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Date : 20230519


Dossier : T-685-22

Référence : 2023 CF 701

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 mai 2023

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

MATTHEW DUIKER,

TIM COTTON

ET

TRISTIN KEREKES

demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] Matthew Duiker, Tim Cotton et Tristin Kerekes [les demandeurs] demandent le contrôle judiciaire de la décision du 3 mars 2022 [la décision] par laquelle la directrice régionale [la DR] du Programme du travail d’Emploi et Développement social Canada [EDSC] a refusé d’enquêter sur leur refus de travailler, conformément à l’article 129 du Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2 [le CCT].

[2] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau qui leur incombait de démontrer que la décision était déraisonnable et qu’elle a été rendue sans respecter l’équité procédurale.

II. Contexte

[3] En raison de la nature sensible de certains documents du dossier certifié du tribunal [le DCT] et des dossiers des parties, la Cour a prononcé plusieurs ordonnances de confidentialité. Par conséquent, le présent jugement et les présents motifs porteront sur la nature générale des faits et des questions en litige, conformément à ces ordonnances.

[4] Les demandeurs sont trois agents correctionnels [les AC] à l’Établissement d’Edmonton [l’EE] à sécurité maximale. À ce titre, ils sont représentés par le Syndicat des agents correctionnels du Canada [le syndicat ou le SACC].

[5] Le 8 février 2022, à la suite d’un incident décrit en détail plus loin, le Service correctionnel du Canada [le SCC ou l’employeur] a retiré les carabines C8 [la carabine C8] de certains postes de contrôle secondaire de l’EE. Les demandeurs étaient d’avis que le retrait des carabines C8 créait un danger parce que les AC n’auraient aucun moyen d’arrêter immédiatement une attaque par un détenu. Après des discussions infructueuses entre les AC et l’employeur pour régler la question, les demandeurs et d’autres AC ont exercé un refus de travailler conformément à l’article 128 du CCT. Comme il sera indiqué plus loin, il s’agissait du troisième refus de travailler.

[6] Un enquêteur a conclu que le refus de travailler avait été fait de mauvaise foi et a recommandé que la DR refuse d’enquêter sur la question [la recommandation]. Le 3 mars 2022, la DR a accepté la recommandation. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la DR. À cette fin, je dois également examiner les événements et les refus de travailler qui ont précédé la décision de la DR.

A. Événements antérieurs

[7] Le 21 décembre 2021, 16 AC de l’EE ont exercé un refus de travailler en raison de la décision de l’employeur de revenir aux mesures pré-COVID en ce qui concerne l’horaire des déplacements des détenus, à savoir, en ayant 12 détenus hors de leur cellule au niveau supérieur et 12 détenus hors de leur cellule au niveau inférieur des unités résidentielles [le premier refus de travailler]. Le 21 janvier 2022, le Programme du travail a conclu à [traduction] l’« absence de danger ». Cette décision n’a pas fait l’objet d’un appel et ne fait pas directement l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[8] Le 11 janvier 2022, au cours de l’enquête susmentionnée, le demandeur Cotton a exercé un refus de travailler à la suite d’un incident survenu le 8 janvier 2022. Une carabine C8 avait été déchargée et la balle a pénétré dans une porte coupe-feu [le deuxième refus de travailler]. Lui et d’autres AC ont affirmé que l’utilisation d’une carabine C8 dans les unités résidentielles [traduction] « internes » présentait un danger.

[9] Avant le deuxième refus de travailler, les AC travaillaient selon un [traduction] « horaire normal », tel qu’il est décrit plus haut. Tous les détenus d’une unité résidentielle se rassemblaient à certains moments et les AC patrouillaient dans les unités pendant ces périodes. Après le deuxième refus de travailler, les AC ont commencé à travailler selon un [traduction] « horaire modifié », où tous les détenus d’une unité résidentielle ne se rassemblaient généralement pas. Les déplacements des détenus étaient plutôt limités à [traduction] « un du haut et un du bas », ce qui signifie qu’un seul détenu des niveaux supérieur et inférieur d’une unité résidentielle pouvait quitter sa cellule et accéder aux équipements collectifs de cette unité résidentielle. L’exception à cet horaire avait lieu lorsque les gestionnaires correctionnels surveillaient le rassemblement des détenus dans une unité résidentielle et que tous les détenus étaient autorisés à sortir de leur cellule.

[10] Au cours de l’enquête sur le deuxième refus de travailler, l’employeur a soutenu que, lorsqu’elles étaient utilisées de manière appropriée par un AC, les carabines C8 ne présentaient pas de danger ou de risque grave.

[11] Le deuxième refus de travailler a initialement fait l’objet d’une enquête par Jeremy Butterworth, le directeur adjoint, Opérations, intérimaire [le DAO/i]. Selon le rapport du DAO/i Butterworth, il n’y avait aucun danger. En réponse, les AC ont continué à refuser de travailler. Par conséquent, l’affaire a été renvoyée à un comité mixte employeur/employé pour la tenue d’une enquête plus approfondie. Le rapport du comité a été fourni à la direction de l’EE, qui a de nouveau conclu qu’il n’y avait aucun danger. Puisque les AC persistaient dans leur refus de travailler, l’affaire a été renvoyée à EDSC.

[12] Le 1er février 2022, l’enquêteur principal [l’enquêteur] d’EDSC a conclu à l’existence d’un danger. L’enquêteur a expliqué que [traduction] « tirer une balle de la carabine C8 à l’intérieur des unités résidentielles A à H expose les AC travaillant de l’autre côté de la porte coupe-feu entièrement métallique à un risque élevé de blessure, voire de mort ».

[13] Le 8 février 2022, l’employeur a retiré la carabine C8 des postes de contrôle secondaire des unités résidentielles A à H.

