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Date : 20230526


Dossier : IMM-2121-22

Référence : 2023 CF 737

[TRADUCTION FRANÇAISE]

St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador), le 26 mai 2023

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

ARMANDO PAJA ET ARMELA ZENELAJ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

MOTIFS ET JUGEMENT

[1] M. Armando Paja (le demandeur principal) et son épouse, Mme Armela Zenelaj (collectivement, les demandeurs), sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’agent d’exécution de la loi pour services intérieurs (l’agent) a rejeté leur demande de report de leur renvoi vers l’Albanie. Leur renvoi devait avoir lieu le 11 mars 2022, et la demande de report a été rejetée le 9 mars 2022.

[2] Les demandeurs sont des citoyens de l’Albanie qui sont entrés au Canada en 2016. Ils ont demandé l’asile, mais leurs demandes d’asile ont été rejetées. Leurs demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire ont aussi été rejetées.

[3] Entre 2016 et 2021, les demandeurs ont eu deux enfants au Canada.

[4] Les demandeurs ont demandé le report de leur renvoi pour plusieurs motifs, dont le traitement des problèmes de santé mentale dont souffre l’épouse du demandeur principal, une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en attente de traitement et l’intérêt supérieur de leurs enfants nés au Canada.

[5] Les demandeurs font valoir que l’agent a porté atteinte à leur droit à l’équité procédurale parce qu’il s’est fondé sur des éléments de preuve émanant du Borgen Project sans les avoir communiqués à leur avocat. Le Borgen Project analyse les initiatives du gouvernement de l’Albanie dans le domaine des soins de santé.

[6] De plus, les demandeurs soutiennent que la décision est déraisonnable parce que l’agent n’a pas tenu compte de tous les éléments de preuve qu’ils ont présentés, plus particulièrement le contenu du rapport du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni.

[7] Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le défendeur) soutient que l’agent n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle et que la décision satisfait à la norme de contrôle applicable, soit celle de la décision raisonnable.

[8] Le bien-fondé de la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, conformément à ce qui est énoncé dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, [2019] 4 RCS 653. La norme de la décision correcte s’applique à toute question relative à l’équité procédurale : voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339.

[9] Lorsqu’elle procède au contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit se demander si la décision « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » : voir Vavilov, précité, au para 99.

[10] Ayant examiné les documents déposés, y compris le contenu du dossier certifié du tribunal, ainsi que les observations des parties, formulées de vive voix et par écrit, j’estime que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

[11] Je suis d’avis que l’agent a déraisonnablement fait abstraction d’éléments de preuve concernant la disponibilité limitée des soins de santé mentale en Albanie, particulièrement le rapport du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni.

[12] Ce manquement fait en sorte que la décision de l’agent n’est pas « justifiée ». Cette erreur est suffisante pour que j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire, et il n’est pas nécessaire que j’examine les arguments relatifs au manquement allégué à l’équité procédurale.

[13] Le 25 avril 2023, après l’audience, l’avocat a proposé la question à certifier qui suit :

[traduction]
Nonobstant la connaissance qu’a le demandeur d’un sujet en particulier, l’agent d’exécution de la loi pour services intérieurs peut-il, dans ses motifs, s’appuyer dans une large mesure sur les résultats de recherches précises sur l’Internet, qui ne proviennent pas de sources courantes (« comme Human Rights Watch, Amnistie Internationale ou des rapports sur les pays publiés par des autorités gouvernementales ») (Duda c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 512) et qui ne figurent pas dans le cartable national de documentation, sans les avoir d’abord communiqués au demandeur pour commentaires?

[14] La question proposée a été envoyée à l’avocate du défendeur pour commentaires. Dans une lettre du 25 avril 2023, l’avocate du défendeur s’est opposée à la certification de la question proposée.

[15] Dans sa réplique aux observations formulées par l’avocate du défendeur, l’avocat des demandeurs a répété ses observations en faveur de la question proposée aux fins de certification et a demandé l’autorisation de produire un document auquel il était renvoyé dans la décision faisant l’objet du contrôle, mais qui ne figure pas dans le dossier certifié du tribunal.

[16] La réplique de l’avocat des demandeurs a été déposée après la date limite fixée dans la directive communiquée le 25 avril 2023. L’avocate du défendeur a été invitée à formuler des commentaires sur le dépôt tardif de la réplique.

[17] Dans une lettre du 15 mai 2023, l’avocate du défendeur ne s’est pas opposée au dépôt tardif de la réplique des demandeurs au sujet de la question proposée aux fins de certification, mais s’est opposée à la demande visant l’ajout au dossier d’un rapport transmis en retard.

[18] Je souscris à la position de l’avocate du défendeur quant à la question proposée aux fins de certification et quant au dépôt d’éléments de preuve documentaire à une étape tardive.

[19] La question proposée aux fins de certification ne répond pas au critère énoncé dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zazai, 2004 CAF 89, 318 NR 365.

[20] Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de l’agent sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision. Il n’y a pas de question à certifier.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-2121-22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit : La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l’agent d’exécution de la loi pour services intérieurs est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent. Il n’y a pas de question à certifier.

« E. Heneghan »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2121-22

INTITULÉ :

ARMANDO PAJA ET ARMELA ZENELAJ c

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 AVRIL 2023

OBSERVATIONS ADDITIONNELLES :

LE 25 AVRIL 2023; LE 28 AVRIL 2023; LE 2 MAI 2023; ET LE 15 MAI 2023

MOTIFS ET JUGEMENT :

LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :

LE 26 MAI 2023

COMPARUTIONS :

Howard Gilbert

POUR LES DEMANDEURS

Laoura Christodoulides

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Howard Gilbert

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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