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Date : 20230301


Dossier : T-1862-17

Référence : 2023 CF 289

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er mars 2023

En présence de la juge adjointe Mireille Tabib

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION, ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeurs

et

BOZO JOZEPOVIC

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

[1] Le défendeur, Bozo Jozepovic, a déposé la présente requête en vue de contraindre les demandeurs (le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) à fournir, aux frais de l’État, les services d’un interprète qui parle couramment l’anglais et le serbo-croate pour l’aider tout au long de l’instruction. L’instruction doit débuter le 6 mars 2023 et durera 26 jours. À titre subsidiaire, le défendeur sollicite une ordonnance de provision pour frais en sa faveur pour lui permettre de payer ces services. J’ai instruit la requête le 16 février 2023 et rendu une ordonnance le 17 février 2023, dans laquelle j’ai rejeté la requête pour des motifs qui seraient exposés ultérieurement. Voici les motifs de cette ordonnance.

[2] La question en litige dans la présente action est celle de savoir si le défendeur, Bozo Jozepovic, a obtenu la citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen de fausses déclarations ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels concernant sa participation à des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité.

[3] La preuve révèle que M. Jozepovic ne maîtrise pas suffisamment le français ou l’anglais pour participer pleinement et efficacement à sa défense au procès. Les demandeurs reconnaissent également que l’article 14 de la Charte s’applique dans une instance comme celle en l’espèce, où le défendeur risque de voir sa citoyenneté canadienne révoquée.

L’article 14 prévoit ce qui suit :

14 La partie ou le témoin qui ne peuvent suivre les procédures, soit parce qu’ils ne comprennent pas ou ne parlent pas la langue employée, soit parce qu’ils sont atteints de surdité, ont droit à l’assistance d’un interprète.

14 A party or witness in any proceedings who does not understand or speak the language in which the proceedings are conducted or who is deaf has the right to the assistance of an interpreter.

[4] Toutefois, les demandeurs font valoir qu’exiger que le gouvernement paie le coût des services d’interprétation n’est pas un droit général qui découle de l’article 14 de la Charte. Ils affirment que, dans un cas comme celui en l’espèce, il est justifié pour l’État de payer les services d’un interprète seulement si le défendeur démontre qu’il n’est pas en mesure d’en assumer le coût.

[5] Le défendeur est d’avis que le droit à l’assistance d’un interprète garanti par l’article 14 est absolu et sans restriction et que, quoi qu’il en soit, il a démontré qu’il n’est pas en mesure d’assumer le coût de ces services.

[6] Par conséquent, les questions à trancher en l’espèce se limitent aux suivantes :

  1. L’article 14 de la Charte impose‐t‐il au gouvernement l’obligation constitutionnelle positive de fournir des services d’interprétation sans frais dans une instance comme celle‐ci?

  2. Dans la négative, le défendeur a‐t‐il établi qu’il n’est pas en mesure de payer les services d’interprétation, de façon à obliger le gouvernement à fournir l’assistance d’un interprète?

I. La portée de l’article 14

[7] L’arrêt de principe sur l’article 14 de la Charte est l’arrêt Tran c R, [1994] 2 RCS 951 [Tran]. Selon le défendeur, cet arrêt appuie la proposition que, suivant l’article 14 de la Charte, l’État a l’obligation positive de trouver un interprète pour la partie au litige qui le demande, et de retenir et payer ses services, sans que cette dernière ait à démontrer un besoin financier. Toutefois, dans l’arrêt Tran, la Cour suprême a apporté une réserve importante :

J’aimerais avant tout préciser que l’analyse qui suit de l’art. 14 de la Charte porte spécifiquement sur le droit d’un accusé dans le cadre de procédures criminelles et ne doit pas être considérée comme ayant nécessairement une application plus générale. En d’autres termes, je ne me prononcerai pas pour le moment sur la possibilité qu’il soit nécessaire d’établir et d’appliquer des règles différentes à d’autres situations qui tombent à bon droit sous le coup de l’art. 14 de la Charte ‐‐ par exemple, lorsque les procédures en question sont de nature civile ou administrative.

