril 2021, dans la circonscription de Sturgeon Landing, pour l’ensemble des candidats à l’élection tenue dans la Nation de Peter Ballantyne. Je soumets donc, à l’avance, la présente demande de recomptage. » (Non souligné dans l’original.) Le demandeur dit que sa demande a ensuite été rejetée.

[14] Le 25 avril 2021, le juge Grammond a prononcé une injonction interlocutoire interdisant à la NCPB de tenir une nouvelle élection pour les cinq postes de conseillers dans la circonscription de Pelican Narrows, à moins que le tribunal d’appel ne rende une ordonnance à cet égard conformément à l’article 8 du code électoral. Dans l’ordonnance, le juge Grammond a fait remarquer que le code électoral ne conférait pas au président d’élection le pouvoir d’annuler une élection après sa tenue.

[15] Le même jour, le président d’élection a publié un avis selon lequel tous les bulletins de vote déposés pour le poste de chef relativement à l’élection dans la circonscription de Pelican Narrows seraient dépouillés le 27 avril 2021. Par conséquent, le dépouillement du scrutin pour les postes de conseillers dans la circonscription de Pelican Narrows, effectué par le président d’élection adjoint les 13 et 14 avril 2021, était valide. L’élection dans la circonscription de Sturgeon Landing s’est déroulée comme prévu.

[16] Le 28 avril 2021, le président d’élection a publié un rapport dans lequel l’identité du chef et des conseillers élus était confirmée.

D. Appel de 2021

[17] Le 30 avril 2021, conformément au sous-alinéa 8(b)(i) du code électoral, le demandeur a interjeté appel à l’encontre du résultat de l’élection devant le tribunal d’appel. Le demandeur invoquait, dans son affidavit et dans les observations formulées par son avocat, diverses irrégularités procédurales qui auraient pu raisonnablement influer sur le résultat de l’élection.

[18] Le 2 juin 2021, le tribunal d’appel a écrit au demandeur pour l’informer qu’il autorisait la tenue d’une audience le 10 juin 2021. Les membres du tribunal d’appel qui ont présidé l’audience sont Alton Michel (président), Dwayne Seib, Beverly Morin et Candice Michel. La collectivité de Southend n’a pas choisi de membre du tribunal d’appel en raison des objections qu’elle a opposées au processus de sélection.

[19] Le demandeur a invoqué quatre irrégularités procédurales majeures à l’appui de son appel. Premièrement, Maureen Linklater n’était pas habile à agir en qualité de président d’élection adjoint, car elle était une employée de l’école de la NCPB, contrevenant ainsi à l’alinéa 5(e) du code électoral.

[20] Deuxièmement, plusieurs des présidents d’élection adjoints sont des membres de la famille immédiate des candidats à l’élection, et contreviennent ainsi au sous-alinéa 5(h)(xi) et à l’alinéa 2(p) du code électoral. Plus précisément, James Swan, Maureen Linklater, Louise Michelle et Cheryl Michelle sont des membres de la famille immédiate de Sarah Swan. De plus, Serena Ballantyne et Donald Linklater sont mariés et sont membres de la famille immédiate de Thomas Linklater Jr. et de Myrtle Ballantyne.

[21] Troisièmement, des boîtes en carton munies d’attaches autobloquantes ont été utilisées pour recueillir les votes pour les postes de chef et de conseillers plutôt qu’une urne verrouillée en métal, comme l’exigent les sous-alinéas 5(f)(vii) et 5(l)(ii) et l’alinéa 5(m) du code électoral. De plus, en contravention du sous-alinéa 5(l)(iii), le président d’élection, et non un président d’élection adjoint, a apposé ses initiales sur les bulletins de vote.

[22] Enfin, Myrtle Ballantyne flânait à moins de 50 mètres du bureau de vote, contrevenant ainsi au sous-alinéa 5(l)(xii) du code électoral.

[23] Il importe de souligner que dans son avis d’appel, le demandeur n’a rien mentionné au sujet de la façon dont le président d’élection avait traité la demande de recomptage des voix.

III. La décision

[24] Sept témoins ont comparu devant le tribunal d’appel : Serena Ballantyne, Myrtle Ballantyne, Ronald Michelle Jr., Eileen Linklater, Glenda Merasty, Graham Linklater et le demandeur.

[25] Le 14 juin 2021, conformément à l’article 8 du code électoral, le tribunal d’appel a fait droit à l’appel du demandeur, mais a jugé l’élection valide au motif que les agissements reprochés n’auraient pu raisonnablement influer sur son résultat.

[26] Le tribunal d’appel a reconnu que des irrégularités avaient été commises au cours du processus électoral et que des contraventions au code électoral avaient été commises. Cependant, le tribunal d’appel a conclu que, dans l’ensemble, elles [traduction] « n’étaient pas assez graves pour influer sur le résultat de l’élection ».

