Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 20230606

Dossier : IMM-1660-22

Référence : 2023 CF 789

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 juin 2023

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

MD NOOR HOSSAIN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Md Noor Hossain (« M. Hossain »), a présenté une demande d’asile au Canada parce qu’il craignait d’être persécuté au Bangladesh du fait de ses opinions politiques. La Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté la demande, car elle a conclu que les allégations du demandeur n’étaient pas crédibles. M. Hossain a interjeté appel de la décision défavorable à la Section d’appel des réfugiés (SAR). La SAR a souscrit aux conclusions de la SPR selon lesquelles la description faite par le demandeur des attaques qu’il avait subies n’était pas crédible, et a donc rejeté l’appel. En revanche, contrairement à la SPR, la SAR a reconnu que M. Hossain avait rédigé les articles politiques qui, selon lui, l’exposaient à un risque.

[2] Dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire, M. Hossain avance plusieurs arguments. La question déterminante concerne le fait que la SAR n’a pas pris en compte un fondement essentiel de la demande d’asile. Comme la question se rapporte au bien-fondé de la décision, je l’examinerai au moyen de la norme de contrôle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65).

[3] Pour rendre sa décision, la SAR s’est concentrée sur la question de savoir si les agressions s’étaient déroulées telles que les avait décrites M. Hossain, plutôt que sur celle de savoir si celui-ci était exposé à un risque du fait de ses opinions politiques. La SAR a omis d’examiner deux questions, qui sont demeurées en suspens : après être arrivée à la conclusion que M. Hossain avait rédigé les articles politiques critiques à l’égard du parti au pouvoir au Bangladesh, la SAR aurait dû se demander si la rédaction de ces articles exposait M. Hossain à un risque, qu’elle ait jugé les attaques crédibles ou non. Deuxièmement, la SAR n’a tiré aucune conclusion concernant le lien existant entre M. Hossain et son épouse, qui est active dans la sphère politique et qui est la fille de l’ancien président du Bangladesh, dont M. Hossain a fait mention dans ses articles.

[4] Pour les motifs qui suivent, j’accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire.

II. Analyse

[5] M. Hossain a présenté une demande d’asile au Canada parce qu’il craignait d’être persécuté au Bangladesh du fait de ses opinions politiques. Il a soutenu que, entre les mois de février et de mars 2019, il avait rédigé trois articles pour un journal local au Bangladesh dans lesquels il critiquait les adversaires politiques de son épouse, celle-ci étant la fille de l’ancien président du Bangladesh et elle-même active dans la sphère politique. M. Hossain a affirmé que, en raison de la publication de ces articles, il avait fait l’objet de menaces, d’un enlèvement et d’une agression physique.

[6] La SPR et la SAR ont toutes deux conclu que les récits de M. Hossain concernant l’enlèvement et les attaques allégués n’étaient pas crédibles. La SAR a conclu que la demande de M. Hossain était « fondée entièrement sur sa crainte à l’égard des auteurs de ces attaques ». En conséquence, elle a conclu que M. Hossain n’avait pas établi une crainte fondée de persécution puisque ses récits des attaques n’étaient pas crédibles.

[7] Le cadre d’analyse étroit que la SAR a appliqué à la demande d’asile de M. Hossain était déraisonnable. La demande d’asile de M. Hossain n’était pas fondée entièrement sur sa crainte à l’égard de ses assaillants. Elle était fondée sur le risque émanant du parti au pouvoir auquel il serait exposé en raison des opinions politiques qu’il avait exprimées dans ses articles. Comme la SAR a appliqué un cadre d’analyse étroit, elle n’a pas pu examiner la question de savoir si la publication de ces articles exposerait M. Hossain à un risque, et elle n’a pas analysé cette question dans ses motifs.

[8] La SAR est arrivée à une conclusion différente de celle de la SPR en ce qui concerne la question de savoir si M. Hossain avait rédigé ces articles. La SPR a jugé que M. Hossain ne démontrait pas un niveau de connaissances des procédures journalistiques digne d’un journaliste professionnel ou amateur au Bangladesh. Elle a indiqué que l’affirmation de M. Hossain selon laquelle il était journaliste [traduction] « sonn[ait] faux ». Elle a accordé peu de poids aux copies des articles de journaux que M. Hossain avait présentées et dont il affirmait être l’auteur. La SPR a jugé plausible qu’un autre journaliste porte le même nom que le demandeur et a indiqué qu’il était facile de se procurer des documents authentiques contenant de faux renseignements au Bangladesh.

[9] En revanche, la SAR a estimé que la SPR s’était trompée en concluant que M. Hossain n’avait pas démontré qu’il avait été employé comme journaliste. La SAR a admis comme nouvel élément de preuve une lettre de l’éditeur de M. Hossain au Bangladesh, qui était accompagnée d’un chèque de paie. La SAR a reconnu que M. Hossain était un amateur qui s’était essayé au journalisme, et qu’il était parvenu, en tant qu’homme d’affaires local riche et prospère, à convaincre le journal de publier ses trois articles.

[10] Après avoir conclu que M. Hossain avait rédigé les articles en question, la SAR aurait dû se demander s’ils exposaient ce dernier à un risque. Le fait de définir la demande de M. Hossain comme étant « fondée entièrement sur sa crainte à l’égard des auteurs de ces attaques » ne constitue pas une évaluation raisonnable et n’est pas conforme au cadre d’analyse requis.

[11] Je constate également que la SAR n’a formulé aucune conclusion sur une autre question essentielle soulevée en appel. La SPR a conclu que M. Hossain n’avait pas établi ses opinions politiques présumées relativement aux supposées activités politiques de son épouse ou de la famille de celle-ci au Bangladesh. Elle a jugé que M. Hossain avait livré un témoignage contradictoire quant à la question de savoir s’il s’était séparé ou non de son épouse et si elle l’avait accompagné aux États‑Unis, ce qui l’a amenée à se questionner sur la véritable nature de la relation qu’entretenait M. Hossain avec son épouse.

[12] La SAR n’a pas examiné les conclusions de la SPR concernant la nature de la relation que M. Hossain entretenait avec son épouse, bien que M. Hossain ait contesté ces conclusions en appel. La SAR aurait dû évaluer cet aspect de la demande de M. Hossain et déterminer si ce lien familial, combiné aux articles publiés, exposait le demandeur à un risque du fait de ses opinions politiques.

[13] Étant donné que l’affaire doit être renvoyée pour nouvel examen en raison des questions qui précèdent, il ne m’apparaît pas nécessaire d’examiner les autres observations présentées par le demandeur pour contester les conclusions de la SAR en matière de crédibilité. Le fait que je ne formule pas de commentaires sur ces observations ne doit pas être interprété comme une prise de position sur leur bien-fondé.

[14] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. La décision de la SAR du 28 janvier 2022 est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision;

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

Blanc

« Lobat Sadrehashemi »

Blanc

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1660-22

INTITULÉ :

MD NOOR HOSSAIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 MARS 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

DATE DES MOTIFS :

LE 6 JUIN 2023

 

COMPARUTIONS :

Amedeo Clivio

POUR LE DEMANDEUR

Andrea Mauti

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Clivio Law Professional Corporation

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.