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Date : 20230104


Dossier : T-1506-20

Référence : 2023 CF 20

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 janvier 2023

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

MERIDIAN MANUFACTURING INC.

demanderesse

(défenderesse reconventionnelle)

et

CONCEPT INDUSTRIES LTD.

défenderesse

(demanderesse reconventionnelle)

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Les parties présentent toutes deux une requête en jugement sommaire. Le point en litige concerne des fonds coniques sur lesquels reposent des trémies. Les fonds sont construits de façon à forcer de l’air dans la trémie pour aérer le grain.

[2] Par sa requête en jugement sommaire, la défenderesse, Concept Industries Ltd. [Concept], cherche à faire rejeter l’action intentée par Meridian Manufacturing Inc. [Meridian] au motif que son système Airpro ne contrefait aucune des revendications du brevet canadien 3,036,430 [le brevet 430]. Subsidiairement, Concept cherche à obtenir une ordonnance portant que le brevet 430 est invalide et nul, au motif qu’il intègre la trémie JTL Force Air 360 [la trémie JTL] qui existait avant ce brevet. Également à titre subsidiaire, Concept cherche à obtenir une ordonnance portant que son système Airpro ne contrefait pas le brevet 430.

[3] Meridian présente une requête en vue de faire rejeter, par voie d’ordonnance, la requête de Concept et de faire déclarer que les revendications 1, 2, 4, 5, 9 et 11 à 15 du brevet 430 sont contrefaites par le système Airpro de Concept, et que les revendications 1 à 15 du brevet 430 ne sont pas antériorisées par la trémie JTL.

1. Le brevet 430

[4] Le brevet 430, intitulé « FOND DE TRÉMIE DESTINÉ À UN BAC DE STOCKAGE ÉQUIPÉ D’AÉRATION INTÉGRÉE », porte, de façon générale, sur un fond conique sur lequel repose une trémie cylindrique. Le brevet compte 15 revendications. La revendication 1 est l’unique revendication indépendante. Toutes les autres revendications en dépendent. La demande de brevet 430 a été déposée le 12 mars 2019. La date de priorité du brevet repose sur la demande de brevet américain n62/663,666 déposée le 27 avril 2018. Le brevet 430 a été délivré le 18 août 2020.

[5] La revendication 1 du brevet 430 est rédigée comme suit :

[traduction]

1. Un fond conique, sur lequel repose la paroi latérale cylindrique d’une cellule à grain, au-dessus d’une fondation. Le fond conique comprend :

une paroi de forme conique renversée, c’est-à-dire qui devient plus étroite vers le bas et vers l’intérieur, du rebord périphérique à l’extrémité supérieure de la paroi jusqu’à l’ouverture centrale à l’extrémité inférieure de la paroi, le rebord périphérique étant placé de façon à supporter la paroi latérale cylindrique de la cellule à grain qui repose sur celui-ci;

plusieurs montants soutenant la paroi au-dessus de la fondation, chaque montant s’étendant entre l’extrémité inférieure placée pour être soutenu sur la fondation et l’extrémité supérieure soutenant la paroi;

une conduite de collecteur soutenue au-dessus de la paroi pour créer un passage pour le collecteur qui s’étend tout autour de la paroi adjacente au rebord périphérique;

plusieurs ouvertures de sortie formées dans la conduite de collecteur pour raccorder le passage du collecteur à l’intérieur de la paroi et assurer une communication ouverte avec la cellule à grain qui repose sur celle-ci, les ouvertures de sortie étant situées à des emplacements distancés les uns des autres sur la circonférence;

une ouverture d’entrée qui passe au travers de la paroi et qui est raccordée du passage du collecteur, l’ouverture d’entrée étant raccordée à un ventilateur pour recevoir une entrée directe d’air du ventilateur et l’acheminer dans la cellule à grain par l’entremise du passage du collecteur.