[8] En effet, dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Phan, 2003 CF 1194 [Phan], une affaire de révocation de citoyenneté très semblable à celle qui nous occupe, notre Cour était saisie d’une requête préliminaire dans laquelle le demandeur demandait à l’État de payer ses services d’interprétation. Elle a conclu que la principale obligation d’une partie à un litige qui requiert les services d’un interprète est celle de payer les honoraires de cet interprète, mais que lorsque la Cour est convaincue que la partie ne peut pas payer les frais applicables, elle pourrait ordonner à la Couronne de le faire [Phan, aux para 44‐45].

[9] Le défendeur fait valoir que la décision Phan ne devrait pas être suivie, car la Cour n’a pas tenu compte des enseignements de l’arrêt Tran lorsqu’elle a tiré sa conclusion. Je ne suis pas de cet avis. Dans la décision Phan, la Cour n’a peut‐être pas cité précisément l’arrêt Tran, mais cela ne veut pas dire qu’elle n’en a pas tenu compte ou qu’elle ignorait son existence. Comme je l’ai mentionné, la Cour suprême a expressément indiqué que l’applicabilité de l’arrêt Tran se limite aux droits d’un accusé dans un procès criminel. En effet, la Cour suprême dans cet arrêt a défini l’objet de l’article 14 à la lumière des droits garantis aux articles 8 à 14 de la Charte, qu’elle a considérés comme des composantes du droit général protégé par l’article 7. Elle a conclu ce qui suit à l’alinéa g de la page 967 : « En réalité, le lien étroit qui existe entre l’art. 14 et ces autres garanties de la Charte laisse entendre que le droit à l’assistance d’un interprète dans le contexte criminel devrait être considéré comme un “principe de justice fondamentale” au sens de l’art. 7 de la Charte. »

[10] Dans la décision Phan, le juge a reconnu que l’article 14, bien qu’il « vise [...] principalement » les affaires criminelles, s’applique tout de même aux instances civiles judiciaires et aux instances quasi judiciaires. L’applicabilité de l’article 14 n’était pas en litige. La question dont la Cour était saisie consistait plutôt à savoir si cette disposition établissait un droit à des services d’interprétation aux frais de l’État. La Cour a conclu que, dans des instances civiles ou quasi judiciaires, le fait de laisser la responsabilité de payer les honoraires d’un interprète à la partie qui en requiert les services ne constitue pas une violation de son droit à un procès équitable, pourvu qu’il n’ait pas été démontré qu’elle est incapable d’en assumer le coût.

[43] Cela dit, il est bien établi que le droit prévu à l’article 14 de la Charte n’est pas un droit absolu. Dans l’arrêt Roy c. Hackett [(1987), 1987 CanLII 4212 (CA Ont)], M. le juge Lacourcière, au nom de la cour, a souligné ce point à la page 426. En même temps, il a fait remarquer ce qui suit à la page 425 :

Il ne fait aucun doute que le droit à un procès équitable n’est pas limité aux instances pénales, mais qu’il s’applique aussi aux instances où la procédure est quasi judiciaire, comme en l’espèce [...].

[Renvoi omis.]

Je suis convaincu que le présent renvoi est une instance « quasi judiciaire » au sens où le juge Lacourcière a employé ce terme.

[44] Dans la décision Wyllie c. Wyllie [1987 CanLII 2877 (CS C-B)], M. le juge Skipp, après avoir renvoyé à l’alinéa 2g) de la Déclaration canadienne des droits et à l’article 14 de la Charte, a conclu ce qui suit :

[traduction]

Je suis d’avis que suivant l’article 14 de la Charte, les parties à un litige dans une instance en matière civile « ont droit à l’assistance d’un interprète ». Je suis en outre d’avis que la principale obligation d’une partie à un litige qui requiert les services d’un interprète est celle de payer les honoraires de cet interprète et, par conséquent, je refuse d’accorder l’ordonnance que le demandeur tentait d’obtenir.

La question qui reste sans réponse est celle de savoir s’il existe une obligation de la cour ou de la Couronne de payer les honoraires d’un interprète dans une instance en matière civile lorsque la cour est convaincue que la partie au litige ne peut pas payer les frais applicables. Le libellé de l’article 14 est tranchant et non équivoque et il est fort possible que la cour rende une ordonnance à cet égard en se fondant sur le fait que la partie au litige est démunie.

