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Date : 20230221


Dossier : IMM‑2015‑23

Référence : 2023 CF 253

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 février 2023

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

MEGLENA KIRILOVA ANDONOVA‑RADIC

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Meglena Kirilova Andonova‑Radic, a déposé une requête en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du Canada prise contre elle, prévue le 28 février 2023.

[2] Elle demande à la Cour de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi en Bulgarie jusqu’à ce qu’une décision soit rendue à l’égard de sa demande sous‑jacente d’autorisation et de contrôle judiciaire relative à la décision par laquelle un agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs (l’agent) de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a refusé de reporter le renvoi.

[3] Pour les motifs qui suivent, la présente requête est rejetée. Je conclus que la demanderesse ne satisfait pas au critère à trois volets qui doit être respecté pour que soit accordé un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi.

II. Les faits et les décisions sous‑jacentes

[4] La demanderesse est une citoyenne bulgare âgée de 47 ans. Elle est la mère de deux enfants, un garçon et une fille.

[5] Elle avait obtenu le statut de résidente permanente du Canada à la suite d’une demande de parrainage déposée par son ancien époux. Son statut a été révoqué après que la Section de l’immigration eut conclu qu’elle était interdite de territoire au Canada pour avoir fait de fausses déclarations, à savoir qu’elle n’avait pas signalé que son époux d’alors avait été incarcéré.

[6] Le 17 janvier 2023, l’ASFC a informé la demanderesse que l’exécution de la mesure de renvoi la visant était prévue pour le 28 février 2023. Le 24 janvier 2023, la demanderesse a déposé auprès de l’ASFC une demande visant à faire reporter son renvoi.

[7] La fille de la demanderesse doit accoucher de son deuxième enfant en avril 2023. La demanderesse prétend qu’il est impératif qu’elle demeure au Canada pour appuyer sa fille lors de cet événement, surtout compte tenu des absences de son gendre et des antécédents de problèmes de santé mentale de sa fille. Elle soutient qu’il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant qu’elle demeure en sol canadien pour soutenir sa fille au moment de l’accouchement et par la suite.

[8] La demanderesse déclare qu’elle souffre d’anxiété et de dépression, et qu’elle subit actuellement des examens visant à déceler des problèmes cardiaques associés à une maladie cardiovasculaire.

[9] Elle vit en union de fait et fait l’objet d’une demande de parrainage conjugal en suspens. La demanderesse fait valoir que son conjoint souffre de graves problèmes médicaux et que son renvoi causerait à celui‑ci un stress considérable.

[10] Le 7 février 2023, l’agent a rejeté la demande de report présentée par la demanderesse. Il a conclu que la preuve de la demanderesse ne permettait pas d’établir qu’elle serait dans l’impossibilité de poursuivre ses examens relatifs à sa santé mentale et à ses problèmes cardiaques à son retour en Bulgarie ni de démontrer que son conjoint dépend d’elle à un point tel qu’il est justifié de suspendre l’exécution de la mesure de renvoi. L’agent a également jugé que la preuve ne permettait pas de corroborer la prétention voulant que la fille de la demanderesse et sa famille ne soient pas en mesure d’être épaulées autrement au moment de l’accouchement et par la suite ni qu’elles seraient incapables de prendre soin des enfants si la demanderesse était renvoyée du Canada.

[11] Il a également conclu que la demande de parrainage conjugal en suspens ne constituait pas une assise assez solide pour justifier l’octroi de la demande de suspension présentée par la demanderesse. L’agent a fait observer que la demanderesse était prête pour l’exécution de la mesure de renvoi depuis le 15 décembre 2022, et qu’elle ne pouvait donc tirer profit d’une suspension administrative de l’exécution de la mesure de renvoi, compte tenu du fait que sa demande de parrainage conjugal avait été reçue le 16 janvier 2023.

III. Analyse

[12] Le critère à trois volets relatif à l’octroi d’un sursis est bien établi : Toth c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 CF 535 (CAF) (Toth); Manitoba (PG) c Metropolitan Stores Ltd, 1987 CanLII 79 (CSC), [1987] 1 RCS 110 (Metropolitan Stores Ltd); RJR‑MacDonald Inc. c Canada (Procureur général), 1994 CanLII 117 (CSC), [1994] 1 RCS 311 (RJR‑MacDonald); R c Société Radio‑Canada, 2018 CSC 5 (CanLII), [2018] 1 RCS 196.

[13] Le critère de l’arrêt Toth est conjonctif, car, pour obtenir le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi, il incombe à la demanderesse d’établir : (i) que la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente soulève une question sérieuse à juger; (ii) que l’exécution de la mesure de renvoi causerait un préjudice irréparable; (iii) que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi du sursis.

A. La question sérieuse

[14] Dans l’arrêt RJR‑MacDonald, la Cour suprême du Canada a conclu que, pour déterminer si le premier volet du critère a été respecté, il faut procéder à « un examen extrêmement restreint du fond de l’affaire » (RJR‑MacDonald, à la p 314). La Cour doit également garder à l’esprit que le pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi de la personne visée par une mesure de renvoi exécutoire est limité. La norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’exécution est celle de la décision raisonnable : Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81 (CanLII), [2010] 2 RCF 311 au para 67 (Baron).