[6] L’abrégé français du brevet 430 décrit l’invention en ces termes :

Un fond de trémie pour soutenir une paroi latérale cylindrique d’une cellule à grain comprend une paroi de trémie ayant une forme de cône renversé soutenu par des pieds supports montants. Un conduit de manifold est soutenu au-dessus de la paroi de trémie pour définir un passage de manifold s’étendant circonférentiellement de manière adjacente au bord périphérique de la paroi de trémie. Plusieurs ouvertures de sortie formées dans le conduit de manifold sont en communication, à partir du passage de manifold, avec un intérieur de la paroi de trémie pour une communication ouverte avec la cellule à grain dessus. Une ouverture d’entrée à travers la paroi de trémie est alignée sur le conduit de manifold et reçoit l’air de ventilation d’une soufflante pour diriger la circulation dans le conduit de manifold et dans la cellule à grain par les ouvertures de sortie du conduit de manifold.

[7] On peut définir de façon préliminaire certains des termes clés du brevet 430. Un [traduction] « collecteur » (« manifold » dans l’abrégé) est un tuyau ou une chambre raccordé à plusieurs ouvertures. Le terme [traduction] « conduite » (« conduit » dans l’abrégé) figurant dans le brevet 430 signifie un canal ou un tube utilisé pour transporter de l’air. Une [traduction] « conduite de collecteur » (« conduit de manifold » dans l’abrégé) est une chambre dotée de plusieurs ouvertures, auxquelles sont raccordées des conduites. La conduite du collecteur correspond à la chambre supérieure circulaire illustrée au point 34 de la figure 2 du brevet 430 :

2. La preuve

[8] Concept a produit l’affidavit de Lonny Thiessen, le propriétaire de l’entreprise. Meridian a présenté l’affidavit et le rapport d’Ian Paulson, un ingénieur employé par le Prairie Agricultural Machinery Institute [le PAMI], qui a donné son opinion d’expert sur des questions ayant trait à l’action. Meridian a également produit l’affidavit de Sam Plett, son gestionnaire de l’innovation et de l’ingénierie.

Lonny Thiessen

[9] M. Thiessen a expliqué que le système Airpro est construit de façon à laisser passer l’air jusque dans la trémie. L’orifice d’entrée du système Airpro est raccordé au collecteur formé par les soufflets de la jupe Airpro, la jupe Airpro, les canaux Airpro, tant longs que courts, et le protecteur de jupe de l’orifice d’entrée Airpro.

[10] Lorsque l’air du ventilateur entre dans l’orifice d’entrée Airpro, il traverse toute la circonférence du collecteur par l’entremise des ouvertures dans les soufflets de la jupe Airpro et les canaux Airpro. Les seuls soufflets de la jupe qui sont fermés à l’extrémité sont ceux situés au‐dessus de l’orifice d’entrée du système Airpro. Le reste des soufflets de la jupe sont ouverts à l’extrémité. L’air sort du collecteur par toutes les ouvertures créées par les soufflets de la jupe et par les canaux Airpro, créant ainsi un système d’aération sur 360 degrés.

[11] M. Thiessen a expliqué que le système Airpro est différent du système décrit dans le brevet 430. Il a affirmé que le système [traduction] « ne comprend pas de conduite de collecteur avec plusieurs ouvertures de sortie pour raccorder le passage du collecteur à l’intérieur de la paroi et assurer une communication ouverte avec la cellule à grain qui repose sur celle-ci, les ouvertures de sortie étant situées à des emplacements distancés les uns des autres sur la circonférence, comme l’indique la revendication 1 » du brevet 430.

[12] M. Thiessen affirme que la trémie JTL a été produite et vendue dès février 2017. À l’appui, il a présenté : une capture d’écran de la trémie JTL prise sur le site Web de JTL, provenant d’une page Web archivée datée du 21 avril 2017; des captures d’écran de la trémie JTL sur le site Web de Kramer Sales qui montrent l’année de fabrication et le caractère ouvert du collecteur créé par les soufflets de la jupe et les canaux, tant courts que longs; une vidéo YouTube montrant l’intérieur de la trémie JTL datée du 28 février 2017; une capture d’écran du site Web hopperbottomsmontana.com montrant la trémie JTL Hopper à vendre; deux fichiers vidéo WhatsApp montrant l’intérieur de la cellule JTL 1820FA, qui se sert du système JTL, datés du 16 janvier 2021.

