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Date : 20230524


Dossier : IMM-6712-22

Référence : 2023 CF 734

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 24 mai 2023

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

GHAZAL HASSANI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Mme Ghazal Hassani, est une citoyenne de l’Iran. Elle sollicite le contrôle judiciaire de la décision [la décision] du 28 juin 2022 par laquelle un agent des visas [l’agent] d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a rejeté sa demande de permis d’études. L’agent n’était pas convaincu que Mme Hassani quitterait le Canada à la fin de la période de séjour, comme l’exige l’alinéa 216(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR].

[2] Mme Hassani soutient que la décision est déraisonnable, car elle repose sur un raisonnement inintelligible qui ne tient pas compte des éléments de preuves qu’elle a présentés. En outre, Mme Hassani affirme que l’agent a porté atteinte à ses droits en matière d’équité procédurale, car il ne lui a pas donné la possibilité de répondre à ses doutes.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire de Mme Hassani sera accueillie. Après avoir examiné le droit applicable et les éléments de preuve dont l’agent disposait, je conclus que la décision repose sur une analyse irrationnelle et que les motifs qui la justifient manquent de clarté et de logique. L’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuve qui contredisaient directement ses conclusions, et certaines des principales conclusions de fait à l’appui de sa décision n’étaient pas étayées par la preuve. L’intervention de la Cour est donc justifiée. Compte tenu de cette conclusion et du faible nombre d’observations présentées par Mme Hassani sur la question de l’équité procédurale, l’examen de ce deuxième motif n’est pas nécessaire dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

II. Contexte

A. Contexte factuel

[4] Mme Hassani est une femme célibataire de vingt-quatre ans sans enfant. Elle vit en Iran avec ses parents et son frère.

[5] En 2021, Mme Hassani a obtenu un baccalauréat en photographie publicitaire à l’Université des sciences appliquées et de la technologie de Téhéran.

[6] En avril 2022, Mme Hassani a été acceptée dans le programme de photographie professionnelle du Collège Langara, à Vancouver, en Colombie-Britannique [le programme].

[7] En mai 2022, elle a présenté une demande de permis d’études au Canada.

B. Décision de l’agent

[8] Comme c’est généralement le cas lors du rejet d’une demande de permis d’études, la décision lui a été communiquée au moyen d’une lettre standard dans laquelle l’agent indique qu’il n’est pas convaincu que Mme Hassani quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Dans sa lettre, l’agent a fondé son refus sur deux facteurs, à savoir que Mme Hassani n’avait pas de liens familiaux importants hors du Canada et que le but de sa visite n’était pas compatible avec un séjour temporaire, compte tenu de ce qu’elle a déclaré dans sa demande.

[9] La décision comprend également les notes de l’agent consignées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC] (Sharma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 381 au para 7), dans lesquelles l’agent précise les motifs à l’appui de sa conclusion.

[10] Dans les notes du SMGC, l’agent fait part de ses réserves à l’égard du fait que Mme Hassani n’est pas mariée, qu’elle n’a aucune personne à charge et qu’elle ne possède pas d’actifs financiers importants en Iran. L’agent a donc conclu que les liens économiques et familiaux de Mme Hassani avec l’Iran étaient faibles.

[11] L’agent a également conclu que les frais de scolarité versés correspondaient au minimum nécessaire afin que Mme Hassani puisse conserver sa place dans le programme, mais qu’il n’y avait eu aucun paiement supplémentaire pour la première année de scolarité.

[12] Enfin, l’agent a souligné que Mme Hassani avait déjà poursuivi des études semblables dans un programme de niveau supérieur à celui qu’elle souhaitait suivre au Canada, et que cette démarche lui semblait superflue et manquer de logique quant à la progression de son parcours professionnel.

