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Date : 20230601

Dossier : IMM-1855-22

Référence : 2023 CF 765

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 1er juin 2023

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

XINGWANG LIU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, un citoyen de la Chine, affirme craindre d’être persécuté ou de subir un préjudice en Chine à titre d’adepte du Falun Gong. Il demande le contrôle judiciaire de la décision du 26 janvier 2022 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] portant que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Pendant l’examen de l’appel du demandeur, la SAR a constaté des ressemblances entre l’exposé circonstancié contenu dans le formulaire Fondement de la demande d’asile [formulaire FDA] du demandeur et celui contenu dans le formulaire FDA d’un autre demandeur (dans ce que la SAR a qualifié d’appel 2). Les deux demandeurs étaient représentés par le même conseil (qui n’est pas l’avocat actuel du demandeur). La SAR a fait part de ses préoccupations aux parties et les a invitées à présenter des observations ou à produire des éléments de preuve supplémentaires, notamment : a) des commentaires ou des explications concernant les ressemblances ou l’existence d’un exposé circonstancié similaire; b) des observations sur l’importance, le cas échéant, des ressemblances et sur les conclusions qui devraient, le cas échéant, découler de ces ressemblances ou du fait qu’un exposé circonstancié similaire existe, y compris en ce qui concerne la question de savoir si les ressemblances ou l’existence d’un exposé circonstancié similaire ont une incidence sur la crédibilité du demandeur et de sa demande d’asile.

[3] En réponse à l’invitation de la SAR, l’ancien conseil du demandeur a présenté des observations afin d’expliquer pourquoi les deux exposés circonstanciés étaient si semblables. Il a déclaré ce qui suit : a) l’histoire qui est racontée dans les deux exposés circonstanciés est l’histoire que racontent presque tous les demandeurs d’asile dont la demande d’asile repose sur le fait qu’ils sont des adeptes du Falun Gong de la Chine; b) la situation factuelle présentée dans ces exposés circonstanciés est commune à presque toutes les demandes d’asile mettant en cause le Falun Gong; c) lorsqu’on aide un demandeur d’asile à remplir son formulaire FDA et à rédiger son exposé circonstancié, il faut lui poser certaines questions; d) comme les réponses des demandeurs d’asile révèlent une situation factuelle commune, les façons d’exposer leurs réponses sont limitées; e) toute ressemblance dans le libellé, qu’elle soit frappante ou non, n’est que le reflet de ce truisme. Cependant, le demandeur lui-même n’a pas présenté d’éléments de preuve pour expliquer la façon dont son exposé circonstancié a été rédigé.

[4] La SAR a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir de manière crédible, selon la prépondérance des probabilités, que son explication concernant les ressemblances frappantes entre son exposé circonstancié et l’exposé circonstancié déposé dans l’appel 2 était véridique, ou que l’exposé circonstancié qu’il avait présenté était bien le sien. La SAR a conclu que le défaut du demandeur de présenter des éléments de preuve pour expliquer les ressemblances entre les exposés circonstanciés ou pour établir que son exposé circonstancié était bien le sien porte à croire qu’il n’existe pas de tels éléments de preuve parce que le demandeur n’a pas rédigé son propre exposé circonstancié. Étant donné le rôle essentiel de l’exposé circonstancié dans une demande d’asile, la SAR a jugé que la conclusion selon laquelle l’exposé circonstancié du demandeur n’était pas réellement le sien minait automatiquement le bien-fondé des allégations sous-tendant sa demande d’asile. La SAR n’a donc pas examiné les autres conclusions quant à la crédibilité tirées par la SPR.

[5] La seule question à trancher dans la présente demande est celle de savoir si l’évaluation de la crédibilité du demandeur par la SAR était raisonnable. Cette question doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable [voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23, 25].

[6] Lors de l’examen du caractère raisonnable d’une décision, la Cour doit déterminer si la décision faisant l’objet du contrôle est transparente, intelligible et justifiée, notamment en ce qui concerne le raisonnement suivi et le résultat obtenu. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti [voir Vavilov, précité, aux para 15, 85]. La Cour n’interviendra que si elle est convaincue que la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence [voir Adeniji-Adele c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 418 au para 11].