[14] Les 8 et 9 février 2022, les AC et l’employeur ont tenu deux réunions pour discuter du retrait des carabines C8. Les parties ne s’entendent pas sur ce qui s’est passé lors de ces réunions. Les AC soutiennent que l’AC Mayer, qui n’est pas un demandeur dans la présente instance, a déposé une plainte au titre de l’article 127.1 du CCT concernant le retrait des carabines C8 afin de permettre un dialogue continu entre les AC et l’employeur pour parvenir à une solution. L’employeur affirme qu’aucune plainte de ce genre n’a été déposée.

[15] Le 10 février 2022, l’employeur a informé les AC de l’unité F qu’ils reprendraient un horaire normal dans une demi-heure. En réponse, les demandeurs et d’autres AC ont présenté un troisième refus de travailler au motif que l’absence de carabines C8 dans les postes de contrôle secondaire créait un danger [le troisième refus de travailler]. Avec cet horaire, les AC n’étaient pas en mesure de mettre immédiatement fin à une attaque par un détenu de l’unité. Le demandeur Kerekes a déclaré que les substituts à la carabine C8 n’auraient pas la force létale nécessaire pour empêcher les détenus de les attaquer. Le demandeur Cotton a expliqué plus tard au cours de son entrevue avec le Comité que les détenus savaient se soustraire aux substituts à la carabine C8 avec des armures artisanales et des couvertures. Le demandeur Duiker a également expliqué au cours de son entrevue que la carabine C8 était plus efficace pour immédiatement frapper d’incapacité un détenu afin de mettre fin à tout comportement violent.

[16] Conformément au régime prévu par le CCT, le troisième refus de travailler a été évalué en plusieurs étapes. Le demandeur Duiker, en tant que représentant des employés, a d’abord rencontré le DAO/i Butterworth pour discuter du troisième refus de travailler. Le DAO/i Butterworth a délivré une réponse écrite, dans laquelle il concluait encore qu’il n’y avait aucun danger. Le demandeur Duiker a maintenu son refus de travailler à la suite de la réponse. Les parties ont ensuite mis en place un autre comité mixte employeur/employé [le Comité] pour examiner le troisième refus de travailler et déterminer l’existence éventuelle d’un danger. Le DAO Mallett, le représentant de l’employeur, et Kelly Monson, la représentante des employés, se sont entretenus avec les AC le 16 février 2022.

[17] Le 22 février 2022, le Comité a communiqué son rapport écrit. Le DAO Mallett n’a constaté aucun danger, tandis que l’AC Monson a constaté le contraire. L’affaire a ensuite été renvoyée au directeur de l’établissement, Gary Sears. Le 24 février 2022, le directeur de l’établissement Sears a conclu qu’il n’y avait aucun danger. Le lendemain, l’affaire a été renvoyée à EDSC.

[18] Il semble qu’EDSC ait de nouveau nommé l’enquêteur pour examiner le refus de travailler et que l’enquêteur ait demandé à l’employeur de lui fournir des détails sur le refus de travailler. La portée de ces communications n’est pas évidente. L’enquêteur ne semble pas avoir communiqué avec les demandeurs, l’AC Mayer ou des représentants syndicaux pour discuter des allégations de l’employeur.

[19] L’enquêteur a ensuite présenté un rapport comprenant la recommandation susmentionnée. L’enquêteur a joint deux documents à la recommandation : une justification concernant le refus frivole de travailler à l’EE du SCC [la justification] et une ébauche de décision de ne pas enquêter sur le refus [l’ébauche de décision]. L’enquêteur a indiqué au début de la justification que [traduction] « le présent enquêteur principal adopte la position selon laquelle les AC et leur syndicat utilisent le processus de refus de travailler avec de la mauvaise volonté, de la malice et de l’hostilité dans le but de frustrer et d’ennuyer l’employeur » (non souligné dans l’original). Les demandeurs affirment que l’enquêteur a fondé son point de vue sur les éléments suivants :

  • Le fait que le syndicat [traduction] « contourne » une approche collaborative permettant de travailler avec l’employeur sur la question du retrait des carabines C8 et qu’il utilise plutôt « le processus de refus pour porter immédiatement l’attention sur un élément qui convient mieux d’être traité dans le cadre du PRIP [processus de règlement interne des plaintes] ». Cette approche était « vexatoire, vu le manque de respect envers toute collaboration pour faire avancer les choses »;

  • Les courriels du gestionnaire correctionnel [GC] Lautermilch et du DAO/i Butterworth qui transmettaient les déclarations prétendument faites par l’AC Mayer, dont celle où il aurait [traduction] « menacé de prendre des mesures illégales si les carabines C8 étaient retirées » en déclarant que « si les C8 sont retirées, [il] veillerai[t] à ce qu’aucun détenu ne puisse sortir de sa cellule pendant des mois ». Selon l’enquêteur, cette déclaration [traduction] « a montré l’intention au nom du syndicat de prendre les choses en main s’il n’était pas d’accord avec la décision ou l’orientation de l’employeur »;

  • Le fait que, selon la direction de l’EE, [traduction] « le SACC s’était livré à de l’“intimidation” ou à d’autres tactiques d’intimidation envers les agents qui n’étaient pas d’accord avec ce refus fondé sur l’article 128 » et qu’il y aurait eu des refus de travailler planifiés. Des AC auraient fourni ces renseignements à l’employeur, mais ils ont refusé de les consigner par crainte de représailles. Selon l’enquêteur, cette information indiquait que [traduction] « les mesures prises par le syndicat dans cette affaire et les autres prévues constituent une utilisation abusive du [CCT] ».