C. Dispositions pertinentes

[13] Les dispositions pertinentes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 sont les paragraphes 11(1) et 22(2), qui disposent qu’une personne souhaitant devenir résidente temporaire du Canada doit convaincre l’agent qu’elle « se conforme à la présente loi » et que « [l]’intention qu’il a de s’établir au Canada n’empêche pas l’étranger de devenir résident temporaire sur preuve qu’il aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée ». L’alinéa 216(1)b) du RIPR exige en outre que le demandeur d’un permis d’études établisse qu’il « quittera le Canada à la fin de la période de séjour ». Par conséquent, il est bien accepté qu’un demandeur de permis d’études doit convaincre l’agent des visas qu’il ne demeurera pas au Canada une fois son visa échu (Kavugho-Mission c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 597 au para 7; Solopova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 690 [Solopova] au para 10).

D. Norme de contrôle applicable

[14] Il est bien établi que la norme du caractère raisonnable s’applique à l’évaluation par un agent d’une demande de permis d’études lorsque celui-ci n’est pas convaincu que le demandeur quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée (Ilaka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1622 au para 10; Hasanalideh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1417 [Hasanalideh] au para 4; Abbas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 378 au para 14; Marcelin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 761 au para 7; Aghaalikhani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1080 [Aghaalikhani] au para 11; Penez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1001 [Penez] au para 11; Solopova, au para 12). En outre, depuis l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], il existe une présomption selon laquelle le caractère raisonnable est la norme de contrôle judiciaire applicable chaque fois qu’une cour de révision examine le bien-fondé d’une décision administrative.

[15] La norme de la décision raisonnable porte sur la décision prise par le décideur administratif, ce qui comprend à la fois le processus de raisonnement et le résultat (Vavilov, aux para 83, 87). Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle d’une cour de révision est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). La cour de révision doit donc se demander si « la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov, au para 99).

[16] Le contrôle judiciaire doit comporter une évaluation rigoureuse de la décision administrative. Toutefois, la cour de révision doit, pour savoir si la décision est raisonnable, d’abord examiner les motifs donnés avec « une attention respectueuse », et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion (Vavilov, au para 84). La cour de révision doit adopter une approche empreinte de déférence et intervenir « uniquement lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov, au para 13), tout en s’abstenant « d’apprécier à nouveau la preuve » dont elle est saisie (Vavilov, au para 125).

[17] Il incombe à la partie qui conteste la décision administrative d’en démontrer le caractère déraisonnable. Les lacunes ne doivent pas être superficielles pour qu’une cour de révision infirme une décision administrative. La cour doit être convaincue que la décision « souffre de lacunes graves » (Vavilov, au para 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 36).

III. Analyse

[18] Mme Hassani affirme que la décision est déraisonnable pour une panoplie de raisons, à savoir : 1) l’analyse de l’agent sur le caractère suffisant de ses liens familiaux en Iran est illogique; 2) la décision est fondée sur des stéréotypes et des généralisations à l’égard des femmes célibataires sans personne à charge; 3) l’agent n’a pas tenu compte de sa situation économique spécifique; elle dépend toujours financièrement de ses parents, mais l’agent a conclu que ses liens économiques avec l’Iran étaient faibles; 4) l’agent n’a pas expliqué pourquoi le but de son séjour n’est pas compatible avec un séjour temporaire; 5) aucun élément de preuve ne soutient les conclusions de l’agent concernant le caractère superflu de son plan d’études; 6) l’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuve contradictoires sur son intention de retourner en Iran; 7) l’agent n’a pas fourni de justification intelligible et transparente sur la question du paiement partiel des droits de scolarité; 8) aucun élément de preuve n’étayait la conclusion de l’agent selon laquelle il n’était pas certain que Mme Hassani respecte les dispositions législatives canadiennes.

[19] Je n’examinerai que certains des arguments invoqués par Mme Hassani, car ils suffisent à rendre la décision déraisonnable.

