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Date : 20060524

Dossier : ITA-872-01

Référence : 2006 CF 639

Dans l'affaire de la Loi de l'impôt sur le revenu,

                                                                          - et -

Dans l'affaire d'une cotisation ou des cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu d'une ou plusieurs des lois suivantes: la Loide l'impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada et la Loi sur l'assurance-emploi,

CONTRE :

GUY GAUTHIER

débiteur judiciaire

et

MARCEL GAUTHIER

opposant

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE MORNEAU

[1]                Il s'agit de statuer en l'espèce sur l'opposition formée en vertu de l'article 597 du Code de procédure civile (C.p.c.) par l'opposant, M. Marcel Gauthier, à l'encontre d'une saisie de l'immeuble situé au 55, rue Noble en la ville de Waterloo (l'immeuble) et effectuée le 10 octobre 2001.

[2]                L'opposant, qui est le frère du débiteur judiciaire, requiert l'annulation de la saisie pratiquée en l'instance au motif qu'il serait le véritable propriétaire de l'immeuble et que son frère ne serait, ce que certains documents tendent à démontrer, que le locataire de l'immeuble.

[3]                Pour sa part, la créancière saisissante conteste vigoureusement cette thèse de l'opposant et soutient qu'en tout temps pertinent l'opposant (ainsi que plusieurs connaissances du débiteur judiciaire) n'a servi que de prête-nom au débiteur judiciaire à l'égard de transactions entourant l'immeuble. Somme toute, il y aurait simulation au sens de l'article 1451 du Code civil du Québec (C.c.Q.) en ce que pour les tiers, l'opposant serait présenté comme le véritable propriétaire de l'immeuble alors qu'en réalité ce titre reviendrait au débiteur judiciaire.

[4]                Suivant la créancière saisissante, son dossier de réponse déposé à l'encontre de l'opposition à l'étude renferme, à la faveur des nombreux affidavits qu'il contient, des pièces jointes à ces affidavits de même que des notes sténographiques de l'interrogatoire sur affidavit subi par l'opposant des présomptions graves, précises et concordantes, somme toute une preuve circonstancielle qui doit nous amener à conclure que l'opposant n'est effectivement qu'un prête-nom pour son frère, le débiteur judiciaire. Partant, elle demande à ce que l'opposition à la saisie de l'opposant soit rejetée avec dépens.

[5]                Pour les motifs qui suivent, et après étude des dossiers des parties déposés dans le cadre de la présente requête, j'en conclus que l'opposant ne m'a point convaincu quant à son statut véritable de propriétaire de l'immeuble et que la thèse de la créancière saisissante est celle qui, par prépondérance de preuve, doit être retenue en l'espèce.

Analyse

[6]                Il m'appert que c'est dès la production de son premier affidavit, soit le 16 novembre 2001, que l'opposant aurait dû faire ressortir l'ensemble des facteurs favorables à sa thèse. Toutefois, par cet affidavit du 16 novembre 2001, et bien que cet affidavit se veuille un affidavit « circonstancié » , l'opposant atteste simplement, et ce, par de courts énoncés, que l'immeuble lui appartient (paragraphe 6 de l'affidavit) et que son frère n'est qu'un locataire dans cet immeuble (paragraphes 7 et 12). L'opposant joint alors à cet affidavit l'acte de vente de l'immeuble (pièce O-3) par lequel il appert qu'il achète l'immeuble d'un dénommé Marcel Rousseau en date du 1er mars 2001. Le bail apparemment consenti à son frère (le débiteur judiciaire) en date du 11 août 2001 est également joint à titre de pièce O-4.

[7]                L'opposant fut interrogé par la créancière saisissante le 18 octobre 2002 sur ce premier affidavit.

[8]                Malgré cet état de faits et avec l'assentiment de la créancière saisissante et de la Cour, par complément de dossier de requête déposé le 17 mars 2003, l'opposant a alors produit un affidavit daté du 10 mars 2003 auquel est jointe une série de pièces, soit les pièces O-5 à O-17.

[9]                Par cet affidavit du 10 mars 2003, l'opposant tente par un développement qui est parfois lourd à suivre à démontrer qu'il a posé à l'égard de l'immeuble divers gestes qu'un propriétaire véritable aurait posés.

[10]            Toutefois, certaines des affirmations contenues à cet affidavit soit contredisent ce qui a pu être dit par l'opposant lors de son interrogatoire d'octobre 2002, soit ne sont pas réellement ou clairement supportées par les pièces auxquelles l'opposant nous réfère.

