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Date: 20230501

Dossier: T‑995‑21

Référence: 2023 CF 627

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er mai 2023

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE:

LINA AHMED

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (SCRS ET OSSNR), IAN GILES LEBLANC, LE MINISTÈRE DU PROCUREUR GÉNÉRAL/LE BUREAU DU DIRECTEUR INDÉPENDANT DE L’EXAMEN DE LA POLICE (BDIEP), LA COMMISSION DE SERVICES POLICIERS D’OTTAWA, LE POLICIER DE VOIE PUBLIQUE JEFF AYLEN, L’AGENT LEMIEUX MICHAEL, L’AGENT LEGROS PIERRE, LE DÉTECTIVE CHRI EVRIRE, LE DÉTECTIVE ALI TOGROL, LE SERGENT MARK BAOUWMEESTER (BDIEP) ET LE CHEF PETER SLOLY

défendeurs

MOTIFS ET JUGEMENT

I. INTRODUCTION

[1] Par une déclaration produite le 21 juin 2021, Lina Ahmed (la demanderesse) a intenté une action contre le procureur général du Canada (SCRS et OSSNR), Ian Giles Leblanc, le ministère du Procureur général/le Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police (BDIEP), la Commission de services policiers d’Ottawa, le policier de voie publique Jeff Aylen, l’agent Lemieux Michael, l’agent Legros Pierre, le détective Chri Evrire, le détective Ali Togrol, le sergent Mark Baouwmeester (BDIEP) et le chef Peter Sloly (collectivement, les défendeurs).

[2] Dans sa déclaration, la demanderesse a formulé des allégations de torture, de négligence, de voies de fait et d’intimidation, de complot, de terrorisme et de violations de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982, c 11 (la Charte). Elle sollicite les réparations suivantes [traduites en respectant le niveau de langage] :

[traduction]

a) Des dommages‑intérêts de 50 000 000 $ pour préjudices résultant d’un acte de terrorisme, d’agression, de voies de fait, de batterie, d’intimidation, d’abus de charge publique, de mensonges et de violations des articles 7, 8, 9, 12 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (ci‑après la Charte);

b) Une poursuite au fédéral d’un crime fédéral de terrorisme commis contre moi pour cause de haine raciale envers les Arabes;

c) Des dommages‑intérêts spéciaux d’une somme à déterminer et à indiquer avant le procès, en lien avec une déficience due à de la torture, avec perte de revenu actuel et futur;

d) Des dommages‑intérêts punitifs, exemplaires et majorés de 10 000 000 $, sur le fondement du paragraphe 24(1) de la Charte;

e) Les dépens liés à la présente action, sur la base d’une indemnisation substantielle, avec la taxe sur les produits et services applicable, conformément à la Loi sur la taxe d’accise, LRC, c E.15;

f) Toute autre mesure de réparation que la Cour estime juste;

g) Une déclaration portant que le Service canadien du renseignement de sécurité (ci‑après le SCRS) est responsable envers la demanderesse de dommages‑intérêts causés par son manquement à la Constitution, à la loi et à la Charte des droits et libertés (la Charte);

h) Une déclaration portant que l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement (ci‑après l’OSSNR) est responsable envers la demanderesse de dommages‑intérêts causés par son manquement à des obligations constitutionnelles, législatives et de common law;

i) Une déclaration portant que le SCRS et l’OSSNR ont violé le droit international coutumier (jus cogens) en soumettant la demanderesse à de la torture, suivie d’intimidation et de mise en danger de la vie, en fraudant d’autres agents de sécurité nationaux et internationaux.

[3] Des défenses ont été déposées pour le compte des défendeurs, soit Sa Majesté le Roi, M. Ian Giles Leblanc, la Commission de services policiers d’Ottawa, le sergent Jeff Aylen, l’agent Michael Lemieux, l’agent Pierre‑Luc Legros, le détective Chris Evrire, le détective Ali Toghrol, le sergent Mark Bouwmeester et le chef Peter Sloly. Les défendeurs nient les allégations et plaident que la Cour fédérale n’a pas compétence pour statuer sur la demande.