[27] Il renvoyait dans sa décision à chaque point que le demandeur avait soulevé dans son avis d’appel. Premièrement, le tribunal d’appel a conclu que rien dans la preuve n’étayait l’argument du demandeur portant que les employés de la NCPB qui agissaient en qualité de président d’élection adjoint avaient eu une influence sur le résultat de l’élection, particulièrement compte tenu du fait qu’il était difficile de trouver des présidents d’élection adjoints lors d’élections.

[28] Deuxièmement, le tribunal d’appel a retenu le témoignage de Serena Ballantyne selon lequel aucun membre de sa famille immédiate n’était candidat à l’élection.

[29] Troisièmement, le tribunal d’appel a reconnu que les présidents d’élection adjoints avaient l’obligation d’utiliser des urnes verrouillées en métal, mais il a retenu le témoignage de Serena Ballantyne portant que les boîtes en carton avaient pu constituer un système plus sûr, puisque les présidents d’élection adjoints y avaient apposé leur signature et les avaient scellées au moyen d’une bande de ruban d’emballage. À la vue d’une éventuelle déchirure dans le ruban, les présidents d’élection adjoints auraient su qu’il y avait eu compromission.

[30] Enfin, le tribunal d’appel a examiné la preuve produite au sujet de la flânerie reprochée à Myrtle Ballantyne. Il a fait remarquer que celle-ci habitait directement de l’autre côté de la rue en face du bureau de vote, dont l’emplacement avait été choisi en fonction des mesures de précaution devant être prises relativement à la COVID-19. Par conséquent, il serait déraisonnable de lui imposer des contraintes faisant obstacle à la jouissance de ses biens afin de l’obliger à se conformer aux dispositions applicables à la distance requise. Le tribunal d’appel a conclu que ces agissements n’étaient pas assimilables à une contravention ni à une manœuvre frauduleuse.

[31] La question du recomptage n’a pas été expressément mentionnée dans la décision.

IV. Questions en litige et norme de contrôle

[32] Selon mon examen des observations des parties, les questions en litige sont les suivantes :

  1. L’audition de l’appel a-t-elle satisfait aux règles d’équité procédurale?

  2. La décision était-elle raisonnable?

[33] Le demandeur soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, laquelle vise les questions d’iniquité procédurale et de déni de justice naturelle. Les défendeurs, à titre individuel, sont d’accord avec le demandeur. La NCPB n’a présenté aucune observation au sujet de la norme de contrôle.

[34] À mon avis, les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de contrôle de la décision correcte (Chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (PG), 2018 CAF 69 aux para 49-56; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79). Lors d’un contrôle selon la norme de la décision correcte, il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence envers le décideur (Bois c Nation crie d’Onion Lake, 2020 CF 953 au para 26). Toutefois, la Cour suprême du Canada a fait les remarques suivantes dans son arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] : « L’obligation d’équité procédurale en droit administratif est “éminemment variable”, intrinsèquement souple et tributaire du contexte » (au para 77). Dans le contexte des règles du droit autochtone, le contenu de cette obligation d’équité « dépend des circonstances particulières et du contexte particulier de [l’organe d’appel]. Ce contexte peut et doit englober le respect des cours de justice envers la coutume considérée » (Bruno c Commission d’appel en matière électorale de la Nation Crie de Samson, 2006 CAF 249 au para 20; Labelle c Première Nation Chiniki, 2022 CF 456 aux para 91-92).

[35] Par ailleurs, la décision sur le fond est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. La présomption d’application de la norme de la décision raisonnable n’est pas réfutée en l’espèce (Vavilov, aux para 16-17). Pour savoir si la décision est raisonnable, la cour de révision doit tenir compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous‑jacent à celle‑ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov, aux para 15, 99). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur, et la cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve (Vavilov, aux para 102, 125). Une décision est raisonnable lorsque les motifs du décideur permettent à la Cour de comprendre la décision et de savoir si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Vavilov, aux para 85-86). En revanche, une décision est jugée déraisonnable si elle comporte des lacunes qui sont suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au para 100).

V. Code électoral

[36] Les membres de la famille immédiate sont définis comme suit à l’article 2 du code électoral :

[traduction]
(p) « FAMILLE IMMÉDIATE » Le père, la mère, la sœur, le frère, le grand-père, la grand-mère, l’oncle, la tante, le fils, la fille, le conjoint de fait ou le conjoint marié, y compris la belle-famille.

[37] L’article 5 du code électoral énonce la procédure électorale et la procédure de mise en candidature, y compris les attributions du président d’élection et des présidents d’élection adjoints :

[traduction]
(e) Ne peut être un membre du bureau du président d’élection, une personne employée par la [NCPB] ou ses entités; et ne peut prendre un jour de congé, un jour férié ou un congé temporaire ou démissionner de son poste pour occuper un poste de cette nature, un employé de la [NCPB].

(f) Les membres du bureau du président d’élection :

[…]

(vii) prennent les mesures nécessaires pour obtenir des bulletins de vote préimprimés par des professionnels et des urnes en métal;

[…]

(h) L’ASSEMBLÉE DE MISE EN CANDIDATURE se déroule comme suit :

[…]

(xi) Les présidents d’élection adjoints, les greffiers du scrutin, les commis à l’informatique et le personnel de sécurité seront sélectionnés à la fin des assemblées de mise en candidature tenues dans les collectivités membres ou les réserves. Les personnes sélectionnées pour les postes de présidents d’élection adjoints ne devraient pas être des membres de la famille immédiate d’un candidat à l’élection.