[45] Je fais mienne la conclusion du juge Skipp. Je ne disposais d’aucun élément de preuve démontrant que le défendeur était démuni. Dans les circonstances, la question restée sans réponse à la suite de la décision Wyllie c. Wyllie, reste toujours sans réponse.

[11] Je ne vois pas en quoi la conclusion selon laquelle l’article 14 ne protège pas le droit à l’assistance d’un interprète rémunéré par l’État dans des affaires non pénales si le besoin financier n’est pas démontré va à l’encontre des enseignements de l’arrêt Tran. Des conclusions semblables ont été tirées, quoique dans des instances de nature différente, dans les décisions Filgueira c Garfield Container Transport Inc., 2006 CF 785 aux paragraphes 34, 38 et 39, Royal Bank of Canada v Welton, 2009 CanLII 55356 (CS Ont) aux paragraphes 6 et 7 et McCullock Finney c Canada (Procureur général), 2009 QCCS 4646 aux paragraphes 90 à 93. En effet, les droits protégés par la Charte ne garantissent pas tous le droit d’obtenir les moyens de les exercer aux frais de l’État, sans égard aux besoins financiers (voir par exemple R c Prosper [1994] 3 RCS 236 à la p 238).

[12] L’argument du défendeur selon lequel l’article 14 de la Charte confère un droit inconditionnel à l’assistance d’un interprète rémunéré par l’État part du principe que le droit protégé par cet article a été reconnu comme un « droit positif » plutôt qu’un droit négatif. Les droits négatifs sont décrits comme des garanties de non‐intrusion, où la violation découle de l’intervention directe de l’État. En revanche, l’État peut porter atteinte à un droit positif par une simple inaction de sa part ou en ne mettant pas en place les conditions nécessaires à son exercice. Selon le défendeur, puisque l’article 14 confère un droit positif aux services d’un interprète, l’État a l’obligation de lui donner, à ses frais, les moyens de l’exercer. L’argument du défendeur est mal fondé pour deux raisons principales.

[13] Premièrement, aucune décision n’appuie la proposition que le droit protégé par l’article 14 a été reconnu comme un droit général positif dans toutes les circonstances. Comme je l’ai mentionné plus haut, l’analyse et les conclusions dans l’arrêt Tran s’appliquent aux affaires pénales. L’autre décision sur laquelle le défendeur s’appuie est l’opinion dissidente de la juge Arbour dans l’arrêt Gosselin c Quebec (Procureur général), 2002 CSC 84 aux paragraphes 319 et 320. Toutefois, ce passage indique uniquement que « le droit à l’assistance d’un interprète dans des procédures pénales » impose une obligation positive. Le défendeur n’a invoqué aucune décision dans laquelle le droit inconditionnel aux services d’un interprète a été reconnu dans des procédures civiles ou non pénales.

[14] Deuxièmement, il n’existe aucun principe établi pour déterminer si le droit protégé est « positif » ou « négatif », ni pour définir la portée de l’obligation de l’État même en ce qui concerne les droits dits « positifs ». Le défendeur confond, sans fondement valide en droit, la notion d’assurer l’équité procédurale en garantissant l’accès à des services d’interprétation et le financement de ces services par l’État. La portée de l’obligation positive de l’État, même lorsqu’elle prend naissance, dépend de ce qui est nécessaire, dans les circonstances de l’affaire, pour répondre aux objectifs du droit en question protégé par la Charte.

[15] Les droits protégés par l’article 14 visent à assurer l’équité des procédures [Tran, à la p 975]. Dans une instance où les droits garantis par l’article 7 d’une partie sont en jeu, la portée de l’obligation de l’État peut être aussi vaste que ce que prétend le défendeur. Or, je m’abstiens de tirer une telle conclusion, car je ne suis pas saisie de la question de savoir si l’article 7 suppose un droit inconditionnel à l’assistance d’un interprète rémunéré par l’État. Comme le reconnaît le défendeur lui‐même, et comme notre Cour l’a déjà dit dans une décision antérieure en l’espèce (2021 CF 536), la présente action ne met pas en cause les protections garanties par l’article 7 de la Charte. L’instance pourrait entraîner la révocation de la citoyenneté canadienne du défendeur et la stigmatisation associée au fait d’être déclaré criminel de guerre ou d’avoir commis des crimes contre l’humanité, mais elle n’entraîne pas l’emprisonnement ou l’expulsion automatique du Canada de façon à mettre en cause les droits garantis par l’article 7. Par conséquent, il n’y a aucune raison de déroger au principe selon lequel les droits protégés par l’article 14 dans le contexte de la présente action ne sont pas absolus.