II. LE CONTEXTE

[4] Par un avis de requête déposé pour examen sans comparution personnelle, conformément à l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles), l’avocat de Sa Majesté le Roi (le Canada ou le défendeur) sollicite l’inscription d’un jugement sommaire contre la demanderesse, au motif que la Cour n’a pas compétence sur sa demande.

[5] À l’appui de sa requête, le défendeur a déposé trois affidavits, soit ceux de M. Ian Leblanc, de « Colin » et de Mme Hailey Dang.

[6] M. Leblanc est désigné comme défendeur dans la déclaration de la demanderesse. Dans son affidavit, souscrit le 12 août 2021, il a déclaré qu’il n’est pas et n’a jamais été un employé du Service canadien du renseignement de sécurité (le « SCRS ») et, de plus, qu’il n’a jamais dit à la demanderesse qu’il était un employé du SCRS.

[7] « Colin » a souscrit son affidavit le 11 mars 2022. Dans celui‑ci, il a fait état d’un historique d’interactions avec la demanderesse ainsi que l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement (l’OSSNR). Il a déclaré que jamais le SCRS n’avait dit à la demanderesse que M. Leblanc était un employé du SCRS. Il a fait référence au fait que, le 19 avril 2000, la demanderesse avait porté plainte contre le SCRS auprès de l’OSSNR. Il a ajouté que, dans la plainte, il y avait notamment les allégations contre M. Leblanc et le SCRS qui sont énoncées dans la déclaration de la demanderesse, de pair avec d’autres allégations.

[8] « Colin » a ajouté que le 8 juin 2021, l’OSSNR avait informé le SCRS qu’il se déclarait compétent à l’égard de la plainte de la demanderesse. Il a de plus déclaré qu’à la date de souscription de son affidavit, soit le 11 mars 2022, l’OSSNR n’avait pris aucune autre mesure à l’égard de la plainte de la demanderesse.

[9] « Colin » a joint, en tant que pièce à son affidavit, des explications, datées du 7 décembre 2021, du juge Pollack de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, dans lesquelles il déclare que la demanderesse est une plaideuse vexatoire, au sens de l’article 140 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, LRO 1990, c C.43.

[10] Mme Dang est une assistante juridique qui travaille avec l’avocat de la défenderesse. Elle a fait référence à certains documents joints en tant que pièces à son affidavit. Ces documents ont été établis dans le cadre d’une instance tenue devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario et déposés aux noms de Ian Leblanc, de Gil Huns Leblanc, aussi appelé Gilles Leblanc, et de Clara Ocampo, à titre de « demandeurs ». L’acte de procédure nomme Lina Saleh Ahmed Alghamdi, aussi appelée Lina Saleh Ahmed Algahamdi, et également connue sous le nom de Lina Ahmed, comme « défenderesse ».

[11] La première pièce documentaire est une copie de l’affidavit de Mme Susan Charron, souscrit le 22 juillet 2021. Aucune pièce n’accompagne cet affidavit. Il semble que celui‑ci a été déposé à l’appui de la demande visant à faire déclarer la demanderesse plaideuse vexatoire devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario.

[12] La seconde pièce documentaire est un affidavit de M. Leblanc, souscrit le 23 juillet 2021. Ce document semble avoir été déposé à l’appui de la demande visant à faire déclarer la demanderesse plaideuse vexatoire devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Il comporte 17 pièces, dont des pièces relatives à un contrat de location de courte durée entre MM. Gils Leblanc et Ian Leblanc ainsi que la demanderesse, relativement à l’occupation d’un bien immobilier situé au no 1084, impasse Millwood, à Ottawa, en Ontario.

[13] Selon l’affidavit que M. Leblanc a déposé dans le cadre de l’instance ontarienne, la relation locative s’est rompue et, en fin de compte, un avis de résiliation a été signifié à la demanderesse. Une procédure a été introduite devant la Commission de la location immobilière (la Commission) de l’Ontario, et une ordonnance a été rendue, enjoignant à la demanderesse de libérer les lieux le 19 avril 2019 au plus tard.