III. La décision

[20] La DR disposait de la recommandation, de la justification et de l’ébauche de décision. Le 3 mars 2022, la DR a communiqué sa décision, dans laquelle elle concluait, suivant l’alinéa 129(1)c) du CCT, que le troisième refus de travailler était entaché de mauvaise foi.

[21] La décision a confirmé le point de vue de l’enquêteur selon lequel les AC ont agi de mauvaise foi en contournant le PRIP qui prévoit de travailler de manière collaborative avec le comité de santé et de sécurité établi. La DR a également constaté que, puisque les AC suivaient un horaire modifié, il n’y avait aucune menace imminente de préjudice grave à ce moment‐là pour les AC qui refusaient de travailler.

[22] La DR a conclu que, conformément au paragraphe 129(1.2) du CCT, les AC qui refusaient de travailler n’avaient plus le droit, en vertu du paragraphe 128(15) du CCT, de maintenir leur refus et devaient reprendre leur horaire de travail normal dans l’EE, conformément aux directives de l’employeur.

IV. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[23] Compte tenu des observations des parties, les questions en litige sont les suivantes :

  1. La décision était-elle raisonnable?

  2. La décision a-t-elle été prise dans le respect de l’équité procédurale?

[24] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable à la première question en litige est celle de la décision raisonnable, puisque la présomption à cet égard n’est pas réfutée (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16‐17 [Vavilov]). Le contrôle effectué selon la norme de la décision raisonnable exige que la cour de révision tienne compte à la fois du résultat de la décision et du raisonnement à l’origine de ce résultat afin de s’assurer que la décision, dans son ensemble, possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov, aux para 15, 99). Pour qu’une décision soit raisonnable, le décideur doit tenir dûment compte de la preuve dont il dispose et répondre aux observations des demandeurs (Vavilov, aux para 125-128). La Cour n’infirmera une décision que si elle souffre de lacunes ou de déficiences graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle « satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au para 100).

[25] Les parties conviennent également que la norme de contrôle applicable à la question de l’équité procédurale est essentiellement celle de la décision correcte (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 49, 54 [Chemin de fer CP]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43). La Cour n’a aucune marge de manœuvre et il ne lui appartient pas de faire preuve de déférence sur les questions d’équité procédurale. Au contraire, lorsqu’elle évalue la question de savoir s’il y a eu manquement à l’équité procédurale, la cour de révision doit déterminer si la procédure suivie par le décideur était équitable, compte tenu de toutes les circonstances, et si le demandeur « connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre » (Chemin de fer CP, au para 54; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux p 837-841 [Baker]; Burlacu c Canada (Procureur général), 2022 CF 1223 au para 15 [Burlacu]).

V. Analyse

A. La décision était-elle raisonnable?

(1) La position des demandeurs

[26] Les demandeurs ne demandent pas à la Cour de décider si la décision de retirer les carabines C8 était raisonnable ou si le retrait des carabines C8 constituait un danger. La demande vise plutôt la question de savoir si la décision de la DR de rejeter le troisième refus de travailler pour cause de mauvaise foi était raisonnable et celle de savoir si elle a été prise dans le respect de l’équité procédurale.

[27] La conclusion de mauvaise foi formulée par la DR n’est ni fondée en droit ni étayée par les faits. Le CCT et la jurisprudence pertinente permettent à un employé de refuser de travailler sans prendre de mesures préalables (CCT, art 128). Cette disposition permet simplement à un employé de refuser de travailler s’il a « des motifs raisonnables de croire » que le travail constituerait un danger. Ce droit ne peut être exercé lorsque le refus pourrait constituer un danger pour autrui ou lorsque le danger visé par le refus constitue une condition normale de l’emploi (CCT, art 128(2)).

[28] De plus, un refus de travailler est un mécanisme d’urgence et de secours (Service correctionnel du Canada c Ketcheson, 2016 TSSTC 19 [Ketcheson]) :

[144] Il est important de noter que le droit de refuser de travailler n’est pas tributaire du fait que l’employé a préalablement tenté de régler le problème de SST par d’autres moyens. Un employé peut choisir de refuser de travailler lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire qu’il y a un danger, sans égard à ce qui s’est produit auparavant. C’est un droit important et puissant. De par la manière dont le Code est conçu, il est manifeste que le refus de travailler doit être utilisé en tant que mesure d’urgence et que la plupart des efforts visant à atténuer les risques et à protéger les employés doivent être déployés ailleurs.

[Non souligné dans l’original.]

[29] En premier lieu, l’article 127.1 du CCT, qui prévoit le PRIP, exclut clairement l’article 128. En d’autres termes, obliger les AC à passer par un PRIP avant de refuser de travailler irait à l’encontre des objectifs de la partie II du CCT, qui est de traiter immédiatement les questions de sécurité au travail.

[30] En deuxième lieu, même s’il y avait une telle exigence, des éléments de preuve importants ont été négligés ou ignorés par la DR et l’enquêteur. Ces éléments démontrent que les AC ont tenté de travailler en collaboration avec l’employeur avant le refus de travailler. Par exemple, l’AC Mayer a d’abord tenté de résoudre la question en présentant une plainte conformément à l’article 127.1 du CCT. Une telle plainte concerne le cas d’un employé qui croit, pour des motifs raisonnables, à l’existence d’une situation dont sont susceptibles de résulter un accident, une blessure ou une maladie liés à l’occupation d’un emploi.

[31] Par ailleurs, les points suivants ne sont pas contestés :

  • Lors de la réunion du 8 février 2022, l’AC Mayer a exprimé ses préoccupations relatives au danger que présentait le retrait des carabines C8 pour les AC. Cette rencontre n’a pas permis de régler la situation.