[…]

(l) Les procédures à suivre le JOUR DU SCRUTIN sont les suivantes :

[…]

(ii) Le jour du scrutin, le vote a lieu de 9 h à 20 h, par scrutin secret, au bureau de vote indiqué. Tous les bulletins de vote doivent être placés dans une urne verrouillée en métal.

(iii) Les électeurs se rendent immédiatement à l’isoloir pour marquer les bulletins de vote en y apposant un « X », un crochet « » ou une croix « + » en regard du nom du candidat (ou des candidats) de leur choix. Les électeurs plient ensuite le bulletin de vote de façon à exposer les initiales du membre du bureau du président d’élection et, en quittant l’isoloir, remettent immédiatement le bulletin de vote à cette personne qui, sans replier le bulletin de vote, vérifie ses initiales et dépose immédiatement le bulletin de vote dans l’urne en métal, en présence de l’électeur et de toute autre personne autorisée à être présente au bureau de vote. L’électeur qui, ayant reçu un bulletin de vote, quitte le bureau de vote à la suite de cette réception perd son droit de vote.

[…]

(xi) Un candidat au poste de conseiller a droit au recomptage des voix dans la collectivité visée seulement si l’écart dans le nombre de voix entre les candidats et le conseiller élu est inférieur à vingt (20). La demande de recomptage doit être présentée par écrit dans les quarante-huit (48) heures suivant la fermeture des bureaux de vote.

(xii) Le président d’élection, les présidents d’élection adjoints et les autres membres du bureau du président d’élection veillent à ce que personne ne flâne à proximité des bureaux de vote; ils sont par les présentes habilités à contrôler ou à expulser les flâneurs – y compris les candidats ou leurs représentants. Pour l’application du présent code électoral, les flâneries commises à moins de cinquante (50) mètres du bureau de vote ne sont pas tolérées.

(m) Au départ, toutes les urnes sont vides, scellées d’un sceau numéroté et initialisé, munies d’un dispositif de verrouillage à clé que seul le président d’élection peut ouvrir, puis surveillées minutieusement tout au long de la période de vote.

[…]

(o) Un vote par anticipation est tenu dans chacune des réserves et collectivités désignées [de la NCPB] une journée donnée, de 11 h à 20 h, au moins cinq jours avant l’élection générale. Saskatoon, le district urbain La Ronge (pour le poste de conseiller de la circonscription de Prince Albert (district urbain) seulement) et Kinoosao (pour les postes de conseillers de la circonscription de Southend seulement) auront des bureaux de vote par anticipation seulement. Le nom de tous ceux qui votent par anticipation est saisi dans le système informatique à des fins de surveillance par le personnel électoral, de sorte qu’aucun membre ne pourra voter deux fois dans une collectivité.

[38] L’article 7 porte sur le tribunal d’appel :

[traduction]
7. Le tribunal d’appel est composé d’un membre éligible de chacune des sept (7) collectivités suivantes : Pelican Narrows, Deschambault Lake, Southend, Sandy Bay, Denare Beach, Sturgeon Landing et Prince Albert (district urbain). Les candidats qui obtiennent la majorité simple des voix exprimées par les électeurs lors de l’assemblée de mise en candidature tenue dans chaque collectivité sont élus membres du tribunal d’appel. Il est entendu que chaque collectivité choisit un seul membre du tribunal d’appel. Chaque membre doit avoir une connaissance pratique des politiques et des procédures de l’administration actuelle afin de comprendre le rôle et les responsabilités qui lui incombent en qualité de membre du tribunal d’appel.

[…]

b) Lorsque l’appelant est un membre de la famille immédiate d’un membre du tribunal d’appel, ce dernier s’abstient de participer.

[39] Enfin, l’article 8 énonce la procédure à suivre pour interjeter appel à l’encontre du résultat d’une élection :

[traduction]
(a) Peut interjeter appel à l’encontre du résultat d’une élection dans les vingt (20) jours suivant la date de sa tenue, le candidat qui présente au président d’élection ou à un président d’élection adjoint un avis d’appel dans lequel il expose les moyens d’appel qu’il invoque et auquel il joint son affidavit.

(b) Les seuls moyens d’appel qui peuvent être invoqués sont les suivants :

i. Un agissement contrevenant au présent code électoral, qui a raisonnablement pu influer sur le résultat de l’élection.

ii. Une manœuvre frauduleuse liée à l’élection, qui a raisonnablement pu influer sur le résultat de l’élection.

(c) Le tribunal d’appel a le droit de retenir les services d’un avocat indépendant qui n’est pas un avocat de la NCPB et décide s’il autorise la tenue d’une audience dans les deux (2) semaines suivant l’expiration du délai d’appel de vingt (20) jours.