[14] La demanderesse a déposé un avis d’appel auprès de la Cour divisionnaire de l’Ontario, mais, selon M. Leblanc, aucun document ne lui a été signifié après la signification de l’avis d’appel et de l’ordonnance de sursis.

[15] Dans la déclaration qu’elle a déposée dans le cadre de la présente action, la demanderesse cherche à obtenir des dommages‑intérêts relativement à des allégations de voies de fait, de batterie, d’abus de charge publique, de [TRADUCTION] « torture physique, sexuelle et psychologique », d’invasion de domicile et de fraude, actes qui auraient été perpétrés contre elle par M. Leblanc. Elle formule des allégations de complot, d’intimidation et d’oppression à l’encontre des autres défendeurs.

[16] Dans sa déclaration, la demanderesse allègue que, le 26 mars 2019, M. Leblanc est entré de force dans son domicile, lui a montré un insigne du SCRS et l’a agressée. Elle prétend avoir appelé la police et que, à leur arrivée, les agents l’ont agressée.

[17] Dans son affidavit souscrit le 23 juillet 2021, M. Leblanc dit que la demanderesse a autorisé M. Gilles Leblanc, Mme Clara Ocampo et lui‑même à entrer dans le domicile. Il ajoute que la demanderesse a poussé M. Gilles Leblanc et qu’il a appelé la police. Il affirme que la demanderesse s’est coupée.

[18] Selon M. Leblanc, quand les agents de police sont arrivés, ils ont dit que la demanderesse présentait un risque pour elle‑même et pour autrui, mais qu’il leur était impossible de la forcer à partir sans une ordonnance de la Commission.

III. LES OBSERVATIONS

A. Les observations du défendeur

[19] Le défendeur présente une requête en jugement sommaire visant le rejet de la demande de la demanderesse, au titre de l’article 215 des Règles, au motif qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse, parce que la Cour n’a pas compétence.

[20] Invoquant l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire ITO‑Int’l Terminal Operators c Miida Electronics, [1986] 1 RCS 752 (« ITO »), le défendeur soutient que la Cour n’a pas compétence sur les allégations. Il fait valoir que la demanderesse avance des délits de common law à l’encontre de personnes qui ne sont pas des employés du défendeur, mais qui sont assujetties au droit municipal ou provincial.

[21] Le défendeur a admis que le Canada serait responsable du fait d’autrui pour tout délit commis par des préposés de la Couronne et que, pour ce qui est des allégations portées contre le SCRS ou des personnes à son service, il est satisfait au premier volet du critère énoncé dans l’arrêt ITO.

[22] Pour ce qui est du second volet du critère ITO, le défendeur a soutenu que la demande de la demanderesse ne fait pas entrer en jeu de règles de droit fédérales qui permettraient de la régler. Il a fait valoir que le SCRS et l’OSSNR n’ont pas pris part aux faits qui auraient engagé une responsabilité.

[23] Pour ce qui est du dernier volet du critère ITO, le défendeur a fait valoir que le règlement de la demande de la demanderesse ne sera fondé sur aucune des [TRADUCTION] « lois du Canada », parce qu’elle met en cause des citoyens privés et des [TRADUCTION] « défendeurs non fédéraux ».

B. Les observations de la demanderesse

[24] La demanderesse a fait valoir que la requête du défendeur devrait être rejetée. Elle a soutenu qu’il y avait des questions de crédibilité que l’on ne pouvait pas régler de manière sommaire. Elle a aussi fait valoir que la Cour fédérale avait compétence sur tous les défendeurs et que sa demande était étayée par des règles de droit fédérales, dont la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, les Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, et la Loi sur l’Agence des services frontaliers du Canada, LC 2005, c 38.

[25] La demanderesse a soutenu que le défendeur n’a produit aucune preuve à l’appui de sa requête [TRADUCTION] « à part l’affidavit contradictoire d’une personne ayant une déficience mentale et de la déposante fort peu crédible Susan Sharon » [sic]. Elle a fait valoir qu’il n’y avait pas lieu d’accueillir la requête lorsque des questions de crédibilité étaient soulevées.