[13] En contre-interrogatoire, M. Thiessen a admis : qu’il n’a pas filmé la vidéo YouTube; qu’une autre personne a obtenu pour lui les deux vidéos WhatsApp; qu’il ne sait pas qui a affiché l’information et les photos concernant les éléments de preuve provenant du site Web de Wayback Machine; qu’il n’était personnellement pas au fait de la cellule apparaissant sur les photos du site Web de Kramer Trailer Sales; que le système Airpro n’est pas identique à la trémie JTL.

Ian Paulson

[14] M. Paulson est un ingénieur employé par le PAMI. Meridian a retenu ses services pour qu’il donne son avis en tant qu’expert. Il a préparé deux rapports.

[15] Dans le premier, il a donné son avis sur la personne versée dans l’art pour le brevet 430, les connaissances générales courantes de cette personne, son interprétation des revendications 1 à 15 du brevet 430, et il s’est prononcé sur la question de savoir si le système Airpro de Concept compte tous les éléments essentiels des revendications 1 à 15 du brevet 430.

[16] Dans le deuxième, il a donné son avis sur les différences entre le système Airpro de Concept et la trémie JTL, et sur la question de savoir si le système Airpro de Concept et la trémie JTL [traduction] « ont un système de ventilation identique » et s’ils comprennent [traduction] « le même collecteur et le même système d’aération ».

[17] M. Paulson a affirmé que la personne versée dans l’art pourrait être tant un technologue en génie qu’un ingénieur diplômé ayant une expérience confirmée en mécanique relativement au débit d’air par des systèmes/réseaux de conduits et grains/matériaux granulaires très résistants au débit d’air.

[18] Il a également affirmé que le 27 octobre 2019, date de publication du brevet 430, les méthodes et les résultats concernant la mesure et la prévision des modèles d’aération dans le grain entreposé étaient des connaissances générales à la disposition de la personne versée dans l’art. Il existait des antériorités illustrant l’introduction d’air à de multiples endroits dans le volume du grain entreposé à la date de publication du brevet 430.

[19] M. Paulson a déclaré que le système Airpro omet une limite intérieure explicite d’une conduite de collecteur autour de la majeure partie de la circonférence de la conduite. Toutefois, de multiples ouvertures de sortie se trouvent le long du passage du collecteur à la fois en raison de l’interface résultante entre le volume du grain entreposé et l’air dans le passage du collecteur et de la présence de pièces de canaux Airpro qui transmettent ensuite l’air à partir du passage du collecteur pour introduire ce débit d’air dans le grain, c’est-à-dire plus bas dans le fond conique.

[20] Il a affirmé que l’élément de la pluralité des montants soutenant la paroi au-dessus de la fondation n’est pas essentiel.

[21] Il conclut que les éléments essentiels des revendications 1, 2, 4, 5, 9, 11 à 15 du brevet 430 apparaissent sur les photos et les dessins du système Airpro de Concept. Par conséquent, il est d’avis que ces revendications sont contrefaites.

[22] En supposant que « système de ventilation » et « système d’aération » ont le même sens, M. Paulson estime que le système Airpro et la trémie JTL n’ont pas un système d’aération identique. La configuration des résultats de la trémie JTL dans un système d’aération fournit un modèle de distribution d’air différent que celui dans le système Airpro. Il a ensuite ajouté qu’ils n’ont pas le même collecteur.

[23] En contre-interrogatoire, M. Paulson a admis que (i) le PAMI est une organisation qui effectue pour le secteur agricole des essais, confiés à une tierce partie, de divers produits, (ii) fournit des travaux de recherche préliminaire, y compris les étapes allant des dessins d’agriculture et de génie jusqu’aux dessins de conception, aux documents et aux produits livrables finaux en génie, (iii) le PAMI fournit des produits livrables aux clients payants, et (iv) Meridian a déjà utilisé les services du PAMI lors de projets.

[24] La relation entre le PAMI et Meridian n’est pas précisée dans le rapport d’expert de M. Paulson.