[7] La Cour a conclu qu’il n’est pas déraisonnable de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité en présence de similitudes injustifiées entre l’exposé circonstancié d’un demandeur d’asile et celui d’autres demandeurs d’asile n’ayant aucun lien avec le premier [voir Ravichandran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 665 au para 18]. Il est vrai que les décideurs peuvent s’en remettre au bon sens pour tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité en présence de similitudes injustifiées et frappantes entre les témoignages ou la preuve des demandeurs. Or, il est tout aussi vrai qu’ils doivent faire preuve de bon sens pour déterminer si, dans les circonstances de l’affaire, les similitudes s’expliquent par une raison valable. Dans l’affirmative, il ne conviendrait pas de conclure que les similitudes sèment un doute quant à la crédibilité du demandeur [voir Ravichandran, précitée, au para 19; Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 550 aux para 25-28].

[8] Le demandeur affirme que la SAR a commis une erreur en ce qu’elle n’a pas tenu compte d’éléments de preuve quant aux raisons pour lesquelles l’exposé circonstancié dans la présente affaire et celui dans l’appel 2 se ressemblaient, faisant observer que les exposés circonstanciés dans les deux affaires ont été préparés par le même conseil, à la suite d’un processus similaire, et qu’il existe [traduction] « une possibilité raisonnable qu’ils aient été produits par le même interprète ».

[9] Contrairement à ce qu’affirme le demandeur, il ressort clairement des motifs de la SAR que celle-ci a expressément tenu compte des observations du demandeur (il n’y avait pas d’éléments de preuve) quant aux raisons pour lesquelles les exposés circonstanciés se ressemblaient, y compris l’argument selon lequel les demandeurs d’asile avaient le même conseil et avaient suivi un processus similaire (c’est-à-dire qu’ils avaient répondu à une liste de questions). Cependant, la SAR a jugé que l’explication offerte par le demandeur n’était pas suffisante pour dissiper les problèmes que soulevaient les ressemblances entre les deux exposés circonstanciés. En particulier, la SAR a affirmé que, bien que les demandes d’asile fondées sur des motifs semblables puissent être généralement similaires étant donné que le conseil doit s’assurer que chaque demandeur d’asile traite des questions importantes, le problème que posaient les exposés circonstanciés en question est qu’ils n’étaient pas seulement généralement similaires, mais que les détails qui y figuraient, tout comme les éléments accessoires aux demandes d’asile en cause, étaient étonnamment similaires, par exemple les conversations entre les demandeurs d’asile et leur épouse respective au sujet de l’autorisation de pratiquer le Falun Gong leur ayant été accordée, puis retirée, le rôle de cousins qui ont mis les demandeurs d’asile en contact avec des passeurs, et le rôle de leurs propriétaires à Toronto qui les ont mis en relation avec d’autres adeptes du Falun Gong. En particulier, dans les circonstances, étant donné que le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve quant à la façon dont l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire FDA a été préparé, j’estime qu’il était raisonnablement loisible à la SAR de conclure que le demandeur n’avait pas fourni d’explication valide justifiant les ressemblances.

[10] En ce qui concerne l’affirmation du demandeur concernant la possibilité que les demandeurs d’asile aient eu recours au même interprète pour rédiger leur exposé circonstancié, j’estime qu’elle n’est pas fondée, car elle repose entièrement sur des hypothèses. La SAR ne disposait d’aucun élément de preuve (ni même d’observations) selon lequel les exposés circonstanciés auraient été préparés avec l’aide d’un interprète, et encore moins avec l’aide du même interprète.

[11] Par conséquent, je ne suis pas convaincue que le demandeur a établi que la décision de la SAR était déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

[12] Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1855-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification et l’affaire n’en soulève aucune.

« Mandy Aylen »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1855-22

INTITULÉ :

XINGWANG LIU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 MAI 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AYLEN

DATE DES MOTIFS :

LE 1er JUIN 2023

COMPARUTIONS :

Nkunda Kabateraine

POUR LE DEMANDEUR

Zofia Rogowska

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

S. Duong Law

Markham (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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