[26] La demanderesse a également fait remarquer qu’elle n’avait pas eu la possibilité de contre‑interroger les auteurs des affidavits déposés par le défendeur à l’appui de sa requête et, en outre, qu’elle n’avait pas consenti au dépôt de la présente requête en jugement sommaire.

[27] La demanderesse a soutenu que le défendeur ne s’était pas conformé à l’article 213 des Règles, parce qu’il n’avait pas déposé de défense. Dans l’ensemble, elle s’est opposée à la requête.

[28] La demanderesse a demandé que la requête soit rejetée, avec des dépens de 6 000 $ en sa faveur, de pair avec d’autres mesures de réparation, dont :

  1. une ordonnance prescrivant la tenue de contre‑interrogatoires;

  2. une ordonnance prescrivant que des procédures criminelles soient engagées en lien avec les crimes qui auraient été commis à l’endroit de la demanderesse;

  3. une ordonnance enjoignant au Canada de cesser de violer les droits de la demanderesse;

  4. une ordonnance anonymisant l’identité de la demanderesse;

  5. une ordonnance de communication de documents frauduleux.

C. La réplique du défendeur

[29] En réplique, le défendeur a soutenu que le règlement de sa requête n’exigeait pas de contre‑interrogatoires sur les affidavits qu’il a déposés. Il a demandé que la Cour passe outre à l’exigence de tenir des contre‑interrogatoires.

[30] Le défendeur a aussi fait valoir que la requête en jugement sommaire ne soulève aucune question de crédibilité. Il s’est appuyé sur l’affidavit de Mme Charron à l’appui de son argument voulant que le fondement de l’action de la demanderesse soit un litige découlant d’un contrat privé, c’est‑à‑dire un contrat de location, conclu entre la demanderesse et M. Leblanc, comme l’a décidé la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans les affaires Leblanc v Algahamdi, 2021 ONSC 4899, Lina Ahmed v Ministry of the Attorney General, 2020 ONSC 7892, et Ahmed v Ontario (Attorney General), 2021 ONCA 427.

[31] Le défendeur a en outre soutenu que les lois et les règlements que la demanderesse avait cités dans ses observations écrites ne répondaient pas à l’exigence selon laquelle son action devait être fondée sur des règles de droit fédérales et ne conféraient pas l’attribution de la compétence requise pour étayer une demande à l’encontre du SCRS.

[32] De même, le défendeur a fait valoir que la demanderesse n’avait déposé aucune preuve en réponse à sa requête. Les Règles exigent que les parties à une requête en jugement sommaire présentent des éléments de preuve à l’appui de leurs positions respectives et qu’elles ne puissent pas attendre la production d’éléments de preuve qui pourraient être disponibles ultérieurement.

[33] Enfin, le défendeur a fait valoir que le fait que l’OSSNR s’était attribué la compétence sur la plainte de la demanderesse concernant le SCRS ne conférait pas compétence à la Cour fédérale sur cette allégation ou sur toute allégation formulée dans la déclaration.

D. Les observations supplémentaires

[34] Par une lettre datée du 5 janvier 2023, la demanderesse a demandé à la Cour de prendre en considération des observations supplémentaires. Elle s’est opposée à la demande du défendeur pour que l’action soit rejetée dans son intégralité, au motif que la requête n’avait été déposée que par un seul défendeur.

[35] La demanderesse a également cherché à présenter des éléments de preuve concernant l’enquête menée par l’OSSNR à l’égard de la plainte qu’elle avait déposée au titre la Loi sur l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, LC 2019, c 13, art 2. Elle a également inclus une décision, datée du 20 mai 2022, de la Commission de la location immobilière de l’Ontario.

[36] La demanderesse a aussi soumis un jugement daté du 7 octobre 2022, par laquelle la Cour d’appel de l’Ontario a rejeté son appel contre l’ordonnance la qualifiant de [TRADUCTION] « plaideuse vexatoire », que le juge Pollak, de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, a rendue le 7 décembre 2021.

[37] Dans sa lettre, la demanderesse a demandé que la présente action fasse l’objet d’une gestion d’instance, conformément aux Règles.