[11]            À titre d'exemple, lors de son interrogatoire d'octobre 2002, l'opposant affirme que lors de l'achat de l'immeuble en mars 2001 aucun locataire n'était présent dans l'immeuble. Toutefois, dans son affidavit du 10 mars 2003, il indique au paragraphe 8 qu'un locataire y habitait déjà. De fait, l'enquête de la créancière saisissante établit clairement à mon avis que dès le 1er mars 2001 à tout le moins, soit la date d'achat de l'immeuble par apparemment l'opposant, le débiteur judiciaire et sa conjointe d'alors, madame Lyne Barré, y habitaient. L'opposant n'a jamais habité l'immeuble puisque l'opposant a en tout temps pertinent été résident et domicilié sur la rue Potvin à Farnham.

[12]            Quant aux pièces O-10, O-14, O-16, O-8 et O-11, une étude de celles-ci ne permet pas véritablement à la Cour d'être convaincue des points avancés aux paragraphes correspondants de l'affidavit de l'opposant. Dans certains cas, les pièces référées semblent même contredire les allégués avancés. À titre d'exemple, la pièce O-10 ne réfère pas à une situation prenant place au moment de l'achat, soit en mars 2001, mais à une situation remontant au 1er août 2000. La pièce O-8 réfère à une demande d'assurance de la conjointe du débiteur judiciaire, Mme Barré, plutôt qu'à un geste posé par l'opposant.

[13]            Autre contradiction, la pièce O-7 - qui est datée véritablement du 2 mars 2001 et non du 28 mars 2001 tel que l'allègue le paragraphe 14 de l'affidavit de l'opposant - est produite pour soutenir qu'à ce moment l'opposant aurait tiré un chèque de 1 500 $ en faveur de Mme Barré pour lui rembourser des travaux de rénovation sur l'immeuble. Toutefois, le même affidavit au paragraphe 6 établit que c'est au 28 juillet 2001 que Mme Barré serait devenue locataire de l'immeuble. Sur cet aspect des rénovations, la Cour en déduit que si l'on a remboursé Mme Barré le 2 mars 2001 pour des travaux de rénovation, c'est qu'elle aurait entrepris ces travaux avant même le 2 mars 2001, soit durant la période de août 2000 à mars 2001 où son conjoint, le débiteur judiciaire, se comportait déjà, au terme de l'enquête de la créancière saisissante, comme le propriétaire véritable.

[14]            Quant au financement obtenu par l'opposant le 28 février 2001 (pièce O-13), l'enquête de la créancière saisissante démontre que c'est au profit du débiteur judiciaire qu'il fut obtenu de guerre lasse après des essais en septembre et décembre 2000 et après que les autres frères du débiteur judiciaire, soit messieurs Alain et Raymond Gauthier, eurent tenté de faire de même.

[15]            Quant à l'application du droit aux faits de l'espèce, c'est sans ambages que j'adopte l'analyse suivante que tient la créancière saisissante aux paragraphes 2 à 8 de ses représentations écrites contenues au dossier de réponse déposé par elle le 29 avril 2004 à l'encontre de l'opposition logée par l'opposant :

2.          Bien que l'opposant, M. Marcel Gauthier, prétende être propriétaire de l'immeuble sis au 55, rue Noble dans le Canton de Shefford, il agit à titre de prête-nom pour son frère, le débiteur judiciaire, M. Guy Gauthier.

3.          Il y a simulation en ce que M. Marcel Gauthier est le propriétaire apparent mais M. Guy Gauthier est le propriétaire réel.

4.          L'article 1451 C.c.Q. définit la simulation ainsi :

« Art. 1451. Il y a simulation lorsque les parties conviennent d'exprimer leur volonté réelle non point dans un contrat apparent, mais dans un contrat secret, aussi appelé contre-lettre.

Entre les parties, la contre-lettre l'emporte sur le contrat apparent. »

5.          Dans son ouvrage Les obligations1, M. le juge Baudouin décrit la simulation comme étant une opération qui « comprend donc deux actes distincts : d'une part un acte apparent, qui représente ce que les parties veulent faire croire aux tiers, et d'autre part un acte secret ou contre-lettre, qui reflète leur véritable intention et qui doit avoir été conclu avant ou en même temps que l'acte apparent... La simulation est souvent utilisée dans le dessein de commettre une fraude à la loi, c'est-à-dire d'éviter une prohibition légale ou de faire indirectement ce que la loi ne permet pas de faire directement » 2.