A. Liens familiaux de Mme Hassani à l’étranger et son statut de femme célibataire sans enfant

[20] Le caractère suffisant des liens familiaux hors du Canada est l’un des deux motifs expressément mentionnés par l’agent dans la lettre de refus. Cette conclusion contredit la preuve au dossier.

[21] Les agents des visas sont autorisés à considérer l’état matrimonial et l’absence de personnes à charge comme faisant partie de la « constellation de facteurs » qu’ils doivent évaluer et soupeser les uns par rapport aux autres (Gilavan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1698 [Gilavan] au para 22). Les liens qui unissent le demandeur avec son pays d’origine, tels que les liens familiaux ou économiques, sont souvent évalués par rapport aux facteurs qui pourraient inciter l’étranger à dépasser la durée autorisée de son séjour au Canada (Chhetri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 872 au para 14).

[22] En l’espèce, Mme Hassani n’a absolument ni liens familiaux ni projets d’avenir au Canada. Tous les liens familiaux de Mme Hassani sont avec l’Iran, et la preuve au dossier montre clairement qu’elle a des liens avec l’Iran. Ses parents et son jeune frère, avec qui elle vit habituellement, résident en Iran et n’ont pas l’intention de se rendre au Canada avec Mme Hassani. Dans ces circonstances, je ne vois pas comment l’agent peut juger que les liens familiaux qui unissent Mme Hassani à son pays de résidence étaient [TRADUCTION] « insuffisants » alors que toute sa famille immédiate y vit et qu’elle a des [TRADUCTION] « liens affectifs forts » avec elle.

[23] Compte tenu des éléments de preuve au dossier, la conclusion de l’agent concernant les liens familiaux de Mme Hassani hors du Canada n’est ni intelligible ni justifiée. Cela ne pouvait constituer un motif de rejet du permis d’études de Mme Hassani (Hasanalideh, aux para 7-8; Aghaalikhani, au para 19). Autrement dit, je ne décèle ni logique ni raisonnement rationnel qui aurait pu amener l’agent à conclure que les liens familiaux de Mme Hassani l’inciteraient à se rendre au Canada et à susciter des doutes sur sa volonté de quitter le Canada à la fin de ses études. En fait, c’est généralement la situation inverse (c’est-à-dire des liens limités avec le pays de résidence jumelés à des liens existants avec le Canada) qui incite les agents des visas à s’interroger sur l’intention réelle de la personne qui présente une demande de permis d’études.

[24] Selon les notes du SMGC, les doutes de l’agent concernant les liens familiaux hors du Canada s’expliquaient probablement par le fait que Mme Hassani pouvait voyager librement, puisque l’agent a souligné qu’elle n’était pas mariée et qu’elle n’avait personne à sa charge. Ainsi, la présence de ses parents et de son frère en Iran ne semble pas avoir suffi à rassurer l’agent sur le fait que Mme Hassani quitterait le Canada à la fin de son séjour.

[25] Quand bien même j’interprèterais les motifs de l’agent sous cet angle généreux, j’estime que la décision ne satisferait tout de même pas à la norme de la décision raisonnable. Je ne suis pas disposé à considérer, comme le fait Mme Hassani, que l’évaluation de son statut de femme célibataire sans personne à charge revenait à « stéréotyper » les femmes présentant de telles caractéristiques, mais notre Cour a affirmé à de nombreuses reprises « que l’absence d’enfants ou de conjoint à charge ne devrait pas, sans autre analyse, être jugée défavorablement dans le contexte d’une demande de permis d’études » (Barril c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 400 [Barril] au para 20; voir aussi Gilavan, aux para 22-23). Ces facteurs mettent simplement Mme Hassani dans la situation où se trouvent la plupart des étudiants qui présentent une demande de permis d’études (Onyeka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 336 au para 48). En soi, le statut de femme célibataire sans personne à charge de Mme Hassani ne constitue pas un motif suffisant ou logique, sans analyse plus approfondie, pour rejeter sa demande de permis d’études.