[25] Lors du contre-interrogatoire concernant le brevet 430, M. Paulson a admis que le brevet 430 résout le problème de conception lié aux conduits et aux multiples ventilateurs en proposant un passage du collecteur au-dessus de la paroi servant de surface extérieure non obstruée par les conduits et une communication avec la conduite du collecteur à partir d’une seule ouverture d’entrée en périphérie de plusieurs ouvertures de sortie situées à des emplacements distancés les uns des autres sur la circonférence pour distribuer l’air de façon uniforme dans le fond conique et la cellule à grain résultante qui repose sur celui-ci.

[26] M. Paulson affirme que les limites de la conduite du collecteur sont toutes fabriquées au moyen d’un matériau rigide, solide et non perforé qui forme la plaque supérieure et la paroi intérieure.

[27] Lors du contre-interrogatoire concernant le système Airpro de Concept, M. Paulson a admis que ce système n’a ni la paroi intérieure solide décrite dans le brevet 430, ni le collecteur ou tout autre composant qui distribue l’air sur 360 degrés sous le bas des supports. Il a également convenu que si le grain forme une barrière perméable qui délimite le passage du collecteur, alors des ouvertures de sortie doivent être aménagées dans le grain, et une membrane perméable et une ouverture de sortie ne sont pas la même structure. Il a déclaré que la structure physique des canaux Airpro est différente de celle des conduites de sortie du brevet 430 et que la résistance des canaux Airpro est différente que celle du brevet 430. La pression d’air à la sortie du collecteur du système Airpro dépend du matériau contenu dans ce système et non d’une combinaison de la taille des ouvertures de sortie et du matériau contenu dans le système comme il est indiqué dans le brevet 430.

[28] Son avis concernant le système Airpro et la trémie JTL repose en partie sur le dessin contenu dans la pièce I produite au soutien de l’affidavit de M. Plett. Lorsqu’il a été contre-interrogé concernant la trémie JTL, M. Paulson a admis qu’il ne savait pas que le dessin qui lui avait été fourni visait à corriger le dessin réalisé 18 mois plus tôt et qu’il ne savait pas non plus que ce dessin avait été réalisé 18 mois après l’inspection de la trémie JTL.

Sam Plett

[29] Sam Plett, le gestionnaire de l’innovation et de l’ingénierie de Meridian, croit que la jupe qui recouvre l’entrée d’air comprend une tôle perforée et, par conséquent, que l’air peut passer au travers du protecteur de jupe de l’orifice d’entrée en raison des trous. Selon lui, l’air sort de la conduite de collecteur du système Airpro par plusieurs trous percés dans la tôle.

[30] M. Plett décrit comment, selon lui, le système Airpro contrevient au brevet 430. Il met l’accent sur la revendication 1 et décrit comment les jupes Airpro, les soufflets de jupe Airpro et les canaux Airpro créent un collecteur qui est « soutenu au-dessus de la paroi de trémie pour définir un passage de manifold s’étendant circonférentiellement de manière adjacente au bord périphérique de la paroi de trémie » [souligné dans l’original].

[31] M. Plett souligne aussi que le dessin de la jupe de l’orifice d’entrée Airpro indique qu’elle est en acier perforé et, à son avis, ces perforations constituent plusieurs ouvertures. Ces ouvertures de sortie sont en communication avec le passage du collecteur, car une certaine quantité d’air dans ce passage peut passer par les ouvertures de sortie jusqu’à l’intérieur de la paroi pour assurer une communication ouverte avec la cellule à grain qui repose sur celle‐ci.

[32] Le 24 septembre 2020, M. Plett a examiné la trémie JTL et a observé que l’air passe par les montants et que des barrières solides sont installées sous les couvercles d’évent 360 et entre les canaux adjacents. Il a affirmé que cela ne permet pas à l’air qui entre par une ouverture d’entrée sous un canal de faire le tour de la paroi.

[33] M. Plett affirme que le système Airpro et la trémie JTL ne sont pas identiques. Le système Airpro comporte une seule ouverture, dans sa paroi, et la trémie JTL Hopper comporte plusieurs ouvertures. Le système Airpro est doté d’un certain nombre d’ouvertures dans les soufflets de jupe Airpro qui permettent à l’air de passer tandis que la trémie JTL Hopper comporte un certain nombre de supports d’air 360 qui n’ont pas ces ouvertures et qui forment une barrière solide. Les montants du système Airpro n’ont pas de passages qui les traversent qui permettent à l’air de passer, contrairement à la trémie JTL.