  • Le 9 février 2022, l’AC Mayer et le demandeur Cotton ont de nouveau rencontré le DAO Mallett. Pendant cette rencontre, l’AC Mayer a présenté à ce dernier une proposition écrite détaillée pour répondre à la conclusion de danger formulée le 1er février 2022 par l’EDSC tout en permettant le maintien des carabines C8 dans les postes de contrôle d’unité. Il n’y a pas eu de réponse à cette proposition.

[32] Quelle que soit la formalité de la plainte fondée sur l’article 127.1, les parties favorisaient la réalisation de l’objectif du CCT en travaillant ensemble pour réduire les risques perçus avant d’exercer un refus de travailler. Dans son rapport, le Comité a également fait état de ces efforts avant le refus de travailler. À tout le moins, l’enquêteur et la DR auraient dû communiquer avec le demandeur Cotton ou l’AC Mayer pour obtenir d’autres renseignements s’ils avaient des doutes au sujet de la plainte fondée sur l’article 127.1.

[33] En troisième lieu, la décision ne tient pas compte du fait que le refus de travailler a été expressément fait en réponse à l’ordre de la direction de l’EE selon lequel l’unité F retournerait à son horaire normal dans une demi-heure, créant ainsi une situation dangereuse. Le refus de travailler n’est pas survenu lorsque les carabines C8 ont été initialement retirées des postes de contrôle d’unité puisque, à ce moment-là, l’horaire des unités était toujours modifié. Le risque de préjudice de la part des détenus que couraient les AC n’était donc pas le même.

[34] En dernier lieu, la DR a commis une erreur dans l’appréciation de ce qui constituait un danger. Dans le CCT, le « danger » est défini en tant que « [s]ituation, tâche ou risque qui pourrait vraisemblablement présenter une menace imminente ou sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée avant que, selon le cas, la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté » (non souligné dans l’original). Le CCT n’exige pas la présence d’une [traduction] « menace imminente de préjudice grave », mais plutôt celle d’« une menace imminente ou sérieuse ».

(2) La position du défendeur

[35] La DR a raisonnablement refusé d’enquêter sur le troisième refus de travailler. Comme le Tribunal l’a souligné dans la décision Ketcheson, « [l]e droit des employés de refuser de travailler n’est pas la manière normale et habituelle d’atténuer les risques; c’est un mécanisme d’urgence et de secours lorsque les éléments principaux du [système de responsabilité interne] n’ont pas été efficaces » (au paragraphe 140). Les modifications apportées en 2014 au CCT visaient à renforcer le système de responsabilité interne [le SRI] afin de réduire la nécessité pour les délégués ministériels de se rendre sur le lieu de travail et d’enquêter sur un refus de travailler (Ketcheson, aux para 170-173).

[36] Lorsque la DR est d’avis qu’un refus continu de travailler est entaché de mauvaise foi, elle n’est pas tenue d’enquêter sur la question (CCT, art 129(1)c)). S’il est vrai que le CCT permet à un employé d’exercer son droit de refuser de travailler sans prendre de mesures préalables, l’existence de ce droit n’empêche pas de conclure qu’un refus continu fondé sur le paragraphe 128(15) du CCT était entaché de mauvaise foi. Le droit à un refus continu de travailler n’est pas absolu.

[37] La DR a raisonnablement déterminé que le troisième refus de travailler était entaché de mauvaise foi. Lorsqu’elle est examinée à la lumière de la justification et de la recommandation de l’enquêteur, la décision tient compte de deux préoccupations principales concernant le refus de travailler. Tout d’abord, la DR a relevé des préoccupations concernant la courte période et la contradiction apparente entre les refus de travailler successifs. Ensuite, la DR a constaté que les AC ont fait preuve de mauvaise foi en contournant le PRIP.

[38] La courte période et la contradiction entre les refus de travailler suggèrent de la mauvaise foi, puisque les AC qui refusaient de travailler n’étaient pas assujettis à un horaire normal. Bien que les demandeurs reconnaissent que le demandeur Duiker a été informé que l’unité F retournerait à l’horaire normal juste avant le refus de travailler, c’est oublier que d’autres agents qui ont refusé de travailler étaient affectés à différentes unités résidentielles, dont aucune n’était revenue à l’horaire normal. Les AC ont même refusé les ordres directs d’exécuter l’horaire modifié ou de laisser les détenus sortir de leur cellule. Cela a empêché le personnel de l’EE d’accéder aux unités résidentielles. Dans certains cas, les services médicaux ou religieux de base n’ont pas pu être fournis comme prévu. Dans ces circonstances, il était raisonnable pour l’enquêteur de conclure que le refus de travailler des AC n’était pas fondé sur l’existence d’une menace imminente ou sérieuse.

[39] En ce qui concerne la deuxième préoccupation, les AC n’ont fait aucune tentative sérieuse pour résoudre les problèmes perçus, au moyen du SRI. Le DAO Mallett a expressément nié avoir été informé qu’une plainte fondée sur l’article 127.1 avait été déposée. La preuve documentaire n’appuie pas non plus l’affirmation des demandeurs selon laquelle le danger allégué menant au refus de travailler du 10 février 2022 a été discuté avec l’employeur dans le cadre d’une plainte fondée sur l’article 127.1.

[40] La proposition des demandeurs préconise le retour de la carabine C8, mais elle n’indique nulle part le risque de danger, d’accident, de blessure ou de maladie posé par l’absence de la carabine C8.