[26] Je ne conteste pas le fait qu’un décideur n’est généralement pas tenu de tirer une conclusion explicite pour chaque élément constitutif d’une question au moment de rendre sa décision définitive. Je retiens aussi qu’un décideur est présumé avoir pesé et considéré toute la preuve dont il est saisi jusqu’à preuve du contraire (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF) (QL) au para 1). Je conviens également que le fait de ne pas mentionner un élément de preuve particulier dans une décision ne signifie pas qu’il a été omis et ne constitue pas une erreur (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF), [1998] ACF no 1425 (QL) [Cepeda-Gutierrez] aux para 16-17). Néanmoins, il est également bien établi qu’un décideur ne doit pas négliger les éléments de preuve contradictoires. Cela est particulièrement vrai à l’égard des éléments clés sur lesquels le décideur s’est appuyé pour parvenir à sa conclusion. Lorsqu’un tribunal administratif ne fait pas mention des éléments de preuve en opposition directe avec sa conclusion et qui contredisent carrément ses conclusions de fait, la Cour peut intervenir et conclure que le tribunal a fait fi des éléments de preuve contradictoires au moment de rendre sa décision (Ozdemir c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 331 aux para 9‑10; Cepeda-Gutierrez, au para 17). Le défaut de tenir compte de certains éléments de preuve doit être examiné en contexte et il entraîne l’annulation d’une décision uniquement lorsque les éléments de preuve qui ne sont pas mentionnés sont essentiels, contredisent la conclusion du tribunal et que la cour chargée du contrôle de la décision établit que l’omission montre que le tribunal a tiré sa conclusion sans tenir compte des éléments dont il disposait (Penez aux para 24–25). C’est précisément le cas en l’espèce à l’égard des liens familiaux de Mme Hassani en Iran.

[27] En résumé, il s’agit d’une situation où l’agent a fait abstraction de la preuve au dossier concernant les liens familiaux de Mme Hassani et de la trame factuelle générale qui a une incidence sur la décision, et s’est « fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » (Vavilov, au para 126). Par conséquent, l’intervention de la Cour est justifiée.

B. Plan d’études de Mme Hassani

[28] Mme Hassani soutient également que les éléments de preuve ne soutiennent pas les conclusions de l’agent concernant le caractère superflu de son plan d’études. Elle soutient que l’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuve concernant la pertinence du programme pour le développement de sa carrière en Iran. Cet argument est lié au deuxième motif exposé par l’agent pour justifier le rejet de la demande de permis d’études de Mme Hassani, à savoir que sa visite n’était pas compatible avec un séjour temporaire compte tenu des détails qu’elle a fournis dans sa demande.

[29] Encore une fois, je suis du même avis que Mme Hassani.

[30] Dans sa lettre de motivation, Mme Hassani a expliqué en détail les raisons qui l’incitent à suivre le programme au Canada, en dépit du fait qu’elle a déjà obtenu un diplôme universitaire en photographie en Iran. Mme Hassani a décrit les obstacles qu’elle a rencontrés, en tant que femme, pour apprendre la photographie professionnelle en Iran. Ces obstacles comprennent le manque de matériel et d’équipement, ainsi que les limites aux sujets imposées par la religion et les restrictions fondées sur le genre. Dans ses motifs, l’agent n’a tout simplement pas tenu compte de cet élément de preuve et n’a pas fait référence aux explications données par Mme Hassani pour vouloir suivre le programme malgré son diplôme en photographie.

[31] Dans les notes du SMGC, l’agent a évalué cette question de la manière suivante :

[traduction]

Le but de la visite de la demanderesse au Canada ne concorde pas avec un séjour temporaire compte tenu des détails fournis dans la demande. La cliente a fait des études similaires à un niveau plus élevé que celles qu’elle souhaite suivre au Canada. J’estime que les études que la demanderesse principale souhaite réaliser en vue d’obtenir un diplôme d’études de niveau collégial en photographie professionnelle ne sont pas raisonnables, car elle a déjà obtenu un baccalauréat en photographie publicitaire. Compte tenu des études antérieures et de la carrière actuelle de la demanderesse principale, le programme envisagé est superflu et ne semble pas constituer une progression logique dans son parcours professionnel.