(d) S’il estime qu’une preuve suffisante justifie l’audition de l’appel, le tribunal ordonne la tenue d’une audience dans les dix (10) jours. Il avise l’appelant et les candidats concernés des date, heure et lieu de l’audience.

(e) L’audience prend la forme d’une séance officielle à laquelle participent les membres du tribunal d’appel, un avocat indépendant, l’appelant et son avocat, ainsi que tout candidat concerné et son avocat. Le tribunal d’appel peut, selon le cas :

i. rejeter l’appel;

ii. faire droit à l’appel, mais juger l’élection valide, au motif que les agissements reprochés n’auraient pas pu raisonnablement influer sur son résultat;

iii. faire droit à l’appel et ordonner la tenue d’une élection partielle dans les trente (30) jours suivant la décision d’accueillir l’appel.

f) La décision du tribunal d’appel est définitive et lie toutes les parties.

[40] Aucune disposition du code électoral n’accorde à quiconque, y compris le président d’élection, le pouvoir de modifier ou d’annuler la procédure électorale.

VI. Question préliminaire

[41] Les défendeurs, à titre individuel, soutiennent que le demandeur est préclus de déposer la présente demande de contrôle judiciaire, car lui et d’autres candidats au poste de conseiller se sont engagés à ne pas interjeter appel du résultat de l’élection. Le 13 avril 2021, le demandeur et d’autres candidats ont signé une entente rédigée en ces termes : [traduction] « Nous, soussignés, candidats aux postes de conseillers, ne tiendrons les membres embauchés pour former le comité électoral responsables du résultat obtenu à la suite du dépouillement qui a lieu ce soir, et il n’y aura aucun appel. » Il convient de rappeler que le président d’élection était censé attendre avant de procéder au dépouillement du scrutin dans la circonscription de Pelican Narrows.

[42] Les observations des défendeurs, à titre individuel, ne sauraient être retenues. Ils n’ont fourni aucune source au soutien de leur thèse. Quoi qu’il en soit, la preuve n’établit aucune circonstance permettant d’appliquer la doctrine de la préclusion promissoire (Centre hospitalier Mont Sina c Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41 au para 45, citant Maracle c Travellers Indemnity Co. of Canada, [1991] 2 RCS 50 à la p 57, 80 DLR (4th) 652). En l’absence de toute observation ou élément de preuve autre qu’une affirmation générale, leur argument ne saurait être retenu.

[43] Je tiens également à faire remarquer que rien au dossier n’indique que l’argument des défendeurs, à titre individuel, quant à la préclusion avait été présenté au tribunal d’appel, et qu’il n’y a aucune mention de l’entente en question dans la décision même. Les défendeurs, à titre individuel, auraient dû soulever ce point devant le tribunal d’appel. De plus, rien dans le code électoral ne permet à quiconque de se soustraire aux dispositions qui régissent l’appel formé à l’encontre d’une élection. Ces éléments constituent d’autres raisons de conclure que l’affirmation des défendeurs, à titre individuel, est infondée.

VII. Analyse

[44] La NCPB a fourni des observations uniquement sur la question des dépens. Par conséquent, l’analyse qui suit est limitée aux observations du demandeur et des défendeurs, à titre individuel.

A. L’audition de l’appel a-t-elle satisfait aux règles d’équité procédurale?

1) Thèse du demandeur

a) Audition de l’appel

[45] La décision était manifestement déraisonnable compte tenu des articles 7 et 8 du code électoral. Par conséquent, le processus d’appel est déraisonnable.

b) Crainte de partialité

[46] Les membres du tribunal d’appel Alton Michel et Dwayne Seib ont commis un manquement pour cause de partialité, suscitant une crainte raisonnable de partialité (Johnny c Bande indienne d’Adams Lake, 2017 CAF 146; Committee for Justice and Liberty Tribunal c Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, 68 DLR (3d) 716). Les membres de la famille d’Alton Michel ont joué un rôle dans l’élection et il a présenté un candidat défait au poste de chef. Dwayne Sieb a publié plusieurs fois sur Facebook avant l’élection des messages dans lesquels il exprimait son appui à Serena Ballantyne et son mépris à l’égard du déroulement de l’élection.

2) Thèse des défendeurs, à titre individuel

a) Audition de l’appel

[47] Le tribunal d’appel a respecté les règles d’équité procédurale lors de l’audition de l’appel. Le tribunal d’appel a bien appliqué la procédure en deux étapes prescrite à l’article 8 du code électoral et, après avoir déterminé qu’une preuve suffisante justifiait la tenue d’une audience, il a entendu tous les témoins, a autorisé la tenue de contre-interrogatoires, a admis les pièces et a rendu une décision détaillée et logique (Lecoq c Nation crie de Peter Ballantyne, 2020 CF 1144 aux para 42-51 [Lecoq]).

[48] Le tribunal d’appel a également examiné les éléments de preuve liés aux irrégularités commises au cours du processus électoral et aux contraventions au code électoral, mais il a néanmoins conclu qu’elles n’étaient pas assez importantes pour influer sur le résultat de l’élection.