[41] Les discussions entre le DAO Mallett et l’AC Mayer n’ont pas été portées à l’attention de la DR et n’intéressent donc pas la question du caractère raisonnable de la décision. Même si ces discussions étaient recevables dans le cadre d’un contrôle judiciaire et pouvaient être caractérisées comme donnant lieu à une plainte fondée sur l’article 127.1, le PRIP ne prend pas fin après le dépôt d’une telle plainte. Le CCT permet à l’employé et à l’employeur de renvoyer la plainte non résolue au président du comité local ou au représentant pour une enquête conjointe. La plainte peut également être renvoyée au chef qui effectuera une enquête. Comme aucune de ces mesures n’a été prise en l’espèce, il est clair que les AC qui ont refusé de travailler n’ont « pas permis au processus de fonctionner » (Service correctionnel du Canada c Aldred, 2019 TSSTC 11 au para 81). Par conséquent, il était raisonnable pour la DR de conclure que le refus de travailler était entaché de mauvaise foi.

(3) Conclusion

[42] L’alinéa 129(1)c) du CCT permet à la DR de refuser d’enquêter sur une question si le refus continu d’un employé de travailler est entaché de mauvaise foi. Les modifications apportées au CCT en 2014 visaient à « renforcer le SRI » pendant les refus de travailler afin que la DR puisse utiliser ses ressources plus efficacement (Ketcheson, au para 170). Cependant, la DR doit être convaincue que le refus de travailler était entaché de mauvaise foi.

[43] Un refus continu de travailler sera caractérisé par la DR comme ayant été entaché de mauvaise foi s’il répond à la définition énoncée dans Plainte futile, frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi – 905-1-IPG-083, l’une des Interprétations, politiques, et guides [les IPG] d’EDSC en matière de santé et de sécurité au travail :

[« entaché de mauvaise foi » signifie] effectué avec un motif secret : par exemple, motivé par de la mauvaise volonté, de l’hostilité, de la malice, de l’animosité personnelle, un manque d’équité ou d’impartialité, un manque d’honnêteté totale, comme la non-divulgation d’information. Cela comprend l’imprudence grave, la témérité et la faute intentionnelle. La mauvaise foi peut être établie par des éléments de preuve directs ou circonstanciels.

Exemples : Lorsqu’un maintien du refus vise simplement à contrarier ou à embarrasser, à contourner le processus interne de règlement des plaintes, ou à résoudre un conflit de négociation collective, par opposition à un réel problème de santé et de sécurité.

[44] À mon avis, la DR a raisonnablement conclu que le refus de travailler était entaché de mauvaise foi, conformément à l’alinéa 129(1)c) du CCT.

[45] La décision Ketcheson confirme qu’un refus de travailler est un « mécanisme d’urgence et de secours lorsque les éléments principaux du SRI n’ont pas été efficaces » (au paragraphe 140). En d’autres termes, le droit de refuser de travailler n’est pas illimité et ne doit être exercé que dans des situations d’urgence. De plus, l’environnement de travail intrinsèquement dangereux d’un établissement comme l’EE rend difficile d’envisager une situation dans laquelle un refus de travailler pour cause de violence ou de danger pourrait être justifié. L’enquêteur s’est fondé sur l’énoncé suivant de la décision Schmahl c Service correctionnel du Canada, 2017 TSSTC 3, pour tirer sa conclusion :

[78] [...] Étant donné que la probabilité de violence fait partie des situations d’emploi des agents de correction, lesquels sont spécifiquement formés pour composer avec ces situations, il est très difficile d’envisager une situation, dans un tel environnement, où le risque de violence pourrait justifier un refus de travailler autrement que dans des circonstances exceptionnelles et spécifiques.

[46] Compte tenu de ce qui précède, il était loisible à la DR de déterminer que le troisième refus de travailler en moins de 50 jours était une démonstration de mauvaise foi.

[47] Il était également loisible à la DR d’arriver à cette conclusion de mauvaise foi à la lumière des positions contradictoires concernant la carabine C8 dans le deuxième refus de travailler et le troisième refus de travailler. Par exemple, les déclarations du demandeur Cotton selon lesquelles le retrait de la carabine C8 entraînait un danger pour les AC sont contredites par sa position antérieure selon laquelle la décharge de la carabine C8 créait un danger. Plus précisément, dans son entrevue du 16 février 2022 concernant le troisième refus de travailler, le demandeur Cotton a expliqué que le retrait des carabines C8 des unités A à H présentait un danger grave tel que défini dans le CCT, puisque les AC ne disposeraient pas d’un outil efficace pour mettre immédiatement fin au comportement d’un détenu. Lorsqu’on lui a demandé s’il croyait qu’une arme à feu était un danger, il a répondu par la négative. Lorsqu’on lui a demandé si une balle déchargée créait un danger pour les AC travaillant dans la zone immédiate, il a répondu que cela dépendait des circonstances.

[48] Bien que, selon la preuve, les parties aient tenté de régler le problème à l’interne, leurs efforts ont finalement échoué.

[49] Par conséquent, compte tenu du dossier, la DR avait un motif raisonnable de conclure que le refus de travailler était entaché de mauvaise foi. Je ne vois aucune raison de modifier cette conclusion.

B. La décision a-t-elle été prise dans le respect de l’équité procédurale?

(1) La position des demandeurs

[50] La décision est fondée sur des données fausses ou inexactes. La recommandation, la justification et l’ébauche de décision de l’enquêteur étaient fondées uniquement sur des communications avec l’employeur, ce qui porte ainsi atteinte au droit des demandeurs à l’équité procédurale. Ces documents non divulgués contenaient des allégations préjudiciables et fausses contre les AC, le syndicat et les représentants syndicaux. Les demandeurs n’ont pas été avisés de toute allégation de mauvaise foi et n’ont pas eu l’occasion de la réfuter. Les AC ont également été privés de la possibilité d’informer l’enquêteur et la DR de leurs tentatives de travailler en collaboration avec la direction de l’EE pour remédier à la situation.

