Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230412


Dossier : IMM-3572-22

Référence : 2023 CF 521

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 avril 2023

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

JUNGVIR SINGH KAINTH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, Jungvir Singh Kainth, est un citoyen indien de 31 ans dont la demande d’asile a été rejetée le 15 septembre 2021 par la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Le 7 mars 2022, cette décision a été confirmée en appel, bien que pour des raisons différentes, par la Section d’appel des réfugiés [la SAR]; la question déterminante que la SAR devait trancher concernait l’existence, pour M. Kainth, d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] viable à New Delhi.

[2] M. Kainth affirme craindre d’être persécuté par la police du Pendjab, par le parti du Congrès et par le parti Bharatiya Janata [BJP] s’il devait retourner en Inde. En février 2017, lors de l’élection à l’Assemblée législative de l’État du Pendjab, il travaillait comme membre du parti politique Shiromani Akali Dal Badal, faisant campagne dans sa circonscription, à Khanna, au Pendjab, pour le candidat de son parti et contre le candidat du parti du Congrès. Il s’est montré très virulent à l’égard du parti du Congrès, l’accusant notamment d’avoir commis des actes de génocide contre les sikhs en 1984. Malgré les efforts du demandeur, le candidat du parti du Congrès a remporté l’élection.

[3] Peu de temps après, M. Kainth a commencé à recevoir des appels téléphoniques de menaces. En novembre 2017, quatre hommes sont descendus d’une jeep devant lui; ils ont commencé à le frapper et lui ont dit qu’il était temps qu’il paie pour ses actions. La police locale n’a pas été d’un grand secours, ne voulant pas enquêter sur le parti du Congrès, désormais au pouvoir. M. Kainth est venu au Canada muni d’un visa de visiteur en février 2018, mais il est retourné en Inde en juillet 2018 dans l’espoir que la situation se soit calmée. Selon lui, rien n’avait changé et, en septembre 2018, il a recommencé à recevoir des appels téléphoniques de menaces – il aurait été informé que le parti du Congrès ne pouvait pas croire qu’il était revenu en Inde, et que le parti n’en avait pas fini avec lui. M. Kainth a été arrêté par la police du Pendjab en octobre 2018, puis il a été détenu pendant deux jours et deux nuits au cours desquels il a été battu et torturé. Il n’a été libéré qu’après que son père eut versé un pot-de-vin considérable à la police (entre 100 000 et 200 000 roupies indiennes). Avant de le libérer, la police a pris ses données biométriques et lui a dit qu’il devrait se plier à toutes les demandes du parti du Congrès.

[4] M. Kainth est revenu au Canada en décembre 2018 et a demandé l’asile. La SPR a conclu qu’il n’était pas crédible au sujet du fondement de sa demande d’asile. La SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur dans son analyse de la question du manque de crédibilité de M. Kainth; elle a toutefois déterminé que ce dernier avait une PRI viable à New Delhi.

[5] Au titre du premier volet du critère relatif à la PRI, qui a été établi dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CA), 1991 CanLII 13517 (CAF), [1992] 1 CF 706, et dans l’arrêt Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CA), 1993 CanLII 3011 (CAF), [1994] 1 CF 589, la SAR a conclu que M. Kainth était exposé à un risque de nature locale et qu’il n’avait pas établi que la police locale et le parti du Congrès au Pendjab avaient les moyens ou la motivation de le trouver dans l’endroit proposé comme PRI. S’appuyant sur les éléments de preuve relatifs aux conditions dans le pays contenus dans le cartable national de documentation (le CND) pour l’Inde, la SAR a déterminé que M. Kainth n’avait pas établi qu’il existait une possibilité sérieuse que le parti du Congrès, de concert avec l’unité locale de la police du Pendjab, puisse le trouver à New Delhi grâce à la procédure obligatoire de vérification des locataires en vigueur dans cette ville ou encore au Réseau de suivi des crimes et des criminels (CCTNS). La SAR a noté qu’aucun élément de preuve ne montrait que le parti du Congrès avait tenté de trouver M. Kainth après décembre 2018.

[6] Devant la SAR, M. Kainth a également indiqué qu’après l’adoption, par le gouvernement national du BJP, de trois lois relatives aux agriculteurs en septembre 2020 qui avaient mené à d’importantes manifestations à New Delhi [manifestations des agriculteurs], il avait participé à des rassemblements au Canada organisés en appui à ces agriculteurs et qu’il avait prononcé un discours lors de l’un de ces rassemblements. La SAR a conclu que le profil de M. Kainth n’était pas tel que le BJP le persécuterait à cause du soutien qu’il avait exprimé en ligne et à l’étranger envers les manifestations des agriculteurs, d’autant plus que les lois controversées ont été abrogées en novembre 2021 et que les manifestations ont été déclarées terminées en décembre 2021.

[7] En ce qui concerne le deuxième volet du critère relatif à la PRI, la SAR a conclu que M. Kainth n’avait pas établi que sa réinstallation à New Delhi serait objectivement déraisonnable.