[49] Enfin, les irrégularités et contraventions étaient des erreurs administratives (Opitz c Wrzesnewskyj, 2012 CSC 55 au para 2 [Opitz]). L’article 8 du code électoral tient précisément compte de la possibilité que de telles erreurs se produisent au cours d’une élection. Toutefois, pour invalider une élection, ces erreurs doivent influer sur son résultat. Ce n’est pas ce qui s’est produit en l’espèce.

b) Crainte de partialité

[50] Le demandeur n’est pas autorisé à soulever la question de la partialité, car il ne l’a pas fait lors de l’audition d’appel. Aucune circonstance se rapportant à l’un ou l’autre des membres du tribunal d’appel, par exemple des récusations antérieures ou un emploi commun, ne donne lieu à une crainte de partialité (Lecoq, au para 57).

3) Conclusion

a) Audition de l’appel

[51] J’estime que l’audition de l’appel était conforme aux règles d’équité procédurale, compte tenu de l’ensemble des circonstances (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux p 837-841).

[52] Dans la décision Lecoq, j’ai conclu que la procédure appliquée au tribunal d’appel comportait un aspect judiciaire, qui commandait un degré plus élevé d’équité procédurale (au para 46). J’ai également conclu que le tribunal d’appel devait veiller à ce qu’il y ait une certaine cohérence dans sa procédure de manière à obtenir la confiance de la collectivité et de créer un ensemble de décisions fiables faisant jurisprudence qui pourront être invoquées dans des instances à venir (au para 50).

[53] En l’espèce, le tribunal d’appel a bien appliqué la procédure d’appel en deux étapes lors de l’audition de l’appel (McCallum c Nation crie Peter Ballantyne, 2019 CF 898 au para 39 [McCallum]). La procédure qu’il a suivie est exposée dans sa décision. Premièrement, le tribunal d’appel a conclu que des motifs suffisants justifiaient l’audition de l’appel. Deuxièmement, à l’audience, le tribunal d’appel a entendu sept témoins – dont le demandeur–, a autorisé la tenue de contre-interrogatoires et a admis des pièces. La Cour reconnaît qu’aucune formalité précise n’est prescrite. Toutefois, « [c]e qui est nécessaire, c’est la capacité de vérifier la preuve fournie par les témoins » (Lecoq, au para 48). Rien n’indique qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale lors de l’audition de l’appel.

[54] De plus, rien au dossier ne permet de croire que le demandeur a contesté la procédure que le tribunal d’appel a appliquée lors de l’audition de l’appel. Il n’est pas suffisant, de la part du demandeur, d’affirmer simplement, sans plus, que le processus d’appel était déraisonnable parce que la décision était manifestement déraisonnable compte tenu des articles 7 et 8 du code électoral, pour faire annuler la décision sur ce fondement.

[55] Je traiterai dans la partie de mes motifs qui portent sur le caractère raisonnable de la décision des autres observations que les défendeurs, à titre individuel, ont présentées au sujet de la nature administrative des irrégularités dans le processus électoral et des contraventions au code électoral.

b) Crainte de partialité

[56] Il n’est pas nécessaire d’appliquer le critère qui permet d’établir l’existence d’une crainte raisonnable de partialité, car le demandeur n’a pas soulevé cet argument devant le tribunal d’appel. La jurisprudence indique clairement que les allégations de partialité et d’iniquité procédurale doivent être soulevées à la première occasion; à défaut, le demandeur ne peut les soulever lors du contrôle judiciaire (Muskego c Comité d’appel de la Nation crie de Norway House, 2011 CF 732 au para 42 [Muskego]; Hennessey c Canada, 2016 CAF 180 au para 20 [Hennessey], citant Affaire intéressant le Tribunal des droits de la personne et Énergie atomique Canada Ltée, [1986] 1 CF 103 à la p 113 (CA) [Énergie atomique]; McCallum, au para 54). La Cour a donné les explications suivantes dans l’arrêt Muskego :

[42] Il est bien établi que les questions d’équité procédurale doivent être soulevées à la première occasion par la partie concernée. L’omission de le faire constitue une renonciation tacite : voir, par exemple, la décision de la Cour dans Kamara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 448 :

[26] […] La jurisprudence de la Cour est claire : les questions de cette nature, qui portent sur l’équité procédurale, doivent être soulevées à la première occasion. Or, la demanderesse en l’espèce ne s’est plainte en aucun moment. Son défaut de formuler une objection au stade de l’audience équivaut à une renonciation tacite relativement à tout manquement perçu à l’équité procédurale ou à la justice naturelle. Voir Restrepo Benitez et al c. MCI, 2006 CF 461 (CanLII), 2006 CF 461 aux paragraphes 220 et 221, 232 et 236, et Shimokawa c MCI, 2006 CF 445 (CanLII), 2006 CF 445 aux paragraphes 31 et 32 où la Cour cite l’arrêt Geza c. MCI, 2006 CAF 124 (CanLII), 2006 CAF 124 au par. 66.

[57] La première occasion se présente « lorsque le demandeur est informé des renseignements pertinents et qu’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il soulève une objection » (Benitez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461 au para 220, conf par 2007 CAF 199).