[16] Les circonstances dans la décision Phan, précitée, sont en tous points identiques à celles de l’espèce, et je ne vois aucune raison d’établir une distinction entre les deux. Je suis d’avis que, bien que le droit à l’assistance d’un interprète soit garanti par l’article 14 de la Charte dans des affaires de révocation de citoyenneté, ce droit ne comprend pas le droit à ce que ces services soient payés par l’État peu importe le besoin financier. Il n’y a rien de fondamentalement inéquitable à exiger que le défendeur assume le coût des services d’interprétation dont il a besoin, à moins que la Cour soit convaincue qu’il n’en a pas les moyens.

II. Le besoin financier

[17] Les demandeurs ne contestent pas que l’incapacité financière d’une partie à payer les services d’interprétation ne devrait pas restreindre son droit garanti par l’article 14 de la Charte. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner à titre préliminaire si le moyen procédural de protéger ce droit devrait être d’accorder une provision pour frais conformément aux principes de l’arrêt Colombie‐Britannique (Ministre des Forêts) c Bande indienne Okanagan, 2003 CSC 71, de soustraire le défendeur à l’application de l’article 93 des Règles des Cours fédérales ou de rendre une ordonnance procédurale spéciale nécessaire pour assurer la résolution équitable des questions et le respect des règles de justice naturelle à la lumière de la Charte. La question fondamentale reste la même : le défendeur a-t-il établi, à la satisfaction de la Cour, qu’il n’est pas en mesure d’assumer le coût des services d’un interprète durant l’instruction?

[18] Le défendeur lui‐même estime que ces services coûteront entre 4 320 $ et 6 000 $.

[19] Au vu de la preuve dont je dispose, je ne suis pas convaincue que le défendeur n’est pas en mesure d’assumer le coût de ces services.

[20] M. Jozepovic a souscrit un affidavit à l’appui de la requête en l’espèce. Il y affirme être le seul à gagner un revenu au sein de sa famille. Il dit vivre avec sa femme, qui reçoit des prestations du RPC et d’invalidité, et son fils, qui est étudiant à temps plein. Il soutient que la maison dans laquelle il vit est la propriété de sa femme et qu’ils ne peuvent augmenter leur dette hypothécaire. Il affirme également que sa fille a appelé l’aide juridique et s’est fait dire qu’il n’y était pas admissible.

[21] Le témoignage de M. Jozepovic en contre‐interrogatoire révèle des contradictions et des incohérences importantes par rapport aux déclarations qu’il a faites dans son affidavit. Par exemple, il a dit que sa fille, qui est employée comme agente correctionnelle, vivait également à la maison. Il a affirmé qu’il était propriétaire de la maison, conjointement avec sa femme et sa fille. Il a dit ne pas connaître la valeur de la maison, ce qui met en doute sa déclaration selon laquelle la dette hypothécaire ne peut être augmentée. Enfin, M. Jozepovic a affirmé que personne ne s’était renseigné auprès de l’aide juridique de l’Ontario en son nom.

[22] Les documents qui avaient été demandés avant le contre‐interrogatoire dans un avis de convocation n’ont été fournis qu’une fois le contre‐interrogatoire terminé. Ces documents révèlent des faits troublants qui rendent d’autant plus douteuse la déclaration que M. Jozepovic a faite dans son affidavit selon laquelle il n’a pas les moyens de payer la somme de 6 000 $ requise pour les services d’interprétation. Par exemple, il semble qu’une nouvelle hypothèque de 600 000 $ a été contractée en décembre 2022. Rien n’indique à qui ou à quelle institution le montant du prêt a été versé. Le seul relevé mensuel fourni pour un compte conjoint entre M. Jozepovic et sa femme est celui de décembre 2022 et fait état de [traduction] « dépôts de paye » totalisant environ 14 800 $. L’avocat de M. Jozepovic a expliqué, dans une lettre qui n’a pas été rédigée sous serment, que la femme de son client avait reçu ces versements à titre de paiement forfaitaire pour mettre fin aux prestations d’invalidité. Il est impossible de vérifier cette affirmation. M. Jozepovic a refusé de fournir ses relevés bancaires et ses relevés de REER des cinq dernières années, bien qu’on lui ait demandé de le faire avant sa convocation. Il est impossible de vérifier l’affirmation qu’il a faite en contre‐interrogatoire selon laquelle il avait autrefois des REER, mais les a liquidés en entier en 2022 ou 2021.