I. Analyse

[8] À titre préliminaire, M. Kainth propose que soit modifié l’intitulé de manière que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration soit désigné comme défendeur. En l’absence d’objection de la part du ministre, c’est donc ce que j’ordonnerai. Par ailleurs, il y a consensus quant au fait que la norme applicable au bien-fondé de l’analyse de la SAR concernant l’existence d’une PRI est celle de la décision raisonnable (Ambroise c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 62 au para 6; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 459 au para 11).

[9] Lors de l’audience que j’ai présidée, M. Kainth a soutenu que, dans les cas où les agents de persécution sont des agents de l’État, il faudrait démontrer clairement que le demandeur sera en sécurité à l’endroit proposé comme PRI avant de conclure que cette PRI est viable. Il a fait valoir que la présence de membres de sa famille à environ 285 km de l’endroit proposé comme PRI pourrait rendre cet endroit dangereux ou l’obliger à se couper de sa famille. Comme M. Kainth l’a concédé devant moi, il n’avait pas soulevé ces questions devant la SPR ou la SAR; je ne les examinerai donc pas dans le présent contrôle judiciaire.

[10] Le reste des observations présentées par M. Kainth dans le cadre du contrôle judiciaire portaient sur les conclusions de la SAR concernant, d’une part, la motivation de la police du Pendjab et du parti du Congrès à le trouver à New Delhi et, d’autre part, les moyens à leur disposition pour y parvenir. Il a soutenu que la SAR avait conclu à tort, en se fondant sur les éléments de preuve contenus dans le CND, qu’il était difficile, voire impossible, de suivre une personne au moyen de la procédure obligatoire de vérification des locataires en vigueur à New Delhi à cause du laisser-aller, de la faible capacité et des degrés divers de professionnalisme des institutions. Il a ajouté que la SAR avait négligé des preuves contraires dans le CND, à savoir qu’en 2019, pas moins de 65 163 locataires de New Delhi avaient été contrôlés, plus de 26 000 locataires avaient été vérifiés et 20 198 formulaires de vérification avaient été remplis, et que la police avait accusé ou déclaré coupables des propriétaires qui n’avaient pas respecté les exigences en matière de vérification des locataires. En outre, en ce qui concerne l’article indiquant qu’il était difficile, voire impossible, de suivre une personne au moyen de la procédure obligatoire de vérification des locataires, M. Kainth a fait valoir que la SAR avait négligé une déclaration dans ce même article, selon laquelle aucune information corroborant cette affirmation n’avait pu être trouvée. M. Kainth a soutenu qu’au titre des règlements en vigueur à New Delhi en matière de vérification des locataires, la police de la ville devrait mener une enquête auprès de l’unité de la police du Pendjab dans sa ville natale, que la police, qui l’avait arrêté, reconnaîtrait son nom et qu’elle divulguerait ses allées et venues aux agents de persécution du parti du Congrès.

[11] L’argument de M. Kainth ne me convainc pas. Comme l’a reconnu la SAR, la preuve objective concernant l’efficacité du CCTNS ainsi que du système de vérification des locataires était contradictoire. L’amorce des conclusions de la SAR quant à l’efficacité du système de vérification des locataires est explicite et dit ceci : [traduction] « [m]algré certains éléments de preuve démontrant le contraire ». La SAR est réputée avoir pris en compte tous les éléments de preuve dont elle disposait, et M. Kainth ne m’a pas convaincu qu’elle avait négligé des éléments de preuve qui contredisaient ses conclusions (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF) aux para 14-17; Amadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1166 aux para 50, 52). En outre, l’analyse faite par la SAR du système de vérification des locataires et du CCTNS a été étayée par sa conclusion selon laquelle M. Kainth n’avait pas établi que l’unité de la police du Pendjab dans sa ville d’origine avait un intérêt continu à le chercher.

[12] Dans l’ensemble, la SAR a apprécié les éléments de preuve et a conclu que le demandeur n’avait pas établi que les systèmes ci-dessus permettraient aux agents de persécution de le trouver à New Delhi. M. Kainth n’a pas établi que la SAR avait ignoré des éléments de preuve qui contredisaient les conclusions qu’elle avait tirées, et il ne revient pas à la Cour d’apprécier à nouveau ces éléments de preuve. Il incombait à M. Kainth d’établir que l’endroit proposé comme PRI était déraisonnable; je ne vois rien de déraisonnable dans l’analyse, par la SAR, de la motivation des agents de persécution pour trouver le demandeur dans l’endroit proposé comme PRI et des moyens à la disposition de ces agents pour y parvenir. La demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-3572-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. L’intitulé est modifié de manière que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration soit désigné comme défendeur.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée à tout autre égard.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Peter G. Pamel »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3572-22

 

INTITULÉ :

JUNGVIR SINGH KAINTH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 mars 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 avril 2023

 

COMPARUTIONS :

Rajvir Singh Dhillon

Pour le demandeur

Aminollah Sabzevari

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Maple Law Corporation

Delta (Colombie-Britannique)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.