[58] La raison qui sous-tend l’obligation de soulever ces allégations à la première occasion est qu’il faut donner à la première instance, comme le tribunal d’appel, « la chance d’aborder la question avant qu’il n’en résulte un préjudice, d’essayer de réparer tout préjudice causé ou de s’expliquer » (Hennessey, au para 21). Une partie, « ne peut garder en réserve un motif procédural pour le brandir plus tard dans le cadre d’un contrôle judiciaire si elle est insatisfaite de la décision de première instance » (Sharma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 381 au para 31; Hennessey, au para 21).

[59] En l’espèce, le tribunal d’appel a pris acte des préoccupations du demandeur concernant la participation à l’audience du membre du tribunal d’appel Donald Linklater, en raison de sa relation conjugale avec Serena Ballantyne, une présidente d’élection adjointe. Donald Linklater s’est récusé sans protester avant le début de l’audience.

[60] Toutefois, rien dans la décision ne vise des arguments sur la partialité que le demandeur soulève aujourd’hui à l’étape du contrôle judiciaire. Le demandeur aurait dû soulever ses préoccupations au sujet de la participation d’Alton Michel et de Dwayne Seib lorsqu’il a exposé ses préoccupations au sujet de Donald Linklater (Première Nation d’Ahousaht c Canada, 2021 CAF 135 au para 39). L’ensemble de la démarche du demandeur devant le tribunal d’appel – y compris la convocation de témoins et la présentation d’observations – constituait une renonciation tacite à reprocher aux membres du tribunal d’appel qui présidaient l’audience d’avoir fait preuve de partialité (Énergie atomique, au para 5).

B. La décision était-elle raisonnable?

1) Thèse du demandeur

[61] Les irrégularités et les contraventions reconnues par le tribunal d’appel auraient pu influer sur le résultat de l’élection.

[62] De plus, le tribunal d’appel n’a pas tenu compte des éléments de preuve concernant le défaut du président d’élection de se conformer au sous-alinéa 5(l)(xi) du code électoral, qui a rejeté la demande de recomptage présentée par le demandeur. La fermeture des bureaux de vote a eu lieu le ou vers le 26 avril 2021 dans la circonscription de Sturgeon Landing, pour l’ensemble de l’élection. Par conséquent, la demande de recomptage, datée du 26 avril 2021, a été présentée dans le délai de 48 heures prescrit par le code électoral.

2) Thèse des défendeurs, à titre individuel

[63] Les arguments du demandeur ne sont étayés par aucun élément de preuve. Le tribunal d’appel a tenu compte de l’ensemble de la preuve qui lui avait été présentée lorsqu’il a rendu sa décision (Lecoq, aux para 68-72).

[64] La fermeture des bureaux de vote dans la circonscription de Pelican Narrows a eu lieu le 13 avril 2021 et le dépouillement du scrutin a été effectué le 14 avril 2021. Le demandeur a convenu avec les autres candidats qu’ils accepteraient le résultat obtenu à la suite du dépouillement initial effectué le 13 avril 2021. Conformément au sous-alinéa 5(l)(xi) du code électoral, la demande de recomptage des voix faite par le demandeur aurait dû être présentée au plus tard le 16 avril 2021.

3) Conclusion

[65] Les motifs du décideur ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Le fait que le décideur ne fasse pas référence à tous les arguments ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire ne constitue pas un fondement justifiant à lui seul d’infirmer la décision (Vavilov, au para 91).

[66] Le contrôle d’une décision administrative ne saurait non plus être dissocié du cadre institutionnel dans lequel elle a été rendue (Vavilov, au para 91). Il s’ensuit que, pour évaluer le caractère raisonnable de la décision, il convient de faire preuve de déférence envers les décideurs autochtones, car ils sont les mieux placés pour comprendre leurs traditions juridiques (Lecoq, au para 69; Pastion c Première nation Dene Tha’, 2018 CF 648 au para 22).

[67] Je reconnais que les tribunaux ne devraient pas annuler les élections des Premières Nations uniquement en raison d’erreurs administratives. Comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Opitz, « [s]i les élections peuvent être facilement annulées sur la base d’erreurs administratives, la confiance du public dans le caractère définitif et la légitimité des résultats électoraux s’en trouvera affaiblie. Seules des irrégularités influant sur le résultat de l’élection et entachant par le fait même l’intégrité du processus électoral justifient l’annulation d’une élection » (au para 2).

[68] Je suis d’accord avec les défendeurs, à titre individuel, pour dire que selon ses motifs de décision, l’historique et le contexte de l’instance, le tribunal d’appel a tenu compte de tous les éléments de preuve concernant les irrégularités commises dans le processus électoral et les contraventions aux alinéas 5(e), (f), (h), (l) et (m) du code électoral. Certaines dispositions sont mal citées, mais la décision montre clairement que le tribunal d’appel s’est appuyé sur les observations des parties et les témoignages et qu’il les a évalués pour tirer des conclusions sur chacune des irrégularités procédurales dénoncées par le demandeur.