[23] Je remarque également, bien que cela n’ait pas été soulevé en contre‐interrogatoire, que M. Jozepovic a affirmé dans son affidavit qu’il possède son propre camion, qu’il conduit lui‐même et qui constitue sa principale source de revenus. Je conviens que M. Jozepovic est malade et ne peut conduire son camion lui‐même, mais il a reconnu dans son affidavit qu’il lui arrive d’embaucher des conducteurs. Il n’a pas expliqué pourquoi il ne pouvait pas, simplement en embauchant des conducteurs pour conduire son camion pendant qu’il est malade, amasser la somme de 6 000 $ dont il a besoin pour payer les services d’interprétation.

[24] Les tribunaux ont généralement imposé un lourd fardeau de présentation aux parties qui tentent de démontrer qu’elles sont indigentes afin de bénéficier d’une provision pour frais. La Cour d’appel fédérale a souligné l’obligation de la partie requérante de fournir un relevé exhaustif de toutes les sources possibles de financement, amis et famille compris. La partie au litige doit expliquer de façon suffisamment détaillée la situation financière particulière de sources alternatives de financement, comme un conjoint ou les membres de la famille élargie, et fournir des motifs valables pour expliquer pourquoi ces ressources alternatives ne lui sont pas accessibles (Al Telbani c Canada (Procureur général), 2012 CAF 188).

[25] Même si l’on suppose, mais sans trancher la question, que dans le contexte de l’application de l’article 14 de la Charte, les tribunaux devraient faire preuve de générosité et d’ouverture dans l’évaluation des besoins financiers, la preuve présentée par le défendeur comporte tellement de contradictions et est tellement incomplète en ce qui concerne ses propres ressources qu’elle ne satisfait même pas à un seuil peu élevé.

[26] Le défendeur allègue qu’il a fait de son mieux pour fournir les renseignements dans un délai serré, que les contradictions entre son affidavit et son témoignage en contre‐interrogatoire sont attribuables à une mauvaise traduction et que la Cour devrait fait preuve d’indulgence et de compréhension lorsque la preuve n’est pas aussi complète qu’elle le devrait.

[27] Le délai qui a été nécessaire pour préparer et présenter la requête est entièrement attribuable au défendeur. La possibilité qu’il présente une requête en provision pour frais a été soulevée dès le 8 décembre 2022, relativement aux coûts des services d’interprétation pour des témoins qu’il comptait appeler à la barre. J’estime que la raison pour laquelle le défendeur a attendu avant de rassembler les éléments de preuve nécessaires à la requête, soit qu’il supposait que les demandeurs répondraient à ses besoins en interprétation, n’est pas valable. Cette supposition selon laquelle des services d’interprétation sont offerts dans le cadre d’instances relatives au statut de réfugié n’est étayée ni par la jurisprudence de notre Cour, ni par les pratiques de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Elle est fondée sur une interprétation nouvelle et large de la Charte, que j’ai rejetée.

[28] De plus, les lacunes dans la preuve sont en grande partie attribuables au refus exprès du défendeur de fournir les documents sollicités par les demandeurs, plutôt qu’à son incapacité d’y avoir accès à si court préavis.

[29] Je ne suis pas convaincue que le défendeur n’est pas en mesure ou n’a pas les moyens de payer les services d’un interprète pendant la durée de l’instruction.

« Mireille Tabib »

Juge adjointe


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-1862-17

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION, ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c BOZO JOZEPOVIC

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 février 2023

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE ADJOINTE TABIB

DATE DES MOTIFS :

LE 1ER mars 2023

COMPARUTIONS :

Sean Gaudet

Mme Alison Engel-Yan

Judy Michaely

POUR LES DEMANDEURS

Ronald Poulton

Edward Babin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Poulton Law Office

Société professionnelle

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

Babin, Bessner, Spry

Cabinet d’avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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