[15] Il incombe au demandeur qui conteste le rejet de la suspension du renvoi de satisfaire à une norme rigoureuse quant au premier volet relatif à la question sérieuse à juger énoncé dans l’arrêt Toth, comme le prescrit l’arrêt Baron.

[16] La demanderesse avance que la demande sous‑jacente soulève des questions sérieuses quant au caractère raisonnable de la décision par laquelle l’ASFC a rejeté sa demande de suspension, plus particulièrement eu égard à l’évaluation par l’agent des problèmes médicaux de son conjoint, des antécédents médicaux de sa fille et de l’intérêt supérieur de l’enfant touché par son renvoi.

[17] Le défendeur rétorque qu’il n’existe aucune question sérieuse parce que l’agent a raisonnablement évalué et refusé la demande de suspension présentée par la demanderesse.

[18] Après m’être penché sur la décision sous‑jacente et sur les documents des parties relatifs à la requête, je conviens qu’il existe une question sérieuse à juger. La demande sous‑jacente de contrôle judiciaire soulève des questions quant au caractère approprié de l’évaluation par l’agent de la preuve présentée à l’appui de la demande de suspension. Voilà qui suffit pour satisfaire au premier volet du critère.

B. Le préjudice irréparable

[19] Pour satisfaire au deuxième volet du critère, les demandeurs sont tenus de démontrer qu’ils subiront un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé. Le terme « irréparable » ne renvoie pas à l’étendue du préjudice; le préjudice irréparable désigne plutôt un préjudice qui ne peut être remédié ou qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire (RJR‑MacDonald, à la p 341). La Cour doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le préjudice n’est pas hypothétique, mais elle n’a pas à être convaincue qu’il sera causé (Xu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 746 (CF 1re inst); Horii c Canada (CA), [1991] ACF no 984, [1992] 1 CF 142 (CAF)).

[20] La demanderesse prétend qu’elle subira un préjudice irréparable si elle est renvoyée en Bulgarie, du fait de ses problèmes médicaux ainsi que de ceux de son conjoint, en sus de l’intérêt supérieur à court terme de l’enfant touché par son renvoi, et plus particulièrement de celui de l’enfant à naître de sa fille. Selon la demanderesse, il faut se pencher particulièrement sur les circonstances de sa fille et de l’enfant à naître compte tenu des antécédents de problèmes de santé mentale de celle‑ci.

[21] Je ne suis pas convaincu que la demanderesse subira un préjudice irréparable à son retour en Bulgarie. La preuve qu’elle a produite ne respecte pas l’exigence minimale requise pour démontrer l’existence du préjudice irréparable quant à ses problèmes médicaux et à ceux de son conjoint ni quant au fait que la santé de son conjoint péricliterait au point de causer un préjudice irréparable si elle était renvoyée du Canada. De plus, l’intérêt supérieur de l’enfant à naître ne permet pas d’établir l’existence d’un préjudice irréparable qui joue en faveur de la demanderesse.

C. La prépondérance des inconvénients

[22] Pour décider si le troisième volet du critère a été respecté, il faut apprécier la prépondérance des inconvénients, qui consiste à déterminer quelle partie subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond (RJR‑MacDonald, à la p 342; Metropolitan Stores Ltd, à la p 129). Il a parfois été dit que « [l]orsque la Cour est convaincue que l’existence d’une question sérieuse et d’un préjudice irréparable a été établie, la prépondérance des inconvénients militera en faveur du demandeur » (Mauricette c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 420 (CanLII) au para 48). Toutefois, la Cour doit également tenir compte de l’intérêt public pour assurer la bonne administration du système d’immigration.

[23] La demanderesse soutient que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi du sursis. Elle souligne qu’elle était autrefois une résidente permanente, qu’elle s’est conformée à la législation canadienne, et qu’elle fournit le soutien nécessaire à sa fille.

[24] Bien que la preuve lacunaire relative à l’existence d’un préjudice irréparable soit déterminante quant à l’issue de la présente requête, la prépondérance des inconvénients penche du côté du défendeur. Le paragraphe 48(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 prévoit qu’une mesure de renvoi doit être exécutée dès que possible. Les inconvénients que la demanderesse pourrait subir par suite de son renvoi ne l’emportent pas sur l’intérêt du défendeur à faire exécuter rapidement cette mesure.

[25] En définitive, la demanderesse ne satisfait pas au critère à trois volets qui doit être respecté pour que soit accordé un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi. La présente requête est donc rejetée.


ORDONNANCE dans le dossier IMM‑2015‑23

LA COUR ORDONNE que la requête de la demanderesse en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi est rejetée.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2015‑23

 

INTITULÉ :

MEGLENA KIRILOVA ANDONOVA‑RADIC c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 février 2023

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

Le 21 février 2023

 

COMPARUTIONS :

Valeriy Kozyrev

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Camille N. Audain

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Valeriy Kozyrev

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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