[38] Par un courriel envoyé le 5 janvier 2023, l’avocat du défendeur a fait savoir que l’ensemble des défendeurs avaient consenti à la requête en jugement sommaire du Canada.

[39] Par un autre courriel envoyé le 5 janvier 2023, l’avocat du défendeur s’est opposé à la demande de gestion d’instance à ce stade‑ci, en se réservant le droit de réexaminer la demande ultérieurement, le cas échéant.

IV. ANALYSE ET DISPOSITION

[40] Le défendeur présente une requête en jugement sommaire au titre du paragraphe 213(1) des Règles, dont le texte est le suivant :

Requête d’une partie

Motion by a party

213 (1) Une partie peut présenter une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire à l’égard de toutes ou d’une partie des questions que soulèvent les actes de procédure. Le cas échéant, elle la présente après le dépôt de la défense du défendeur et avant que les heure, date et lieu de l’instruction soient fixés.

213 (1) A party may bring a motion for summary judgment or summary trial on all or some of the issues raised in the pleadings at any time after the defendant has filed a defence but before the time and place for trial have been fixed.

[41] L’article 214 des Règles énonce l’obligation à laquelle est soumise une partie qui répond à une requête en jugement sommaire — la demanderesse en l’occurrence — et il prévoit ce qui suit :

Faits et éléments de preuve nécessaires

Facts and evidence required

214 La réponse à une requête en jugement sommaire ne peut être fondée sur un élément qui pourrait être produit ultérieurement en preuve dans l’instance. Elle doit énoncer les faits précis et produire les éléments de preuve montrant l’existence d’une véritable question litigieuse.

214 A response to a motion for summary judgment shall not rely on what might be adduced as evidence at a later stage in the proceedings. It must set out specific facts and adduce the evidence showing that there is a genuine issue for trial.

[42] L’article 215 des Règles traite des pouvoirs de la Cour lorsqu’elle est saisie d’une requête en jugement sommaire. Le paragraphe 215(1), l’alinéa 215(2)b) et le paragraphe 215(3) des Règles s’appliquent et prévoient ce qui suit :

Absence de véritable question litigieuse

If no genuine issue for trial

215 (1) Si, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence.

215 (1) If on a motion for summary judgment the Court is satisfied that there is no genuine issue for trial with respect to a claim or defence, the Court shall grant summary judgment accordingly.

Somme d’argent ou point de droit

Genuine issue of amount or question of law

2) Si la Cour est convaincue que la seule véritable question litigieuse est :

(2) If the Court is satisfied that the only genuine issue is

[…]

[…]

b) un point de droit, elle peut statuer sur celui‑ci et rendre un jugement sommaire en conséquence.

(b) a question of law, the Court may determine the question and grant summary judgment accordingly.

Pouvoirs de la Cour

Powers of Court

(3) Si la Cour est convaincue qu’il existe une véritable question de fait ou de droit litigieuse à l’égard d’une déclaration ou d’une défense, elle peut :

(3) If the Court is satisfied that there is a genuine issue of fact or law for trial with respect to a claim or a defence, the Court may

a) néanmoins trancher cette question par voie de procès sommaire et rendre toute ordonnance nécessaire pour le déroulement de ce procès;

(a) nevertheless determine that issue by way of summary trial and make any order necessary for the conduct of the summary trial; or

b) rejeter la requête en tout ou en partie et ordonner que l’action ou toute question litigieuse non tranchée par jugement sommaire soit instruite ou que l’action se poursuive à titre d’instance à gestion spéciale.

(b) dismiss the motion in whole or in part and order that the action, or the issues in the action not disposed of by summary judgment, proceed to trial or that the action be conducted as a specially managed proceeding.

[43] Le point central de la requête du défendeur est que la Cour n’a pas compétence sur la demande de la demanderesse.