[69] Après avoir examiné la preuve, le tribunal d’appel a conclu que, conformément au sous-alinéa 8(e)(ii) du code électoral, les contraventions et les irrégularités n’auraient pas pu raisonnablement influer sur le résultat de l’élection. Il était tout à fait loisible au tribunal d’appel d’en arriver à cette conclusion. Par conséquent, le raisonnement du tribunal d’appel ne me pose pas problème.

[70] S’agissant de l’argument du demandeur quant à sa demande de recomptage, je remarque que les défendeurs, à titre individuel, ne se sont pas opposés aux observations sur cette question. J’en déduis que les parties ont dû s’exprimer sur ce point à l’audience devant le tribunal d’appel, même si le tribunal d’appel n’a rien mentionné à cet égard dans sa décision.

[71] À mon avis, le libellé du sous-alinéa 5(l)(xi) du code électoral permet vraisemblablement de tenir pour acquis que, dans des circonstances normales, la [traduction] « fermeture des bureaux de vote » devait avoir lieu le même jour dans chacune des sept circonscriptions électorales. Ce jour devait être le 13 avril 2021. Cependant, comme nous l’avons vu précédemment, les élections ne se sont pas déroulées comme prévu. Le dépouillement du scrutin dans la circonscription de Pelican Narrows devait avoir lieu les 13 et 14 avril 2021, ce qui fut le cas. Le code électoral ne conférait pas au président d’élection le pouvoir de modifier le processus énoncé dans le code électoral au moyen de l’avis qu’il a publié le 13 avril 2021 pour annoncer le report du dépouillement du scrutin, de l’avis qu’il a publié le 14 avril 2021 pour annoncer l’annulation du dépouillement, ou l’avis qu’il a publié le 19 avril 2021 pour annoncer les nouvelles dates pour la tenue de l’élection dans les circonscriptions de Pelican Narrows et de Sturgeon Landing. On ne saurait s’étonner que ces avis aient semé la confusion. L’avis du 25 avril 2021 – dans lequel le président d’élection disait que, compte tenu de l’ordonnance du juge Grammond, seuls les bulletins de vote pour le poste de chef seraient dépouillés le 27 avril 2021 à la fermeture des bureaux de vote dans la circonscription de Sturgeon Landing – a ajouté à la confusion. Toutefois, le dépouillement du scrutin pour les postes de conseillers dans la circonscription de Pelican Narrows tenu les 13 et 14 avril 2021 a été jugé valide.

[72] La demande de recomptage des voix présentée par le demandeur relativement au dépouillement du scrutin qui avait eu lieu le 13 avril 2021 est datée du 26 avril 2021. Or, dans sa lettre, le demandeur dit croire que la fermeture du bureau de vote dans la circonscription de Sturgeon Landing doit avoir lieu [traduction] « aujourd’hui, le 21 avril 2021 ». Sa demande de recomptage était donc présentée hâtivement. À l’audience, son avocat a dit que le 26 avril 2021 était la bonne date de la lettre. Toutefois, comme cela a déjà été souligné, le dossier comporte des incohérences que la Cour n’est pas en mesure d’expliquer en raison de l’état du dossier.

[73] Si le tribunal d’appel avait tenu compte de ces faits parallèlement à l’ordonnance du juge Grammond, il aurait très bien pu conclure qu’il était logique de la part du demandeur d’attendre jusqu’au 26 avril 2021 pour demander le recomptage des voix pour les postes de conseillers dans la circonscription de Pelican Narrows et, par conséquent, que ce recomptage aurait dû être effectué. Toutefois, comme l’ordonnance du juge Grammond faisait obstacle à la tenue d’une nouvelle élection pour les cinq postes de conseillers dans la circonscription de Pelican Narrows, le tribunal d’appel aurait également pu conclure que le demandeur aurait dû présenter sa demande de recomptage au plus tard le 16 avril 2021, conformément au sous-alinéa 5(l)(xi) du code électoral. La Cour ne sait pas de quels éléments le tribunal d’appel a tenu compte, car rien dans sa décision n’en fait état.

[74] L’alinéa 8(e) du code électoral énonce expressément que le tribunal d’appel doit tirer ses conclusions selon [traduction] « les agissements reprochés » (McCallum, au para 101). Dans la décision McCallum, la juge Strickland a expliqué que le libellé de l’alinéa 8(e) du code électoral s’appliquait à la fois aux moyens invoqués dans l’avis d’appel du demandeur et aux témoignages que le tribunal d’appel avait entendus (au para 101). Comme cela a été souligné précédemment, il semble que les parties reconnaissent, de part et d’autre, qu’elles se sont exprimées sur la demande de recomptage des voix au même moment que les autres moyens d’appel invoqués par le demandeur. L’agissement en question était visé par le moyen d’appel général prévu au sous-alinéa 8(b)(i) du code électoral, qui relève de la fonction juridictionnelle du tribunal d’appel énoncée à l’alinéa 8(e) du code électoral.