[51] Le décideur administratif doit agir équitablement lorsqu’il exerce un pouvoir conféré par la loi. Bien que le contenu précis de l’obligation d’agir avec équité varie selon les circonstances, le processus du décideur doit toujours être équitable (Baker, au para 22). L’un des principes fondamentaux de l’équité est qu’une partie doit avoir la chance d’être entendue lorsqu’une décision la touche (A. (L.L.) c B. (A.), [1995] 4 RCS 536 au para 27; Lusina c Bell Canada, 2005 CF 134 au para 30). Bien que le droit de répondre aux allégations contre un plaignant ne se rapporte pas nécessairement à tous les « éléments qui passent entre les mains d’un enquêteur dans le cadre de l’enquête », il se rapporte effectivement à des éléments présentés au décideur (Hutchinson c Canada (Ministre de l’Environnement), 2003 CAF 133 au para 49).

[52] La DR a adopté la quasi-totalité de l’ébauche de décision, à l’exception d’une allégation selon laquelle l’AC Mayer aurait fait peser la menace d’un arrêt de travail illégal si les carabines C8 étaient retirées. Un deuxième gestionnaire régional a probablement supprimé ce commentaire en raison d’une mauvaise perception.

(2) La position du défendeur

[53] L’obligation d’équité procédurale qui s’applique aux circonstances se situait à l’extrémité inférieure du spectre (Gupta c Canada (Procureur général), 2017 CAF 211 au para 31 [Gupta]). Il en est de même lorsqu’une décision met fin au droit d’un employé de refuser de travailler, en l’absence d’un droit d’appel prévu par la loi (Burlacu, aux para 17-25). Par conséquent, l’obligation se limitait au droit de présenter « des renseignements et des documents justificatifs » (Gupta, au para 31; Burlacu, aux para 17-19).

[54] La DR dispose d’un « vaste pouvoir discrétionnaire dans le contexte d’un processus établi qui est ni de nature judiciaire ni contradictoire » (Burlacu, au para 21). La DR a pu bénéficier d’une justification détaillée décrivant les conclusions de l’enquêteur, y compris des détails sur les refus de travailler antérieurs liés à la carabine C8, dont le deuxième a mené l’enquêteur à conclure à la présence d’un danger à peine quelques jours avant le troisième refus de travailler.

[55] Permettre à la DR d’écarter les refus de travailler de manière aussi officieuse et rapide que possible dans les circonstances appropriées renforce également l’objectif du SRI en tant que principal outil visant à atteindre l’objectif du CCT et à limiter les arrêts de travail aux véritables urgences (Ketcheson, aux para 131-144; Canada (Procureur général) c Fletcher, 2002 CAF 424 au para 20). Exiger quelque chose de plus pourrait « risque[r] de compliquer et de surjudiciariser un processus qui devait être officieux et rapide » (Gupta, au para 34). Cela pourrait également risquer de prolonger inutilement un arrêt de travail. La position des demandeurs va à l’encontre de l’objet du régime législatif de faire en sorte que la plupart des questions soient résolues dans le cadre du SRI et limite le large pouvoir discrétionnaire accordé expressément à la DR par le législateur de refuser d’enquêter sur un refus de travailler à une étape préliminaire.

[56] La DR a respecté le degré requis d’équité procédurale en l’espèce. Étant donné qu’elle n’a pas de fonction décisionnelle assez importante lorsqu’elle présente une décision préliminaire suivant le paragraphe 129(1) du CCT, la DR n’était pas liée par les règles de preuve qui s’appliquent à une cour ou à un tribunal quasi judiciaire. De plus, l’enquêteur s’est appuyé sur des renseignements sur lesquels il avait déjà enquêté et que connaissaient déjà les AC qui refusaient de travailler. La conclusion initiale de danger formulée par l’enquêteur était fondée sur une enquête complète.

[57] De plus, les demandeurs ont été avisés des allégations de mauvaise foi. Conformément au paragraphe 128(13) du CCT, ils ont été informés dans la réponse de l’employeur que ce dernier considérait le comportement des AC qui refusaient de travailler comme une activité syndicale illégale à la demande du syndicat. Les demandeurs ont reçu cette réponse le 24 février 2022, avant qu’ils décident de poursuivre le refus de travailler conformément au paragraphe 128(15) du CCT et avant que ce refus soit renvoyé à l’enquêteur le 25 février 2022.

[58] Compte tenu de la fréquence à laquelle certains des AC qui ont refusé de travailler se sont servis du processus de refus de travailler, il incombait aux AC de se familiariser avec les IPG pertinents. En l’espèce, selon le document pertinent des IPG, tel qu’il est indiqué plus haut, « entaché de mauvaise foi » comprend des refus de travailler continus qui sont poursuivis pour un motif ultérieur ou un but inapproprié. Contourner le PRIP est également cité à titre d’exemple. Compte tenu du régime législatif et des IPG, les demandeurs ne pouvaient pas s’attendre à ce que tout refus continu de travailler donne lieu à une enquête approfondie (Vavilov, au para 94).

[59] L’absence des échanges entre l’enquêteur et les AC qui refusaient de travailler dans le DCT ne porte pas un coup fatal à la décision. Le demandeur Duiker a été identifié comme le porte-parole des employés, comme il est indiqué dans le dossier.

[60] Il n’y a aucun élément de preuve à l’appui de l’affirmation des demandeurs selon laquelle l’enquêteur n’a pas tenté de communiquer avec eux ou qu’ils n’ont pas eu la possibilité de présenter des observations. La présente demande est l’une des rares situations dans lesquelles un affidavit aurait pu être admis afin de démontrer un manquement à l’équité procédurale (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 20).