[32] Je conviens avec Mme Hassani que l’agent aurait dû tenir compte des différences entre le programme visé et le diplôme qu’elle a obtenu, suivant ce qu’elle a dûment expliqué dans sa lettre de motivation (Barril, au para 26). En affirmant que le plan d’études de Mme Hassani était superflu compte tenu de ses études antérieures en plus d’être d’un niveau inférieur, l’agent ne s’est pas penché sur les éléments de preuve contradictoires et les observations présentés par Mme Hassani sur ce point précis. En qualifiant le programme d’inférieur aux études antérieures de Mme Hassani, l’agent ne tient pas compte des explications fournies par cette dernière pour suivre ce plan d’études spécifique (Nia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1648 aux para 24-26). En fait, la conclusion apparente de l’agent selon laquelle Mme Hassani a probablement déjà atteint le niveau de compétence qu’elle cherche à obtenir au Canada ou qu’elle ne retirera aucun avantage clair du programme n’est que pure conjecture, car elle n’est pas soutenue par la preuve au dossier. De plus, le programme est tout sauf un [TRADUCTION] « plan d’études superflu », puisqu’il permettrait à Mme Hassani d’améliorer et de compléter sa formation en photographie par des études approfondies et des expériences auxquelles elle n’avait pas accès en tant que femme en Iran.

[33] Si l’agent estimait que les explications fournies par Mme Hassani ne suffisaient pas à justifier son plan d’études ou les différences entre le programme et ses études antérieures, il aurait dû le préciser. Cependant, la décision est muette à cet égard. Comme je l’ai déjà affirmé précédemment, bien que les agents des visas soient présumés avoir examiné toute la preuve qui leur a été soumise (Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1083 au para 34), leur silence à l’égard des éléments de preuve qui contredisent leur conclusion peut inciter la cour de révision à conclure que des éléments de preuve contradictoires n’ont pas été considérés (Cepeda-Gutierrez, aux para 16-17).

[34] Dans son mémoire et à l’audience devant la Cour, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le ministre] a cherché inopportunément à renforcer la décision sur la question du plan d’études (mémoire du défendeur, para 25; Rajasekharan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 68 au para 20). Le ministre soutient que selon la décision Akomolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 472 [Akomolafe] au para 21, la conclusion de l’agent au sujet du plan d’études de Mme Hassani était raisonnable, parce qu’elle n’avait pas [traduction] « expliqué suffisamment les avantages spécifiques qu’elle en retirerait » (mémoire du défendeur, au para 26).

[35] En toute déférence, je ne suis pas du même avis. Il est vrai que dans le cadre du présent contrôle judiciaire, il n’appartient pas à la Cour de réexaminer les éléments de preuve et de juger du caractère suffisant des explications de Mme Hassani. Toutefois, lorsque la Cour juge du caractère raisonnable d’une décision administrative, elle peut tout à fait considérer l’absence de justification logique de la part de l’agent (Seyedsalehi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1250 aux para 15-16). Même en interprétant le plus généreusement possible la décision de l’agent, je ne décèle ni justification ni fondement probant à l’appui de la conclusion qu’il a tirée concernant le plan d’études de Mme Hassani. Dans sa lettre de motivation, Mme Hassani a précisé plusieurs avantages du programme, tels que l’accès à du matériel et des équipements permettant de prendre et de modifier des photos, ainsi que des cours de photographie professionnelle sans restrictions fondées sur le genre qui lui permettraient de progresser dans son parcours professionnel et l’aideraient à atteindre son objectif, c’est-à-dire avoir son propre studio en Iran. Nous sommes très loin de la situation de l’affaire Akomolafe, dans laquelle le demandeur, un gestionnaire expérimenté, n’avait donné que de vagues explications pour justifier son projet d’études.

