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Date : 20230519


Dossier : IMM-8845-22

Référence : 2023 CF 700

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 19 mai 2023

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

ANGELA UCHECHI SUCCESS AZUKA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Mme Azuka sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR] a rejeté sa demande d’asile. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. La SAR a raisonnablement conclu que Mme Azuka ne craindrait pas avec raison d’être persécutée dans son pays d’origine, le Nigéria, du fait de son sexe.

[2] Devant la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la CISR, Mme Azuka a fait valoir qu’elle craignait d’être persécutée du fait de ses opinions politiques. Elle n’a mentionné qu’indirectement la violence fondée sur le sexe. La SPR a rejeté sa demande d’asile.

[3] Devant la SAR, Mme Azuka n’a pas donné suite à ses allégations fondées sur les opinions politiques. Elle a plutôt déposé de nouvelles preuves visant à démontrer qu’elle avait été victime de violence fondée sur le sexe au Nigéria et qu’elle craignait donc avec raison d’être persécutée du fait de son appartenance au groupe social des femmes. La SAR a accepté les nouveaux éléments de preuve et a reconnu que Mme Azuka avait été victime des actes de violence fondée sur le sexe suivants :

[…] elle a été violée deux fois, une fois enfant par un cousin plus âgé et une fois adolescente par son oncle; elle a été soumise à la MGF [mutilation génitale féminine]; elle s’est sentie forcée par sa famille de se marier; elle a subi de la violence psychologique de la part de la famille de son ancien époux; elle a subi de la violence physique et psychologique de la part de son ancien époux; et un ami de la famille a demandé des faveurs sexuelles en échange d’une référence professionnelle favorable.

[4] Toutefois, même si elle a conclu à la véracité des faits que Mme Azuka avait allégués, la SAR a fait remarquer que Mme Azuka ne prétendait pas craindre la persécution aux mains des personnes qui lui avaient fait du mal dans le passé. La SAR s’est également penchée sur l’argument de Mme Azuka selon lequel les personnes se trouvant dans une situation semblable au Nigéria craindraient avec raison d’être persécutées. À cet égard, la SAR a tiré la conclusion suivante :

J’accepte entièrement le fait que la preuve relative aux conditions dans le pays mentionnée par l’appelante – ainsi que celle présentée dans d’autres parties du CND – démontre qu’il y a de mauvais traitements et des abus envers les femmes au Nigéria, notamment de la discrimination à l’égard des femmes âgées qui ne sont pas mariées, et qu’elles vivent de la discrimination dans des domaines comme l’emploi et l’accès au logement. Toutefois, même lorsque je prends en considération ces renseignements parallèlement au témoignage de l’appelante au sujet de ses expériences, j’estime qu’elle n’a pas démontré que la situation au Nigéria est telle que les femmes en général ou les femmes âgées qui ne sont pas mariées sont exposées à une possibilité sérieuse de persécution en raison de leur sexe, leur âge ou leur état matrimonial, que ce soit séparément ou cumulativement. De plus, je remarque qu’il n’a pas été démontré que le traitement discriminatoire que les femmes ou les femmes célibataires âgées peuvent subir au Nigéria est [traduction] « suffisamment grave ou systémique » pour être qualifié de persécution, qu’il soit considéré sur une base individuelle ou cumulative.

[5] Mme Azuka soutient que les conclusions de la SAR sont déraisonnables.

[6] Elle conteste tout d’abord le fait que la SAR [traduction] « a exigé [qu’elle] prouve qu’elle sera persécutée par les mêmes personnes à l’avenir ». C’est toutefois mal interpréter le raisonnement de la SAR. En réalité, la SAR s’est penchée sur deux types de persécution : la poursuite de la persécution par les mêmes agents et la persécution ciblant un groupe de personnes se trouvant dans une situation semblable. La SAR a simplement pris note du fait que Mme Azuka n’avait pas fondé sa demande d’asile sur le premier type de persécution, et elle a procédé à l’analyse du deuxième type de persécution. Ainsi, la SAR n’a pas exigé que Mme Azuka prouve qu’elle était exposée à un risque personnel.

[7] Mme Azuka conteste ensuite l’affirmation suivante de la SAR :

La question est de savoir si l’appelante a démontré que les sévices ou le harcèlement au Nigéria sont suffisamment graves ou systématiques pour justifier une allégation selon laquelle toutes les personnes au Nigéria qui partagent le profil de l’appelante méritent l’asile, c’est-à-dire une femme journaliste légalement séparée dans la mi-cinquantaine qui a subi de graves sévices fondés sur le sexe.