[61] Les demandeurs invoquent à tort une jurisprudence inapplicable relative à la Commission canadienne des droits de la personne [la CCDP]. Néanmoins, une cour de révision n’interviendra que lorsqu’il y a une « enquête [...] manifestement déficiente » ou un cas de défaut d’examiner « une preuve manifestement importante » (Demitor c Westcoast Energy Inc. (Spectra Énergie Transmission), 2017 CF 1167 au para 69, conf par 2019 CAF 114 [Demitor]).

[62] Les affidavits des demandeurs n’expliquent pas le manquement à l’équité en l’espèce. Aucun des déposants n’a juré ou affirmé qu’il ignorait ou niait tout incident d’intimidation, d’activité syndicale concertée ou de cas où les agents avaient reçu l’ordre de ne pas laisser les détenus sortir de leur cellule. Les déposants ne nient pas non plus les faits importants suivants sur lesquels l’enquêteur s’est appuyé :

  • les circonstances entourant les refus de travailler successifs précédents;

  • la consultation du syndicat lors de l’évaluation des risques et des menaces de l’employeur;

  • le fait que seule l’unité F est revenue à un horaire normal à la date du refus de travailler;

  • le fait que des munitions supplémentaires ont été fournies pour le substitut à la carabine C8 à titre de mesure provisoire;

  • le fait que l’équipe d’intervention d’urgence était présente dans l’EE pour soutenir le personnel.

[63] Les demandeurs ne contestent pas non plus les renseignements contenus dans le DCT fournis par l’employeur, sauf pour l’ajout de précisions concernant les commentaires de l’AC Mayer.

[64] La disponibilité de recours en matière de contrôle judiciaire contrebalance le refus de la DR d’enquêter sur un refus de travailler à une étape préliminaire. Cependant, les demandeurs ont toujours le fardeau de démontrer le manquement à l’équité procédurale, ce qu’ils n’ont pas réussi à faire.

(3) Conclusion

[65] Le droit des demandeurs à l’équité procédurale n’a pas été enfreint.

[66] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’obligation d’équité procédurale se situait à l’extrémité inférieure du spectre. Le législateur a choisi de ne pas prévoir de processus décisionnel, contradictoire ou judiciaire pour décider s’il y avait lieu d’enquêter sur un refus de travailler, en application du paragraphe 129(1) du CCT (Gupta, au para 31). Par conséquent, le degré d’équité procédurale exigé dans les circonstances se limitait au droit de présenter « des renseignements et des documents justificatifs » (Gupta, au para 31; Burlacu, aux para 17-19). J’estime que le raisonnement du juge Gleeson dans la décision Burlacu est particulièrement pertinent :

[21] J’ai tenu compte des cinq facteurs non exhaustifs que la Cour suprême du Canada a jugé pertinents pour déterminer le contenu de l’obligation d’équité procédurale dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker]. La décision d’enquêter suppose l’exercice d’un vaste pouvoir discrétionnaire dans le contexte d’un processus établi qui est ni de nature judiciaire ni contradictoire. Le décideur du Programme du travail est externe à l’employeur et bénéficie des rapports produits dès les premières étapes de l’enquête. Ces facteurs m’amènent à conclure qu’à l’étape de la décision d’enquêter en application du paragraphe 129(1) du Code, l’obligation d’équité procédurale est minimale. L’absence de procédure d’appel lorsque le refus est jugé futile, frivole ou vexatoire ne change en rien mon opinion.

[22] Je suis également convaincu qu’en l’espèce, l’équité procédurale à laquelle M. Burlacu avait droit a été respectée. On a communiqué avec M. Burlacu et on lui a donné l’occasion de présenter de brèves observations. Bien que ces observations ne figurent pas au dossier certifié du tribunal, la raison du refus est résumée dans les renseignements généraux fournis au délégué du ministre. Ces renseignements comprennent notamment une courte citation tirée d’un courriel joint aux observations de M. Burlacu.

[23] Le point de vue de M. Burlacu selon lequel l’obligation d’équité exige qu’il ait l’occasion d’examiner et de commenter les documents préparés pour le délégué du ministre n’est pas sans fondement. Dans certains cas, il est fort possible que l’obligation d’équité exige que tous les documents présentés au décideur du Programme du travail soient d’abord communiqués à l’employé pour qu’il les examine et les commente. Cependant, en l’espèce, les documents que M. Burlacu avait le droit, selon lui, d’examiner et de commenter résumaient les renseignements et les circonstances concernant le refus et ne contenaient aucun renseignement dont il n’avait pas connaissance. Ces faits ne soulèvent aucun manquement à l’équité procédurale.

[24] Dans les circonstances, le droit de M. Burlacu de présenter des renseignements et des documents justificatifs ainsi que l’occasion de faire une déclaration respectaient l’obligation d’équité.

[25] Par ailleurs, je suis d’avis que la participation de l’agent des affaires du travail au dossier du premier refus de travailler exercé par M. Burlacu ne soulève aucune question grave de conflit d’intérêts. Une crainte raisonnable de partialité prend naissance lorsqu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique croirait que, selon toute vraisemblance, une affaire n’aura pas été tranchée de façon équitable (Baker, au para 46). En l’espèce, l’agent des affaires du travail n’était pas le décideur. De plus, aucun fondement pratique ou réaliste ne permet de conclure que la participation de l’agent à l’affaire connexe, dont le dossier révèle qu’il a seulement exécuté des tâches courantes, mènerait à une décision inéquitable en l’espèce.

[Non souligné dans l’original.]

[67] Comme dans l’affaire Burlacu, dans le cadre d’un processus ni judiciaire ni contradictoire, la DR avait un vaste pouvoir discrétionnaire pour décider de ne pas enquêter sur le refus de travailler des demandeurs. La DR a bénéficié d’une justification détaillée décrivant les conclusions des « premières étapes de l’enquête », y compris les détails des refus de travailler antérieurs. L’ébauche de décision, la justification et les recommandations étaient fondées sur le rapport du Comité qui a été réalisé au moyen d’entrevues avec les AC qui ont refusé de travailler. Par conséquent, l’enquêteur et la DR n’ont pas eu à communiquer avec les AC, puisque ces communications avaient déjà eu lieu.