[75] Dans l’ensemble, le tribunal d’appel n’a pas expliqué comment il avait tenu compte des observations du demandeur sur ce point, l’importance qu’il leur avait accordé, ni pourquoi il ne les avait pas retenues. Par conséquent, la décision n’est ni justifiable, ni transparente, ni intelligible; ni n’est-elle justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques qui ont une incidence sur elle (Vavilov, au para 99).

VIII. Conclusion et mesures de réparation

[76] Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Le tribunal d’appel n’a pas porté atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale, mais il a rendu une décision déraisonnable parce qu’il n’a pas tenu compte de la demande de recomptage des voix qu’avait présentée le demandeur. Vu cette conclusion, je me pencherai maintenant sur la question des mesures de réparation.

[77] Il est de droit constant que les mesures de réparation sont discrétionnaires lors d’un contrôle judiciaire. Le facteur prépondérant à prendre en compte pour décider s’il y a lieu d’accorder une mesure de réparation réside dans la confiance des membres de la NCPB à l’endroit du processus électoral lui-même (Poker c Première Nation des Innus Mushuau, 2012 CF 1 au para 30; Ledoux c Première Nation de Gambler, 2019 CF 1465 au para 23). À mon avis, ce facteur est particulièrement pertinent dans le cas d’un litige électoral où un vote serré est en jeu, comme c’était le cas en l’espèce.

[78] Rien au dossier n’indique si des bulletins de vote ont été rejetés ou jugés inutilisables lors du dépouillement initial, mais il est présumé qu’un recomptage des voix nécessiterait un examen encore plus minutieux des bulletins de vote, ce qui pourrait révéler que des erreurs ont été commises lors du dépouillement initial. Je ne dis pas que de telles erreurs se sont produites dans la présente affaire, mais cette possibilité n’a pas été examinée par le tribunal d’appel, ou du moins un tel examen ne ressort pas de sa décision.

[79] Renvoyer l’affaire au tribunal d’appel permettra d’examiner à fond la question du recomptage des voix. Rien dans le dossier qui m’a été présenté n’indique que le tribunal d’appel n’examinerait pas cette question avec un esprit ouvert. Permettre au tribunal d’appel d’examiner cette question de manière plus approfondie aidera, à mon avis, les membres de la NCPB à avoir confiance dans le système électoral.

[80] Seuls les défendeurs ont présenté des observations détaillées sur la question des dépens. La NCPB défenderesse soutient qu’il n’y a pas lieu d’adjuger les dépens au demandeur, que celui-ci ait gain de cause ou non. Subsidiairement, la NCPB défenderesse sollicite une ordonnance obligeant chaque partie à assumer ses dépens. Également à titre subsidiaire, les dépens adjugés à l’encontre des défendeurs devraient être limités à 2 500 $ et ne devraient pas être entièrement assumés par la NCPB.

[81] Les défendeurs, à titre individuel, sollicitent les dépens sous la forme d’une somme globale. Subsidiairement, ils sollicitent une ordonnance enjoignant à la NCPB défenderesse de leur rembourser leurs frais (Knebush c Maygard, 2014 CF 1247 aux para 57-61).

[82] Le demandeur est le seul à ne pas avoir présenté des observations détaillées sur la question des dépens.

[83] Dans les circonstances, j’autoriserai le demandeur à présenter des observations détaillées sur la question des dépens. Les défendeurs pourront ensuite présenter des observations supplémentaires après avoir examiné celles du demandeur.


JUGEMENT dans le dossier no T-1055-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est déraisonnable parce qu’elle ne tient pas compte de la demande de recomptage des voix présentée par le demandeur.

  2. L’affaire est renvoyée au tribunal d’appel pour nouvelle décision.

  3. Le demandeur fournira des observations sur la question des dépens dans les 21 jours de la présente ordonnance. Les défendeurs pourront ensuite fournir des observations supplémentaires en réponse à celles du demandeur, dans les 14 jours suivant la réception des observations du demandeur.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Brisebois


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-1055-21

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

FRANCIS HIGHWAY c NATION CRIE PETER BALLANTYNE, TRIBUNAL D’APPEL PETER BALLANTYNE, ELIZABETH MICHEL, RONALD MICHEL JR., THOMAS LINKLATER JR., SARAH SWAN ET MYRTLE BALLANTYNE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Saskatoon (Saskatchewan)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 septembre 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 19 avril 2023

COMPARUTIONS :

Kellie Wuttunee

Pour le demandeur

 

Anil Pandila

Pour les défendeurs

(NATION CRIE DE PETER BALLANTYNE,

TRIBUNAL D’APPEL DE PETER BALANTYNE)

 

Peter Abrametz

POUR LES DÉFENDEURS

(ELIZABETH MICHEL, RONALD MICHEL JR.,

THOMAS LINKLATER JR., SARAH SWAN ET MYRTLE BALLANTYNE)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wuttunee Law Office

Pour le demandeur

 

Pandila & Co.

Pour les défendeurs

(NATION CRIE DE PETER BALLANTYNE,

TRIBUNAL D’APPEL DE PETER BALANTYNE)

 

 

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