[34] En contre-interrogatoire, M. Plett a reconnu que le système Airpro n’a pas de région regroupée d’ouvertures de sortie beaucoup plus petite que la région totale qu’occupe une paroi intérieure de telle façon que la majeure partie de la limite intérieure du passage du collecteur est entourée par la paroi intérieure plutôt que d’être ouverte aux ouvertures de sortie. Il a également reconnu que la seule tôle solide du système Airpro est celle à l’entrée, et que [traduction] « formées dans » fait référence à un élément qui est coupé ou retiré.

3. Principes généraux régissant les jugements sommaires

[35] Les jugements sommaires permettent à la Cour de statuer sommairement sur des affaires qui ne devraient pas faire l’objet d’un procès parce qu’il n’y a pas de véritable question à trancher. Il n’existe pas de véritable question litigieuse nécessitant la tenue d’un procès lorsque la demande n’a pas de fondement juridique ou lorsque le juge dispose de la preuve nécessaire pour trancher justement et équitablement le litige : voir Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7. Si la seule véritable question litigieuse est un point de droit, la Cour peut statuer sur celui-ci et rendre un jugement sommaire en conséquence : voir l’alinéa 215(2)b) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. S’il existe une véritable question de fait ou de droit litigieuse, la Cour peut rejeter la requête en tout ou en partie et ordonner que l’action ou toute question litigieuse non tranchée par jugement sommaire soit instruite ou que l’action se poursuive à titre d’instance à gestion spéciale : voir l’alinéa 215(3)b).

[36] Le critère à appliquer pour une requête en jugement sommaire n’est pas de « savoir si une partie n’a aucune chance d’obtenir gain de cause au procès, mais plutôt d’établir si le succès de la demande est tellement douteux que celle‐ci ne mérite pas d’être examinée par le juge des faits dans le cadre d’un éventuel procès » : voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Campbell, 2014 CF 40 au para 14.

[37] Le fardeau d’établir l’absence de véritable question litigieuse incombe à la partie qui présente la requête. Cela dit, il incombe ensuite à la partie défenderesse de présenter ses meilleurs arguments : voir Canmar Foods Ltd. c TA Foods Ltd., 2021 CAF 7. Cela s’explique par le fait que la Cour est justifiée de tenir pour acquis que, si l’affaire était instruite, aucune preuve additionnelle ne serait déposée : voir Rude Native Inc c Tyrone T Resto Lounge, 2010 CF 1278.

[38] L’article 81 des Règles, qui exige que les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, a été interprété de manière à permettre des exceptions fondées sur des principes établis : voir Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c Maple Leaf Sports & Entertainments, 2010 CF 731. Il serait contraire à l’intention des règles relatives aux jugements sommaires d’exclure toute preuve par ouï-dire, particulièrement lorsque cette preuve peut être admissible à l’instruction.

[39] Les questions de crédibilité ne devraient pas être tranchées dans le cadre de requêtes en jugement sommaire. En règle générale, le juge qui entend et observe le témoignage principal et le contre‐interrogatoire des témoins est mieux placé pour apprécier leur crédibilité et tirer des inférences que le juge qui doit uniquement se fonder sur des affidavits et des éléments de preuve documentaires : voir TPG Technology Consulting Ltd c Canada, 2013 CAF 183 au para 3. Par conséquent, les affaires présentant d’importantes questions de crédibilité devraient faire l’objet d’un procès : Newman c Canada, 2016 CAF 213 au para 57.

[40] Les tribunaux hésitent à fonder un jugement sommaire sur des opinions d’experts qui pourraient ou non être acceptées par suite de l’appréciation judiciaire des témoignages : voir Johnson & Johnson Inc. c Boston Scientific Ltd., 2004 CF 1672. Cela étant dit, « l’existence d’une apparente contradiction de preuves » n’empêche pas en soi le tribunal de prononcer un jugement sommaire. Les juges doivent se pencher de près sur le fond de l’affaire et décider s’il y a des questions de crédibilité à trancher : voir Milano Pizza Ltd. c 6034799 Canada Inc., 2018 CF 1112 au para 39.