[8] En écrivant cela, la SAR n’a commis aucune erreur. Cette affirmation concorde avec les propos que le juge Robert Décary a tenus à la page 258 de l’arrêt Salibian c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 250 (CA) :

[…] le requérant peut prouver que la crainte qu’il entretenait résultait non pas d’actes répréhensibles commis ou susceptibles d’être commis directement à son égard, mais d’actes répréhensibles commis ou susceptibles d’être commis à l’égard des membres d’un groupe auquel il appartenait[.]

[9] Il va de soi que, lorsque le fait d’appartenir à un groupe victime de persécution est suffisant pour justifier l’octroi du statut de réfugié, toutes les personnes qui partagent les mêmes caractéristiques, c’est-à-dire tous les membres du groupe, auront établi le fondement objectif de leur crainte, ce qui est un élément essentiel de la demande d’asile. Je ne crois pas que le commentaire de la SAR visait à exiger que Mme Azuka établisse que toutes les femmes au Nigéria ont été victimes de persécution ou ont une crainte subjective. La SAR voulait simplement dire que Mme Azuka devait établir que les mauvais traitements infligés aux membres du groupe allégué faisaient en sorte que tous les membres du groupe avaient une crainte objective d’être persécutés.

[10] Cette question est au cœur de la présente affaire. À cet égard, Mme Azuka soutient que la conclusion tirée par la SAR et citée ci-dessus au paragraphe [4] est [traduction] « manifestement déraisonnable », car la SAR n’a pas tenu compte de la [traduction] « preuve accablante » des mauvais traitements infligés aux femmes au Nigéria.

[11] Je ne suis pas convaincu que ce soit le cas. La SAR a reconnu qu’elle devait tenir compte du cartable national de documentation [le CND] sur le Nigéria. Elle a résumé, en un paragraphe, le contenu du CND en ce qui a trait à la violence fondée sur le sexe et à la discrimination contre les femmes, et elle a accepté entièrement cette preuve. Dans ses observations écrites, Mme Azuka n’a pas expliqué en quoi l’analyse de la SAR était déficiente ni quels éléments de preuve avaient été écartés. À l’audience, lorsque la question a été soulevée, elle s’est contentée de renvoyer à ses observations écrites devant la SAR, qui contiennent un résumé de deux pages des points saillants du CND. Or, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, il ne suffit pas de répéter les observations qui ont été présentées au décideur, sans expliquer en quoi l’appréciation de la preuve était déraisonnable. En outre, la SAR a accepté pour l’essentiel les faits sur lesquels Mme Azuka s’appuyait.

[12] Il semble donc que Mme Azuka conteste en réalité la conclusion de droit tirée par la SAR selon laquelle les faits ne suffisent pas à établir une crainte fondée de persécution, c’est-à-dire que la discrimination cumulative dont les Nigérianes sont victimes n’équivaut pas à de la persécution. Cependant, elle n’a pas contesté directement cette conclusion de droit dans ses observations et n’a invoqué aucune décision dans laquelle la conclusion contraire aurait été tirée. Le raisonnement de la SAR dans la présente affaire concorde plutôt avec celui exposé dans ses décisions antérieures : X (Re), 2015 CanLII 108994 au paragraphe 26; X (Re), 2019 CanLII 143597 au paragraphe 17. Pour cette raison, je ne puis conclure que la décision de la SAR est déraisonnable.

[13] Mme Azuka conteste également les parties de la décision dans lesquelles la SAR a rejeté ses prétentions sur la manière dont la SPR a traité certains éléments de la preuve. Toutefois, comme je le mentionne plus haut, la SPR n’a examiné que la question de la persécution fondée sur les opinions politiques, qui n’était plus en cause devant la SAR. La SAR a accepté tous les faits allégués par Mme Azuka et a essentiellement procédé à une nouvelle analyse de sa demande d’asile. Les conclusions de la SPR n’ont eu qu’une incidence très limités sur le processus suivi. Il n’est donc pas nécessaire que j’examine les prétentions de Mme Azuka à cet égard.

[14] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire de Mme Azuka sera rejetée.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-8845-22

LA COUR STATUE :

1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2. Aucune question n’est certifiée.

« Sébastien Grammond »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-8845-22

 

INTITULÉ :

ANGELA UCHECHI SUCCESS AZUKA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 mai 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 mai 2023

 

COMPARUTIONS :

Arghavan Gerami

 

Pour la demanderesse

 

Yusuf Khan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gerami Law PC

Ottawa (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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