[44] Dans l’arrêt ITO, précité, la Cour suprême du Canada a relevé trois conditions à remplir pour pouvoir établir que la Cour fédérale avait compétence sur une question particulière. À la page 766, la Cour a écrit ce qui suit :

La question de la compétence de la Cour fédérale se pose en l’espèce dans le contexte de la demande adressée par Miida contre ITO, une demande portant sur la négligence dont aurait fait preuve un manutentionnaire acconier dans l’entreposage après déchargement de la marchandise du destinataire. L’étendue générale de la compétence de la Cour fédérale a été examinée à maintes reprises par les tribunaux ces dernières années. Dans l’arrêt Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée, [1977] 2 R.C.S. 1054, et dans l’arrêt McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654, on a établi les conditions essentielles pour pouvoir conclure à la compétence de la Cour fédérale. Ces conditions sont les suivantes:

1. Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.

2. Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l’attribution légale de compétence.

3. La loi invoquée dans l’affaire doit être « une loi du Canada » au sens où cette expression est employée à l’art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[45] Le défendeur admet qu’il est satisfait au premier volet du critère ITO pour ce qui est de la demande visant le SCRS et l’OSSNR. Toutefois, cette admission ne suffit pas pour montrer que la Cour a compétence sur ce que la demanderesse allègue. Le fait que le défendeur [traduction] « puisse » être responsable du fait d’autrui pour des actes fautifs de préposés de la Couronne ne satisfait pas aux autres volets du critère ITO. Toute question de responsabilité du fait d’autrui découlerait de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC 1985, c C‑50.

[46] Je souscris aux observations du défendeur selon lesquelles les allégations de la demanderesse ne font pas entrer en jeu des règles de droit fédérales qui peuvent constituer le « fondement » de l’attribution légale de compétence.

[47] Les allégations de la demanderesse découlent d’un litige portant sur un contrat de location résidentielle. C’est là une question qui relève du droit provincial, c’est‑à‑dire de la Loi de 2006 sur la location à usage d’habitation, LO 2006, c 17.

[48] Dans sa déclaration, la demanderesse formule des allégations contre des membres du corps policier d’Ottawa. Les agents de police provinciaux ne sont pas des employés du défendeur, et la Cour fédérale n’a aucune compétence sur eux.

[49] Le troisième volet du critère ITO exige que la loi invoquée dans l’affaire soit une « loi du Canada », au sens où cette expression est employée à l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 (R‑U), 30 et 31 Victoria, c 3, art 91, réimprimée dans LRC 1985, annexe II, no 5.

[50] La « loi » qui semble s’appliquer aux questions dont la demanderesse fait état dans sa déclaration est soit le droit de l’Ontario soit celui des délits de common law, que la Cour ne peut pas examiner.

[51] La Cour fédérale est un tribunal d’origine législative, et sa compétence est spécifiée dans la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7.

[52] La demanderesse fait référence à plusieurs lois, dont la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, précitée. Ces références ne sont d’aucune utilité.

[53] Selon l’arrêt Peter G White Management Ltd c Canada (Ministre du Patrimoine canadien), [2007] 2 RCF 475 (CAF), lorsqu’elle est saisie d’une requête en jugement sommaire, la Cour se doit d’examiner le « caractère véritable » de la demande.

[54] Comme il a été mentionné ci‑dessus, le « caractère véritable » de la demande de la demanderesse est un litige découlant d’un contrat de location résidentielle de courte durée. Il n’y a aucun lien avec le droit fédéral. Ses allégations contre M. Ian Leblanc ne sont pas liées au statut ou rendement allégué de ce dernier en tant qu’employé du SCRS, mais plutôt à sa participation au contrat de location résidentielle conclu avec la demanderesse.

[55] En général, la Cour fédérale n’a pas compétence sur les délits de common law. Je me réfère à cet égard à l’arrêt Bande de Stoney c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2005 CAF 220, [2006] 1 RCF 570.

[56] Je souscris aux observations du défendeur selon lesquelles qu’il n’existe aucune question de crédibilité qui justifierait que la demanderesse contre‑interroge M. Leblanc, « Colin » et Mme Dang. La seule question à trancher dans le cadre de la requête en jugement sommaire est celle de savoir s’il existe une question sérieuse à trancher, qui découle de la déclaration de la demanderesse.