4. Analyse de la preuve

[41] Concept soutient que le brevet 430 est [traduction] « simple et ne requiert pas de preuve d’expert pour que la Cour puisse interpréter les revendications ». Meridian soutient quant à elle que la Cour commettrait une erreur si elle n’acceptait pas son opinion sur l’interprétation des revendications et la contrefaçon, puisqu’elle dispose uniquement de la preuve d’un seul expert.

[42] Concept soutient également que le témoignage de M. Paulson devrait avoir moins de poids que celui d’un expert adéquatement qualifié parce qu’il a omis de divulguer la relation entre le PAMI et Meridian. Par conséquent, cela indique que son opinion d’expert n’est pas indépendante, problème qui a trait au fait que M. Paulson a été qualifié d’expert. Meridian répond à cela que M. Paulson était le dernier employé du PAMI en 2017, et que ses services n’ont jamais été retenus par Meridian avant maintenant et qu’il n’a jamais encore fait de déclaration en ce qui concerne l’objet de la présente instance.

[43] Je ne suis pas convaincu que la Cour devrait ne pas tenir compte du témoignage de M. Paulson ou l’écarter. Meridian n’a jamais retenu ses services personnellement et son emploi chez le PAMI a pris fin il y a de nombreuses années. Dans la mesure où la Cour a besoin d’un témoignage d’expert relativement à la présente requête, elle reconnaît que M. Paulson est un expert.

5. Interprétation des revendications

[44] Les principes généraux d’interprétation des revendications ont récemment été examinés dans l’arrêt Tearlab Corporation c I-MED Pharma Inc., 2019 CAF 179 aux para 31-34. Ces principes peuvent se résumer ainsi :

La Loi sur les brevets favorise le respect de la teneur des revendications, qui favorise à son tour tant l’équité que la prévisibilité. La teneur d’une revendication doit toutefois être interprétée de façon éclairée et en fonction de l’objet, et par un esprit désireux de comprendre. Suivant une interprétation téléologique, il ressort de la teneur des revendications que certains éléments de l’invention sont essentiels, alors que d’autres ne le sont pas. Il incombe au juge appelé à interpréter des revendications de distinguer les cas les uns des autres, de départager l’essentiel et le non-essentiel et d’accorder au « champ » délimité dans un cas appartenant à la première catégorie la protection juridique à laquelle a droit le titulaire d’un brevet valide.

Pour déterminer ces éléments, la teneur des revendications doit être interprétée du point de vue du lecteur versé dans l’art, à la lumière des connaissances générales courantes de ce dernier. Comme il a été observé dans la décision Free World Trust :

[51]... Les mots choisis par l’inventeur seront interprétés selon le sens que l’inventeur est présumé avoir voulu leur donner et d’une manière qui est favorable à l’accomplissement de l’objet, exprès ou tacite, des revendications. Cependant, l’inventeur qui s’exprime mal ou qui crée par ailleurs une restriction inutile ou complexe ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Le public doit pouvoir s’en remettre aux termes employés à condition qu’ils soient interprétés de manière équitable et éclairée. [Souligné dans l’original.]

L’interprétation des revendications appelle l’examen de l’ensemble de la divulgation et des revendications « pour déterminer la nature de l’invention et son mode de fonctionnement,... sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public ». On peut alors tenir compte des spécifications du brevet pour comprendre la signification des termes utilisés dans les revendications. Il faut veiller, cependant, à ne pas interpréter ces termes de façon à « élargir ou restreindre la portée de la revendication telle qu’elle était écrite et,... interprétée ». La Cour suprême du Canada a récemment souligné que l’analyse de la validité est principalement axée sur les revendications; les spécifications seront pertinentes lorsque les revendications sont ambiguës.

Finalement, il est important de souligner que l’interprétation des revendications doit être la même qu’il soit question de validité ou de contrefaçon.

[Renvois omis.]

6. Contrefaçon

[45] J’ai conclu que la question de la contrefaçon ne peut être tranchée sans procès, pour les motifs suivants.