6.          Dans notre cas particulier, la simulation prend la forme d'une interposition de personne c'est-à-dire que « pour ne pas contracter directement avec un autre, le contractant passe un contrat avec un tiers qui, par contre-lettre, s'engage à lui remettre le bénéfice du contrat à intervenir. Tout se passe alors comme si le tiers était le véritable cocontractant de son interlocuteur, alors qu'il n'est en fait qu'un simple mandataire secret. Cette forme de simulation, connue également sous le nom de convention de prête-nom au sens large du terme, est utilisée pour contourner les prohibitions de la loi concernant les incapacités ou parfois simplement pour éviter de révéler l'identité du véritable bénéficiaire du contrat » .3

7.          La simulation se prouve, pour les tiers, par tous les moyens de preuve :

                        ______________________________

1 Jean-Louis BAUDOUIN, Les obligations, 5e éd., Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 1998.

2 Id., no. 489, p. 394.

3 Id., no. 492, pp. 395-396; voir aussi Jean PINEAU, Serge GAUDET, Théorie des obligations, 4e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2001, p. 566.


« 507 - Preuve de la contre-lettre - Il convient à cet égard de faire une différence selon que ce sont les parties ou les tiers qui cherchent à rapporter cette preuve. Entre les parties, à moins d'un aveu, et par les parties à l'égard des tiers, les règles générales relatives à la preuve testimoniale, notamment celle établie par les articles 2860 et suivants C.c., doivent être suivies, ce qui a pour effet d'exclure pratiquement la preuve testimoniale de la contre-lettre. Cette preuve est cependant permise en cas de simulation frauduleuse. Quant aux tiers, le contrat n'étant à leur égard qu'un simple fait juridique, tous les moyens de preuve leur sont ouverts, même les présomptions de faits. » 4

8.          Dans l'affaire Nu-Bone Corset Co. c. Bérubé5, la Cour a rappelé que « [l]a doctrine et la jurisprudence sont d'accord pour admettre que si la simulation, en autant que les tiers sont concernés, peut se prouver par témoins, elle peut l'être également par présomptions pourvu que ces présomptions soient graves, précises et concordantes » .6

                        ______________________________

4 J.-L. BAUDOUIN, op. cit., note 1, no 500, pp. 399-400.

5. [1953] R.L. 444; voir aussi Brien c. Brunet, [1953] R.L. 70.

6. Nu-Bone Corset Co. c. Bérubé, précitée, note 5, 447-448.

[16]            À l'audition de l'opposition le 15 mai 2006, le procureur de l'opposant a soulevé pour la première fois que l'acte de vente (pièce O-3) ne pouvait être écarté que par une inscription de faux suivant les prescriptions des articles 223 et 223.1 du C.p.c.

[17]            Cet argument doit être écarté pour deux motifs.

[18]            Premièrement, cet argument est soulevé de façon exceptionnellement tardive. C'est dans ses représentations écrites de novembre 2001, voire dans celles de mars 2003, que cet argument aurait dû être soulevé et non pas oralement à l'audition du 15 mai 2006.

[19]            Deuxièmement, l'inscription de faux n'était pas une institution à laquelle la créancière saisissante se devait de faire appel en les circonstances pour établir et soutenir sa théorie de cause.

[20]            Par ailleurs, le procureur de l'opposant a également soulevé pour la première fois à l'audition du 15 mai 2006 le fait que la mort tragique le 11 septembre 2001 de M. Alain Gauthier, le frère de l'opposant et du débiteur judiciaire, empêchait l'opposant de pouvoir faire appel à un témoignage central à l'appui de la thèse de l'opposant.

[21]            Cet argument doit également être rejeté. Premièrement, cet argument, tout comme celui de l'inscription de faux, est soulevé beaucoup trop tardivement. Deuxièmement, cette mort, si tragique soit-elle, s'est imposée aux deux parties en litige. À cet égard, la créancière saisissante a obtenu le témoignage écrit de la conjointe de M. Alain Gauthier, témoignage qui n'aide en rien la thèse de l'opposant.

[22]            Pour ces motifs, cette requête de l'opposant sous l'article 597 du C.p.c. sera rejetée avec dépens. Une ordonnance sera émise en conséquence.

« Richard Morneau »

Protonotaire

Montréal (Québec)

le 24 mai 2006


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         ITA-872-01

INTITULÉ :                                        IMPÔT SUR LE REVENU

contre :

GUY GAUTHIER

et

MARCEL GAUTHIER

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                15 mai 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE PROTONOTAIRE MORNEAU

DATE DES MOTIFS :                       24 mai 2006

COMPARUTIONS:

Me Claude Bernard

POUR LA CRÉANCIÈRE JUDICIAIRE

Me Robert Jodoin

POUR LA PARTIE OPPOSANTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Claude Bernard

Ministère de la Justice

POUR LA CRÉANCIÈRE JUDICIAIRE

Jodoin Huppé

Granby (Québec)

POUR LA PARTIE OPPOSANTE

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