[57] La compétence ne peut se conférer sur consentement, et le critère relatif à sa reconnaissance est bien connu. Le défendeur a énoncé des arguments clairs et convaincants quant à la raison pour laquelle la Cour n’avait pas compétence à l’égard de la demande de la demanderesse, et la requête en jugement sommaire sera accueillie.

[58] La demanderesse allègue également des violations des droits que la Charte lui garantit.

[59] Dans l’arrêt Danson c Ontario (Procureur général), [1990] 2 RCS 1086 à la p 1099, la Cour suprême du Canada a enseigné qu’un tribunal ne devrait pas entreprendre de se prononcer sur une violation de droits garantis par la Charte sans un « contexte factuel adéquat ». La demanderesse n’a pas établi un tel contexte, et les arguments qu’elle invoque au sujet de violations des droits que la Charte lui garantit ne seront pas pris en compte.

[60] Il n’est pas nécessaire de traiter des observations supplémentaires que la demanderesse a formulées dans sa lettre du 5 janvier 2023. Ces observations n’abordent pas la question clé qu’a soulevée la requête du défendeur en jugement sommaire, c’est‑à‑dire de savoir si la déclaration de la demanderesse soulève une véritable question litigieuse.

[61] Par conséquent, la réparation que sollicite le défendeur sera accordée, et l’action sera rejetée dans son intégralité.

[62] Le défendeur sollicite des dépens de 500 $.

[63] Selon le paragraphe 400(1) des Règles, les dépens relèvent du pouvoir discrétionnaire absolu de la Cour.

[64] Habituellement, les dépens sont adjugés à la partie qui a gain de cause et je ne vois en l’espèce aucune raison de m’écarter de cette pratique. En tout état de cause, les dépens que sollicite le défendeur sont modestes.

[65] Des dépens de 500 $ seront adjugés au défendeur.


JUGEMENT dans le dossier T‑995‑21

LA COUR STATUE :

  1. La requête en jugement sommaire est accueillie, et l’action est rejetée dans son intégralité;

  2. Des dépens de 500 $ sont adjugés au défendeur.

« E.Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER:

T‑995‑21

INTITULÉ:

LENA AHMED c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (SCRS et OSSNR) ET AL

REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT ET EXAMINÉE À ST.JOHN’S (TERRE‑NEUVE‑ET‑LABRADOR), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

MOTIFS ET JUGEMENT:

LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT:

 

LE 1er MAI 2023

OBSERVATIONS ÉCRITES:

Lina Ahmed

POUR LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Jacob Blackwell

POUR LE DÉFENDEUR

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(SCRS et OSSNR)

J.F.Lalonde

POUR LE DÉFENDEUR

IAN GILES LEBLANC

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTÈRE DU PROCUREUR GÉNÉRAL/LE BUREAU DU DIRECTEUR INDÉPENDANT DE L’EXAMEN DE LA POLICE (BDIEP)

 

Michelle Doody

 

POUR LES DÉFENDEURS

LA COMMISSION DE SERVICES POLICIERS D’OTTAWA, LE SERGENT JEFF AYLEN, L’AGENT LEMIEUX MICHAEL, L’AGENT LEGROS PIERRE, LE DÉTECTIVE CHRI EVRIRE, LE DÉTECTIVE ALI TOGROL, LE SERGENT MARK BAOUWMEESTER (BDIEP) ET LE CHEF PETER SLOLY

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Le procureur général du Canada

Toronto(Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(SCRS et OSSNR)

Vice and Hunter LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

IAN LEBLANC

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTÈRE DU PROCUREUR GÉNÉRAL/LE BUREAU DU DIRECTEUR INDÉPENDANT DE L’EXAMEN DE LA POLICE (BDIEP)

 

Borden Ladner Gervais, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

LA COMMISSION DE SERVICES POLICIERS D’OTTAWA, LE SERGENT JEFF AYLEN, L’AGENT LEMIEUX MICHAEL, L’AGENT LEGROS PIERRE, LE DÉTECTIVE CHRI EVRIRE, LE DÉTECTIVE ALI TOGROL, LE SERGENT MARK BAOUWMEESTER (BDIEP) ET LE CHEF PETER SLOLY

 

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