[46] Il existe un désaccord fondamental entre les parties concernant les éléments essentiels des revendications. Plus précisément, elles diffèrent d’opinion quant à la question de savoir si les revendications 3 et 7 sont essentielles. Ces revendications sont rédigées comme suit :

[TRADUCTION]

3. Le fond conique selon la revendication 1 ou 2, dans lequel les ouvertures de sortie sont les seules ouvertures dans la conduite de collecteur; elles sont situées dans la paroi périmétrique verticale de la conduite du collecteur.

7. Le fond conique selon l’une des revendications 1 à 6, dans lequel la limite intérieure de la conduite du collecteur est définie par une paroi intérieure de forme cylindrique.

[47] Invoquant la compréhension que la personne versée dans l’art aurait des autres méthodes qui peuvent être utilisées pour créer une « paroi intérieure solide », Meridian affirme que ces revendications ne sont pas essentielles. Concept soutient quant à elle qu’une paroi intérieure solide est essentielle au fonctionnement du système d’aération du brevet 430 et que l’utilisation de grain pour créer cette paroi solide n’a pas le même effet d’aération qu’une paroi intérieure solide.

[48] La question de savoir si la « paroi intérieure solide » est un composant essentiel est cruciale pour déterminer s’il y a eu contrefaçon. Le présent litige factuel ne peut être tranché à partir de la preuve dont la Cour dispose actuellement relativement à la requête. L’affaire nécessite la tenue d’un procès afin que les différences entre les déclarations des témoins des parties puissent être examinées à fond. Cela pourrait bien reposer sur une conclusion quant à la crédibilité. Comme il s’agit d’une véritable question litigieuse, la requête en jugement sommaire sur la question de la contrefaçon doit être rejetée.

[49] Les parties ne s’entendent pas non plus sur la signification de « formées dans » à la revendication 1 en ce qui concerne les [traduction] « plusieurs ouvertures de sortie formées dans la conduite de collecteur ». Lors du contre-interrogatoire, M. Plett, le témoin de Meridian, a affirmé que « formées dans » fait référence à un élément qui est coupé ou retiré. Si c’est le cas, cela peut indiquer que le système Airpro ne contrefait pas le brevet 430, car aucune ouverture n’a été créée dans celui-ci en coupant ou en retirant un matériau. Cela s’oppose à ce qui est écrit dans le brevet 430, dans lequel il est indiqué que les ouvertures de sortie sont coupées dans la paroi intérieure solide. Meridian soutient que « formées dans » doit être interprété de façon plus générale puisqu’il a été utilisé à plusieurs reprises dans le brevet 430, où il est illogique de conclure que « formées dans » signifie « coupées » ou « retirées ». Meridian se concentre sur « formées dans » pour appuyer son observation; toutefois, cette expression peut être interprétée différemment de son sens ordinaire. Il s’agit d’un autre litige factuel qu’il convient davantage de trancher dans le cadre d’un procès.

7. Validité

[50] Meridian soutient que le brevet 430 est valide, car la trémie JTL n’est pas antérieure au brevet. Elle affirme que la preuve présentée concernant la trémie JTL est limitée et qu’il n’y a pas de preuve corroborante provenant d’une personne ayant une connaissance directe de la trémie JTL. Elle affirme que la preuve n’est pas fiable, n’est pas claire et ne permet pas d’établir les réalisations de l’entreprise avant la date de priorité du brevet 430 du 27 avril 2018.

[51] Concept soutient que la trémie JTL a été conçue avant le brevet 430 et qu’elle est donc antérieure au brevet, ce qui rend celui‐ci invalide. Concept invoque l’affidavit de M. Thiessen qui précise en quoi les systèmes de ventilation de la trémie JTL et du système Airpro sont identiques. Elle affirme que, si son système Airpro contrefait le brevet 430, alors le brevet 430 a été antériorisé par la trémie JTL et est invalide.

[52] Contrairement à la déclaration figurant dans l’affidavit de M. Thiessen, Meridian affirme que le système Airpro et la trémie JTL n’ont pas [traduction] « un système de ventilation identique ». M. Plett affirme qu’ils ne sont pas identiques, car la trémie JTL n’a pas la caractéristique de l’air distribué sur la circonférence, a de multiples ouvertures d’entrée, a des barrières solides qui empêchent la distribution de l’air et a des montants qui ont un passage.