[68] Selon le rapport du Comité, [traduction] « l’employeur et le représentant syndical, en présence de l’un des plaignants actuels, ont tenté de négocier une résolution concernant le retrait de la C8 ». Cela montre que la DR savait qu’il y a eu des tentatives de travailler en collaboration entre les AC et l’employeur.

[69] Les demandeurs n’expliquent pas en quoi l’information fournie à la DR était préjudiciable. Ils ne semblent pas indiquer qu’ils ignoraient que ces éléments de preuve existaient et ne contestent pas non plus les renseignements contenus dans le DCT, sauf les commentaires de l’AC Mayer. Par conséquent, je suis d’avis que cet argument n’est pas fondé.

[70] En outre, le retrait du commentaire de l’AC Mayer de la décision ne montre pas que le processus était inéquitable. De toute évidence, cette déclaration n’a pas servi de fondement à la conclusion de mauvaise foi formulée par la DR.

[71] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la jurisprudence de la CCDP n’est pas instructive en l’espèce. Le régime du CCT, y compris les dispositions régissant les refus de travailler, ne sont pas des lois quasi constitutionnelles comme la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6. Par conséquent, le degré d’équité procédurale en l’espèce n’est pas aussi élevé que celui auquel on pourrait s’attendre dans la jurisprudence en matière de droits de la personne (Konesavarathan c Radio de l’Université de Guelph, 2020 CAF 148 au para 7, autorisation de pourvoi devant la CSC refusée, dossier no 39714 de la CSC (21 novembre 2021)).

[72] Je conviens également avec le défendeur que les demandeurs ont été informés du fait que leur comportement était jugé illégal après le 24 février 2022, lorsque le directeur d’établissement Sears a écrit au demandeur Duiker une note de service détaillée dans laquelle il énonçait sa conclusion portant qu’il n’y avait aucun danger et expliquait que le refus de travailler des demandeurs représentait une activité syndicale illégale et une violation du serment fait par les AC. Bien qu’il n’y ait aucune mention explicite d’une accusation de mauvaise foi dans la lettre du directeur d’établissement Sears, l’absence de toute référence explicite n’a aucune incidence sur ma décision.

[73] Cependant, je ne souscris pas à l’observation du défendeur selon laquelle les demandeurs auraient dû savoir qu’ils étaient accusés de mauvaise foi, puisqu’il leur incombait de prendre connaissance des IPG. Les demandeurs ont appris qu’ils étaient accusés de mauvaise foi le 3 mars 2022 après avoir reçu la décision. Ils n’auraient pas pu connaître ces renseignements au préalable en fonction des IPG.

[74] Malgré l’absence d’une mention explicite de mauvaise foi avant la décision, le dossier démontre que les trois refus de travailler ont été faits dans un délai d’environ 50 jours. Le dossier montre également certaines incohérences en ce qui concerne les préoccupations des AC concernant les carabines C8, comme en témoignent les deuxième et troisième refus de travailler. Ces circonstances ont été portées devant la DR.

[75] La DR a le droit d’écarter rapidement les refus de travailler. Bien sûr, elle doit justifier sa décision et s’appuyer sur le travail de l’enquêteur. Le régime législatif a pour objet de faire en sorte que la plupart des problèmes soient résolus dans le cadre du processus interne et non par des refus de travailler, qui devraient être limités aux cas d’urgence. Comme il est indiqué dans la décision Ketcheson, les modifications apportées en 2014 visaient à renforcer le SRI afin de réduire la nécessité pour les délégués ministériels de se rendre sur les lieux de travail et d’enquêter sur le refus de travailler (au paragraphe 170). En fait, le législateur a accordé à la DR la compétence et le pouvoir discrétionnaire de refuser d’enquêter sur un refus de travailler pour cette raison précise. En tant que cour de révision, nous devons donc faire preuve de retenue à l’égard de cet organisme administratif en raison de son expertise sur toutes les questions dont il est saisi (Vavilov, au para 28). La Cour n’interviendra que lorsqu’il y a une « enquête manifestement déficiente » ou un cas de défaut d’examiner « une preuve manifestement importante » (Demitor, au para 70).

[76] Comme dans l’affaire Demitor, je ne vois pas en quoi l’enquête a été « manifestement déficiente » compte tenu de la preuve des demandeurs. La DR a exercé son vaste pouvoir discrétionnaire pour rendre une décision de mauvaise foi et elle l’a fait dans le respect de l’équité procédurale. Respectueusement, les demandeurs n’ont pas réussi à s’acquitter de leur fardeau de démontrer que ce processus était inéquitable sur le plan de la procédure.

VI. Conclusion

[77] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. La décision était raisonnable et a été rendue dans le respect de l’équité procédurale.

[78] Comme aucune des parties n’a présenté d’observations détaillées sur les dépens, la Cour ordonnera que les parties déposent des observations sur les dépens.


JUGEMENT dans le dossier T-685-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Les demandeurs présenteront leurs observations sur les dépens, d’au plus 10 pages, d’ici le 9 juin 2023. Le défendeur fournira ses observations sur les dépens, d’au plus 10 pages, d’ici le 30 juin 2023.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-685-22

 

INTITULÉ :

MATTHEW DUIKER, TIM COTTON ET TRISTIN KEREKES c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 octobre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge FAVEL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 mai 2023

 

COMPARUTIONS :

Adam Cembrowski

 

Pour les demandeurs

 

Alexandre Toso

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nugent Law Office

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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