[36] Un agent des visas doit veiller à ne pas faire d’« incursion […] dans le domaine de l’orientation professionnelle » (Adom c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 26 au para 17) et à ne pas se perdre en conjectures sur la pertinence du plan d’études d’un demandeur, surtout lorsque ce dernier a fourni des explications auxquelles l’agent n’a pas fait référence dans ses motifs. Dans les circonstances actuelles, je ne suis pas convaincu que l’agent avait porté attention à ce que Mme Hassani a expliqué dans son plan d’études.

[37] En d’autres termes, la décision ne satisfait pas aux exigences minimales de [traduction] « justification adaptée », car Mme Hassani avait fourni des informations précises et importantes directement pertinentes pour les motifs sur lesquels repose la décision (Nesarzadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 568 au para 13). Bien entendu, l’agent n’était pas tenu d’accepter tout ce que Mme Hassani a affirmé dans sa demande, mais il devait expliquer comment ces informations avaient été considérées dans son analyse. La décision raisonnable doit démontrer que le décideur s’est attaqué aux principaux éléments de preuve qui sont pertinents dans le cadre juridique applicable. Cela n’a pas été le cas en l’espèce. Au paragraphe 102 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a estimé que la cour de révision « doit être convaincue qu’“[un] mode d’analyse, dans les motifs avancés, […] pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait” ». En l’espèce, il n’y a tout simplement pas de mode d’analyse à considérer à l’égard de la manière dont le plan d’études de Mme Hassani a été évalué.

[38] En résumé, je conclus à l’absence d’éléments de preuve au dossier et de fondement rationnel pour justifier les deux facteurs clés expressément ciblés par l’agent dans la décision et sa conclusion générale sur le risque que Mme Hassani ne quitte pas le Canada à la fin de son séjour. L’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuves contradictoires et a mal interprété certains d’entre eux en faisant fi du contexte particulier de la demande de permis d’études de Mme Hassani. Compte tenu de ces manquements, la décision ne possède pas les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov, au para 99). Ces erreurs m’amènent à « perdre confiance dans le résultat obtenu » par l’agent (Vavilov, au para 106).

[39] Je conviens qu’une décision administrative ne doit pas être évaluée au regard d’une norme de perfection et qu’il est normal que les motifs soient brefs dans le contexte des demandes de permis d’études. Toutefois, les décisions administratives doivent toujours être fondées sur un raisonnement intrinsèquement cohérent (Vavilov, aux para 91, 102). Les motifs ne doivent pas être exhaustifs ou parfaits, mais ils doivent être intelligibles. Il est crucial pour le demandeur, et pour la Cour, de comprendre le fondement du rejet de la demande, et le résultat doit être raisonnablement justifiée par les motifs (Penez, au para 30). En l’espèce, la décision ne satisfait pas à ce critère.

IV. Conclusion

[40] Pour les motifs exposés précédemment, la demande de contrôle judiciaire de Mme Hassani est accueillie. La décision n’est pas fondée sur une analyse cohérente et rationnelle et ne constitue pas une issue raisonnable compte tenu de la preuve dont le décideur disposait et des contraintes juridiques et factuelles auxquelles il était soumis. Par conséquent, l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

[41] Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale aux fins de certification, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6712-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, sans dépens.

  2. La décision du 28 juin 2022 de l’agent de rejeter la demande de permis d’études de Mme Ghazal Hassani est annulée.

  3. L’affaire est renvoyée à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada pour qu’une nouvelle décision soit rendue par un autre agent des visas.

  4. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6712-22

INTITULÉ :

GHAZAL HASSANI c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 MAI 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 24 MAI 2023

COMPARUTIONS :

Samin Mortazavi

POUR LA DEMANDERESSE

Jeanne Robert

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pax Law Corporation

Avocats

North Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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