[53] La difficulté en ce qui concerne cette preuve tient au fait que l’évaluation de M. Plett est en partie fondée sur un dessin qui a été refait 18 mois après l’inspection de la cellule à grain et du dessin d’origine. La pièce jointe à l’affidavit de M. Plett ne présente pas le même modèle de la trémie JTL que celui qu’il a inspecté. Il y a des changements fondamentaux entre le premier dessin et le dessin réalisé 18 mois plus tard, comme la longueur des canaux, qui est soit identique soit différente. M. Paulson a invoqué ce nouveau dessin pour faire valoir également que le système Airpro et la trémie JTL ne sont pas identiques. Même si M. Plett a décrit les inexactitudes entre son dessin et la cellule à grain qu’il a inspectée comme étant le résultat d’un diagramme simplifié, cela soulève une question ayant trait à la crédibilité qu’il est préférable de traiter dans le cadre d’un procès.

[54] La Cour est saisie d’une véritable question litigieuse concernant la validité du brevet 430. Concept affirme que le brevet 430 ne constitue ni une nouveauté ni un progrès. Cette défense repose sur la conclusion de fait quant à la question de savoir si la trémie JTL est antérieure au brevet 430. Les autocollants de 2017 et les éléments de preuve fournis par Concept sont insuffisants pour déterminer de façon définitive que la trémie JTL était accessible au public avant le dépôt du brevet 430. Il existe un important litige factuel entre les parties au sujet de la date à laquelle la trémie JTL a été dévoilée publiquement. Pour résoudre ce désaccord, la Cour devra probablement apprécier la crédibilité des divers témoins. Par conséquent, il est inapproprié de trancher la question de la validité du brevet 430 dans le cadre de l’examen d’une requête en jugement sommaire.

[55] Je ne suis pas convaincu que la validité du brevet 430 puisse être déterminée en fonction des faits et des éléments de preuve fournis par les parties dans le cadre de la présente requête en jugement sommaire. L’affidavit de M. Thiessen comprend des éléments de preuve qui visent à montrer que la trémie JTL était antérieure au brevet : des captures d’écran de sites Web extraits à l’aide de l’archive Internet « Wayback Machine », une vidéo sur YouTube datant de février 2017, deux vidéos WhatsApp datant de 2021, et une capture d’écran non datée provenant du site Web hopperbottomsmontanta.com.

[56] Meridian affirme que M. Thiessen n’a pas réalisé la vidéo YouTube et qu’il ne connaît pas les circonstances dans lesquelles elle a été réalisée. La vidéo YouTube semble montrer le système d’aération JTL et elle a été publiée le 28 février 2017. Il ne fait aucun doute que cela précède le dépôt du brevet 430. Cependant, on ne sait pas s’il s’agit de la trémie JTL, comme le prétend M. Thiessen. Si la vidéo YouTube montre la trémie JTL, il semble alors très probable que le système Airpro soit semblable et peut-être identique à la trémie JTL. Cette absence de vérification est un autre motif pour lequel la présente affaire se prête davantage à un procès qu’à un règlement par voie de requête en jugement sommaire.

8. Conclusion

[57] Pour les motifs qui précèdent, les présentes requêtes sont rejetées. Chaque partie assumera ses propres dépens. L’action fera dorénavant l’objet d’une gestion d’instance.

 


ORDONNANCE dans le dossier T-1506-20

LA COUR ORDONNE que les requêtes en jugement sommaire sont rejetées, sans dépens pour aucune des parties.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

S. de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1506-20

 

INTITULÉ :

MERIDIAN MANUFACTURING INC. c CONCEPT INDUSTRIES LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

audience tenue PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 NOVEMBRE 2022

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 4 JANVIER 2023

 

COMPARUTIONS :

Keith Ferbers

Scott Davidson

Andy Chow

Aziz Aboudheir

Adam Lakusta

 

POUR LA DEMANDERESSE

(DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE)

 

Clinton Lee

Brian Blunt

 

POUR LA DÉFENDERESSE

(DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MLT Aikins LLP

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LA DEMANDERESSE

(DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE)

 

Nexus Law Group LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

(DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE)

 

 

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